Ligue1 & 2 Ghacha «Le podium nâest pas encore perdu et nous avons besoin des 3 points du NAHD»La solution Ă ce puzzle est constituéÚ de 8 lettres et commence par la lettre A Les solutions â pour JOUER SUR LES SENTIMENTS de mots flĂ©chĂ©s et mots croisĂ©s. DĂ©couvrez les bonnes rĂ©ponses, synonymes et autres types d'aide pour rĂ©soudre chaque puzzle Voici Les Solutions de Mots CroisĂ©s pour "JOUER SUR LES SENTIMENTS" 0 0 0 0 0 0 0 0 Partagez cette question et demandez de l'aide Ă vos amis! Recommander une rĂ©ponse ? Connaissez-vous la rĂ©ponse? profiter de l'occasion pour donner votre contribution! Similaires
Lescoups de minuit sont des coups peu douloureux". "Quand rien ne va plus, je suis avec mes frĂšres, avec eux, je suis libre. Quand l'amour est guerre, avec eux, je suis moi, quand l'monde est cinĂ©ma". "Je t'en supplie, ne sois pas comme moi, si je te demande ton cĆur, ne me donne pas".Adoptez lâattitude appropriĂ©e au jeu Invitez-le Ă utiliser ses sens, Ă explorer et Ă toucher les jeux avant de jouer. Les enfants autistes sont trĂšs visuels. Montrez les rĂšgles plutĂŽt que de les expliquer. Vous pouvez Ă©galement faire le geste avec lui en prenant sa main. Dâune part, Comment stimuler un autiste ? La communication Favoriser des jeux en lien avec les intĂ©rĂȘts de lâenfant. ⊠Se mettre Ă la hauteur de lâenfant, afin de favoriser une communication face Ă face et faciliter lâĂ©change. Sâassurer de sa disponibilitĂ© avant de lui parler. Parler lentement. Formuler des consignes simples. Mettre lâaccent sur les mots importants. Dâautre part Comment se comporter avec une personne autiste ? Une communication atypique ou lâabsence de communication Un enfant autiste prĂ©sente des difficultĂ©s de communication au niveau verbal, comme au niveau des mimiques et des gestes communication non verbale. Vous pouvez notamment constater un retard dans le dĂ©veloppement du langage il parle peu, voire pas du tout. Comment apaiser un autiste ? Prenez le temps de lâĂ©couter et aidez-le Ă communiquer ses sentiments. En cas de crise dĂ©clenchĂ©e par le stress, restez calme, rassurant, ne le grondez pas et ne le forcez pas. Exemple si votre passage chez le coiffeur ne se passe pas comme vous lâespĂ©rez, ne cherchez pas Ă immobiliser votre enfant. Comment sâoccuper dâun adulte autiste ? Enfants et adultes Des activitĂ©s adaptĂ©es avec plusieurs catĂ©gories. Coloriage. Les paroles de 945 chansons. 500 jeux et activitĂ©s gratuits. ActivitĂ©s pour personnes avec handicap. 26 jeux collectifs, ludiques et Ă©ducatifs. Des jeux adaptĂ©s au handicap Ă faire soit mĂȘme. Des puzzles gratuits pour les enfants. Comment attirer lâattention dâun autiste ? StratĂ©gies Ă court terme â Utiliser un objet sonore pour attirer lâattention de lâĂ©lĂšve ; â Utiliser un petit geste ou dire un petit mot de rappel ; â Alerter lâĂ©lĂšve Ă©coute », regarde » ⊠; â Redire le prĂ©nom de lâĂ©lĂšve avant lâannonce de la consigne ; Comment faire evoluer un autiste ? Pour les parents, avoir un enfant autiste implique un accompagnement spĂ©cifique au quotidien. ⊠Vous pouvez notamment aider votre enfant Ă mieux gĂ©rer son stress ; ses Ă©motions ; ses troubles du comportement ; ses particularitĂ©s sensorielles. Comment se comporter avec un autiste adulte ? Comment aider un enfant ou un adulte prĂ©sentant un trouble du spectre de lâ autisme TSA Ă Ă©tablir un contact visuel Prenez le temps dâexpliquer en quoi le fait dâĂ©tablir un contact visuel peut ĂȘtre important. ⊠Formulez vos demandes le plus prĂ©cisĂ©ment possible. ⊠Le contact visuel nâest pas une validation de lâattention. Est-ce quâun bĂ©bĂ© autiste sourit ? Le bĂ©bĂ© ne sourit pas, ou peu. Il peut avoir le regard vague, qui ne suit pas ni ne fixe, ou prĂ©senter un strabisme. Il Ă©met trĂšs peu de vocalisations. Est-ce que les autistes vivent longtemps ? Les personnes Ă troubles du spectre de lâautisme TSA ont une espĂ©rance de vie rĂ©duite dâenviron seize Ă dix-huit ans par rapport Ă la population gĂ©nĂ©rale, cette rĂ©duction montant Ă 30 ans pour les personnes autistes avec difficultĂ©s dâapprentissage. Est-ce quâun autiste peut mentir ? Alors que la plupart des parents savent que leur enfant pourrait ĂȘtre tentĂ© de mentir pour Ă©viter les problĂšmes, les parents dâenfants autistes nous ont rapportĂ© que leur enfant dit toujours la vĂ©ritĂ©, mĂȘme si cela leur cause des problĂšmes. Est-ce que les autistes pleurent ? Dans certains cas, il se pourrait que lâenfant ne semble pas rĂ©agir adĂ©quatement Ă certaines situations et quâil exprime ses Ă©motions de façon exagĂ©rĂ©e â par exemple, il pourrait devenir en colĂšre trĂšs rapidement ou encore se mettre Ă pleurer Ă la moindre contrariĂ©tĂ©. Lâautiste peut aimer de façon trĂšs cartĂ©sienne. Il aime telle capacitĂ© et tel trait de caractĂšre ou du physique dâune personne. Pour aimer plus la personne, il aura tendance Ă lui demander de correspondre de plus en plus Ă tout ce quâil apprĂ©cie. Comment aider un adulte autiste ? Accompagner lâadulte autiste, câest construire avec lui son projet et le dĂ©cliner en objectifs concrets atteignables. Inciter la personne Ă ĂȘtre autonome permet de dĂ©finir avec elle ce quâelle peut rĂ©aliser pour optimiser son potentiel et vivre des situations valorisantes. Quel est le comportement dâun adulte autiste ? Lâadulte aura Ă©galement tendance Ă prĂ©senter des surcharges sensorielles venant troubler les relations mais Ă©galement le comportement. La personne souffrira donc dâhypersensibilitĂ© ou encore dâhyposensibilitĂ©. Les autres signes concernent Ă©galement des troubles au niveau du sommeil ou de lâanxiĂ©tĂ© par exemple. Comment concentrer un autiste ? La technologie Rogerâą de Phonak peut aider les enfants atteints dâautisme Ă se concentrer et Ă comprendre lâinstituteurtrice mĂȘme en prĂ©sence de bruits de fond gĂȘnants. Comment savoir si un autiste va parler ? Un des troubles du langage assez frĂ©quent chez les enfants autistes est lâĂ©cholalie. Ils rĂ©pĂštent rĂ©guliĂšrement des mots ou des phrases entendues immĂ©diatement Ă©cholalie immĂ©diate ou prĂ©cĂ©demment Ă©cholalie diffĂ©rĂ©e, une phrase ou un mot entendu dans un dessin animĂ© ou souvent utilisĂ© Ă la maison, etc.. Comment faire parler un autiste non verbal ? Vous pouvez par exemple lui dire On dit bonjour ». Vous pouvez aussi faire un geste de salutation et lâencourager Ă vous imiter. Amenez-le Ă saluer les gens lorsquâil quitte un endroit. Vous pouvez par exemple lui dire On sâen va. Est-ce que un autiste peut se mettre Ă parler ? Chaque enfant avec un trouble du spectre de lâautisme TSA est diffĂ©rent face Ă la communication. Il peut ne pas savoir parler, il peut avoir le langage oral, mais ne pas sâen servir pour communiquer avec les autres, il peut savoir parler et communiquer, mais pas toujours dâune maniĂšre appropriĂ©e. Comment vivre en couple avec un autiste ? La routine La routine peut ĂȘtre trĂšs importante lorsque vous ĂȘtes en couple avec une personne autiste. Essayez dâĂ©viter les plans spontanĂ©s et les surprises. Lorsque vous planifiez des sorties, faites-le ensemble, pour faire en sorte que cette sortie soit adaptĂ©e Ă leur routine. Quels sont les signes dâautisme chez un bĂ©bĂ© ? Anomalies ou retards moteurs, troubles de la motricitĂ©, anomalie du tonus, dĂ©faut dâajustement bĂ©bĂ© mou, raide. Hypo ou hypertonie hypo actif ou hyper excitable Troubles du sommeil, sommeil trĂšs insuffisant ou difficultĂ© dâendormissement. Pleurs trĂšs frĂ©quents sans raison apparente. Quels sont les signes dâun bĂ©bĂ© autiste ? Avant un an quels sont les premiers signaux dâalerte dâune forme dâ autisme ? absence de sourire social 3 mois indiffĂ©rence aux sons. anomalies du regard Ă©vitement, fugacitĂ©, regard vague. dĂ©faut dâajustement postural bĂ©bĂ© mou, bĂ©bĂ© raide. Câest quoi lâautisme lĂ©ger ? DifficultĂ© Ă Ă©tablir des relations avec les autres et Ă interagir avec leur milieu. Les jeunes qui ont un autisme lĂ©ger peuvent sâintĂ©resser aux autres, mais ne savent pas comment leur parler ou jouer avec eux. Il leur est trĂšs difficile dâengager une conversation et de lâentretenir. Nâoubliez pas de partager lâarticle ! onne-joue-pas-avec-les-sentiments @Ipriyanne5. Lorsque l'envie devient besoin. La DĂ©pendance Affective : Lorsque l'envie devient besoin . Il mâa semblĂ© intĂ©ressant et mĂȘme utile dâaborder une thĂ©matique au combien devenue « courante » tant, nous nous sentons seuls, aujourdâhui. A savoir : La dĂ©pendance affective. Ainsi, en lien avec certains messages reçus que je remercie pour Reminder of your requestDownloading format TextView 1 to 253 on 253Number of pages 253Full noticeTitle A la recherche du temps perdu. T. 7 / Marcel ProustAuthor Proust, Marcel 1871-1922. Auteur du textePublisher ParisPublication date 1946-1947Set notice textType monographie imprimĂ©eLanguage frenchLanguage FrenchFormat 15 vol. ; 19 cmFormat Nombre total de vues 253Rights Consultable en ligneRights Public domainIdentifier ark/12148/bpt6k208368mSource BibliothĂšque nationale de FranceProvenance BibliothĂšque nationale de FranceOnline date 15/10/2007The text displayed may contain some errors. The text of this document has been generated automatically by an optical character recognition OCR program. The estimated recognition rate for this document is 99%.A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU MARCEL PROUST Vil LE COTĂ DE GUERMANTES DEUXIĂME PARTIE CiALLIMABD Il a Ă©tĂ© tirĂ© de la prĂ©sente Ă©dition deux mille deux cents exemplaires reliĂ©s d'aprĂšs la maquette de Mario Prassinos, dont deux mille cent exemplaires numĂ©rotĂ©s de x Ă 2100 et cent exemplaires hors commerce de 2101 a 2200 Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation rĂ©servĂ©s pour tous pays, y compris la Russie. Copyright by Gaston Gallimard. Paris 1920-1921. A i LE CĂTĂ DE GUERMANTES ĆUVRES DE MARCEL PROUST A LA RECHERCHE D U TEMPS PERDU DU CĂTĂ DE CHEZ SWANN 2V0l.. A L'OMBRE DES JEUNES FILLES EN FLEURS 3 Vol.. LE CĂTĂ DE GUERMANTES 3 vol.. SODOME ET GOMORRHE 2 Vol. LA PRISONNIĂRE 2 Vol. ALBERTINE DISPARUE. LE TEMPS RETROUVĂ 2 vol. PASTICHES ET MĂLANGES. LES PLAISIRS ET LES JOURS. CHRONIQUES. LETTRES A LA N. R. F. MORCEAUX CHOISIS. UN AMOUR DE SWANN Ă©dition illustrĂ©e par Laprade. Collection in-8 A la Gerbe» o ĆUVRES COMPLĂTES l8vol.. OMME je l'avais supposĂ© avant de faire la connaissance de Mme de Villeparisis Ă Balbec, il y avait une grande diffĂ©rence entre le milieu oĂč elle vivait et celui de Mme de Guermantes. Mme de Villeparisis Ă©tait une de ces femmes qui, nĂ©es dans une maison glorieuse, entrĂ©es par leur mariage dans une autre qui ne l'Ă©tait pas moins, ne jouissent pas cependant d'une grande situation mondaine, et, en dehors de quelques duchesses qui sont leurs niĂšces ou leurs belles-sĆurs, et mĂȘme d'une ou deux tĂȘtes couronnĂ©es, vieilles relations de famille, n'ont dans leur salon qu'un public de troisiĂšme ordre, bourgeoisie, noblesse de province ou tarĂ©e, dont la prĂ©sence a depuis longtemps Ă©loignĂ© les gens Ă©lĂ©gants et snobs qui ne sont pas obligĂ©s d'y venir par devoirs de parentĂ© ou d'intimitĂ© trop ancienne. Certes je n'eus au bout de quelques instants aucune peine Ă comprendre pourquoi Mme de Villeparisis s'Ă©tait trouvĂ©e, Ă Balbec, si bien informĂ©e, et mieux que nous-mĂȘmes, des moindres dĂ©tails du voyage que mon pĂšre faisait alors en Espagne avec M. de Norpois. Mais il n'Ă©tait pas possible malgrĂ© cela de s'arrĂȘter Ă l'idĂ©e que la liaison, depuis plus de vingt ans, de Mme de Villeparisis avec l'Ambassadeur pĂ»t ĂȘtre la cause du dĂ©classement de la marquise dans un monde oĂč les femmes les plus brillantes affichaient des amants moins respectables que celui-ci, lequel d'ailleurs n'Ă©tait probablement plus depuis longtemps pour la marquise autre chose qu'un vieil ami. Mme de Villeparisis avait-elle eu jadis d'autres aventures ? Ă©tant alors d'un caractĂšre plus passionnĂ© que maintenant, dans une vieillesse apaisĂ©e et pieuse qui devait peutĂȘtre pourtant un peu de sa couleur Ă ces annĂ©es ardentes et consumĂ©es, n'avait-elle pas su, en province oĂč elle avait vĂ©cu longtemps, Ă©viter certains scandales, inconnus des nouvelles gĂ©nĂ©rations, lesquelles en constataient seulement l'effet dans la composition mĂȘlĂ©e et dĂ©fectueuse d'un salon fait, sans cela, pour ĂȘtre un des plus purs de tout mĂ©diocre alliage ? Cette mauvaise langue que son neveu lui attribuait lui avait-elle, dans ces temps-lĂ , fait des ennemis ? l'avait-elle poussĂ©e Ă profiter de certains succĂšs auprĂšs des hommes pour exercer des vengeances contre des femmes ? Tout cela Ă©tait possible; et ce n'est pas la façon exquise, sensible nuançant si dĂ©licatement non seulement les expressions mais les intonations avec- laquelle Mme de Villeparisis parlait de la pudeur, de la bontĂ©, qui pouvait infirmer cette supposition; car ceux qui non seulement parlent bien de certaines vertus, mais mĂȘme en ressentent le charme et les comprennent Ă merveille qui sauront en peindre dans leurs MĂ©moires une digne image, sont souvent issus, mais ne font pas eux-mĂȘmes partie, de la gĂ©nĂ©ration muette, fruste et sans art, qui les pratiqua. Celle-ci se reflĂšte en eux, mais ne s'y continue pas. A la place du caractĂšre qu'elle avait, on trouve une sensibilitĂ©, une intelligence, qui ne servent pas Ă l'action. Et qu'il y eĂ»t ou non dans la vie de Mme de Villeparisis de ces scandales qu'eĂ»t effacĂ©s l'Ă©clat de son nom, c'est cette intelligence, une intelligence presque d'Ă©crivain de second ordre bien plus que de femme du monde, qui Ă©tait certainement la cause de sa dĂ©chĂ©ance mondaine. Sans doute c'Ă©taient des qualitĂ©s assez peu exaltantes, comme la pondĂ©ration et la mesure, que prĂŽnait surtout Mme de Villeparisis; mais pour parler de la mesure d'une façon entiĂšrement adĂ©quate, la mesure ne suffit pas et il faut certains mĂ©rites d'Ă©crivains qui supposent une exaltation peu mesurĂ©e; j'avais remarquĂ© Ă Balbec que le gĂ©nie de certains grands artistes restait incompris de' Mme de Villeparisis et qu'elle ne savait que les railler finement, et donner Ă son incomprĂ©hension une forme spirituelle et gracieuse. Mais cet esprit et cette grĂące, au degrĂ© oĂč ils Ă©taient poussĂ©s chez elle, devenaient eux-mĂȘmes dans un autre plan, et fussent-ils dĂ©ployĂ©s pour mĂ©connaĂźtre les plus hautes Ćuvres de vĂ©ritables qualitĂ©s artistiques. Or, de telles qualitĂ©s exercent sur toute situation mondaine une action morbide Ă©lective, comme disent les mĂ©decins, et si dĂ©sagrĂ©geante que les plus solidement assises ont peine Ă y rĂ©sister quelques annĂ©es. Ce que les artistes appellent intelligence semble prĂ©tention pure Ă la sociĂ©tĂ© Ă©lĂ©gante qui, incapable de se placer au seul point de vue d'oĂč ils jugent tout, ne comprenant jamais l'attrait particulier auquel ils cĂšdent en choisissant une expression ou en faisant un rapprochement, Ă©prouve auprĂšs d'eux une fatigue, une irritation d'oĂč naĂźt trĂšs vite l'antipathie. Pourtant dans sa conversation, et il en est de mĂȘme des MĂ©moires d'elle qu'on a publiĂ©s depuis, Mme de Villeparisis ne montrait qu'une sorte de grĂące tout Ă fait mondaine. Ayant passĂ© Ă cĂŽtĂ© de grandes choses sans les approfondir, quelquefois sans les distinguer, elle n'avait guĂšre retenu des annĂ©es oĂč elle avait vĂ©cu, et qu'elle dĂ©peignait d'ailleurs avec beaucoup de justesse et de charme, que ce qu'elles avaient offert de plus frivole. Mais un ouvrage, mĂȘme s'il s'applique seulement .Ă des sujets qui ne sont pas intellectuels, est encore une Ćuvre de l'intelligence, et pour donner dans un livre, ou dans une causerie qui en diffĂšre peu, l'impression achevĂ©e de la frivolitĂ©, il faut une dose de sĂ©rieux dont une personne purement frivole serait incapable. Dans certains MĂ©moires Ă©crits par une femme et considĂ©rĂ©s comme un chef-d'Ćuvre, telle phrase qu'on cite comme un modĂšle de grĂące lĂ©gĂšre m'a toujours fait 'supposer que pour arriver Ă une telle lĂ©gĂšretĂ© l'auteur avait dĂ» possĂ©der autrefois une science un peu lourde, une culture rĂ©barbative, et que, jeune fille, elle semblait probablement Ă ses amies un insupportable bas bleu. Et entre certaines qualitĂ©s littĂ©raires et l'insuccĂšs mondain, la connexitĂ© est si nĂ©cessaire, qu'en lisant aujourd'hui les MĂ©moires de Mme de Villeparisis, telle Ă©pithĂšte juste, telles mĂ©taphores- qui se suivent, suffiront au lecteur pour qu'Ă leur aide il reconstitue le salut profond, mais glacial, que devait adresser Ă la vieille marquise, dans l'escalier d'une ambassade, telle snob comme Mme Leroi, qui lui cornait peut-ĂȘtre un carton en allant chez les Guermantes mais ne mettait jamais les pieds dans son salon de peur de s'y dĂ©classer parmi toutes ces femmes de mĂ©decins ou de notaires. Un. bas bleu, Mme de Villeparisis en avait peut-ĂȘtre Ă©tĂ© un dans sa prime jeunesse, et, ivre alors de son savoir, n'avait peut-ĂȘtre pas su retenir contre des gens du monde moins intelligents et moins instruits qu'elle, des traits acĂ©rĂ©s que le blessĂ© n'oublie pas. Puis le talent n'est pas un appendice postiche qu'on ajoute artificiellement Ă ces qualitĂ©s diffĂ©rentes qui font rĂ©ussir dans la sociĂ©tĂ©, afin de faire, avec le tout, ce que les gens du monde appellent une femme complĂšte ». Il est le produit vivant d'une certaine complexion morale oĂč gĂ©nĂ©ralement beaucoup de qualitĂ©s font dĂ©faut et oĂč prĂ©domine une sensibilitĂ© dont d'autres manifestations que nous ne percevons pas dans un livre peuvent se faire sentir assez vivement au cours de l'existence, par exemple telles curiositĂ©s, telles fantaisies, le dĂ©sir d'aller ici ou lĂ pour son propre plaisir, et non en vue de l'accroissement, du maintien, ou pour le simple fonctionnement des relations mondaines. J'avais vu Ă Balbec Mme de Villeparisis enfermĂ©e entre ses gens et ne jetant pas un coup d'Ćil sur les personnes assises dans le hall de l'hĂŽtel. Mais j'avais eu le pressentiment que cette abstention n'Ă©tait pas de l'indiffĂ©rence, et il paraĂźt qu'elle ne s'y Ă©tait pas toujours cantonnĂ©e. Elle se toquait de connaĂźtre tel ou tel individu qui n'avait aucun titre Ă ĂȘtre reçu chez elle, parfois parce qu'elle l'avait trouvĂ© beau, ou seulement parce qu'on lui avait dit qu'il Ă©tait amusant, ou qu'il lui avait semblĂ© diffĂ©rent des gens qu'elle connaissait, lesquels, Ă cette Ă©poque oĂč elle ne les apprĂ©ciait pas encore parce qu'elle croyait qu'ils ne la lĂącheraient jamais, appartenaient tous au plus pur faubourg Saint-Germain. Ce bohĂšme, ce petit bourgeois qu'elle avait distinguĂ©, elle Ă©tait obligĂ©e de lui adresser ses invitations, dont il ne pouvait pas apprĂ©cier la valeur, avec une insistance qui la dĂ©prĂ©ciait peu Ă peu aux yeux des snobs habituĂ©s Ă coter un salon d'aprĂšs les gens que la maĂźtresse de maison exclut plutĂŽt que d'aprĂšs ceux qu'elle reçoit. Certes, si Ă un moment donnĂ© de sa jeunesse, Mme de Villeparisis, blasĂ©e sur la satisfaction d'appartenir Ă la fine fleur de l'aristocratie, s'Ă©tait en quelque sorte amusĂ©e Ă scandaliser les gens parmi lesquels elle vivait, Ă dĂ©faire dĂ©libĂ©rĂ©ment sa situation, elle s'Ă©tait mise Ă attacher de l'importance Ă cette situation aprĂšs qu'elle l'eut perdue. Elle avait voulu montrer aux duchesses qu'elle Ă©tait plus qu'elles, en disant, en faisant tout ce que celles-ci n'osaient pas dire, n'osaient pas faire. Mais maintenant que celles-ci, sauf celles de sa proche parentĂ©, ne venaient plus chez elle, elle se sentait amoindrie et souhaitait encore de rĂ©gner, mais d'une autre maniĂšre que par l'esprit. Elle eĂ»t voulu attirer toutes celles qu'elle avait pris tant de soin d'Ă©carter. Combien de vies de femmes, vies peu connues d'ailleurs car chacun, selon son Ăąge, a comme un monde diffĂ©rent, et la discrĂ©tion des vieillards empĂȘche les jeunes gens de se faire une idĂ©e du passĂ© et d'embrasser tout le cycle, ont Ă©tĂ© divisĂ©es ainsi en pĂ©riodes contrastĂ©es, la derniĂšre toute employĂ©e Ă reconquĂ©rir ce qui dans la deuxiĂšme avait Ă©tĂ© si gaiement jetĂ© au vent. JetĂ© au vent de quelle maniĂšre ? Les jeunes gens se le figurent d'autant moins qu'ils ont sous les yeux une vieille et respectable marquise de Villeparisis et n'ont pas l'idĂ©e que la grave mĂ©morialiste d'aujourd'hui, si digne sous sa perruque blanche, ait pu ĂȘtre jadis une gaie soupeuse qui fit peutĂȘtre alors les dĂ©lices, mangea peut-ĂȘtre la fortune d'hommes couchĂ©s depuis dans la tombe; qu'elle se fĂ»t employĂ©e aussi Ă dĂ©faire, avec une industrie persĂ©vĂ©rante et naturelle, la situation qu'elle tenait de sa grande naissance ne signifie d'ailleurs nullement que, mĂȘme Ă cette Ă©poque reculĂ©e, Mme de Villeparisis n'attachĂąt pas un grand prix Ă sa situation. De mĂȘme l'isolement, l'inaction oĂč vit un neurasthĂ©nique peuvent ĂȘtre ourdis par lui du matin au soir sans lui paraĂźtre pour cela supportables, et tandis qu'il se dĂ©pĂȘche d'ajouter une nouvelle maille au filet qui le retient prisonnier, il est possible qu'il ne rĂȘve que bals, chasses et voyages. Nous travaillons Ă tout moment Ă donner sa forme Ă notre vie, mais en copiant malgrĂ© nous comme un dessin les traits de la personne que nous sommes et non de celle qu'il nous serait agrĂ©able d'ĂȘtre. Les saluts dĂ©daigneux de Mme Leroi pouvaient exprimer en quelques maniĂšre la nature vĂ©ritable de Mme de Villeparisis, ils ne rĂ©pondaient aucunement Ă son dĂ©sir. Sans doute, au mĂȘme moment oĂč Mme Leroi, selon une expression chĂšre Ă Mme Swann, coupait » la marquise, celle-ci pouvait chercher Ă se consoler en se rappelant qu'un jour la reine Marie-AmĂ©lie lui avait dit Je vous aime comme une fille. » Mais de telles amabilitĂ©s royales, secrĂštes et ignorĂ©es, n'existaient que pour la marquise, poudreuses comme le diplĂŽme d'un ancien premier prix du Conservatoire. Les seuls vrais avantages mondains sont ceux qui crĂ©ent, de la vie, ceux qui peuvent disparaĂźtre sans que celui qui en a bĂ©nĂ©ficiĂ© ait Ă chercher Ă les retenir ou Ă les divulguer, parce que dans la mĂȘme journĂ©e cent autres leur succĂšdent. Se rappelant de telles paroles de la reine, Mme de Villeparisis les eĂ»t pourtant volontiers troquĂ©es contre le pouvoir permanent d'ĂȘtre invitĂ©e que possĂ©dait Mme Leroi, comme, dans un restaurant, un grand artiste inconnu, et de qui le gĂ©nie n'est Ă©crit ni dans les traits de son visage timide, ni dans la coupe dĂ©suĂšte de son veston rĂąpĂ©, voudrait bien ĂȘtre mĂȘme le jeune coulissier du dernier rang de la sociĂ©tĂ© mais qui dĂ©jeune Ă une table voisine avec deux actrices, et vers qui, dans une course obsĂ©quieuse et incessante, s'empressent patron, maĂźtre d'hĂŽtel, garçons, chasseurs et jusqu'aux marmitons qui sortent de la cuisine en dĂ©filĂ©s pour le saluer comme dans les fĂ©eries, tandis que s'avance le sommelier, aussi poussiĂ©reux que ses bouteilles, bancroche et Ă©bloui comme si, venant de la cave, il s'Ă©tait tordu le pied avant de remonter au jour. Il faut dire pourtant que, dans le salon de Mme de Villeparisis, l'absence de Mme Leroi, si elle dĂ©solait la maĂźtresse de maison, passait inaperçue aux yeux d'un grand nombre de ses invitĂ©s. Ils ignoraient totalement la situation particuliĂšre de Mme Leroi, connue seulement du monde Ă©lĂ©gant, et ne doutaient pas que les rĂ©ceptions de Mme de Villeparisis ne fussent, comme en sont persuadĂ©s aujourd'hui les lecteurs de ses MĂ©moires, les plus brillantes de Paris. A cette premiĂšre visite qu'en quittant Saint-Loup j'allai faire Ă Mme de Villeparisis, suivant le conseil. que M. de Norpois avait donnĂ© Ă mon pĂšre, je la trouvai dans son salon tendu de soie jaune sur laquelle les canapĂ©s et les admirables fauteuils en tapisseries de Beauvais se dĂ©tachaient en une couleur rose, presque violette, de framboises mĂ»res. A cĂŽtĂ© des portraits des Guermantes, des Villeparisis, on en voyait offerts par le modĂšle lui-mĂȘme de la reine Marie-AmĂ©lie, de la reine des Belges, du prince de Joinville, de l'impĂ©ratrice d'Autriche. Mme de Villeparisis, coiffĂ©e d'un bonnet de dentelles noirĂšs de l'ancien temps qu'elle conservait avec le mĂȘme instinct avisĂ© de la couleur locale ou historique qu'un hĂŽtelier breton qui, si parisienne que soit devenue sa clientĂšle, croit plus habile de faire garder Ă ses servantes la coiffe et les grandes manches, Ă©tait assise Ă un petit bureau, oĂč devant elle, Ă cĂŽtĂ© de ses pinceaux, de sa palette et d'une aquarelle de fleurs commencĂ©e, il y avait dans des verres, dans des soucoupes, dans des tasses, des roses mousseuses, des zinnias, des cheveux de VĂ©nus, qu'Ă cause de l'affluence Ă ce momentlĂ des visitĂ©s elle s'Ă©tait arrĂȘtĂ©e de peindre, et qui avaient l'air d'achalander le comptoir d'une fleuriste dans quelque estampe du XVIIIe siĂšcle. Dans ce salon lĂ©gĂšrement chauffĂ© Ă dessein, parce que la marquise s'Ă©tait enrhumĂ©e en revenant de son chĂąteau, il y avait, parmi les personnes prĂ©sentes quand j'arrivai, un archiviste avec qui Mme de Villeparisis avait classĂ© le matin les lettres autographes de 'personnages historiques Ă elle adressĂ©es et qui Ă©taient destinĂ©es Ă figurer en fac-similĂ©s comme piĂšces justificatives dans les MĂ©moires qu'elle Ă©tait en train de rĂ©diger, et un historien solennel et intimidĂ© qui, ayant appris qu'elle possĂ©dait par hĂ©ritage un portrait de la duchesse de Montmorency, Ă©tait venu lui demander la permission de reproduire ce portrait dans une planche de son ouvrage sur la Fronde, visiteurs auxquels vint se joindre mon ancien camarade Bloch, maintenant jeune auteur dramatique', sur qui elle comptait pour lui procurer Ă l'Ćil des artistes qui joueraient Ă ses prochaines matinĂ©es. Il est vrai que le kalĂ©idoscope social Ă©tait en train de tourner et que l'affaire Dreyfus allait prĂ©cipiter les Juifs au dernier rang de l'Ă©chelle sociale. Mais, d'.une part, le cyclone dreyfusiste avait rage, ce n'est pas au dĂ©but d'une tempĂȘte que les vagues atteignent leur plus grand courroux. Puis Mme de Villeparisis, laissant toute une partie de sa famille tonner contre les Juifs, Ă©tait jusqu'ici restĂ©e entiĂšrement Ă©trangĂšre Ă l'Affaire et ne s'en souciait pas. Enfin un jeune homme comme Bloch, que personne ne connaissait, pouvait passer inaperçu, alors que de grands Juifs reprĂ©sentatifs de leur parti Ă©taient dĂ©jĂ menacĂ©s. Il avait maintenant le menton ponctuĂ© d'un bouc », il portait un binocle, une longue redingote, un gant, comme un rouleau de papyrus Ă la main. Les Roumains, les Ăgyptiens et les Turcs peuvent dĂ©tester les Juifs. Mais dans un salon français les diffĂ©rences entre ces peuples ne sont pas si perceptibles, et un IsraĂ©lite faisant son entrĂ©e comme s'il sortait du fond du dĂ©sert, le corps penchĂ© comme une hyĂšne, la nuque obliquement inclinĂ©e et se rĂ©pandant en grands salams », contente parfaitement un goĂ»t d'orientalisme. Seulement il faut pour cela que le Juif n'appartienne pas au monde », sans quoi il prend facilement l'aspect d'un lord, et ses façons sont tellement francisĂ©es que chez lui un nez rebelle, poussant, comme les capucines, dans des directions imprĂ©vues, fait penser au nez de Mascarille plutĂŽt qu'Ă celui de Salomon. Mais Bloch n'ayant pas Ă©tĂ© assoupli par la gymnastique du Faubourg », ni ennobli par un croisement avec l'Angleterre ou l'Espagne, restait, pour un amateur d'exotisme, aussi Ă©trange et savoureux Ă regarder, malgrĂ© son costume europĂ©en, qu'un Juif de Decamps. Admirable puissance de la race qui du fond des siĂšcles pousse en avant jusque dans le Paris moderne, dans les couloirs de nos théùtres, derriĂšre les guichets de nos bureaux, Ă un enterrement, dans la rue, une phalange intacte stylisant la coiffure moderne, absorbant, faisant oublier, disciplinant la redingote, demeurant, en somme, toute pareille Ă celle des scribes assyriens peints en costume de cĂ©rĂ©monie Ă la frise d'un monument de Suse qui dĂ©fend les portes du palais de Darius. Une heure plus tard, Bloch allait se figurer que c'Ă©tait par malveillance antisĂ©mitique que M. de Charlus s'informait s'il portait un prĂ©nom juif, alors que c'Ă©tait simplement par curiositĂ© esthĂ©tique et amour de la couleur locale. Mais, au reste, parler de permanence de races rend inexactement l'impression que nous recevons des Juifs, des Grecs, des Persans, de tous ces peuples auxquels il vaut mieux laisser leur variĂ©tĂ©. Nous connaissons, par les peintures antiques, le visage des anciens Grecs, nous avons vu des Assyriens au fronton d'un palais de Suse. Or il nous semble, quand nous rencontrons dans le monde des Orientaux appartenant Ă tel ou tel groupe, ĂȘtre en prĂ©sence de crĂ©atures que la puissance du spiritisme aurait fait apparaĂźtre. Nous ne connaissions qu'une image superficielle voici qu'elle a pris de la profondeur, qu'elle s'Ă©tend dans les trois dimensions, qu'elle bouge. La jeune dame grecque, fille d'un riche banquier, et Ă la mode en ce moment, a l'air d'une de ces figurantes qui, dans un ballet historique et esthĂ©tique Ă la fois, symbolisent, en chair et en os, l'art hellĂ©nique; encore, au théùtre, la mise en scĂšne banalise-t-elle ces images; au contraire, le spectacle auquel l'entrĂ©e dans un salon d'une Turque, d'un Juif, nous fait assister,, en animant les figures, les rend plus Ă©tranges, comme s'il s'agissait en effet d'ĂȘtre Ă©voquĂ©s par un effort mĂ©diumnique. C'est l'Ăąme ou plutĂŽt le peu de chose auquel se rĂ©duit, jusqu'ici du moins, l'Ăąme, dans ces sortes de. matĂ©rialisations, c'est l'Ăąme entrevue auparavant par nous dans les seuls musĂ©es, l'Ăąme des Grecs anciens, des anciens Juifs, arrachĂ©e Ă une vie tout Ă la fois insignifiante et transcendentale, qui semble exĂ©cuter, devant nous cette mimique dĂ©concertante. Dans la jeune dame grecque qui se dĂ©robe, ce que nous voudrions vainement Ă©treindre, c'est une figure jadis admirĂ©e aux flancs d'un vase. Il me semblait que si j'avais dans la lumiĂšre du salon de Mme de Villeparisis pris des clichĂ©s d'aprĂšs Bloch, ils eussent donnĂ© d'IsraĂ«l cette mĂȘme image, si troublante parce qu'elle ne paraĂźt pas Ă©maner de l'humanitĂ©, si dĂ©cevante parce que tout de mĂȘme elle ressemble trop Ă l'humanitĂ©, et que nous' montrent les photographies spirites. Il n'est pas, d'une façon plus gĂ©nĂ©rale, jusqu'Ă la nullitĂ© des propos tenus par les personnes au milieu desquelles nous vivons qui ne nous donne l'impression du surnaturel, dans notre pauvre monde de tous les jours oĂč mĂȘme un homme de gĂ©nie de qui nous attendons, rassemblĂ©s comme autour d'une table tournante, le 'secret de l'infini, prononce seulement ces paroles, les mĂȘmes qui venaient de sortir des lĂšvres de Bloch Qu'on fasse attention Ă mon chapeau haut de forme. » 1 Mon Dieu, les ministres, mon cher monsieur, Ă©tait en train de dire Mme de Villeparisis s'adressant plus particuliĂšrement Ă mon ancien camarade, et renouant le fil d'une conversation que mon entrĂ©e avait interrompue, personne ne voulait les voir Si petite que je fusse, je me rappelle encore le roi priant mon grand-pĂšre d'inviter M. Decazes Ă une redoute oĂč mon pĂšre devait danser avec la duchesse de Berry. Vous me ferez plaisir, Florimond », disait le roi. Mon grandpĂšre, qui Ă©tait un peu sourd, ayant entendu M. de Castries, trouvait la demande toute naturelle. Quand il comprit qu'il s'agissait de M. Decazes, il eut un mo2 Vol. II. ment de rĂ©volte, mais s'inclina et Ă©crivit le soir mĂȘme Ă M. Decazes en le suppliant de lui faire la grĂące et l'honneur d'assister Ă son bal qui avait lieu la semaine suivante. Car on Ă©tait poli, monsieur, dans ce temps-lĂ , et une maĂźtresse de maison n'aurait pas su se contenter d'envoyer sa carte en ajoutant Ă la main une tasse de thĂ© », ou thĂ© dansant », ou thĂ© musical ». Mais si on savait la politesse on n'ignorait pas non plus l'impertinence. M. Decazes accepta, mais la veille du bal on apprenait que mon grand-pĂšre se sentant souffrant avait dĂ©commandĂ© la redoute. Il avait obĂ©i au roi, mais il n'avait pas eu M. Decazes Ă son bal. Oui, monsieur, je me souviens trĂšs bien de M. MolĂ©, c'Ă©tait un homme d'esprit, il l'a prouvĂ© quand il a reçu M. de Vigny Ă l'AcadĂ©mie, mais il Ă©tait trĂšs solennel et je le vois encore descendant dĂźner chez lui son chapeau haut de forme Ă la main. Ah c'est bien Ă©vocateur d'un temps assez pernicieusement philistin, car c'Ă©tait sans doute une habitude universelle d'avoir son chapeau Ă la main chez soi, dit Bloch, dĂ©sireux de profiter de cette occasion si rare de s'instruire, auprĂšs d'un tĂ©moin oculaire, des particularitĂ©s de la vie aristocratique d'autrefois, tandis que l'archiviste, sorte de secrĂ©taire intermittent de la marquise, jetait sur elle des regards attendris et semblait nous dire VoilĂ comme elle est, elle sait tout, elle a connu tout le monde, vous pouvez l'interroger sur ce que vous voudrez, elle est extraordinaire. » Mais non, rĂ©pondit Mme de Villeparisis tout en disposant plus prĂšs d'elle le verre oĂč trempaient les cheveux de VĂ©nus que tout Ă l'heure elle recommencerait Ă peindre, c'Ă©tait une habitude Ă M. MolĂ©, tout simplement. Je n'ai jamais vu mon pĂšre avoir son chapeau chez lui, exceptĂ©, bien entendu, quand le roi venait, puisque le roi Ă©tant partout chez lui, le maĂźtre de la maison n'est plus qu'un visiteur dans son propre salon. Aristote nous a dit dans le chapitre II. hasarda M. Pierre, l'historien de la Fronde, mais si timidement que personne n'y fit attention. Atteint depuis quelques semaines d'insomnie nerveuse qui rĂ©sistait Ă tous les traitements, il ne se couchait plus et, brisĂ© de fatigue, ne sortait que quand ses travaux rendaient nĂ©cessaire qu'il se dĂ©plaçùt. Incapable de recommencer souvent ces expĂ©ditions si simples pour d'autres mais qui lui coĂ»taient autant que si pour les faire il descendait de la lune, il Ă©tait surpris de trouver souvent que la vie de chacun n'Ă©tait pas organisĂ©e d'une façon permanente pour donner leur maximum d'utilitĂ© aux brusques Ă©lans de la sienne. Il trouvait parfois fermĂ©e une bibliothĂšque qu'il n'Ă©tait allĂ© voir qu'en se campant artificiellement debout et dans une redingote comme un homme de Wells. Par bonheur il avait rencontrĂ© Mme de Villeparisis chez elle et allait voir le portrait. Bloch lui. coupa la parole. Vraiment, dit-il en rĂ©pondant Ă ce que venait de dire Mme de Villeparisis au sujet du protocole rĂ©glant les visites royales, je ne savais absolument pas cela comme s'il Ă©tait Ă©trange qu'il ne le sĂ»t pas. A propos de ce genre de visites, vous savez la plaisanterie stupide que m'a faite hier matin mon neveu Basin ? demanda Mme de Villeparisis Ă l'archiviste. Il m'a fait dire, au lieu de s'annoncer, que c'Ă©tait la reine de SuĂšde qui demandait Ă me voir. Ah il vous a fait dire cela froidement comme cela Il en a de bonnes s'Ă©cria Bloch en s'esclaffant, tandis que l'historien souriait avec une timiditĂ© majestueuse. J'Ă©tais assez Ă©tonnĂ©e parce que je n'Ă©tais revenue de la campagne que depuis quelques jours; j'avais demandĂ© pour ĂȘtre un peu tranquille qu'on ne dise Ă personne que j'Ă©tais Ă Paris, et je me demandais comment la reine de SuĂšde le savait dĂ©jĂ , reprit Mme de Villeparisis laissant ses visiteurs Ă©tonnĂ©s qu'une visite de la reine de SuĂšde ne fĂ»t en elle-mĂȘme rien d'anormal pour leur hĂŽtesse. Certes si le matin Mme de Villeparisis avait compulse avec l'archiviste la documentation de ses MĂ©moires, en ce moment elle en essayait Ă son insu le mĂ©canisme et le sortilĂšge sur un public moyen, reprĂ©sentatif de celui oĂč se recruteraient un jour ses lecteurs. Le salon de Mme de Villeparisis pouvait se diffĂ©rencier d'un salon vĂ©ritablement Ă©lĂ©gant d'oĂč auraient Ă©tĂ© absentes beaucoup de bourgeoises qu'elle recevait et oĂč on aurait vu en revanche telles des dames brillantes que Mme Leroi avait fini par attirer, mais cette nuance n'est pas perceptible dans ses MĂ©moires, oĂč certaines relations mĂ©diocres qu'avait l'auteur disparaissent, parce qu'elles n'ont pas l'occasion d'y ĂȘtre citĂ©es et des visiteuses qu'il n'avait pas n'y font pas faute, parce que dans l'espace forcĂ©ment restreint qu'offrent ces MĂ©moires, peu de personnes pĂ©uvent figurer, .et que si ces personnes sont des personnages princiers, des personnalitĂ©s historiques, l'impression maximum d'Ă©lĂ©gance que des MĂ©moires puissent donner au public se trouve atteinte. Au jugement de Mme Leroi, le salon de Mme de Villeparisis Ă©tait un salon de troisiĂšme ordre; et Mme de Villeparisis souffrait du jugement de Mme Leroi. Mais personne ne sait plus guĂšre aujourd'hui qui Ă©tait Mme Leroi, son jugement s'est Ă©vanoui, et c'est le salon de. Mme de Villeparisis, oĂč frĂ©quentait -la reine de SuĂšde, oĂč avaient frĂ©quentĂ© le duc 'd'Aumale, le duc de Broglie, Thiers, Montalembert, Mgr Dupanloup, qui sera considĂ©rĂ© comme un des plus brillants du xixe siĂšcle par cette postĂ©ritĂ© qui n'a pas changĂ© depuis les temps d'HomĂšre et de Pindare, et pour qui le rang enviable c'est la haute naissance, royale ou quasi royale, l'amitiĂ© des rois, des chefs du peuple, des hommes illustres. Or, de tout cela Mme de Villeparisis avait un peu dans son salon actuel et dans les souvenirs, quelque- fois retouchĂ©s lĂ©gĂšrement, Ă l'aide desquels elle le' prolongeait dans le passĂ©. Puis M. de Norpois, qui n'Ă©tait pas capable de refaire une vraie situation Ă son amie, lui amenait en revanche les hommes d'Ătat Ă©trangers ou français qui avaient besoin de lui et savaient que la seule maniĂšre efficace de lui faire leur cour Ă©tait de frĂ©quenter- chez Mme de Villeparisis.. Peut-ĂȘtre Mme Leroi connaissait-elle aussi ces Ă©minentes personnalitĂ©s europĂ©ennes. Mais en femme agrĂ©able et qui fuit le ton des bas bleus elle se gardait de parler de la question d'Orient aux premiers ministres aussi bien que de l'essence de l'amour aux romanciers et aux philosophes. L'amour ? avait-elle rĂ©pondu une fois Ă une dame prĂ©tentieuse qui lui avait demandĂ© Que pensez-vous de l'amour ? » L'amour ? je le fais souvent' mais je n'en parle jamais. » Quand elle avait chez elle de ces cĂ©lĂ©britĂ©s de la littĂ©rature et de la politique elle se contentait, comme la duchesse de Guermantes, de les faire jouer au poker. Ils aimaient souvent mieux cela que les grandes conversations Ă idĂ©es gĂ©nĂ©rales oĂč les contraignait Mme de Villeparisis. Mais ces conversations, peut-ĂȘtre ridicules dans le monde, ont fourni aux Souvenirs » de Mme de Villeparisis de ces morceaux excellents, de ces dissertations politiques qui font bien dans des MĂ©moires comme dans les tragĂ©dies Ă la Corneille. D'ailleurs les salons des Mme de Villeparisis peuvent seuls passer Ă la postĂ©ritĂ© parce que les Mme Leroi ne savent pas Ă©crire, et le sauraient-elles, n'en auraient pas le temps. Et si les dispositions littĂ©raires des Mme de Villeparisis sont la cause du dĂ©dain des Mme Leroi, Ă son tour le dĂ©dain des Mme Leroi sert singuliĂšrement les dispositions littĂ©raires des Mme de Villeparisis en faisant aux dames bas bleus le loisir que rĂ©clame la carriĂšre des lettres. Dieu qui veut qu'il y ait quelques livres bien Ă©crits souffle pour cela ces dĂ©dains dans le cĆur des Mme Leroi, car il sait que si elles invitaient Ă dĂźner les Mme de Villeparisis, celles-ci laisseraient immĂ©diatement leur Ă©critoire et feraient atteler pour huit heures. Au bout d'un instant entra d'un pas lent et solennel une vieille dame d'une haute taille et qui, sous son chapeau de paille relevĂ©, laissait voirune monumentale coiffure blanche Ă la Marie-Antoinette. Je ne savais pas alors qu'elle Ă©tait une des trois femmes qu'on pouvait observer encore dans la sociĂ©tĂ© parisienne et qui, comme Mme de Villeparisis, tout en Ă©tant d'une grande naissance, avaient Ă©tĂ© rĂ©duites, pour des raisons qui se perdaient dans la nuit des temps et qu'aurait pu nous dire seul quelque vieux beau de cette Ă©poque, Ă ne recevoir qu'une lie de gens dont on ne voulait pas ailleurs. Chacune de ces dames avait sa duchesse de Guermantes », sa niĂšce brillante qui venait lui rendre des devoirs, mais ne serait pas parvenue Ă attirer chez elle la duchesse de Guermantes » d'une des deux autres. Mme de Villeparisis Ă©tait fort liĂ©e avec ces trois dames, mais elle ne les aimait pas. Peut-ĂȘtre leur situation assez analogue Ă la sienne lui en prĂ©sentait-elle une image qui ne lui Ă©tait pas agrĂ©able. Puis aigries, bas bleus, cherchant, par le nombre des saynĂštes qu'elles faisaient jouer, Ă se donner l'illusion d'un salon, elles avaient entre elles des rivalitĂ©s qu'une fortune assez dĂ©labrĂ©e au cours d'une existence peu tranquille forçait Ă compter, Ă profiter du concours gracieux d'un artiste, en une sorte de lutte pour la vie. De plus la dame Ă la coiffure de Marie-Antoinette, chaque fois qu'elle voyait Mme de Villeparisis, ne pouvait s'empĂȘcher de penser que la duchesse de Guermantes n'allait pas Ă ses vendredis. Sa consolation Ă©tait qu'Ă ces mĂȘmes vendredis ne manquait jamais, en bonne parente, la princesse de Poix, laquelle Ă©tait sa Guermantes Ă elle âą et qui n'allait jamais chez Mme de Villeparisis quoique Mme de Poix fĂ»t amie intime de la duchesse. NĂ©anmoins de l'hĂŽtel du quai Malaquais aux salons de la rue de Tournon, de la rue de la Chaise et du fau- bourg Saint-HonorĂ©, un lien aussi fort que dĂ©testĂ© unissait les trois divinitĂ©s dĂ©chues, desquelles j'aurais bien voulu apprendre, en feuilletant quelque dictionnaire mythologique de la sociĂ©tĂ©, quelle aventure galante, quelle outrecuidance sacrilĂšge, avaient amenĂ© la punition. La mĂȘme origine brillante, la mĂȘme dĂ©chĂ©ance actuelle entraient peut-ĂȘtre pour beaucoup dans telle nĂ©cessitĂ© qui les poussait, eh mĂȘme temps qu'Ă se haĂŻr, Ă se frĂ©quenter. Puis chacune d'elles trouvait dans les autres un moyen commode de faire des politesses Ă leurs visiteurs. Comment ceux-ci n'eussent-ils pas cru pĂ©nĂ©trer dans le faubourg le plus fermĂ©, quand on les prĂ©sentait Ă une dame fort titrĂ©e dont la sĆur avait Ă©pousĂ© un duc de Sagan ou un prince de Ligne ? D'autant plus qu'on parlait infiniment plus dans'les journaux de ces prĂ©tendus salons que des vrais. MĂȘme les neveux gratins » Ă . qui un camarade demandait de les mener dans le monde Saint-Loup tout le premier disaient Je vous conduirai chez ma tante Villeparisis, ou chez ma tante X. c'est un salon intĂ©ressant. » Ils savaient surtout que cela leur donnerait moins de peine que de faire pĂ©nĂ©trer lesdits amis chez les niĂšces ou belles-sĆurs Ă©lĂ©gantes de ces dames. Les hommes trĂšs ĂągĂ©s, les jeunes femmes qui l'avaient appris d'eux, me dirent que si ces vieilles dames n'Ă©taient pas reçues, c'Ă©tait Ă cause du dĂ©rĂšglement extraordinaire de leur conduite, lequel, quand j'objectai que ce n'est pas un empĂȘchement Ă l'Ă©lĂ©gance, me fut reprĂ©sentĂ© comme ayant dĂ©passĂ© toutes les proportions aujourd'hui connues. L'inconduite de ces dames solennelles qui se tenaient assises toutes droites prenait, dans la bouche de ceux qui en parlaient, quelque chose que je ne pouvais imaginer, proportionnĂ© Ă la grandeur des Ă©poques antĂ©historiques, Ă l'Ăąge du mammouth. Bref ces trois Parques Ă cheveux blancs, bleus ou roses, avaient filĂ© le mauvais coton d'un nombre incalculable de mes- sieurs. Je pensai que les hommes d'aujourd'hui exagĂ©raient les vices de ces temps fabuleux, comme les Grecs qui composĂšrent Icare, ThĂ©sĂ©e, Hercule avec des hommes qui avaient Ă©tĂ© peu diffĂ©rents de ceux. qui longtemps aprĂšs les divinisaient. Mais on ne fait la somme des vices d'un ĂȘtre que quand il n'est plus guĂšre en Ă©tat de les exercer, et qu'Ă la grandeur du chĂątiment social, qui commence Ă s'accomplir et qu'on constate seul, on mesure, on imagine, on exagĂšre celle du crime qui a Ă©tĂ© commis. Dans cette galerie de figures symboliques qu'est le monde », les femmes vĂ©ritablement lĂ©gĂšres, les Messalines complĂštes, prĂ©sentent toujours l'aspect solennel d'une dame d'au moins soixante-dix ans, hautaine, qui reçoit tant qu'elle peut, mais non qui elle veut, chez qui ne consentent pas Ă aller-les femmes dont la conduite prĂȘte un peu Ă redire, Ă laquelle le pape donne toujours sa rose d'or », et qui quelquefois a Ă©crit sur la jeunesse de Lamartine un ouvrage couronnĂ© par l'AcadĂ©mie française. Bonjour Alix », dit Mme de Villeparisis Ă la dame Ă coiffure blanche de Marie-Antoinette, laquelle dame jetait un regard perçant sur l'assemblĂ©e afin de dĂ©nicher s'il n'y avait pas dans ce salon quelque morceau qui pĂ»t ĂȘtre utile pour le sien et que, dans ce cas, elle devrait dĂ©couvrir elle-mĂȘme, car Mme de Villeparisis, elle n'en doutait pas, serait assez maligne pour essayer de le lui cacher. C'est ainsi que Mme de Villeparisis eut grand soin de ne pas prĂ©senter Bloch Ă la vieille dame de peur qu'il ne fĂźt jouer la mĂȘme saynĂšte que chez elle dans l'hĂŽtel du quai Malaquais. Ce n'Ă©tait d'ailleurs qu'un rendu. Car la vieille dame avait eu la veille Mme Ristori qui avait dit des vers, et avait eu soin que Mme de Villeparisis Ă qui elle avait chipĂ© l'artiste italienne ignorĂąt l'Ă©vĂ©nement avant qu'il fĂ»t accompli. Pour que celle-ci ne l'apprĂźt pas par les journaux et ne s'en trouvĂąt pas froissĂ©e, elle venait le lui raconter, comme ne se sentant pas coupable. Mme de Villeparisis, jugeant que ma prĂ©sentation n'avait pas les mĂȘmes inconvĂ©nients que celle de Bloch, me nomma Ă la MarieAntoinette du quai. Celle-ci cherchant, en faisant le moins de mouvements possible, Ă garder dans sa vieillesse cette ligne de dĂ©esse de Coysevox qui avait, il y a bien des annĂ©es, charmĂ© la jeunesse Ă©lĂ©gante, et que de faux hommes de lettres cĂ©lĂ©braient maintenant dans des bouts rimĂ©s ayant pris d'ailleurs l'habitude de la raideur hautaine et compensatrice, commune Ă toutes les personnes qu'une disgrĂące particuliĂšre oblige Ă faire perpĂ©tuellement des avances abaissa lĂ©gĂšrement la tĂȘte avec une majestĂ© glaciale et la tournant d'un autre cĂŽtĂ© ne s'occupa pas plus de moi que si je n'eusse pas existĂ©. Son attitude Ă double fin semblait dire Ă Mme de Villeparisis Vous voyez que je n'en suis pas Ă une relation prĂšs et que les petits jeunes Ă aucun point de vue, mauvaise langue, ne m'intĂ©ressent pas. » Mais quand, un quart d'heure aprĂšs, elle se retira, profitant du tohu-bohu elle me glissa Ă l'oreille de venir le vendredi suivant dans sa loge, avec une des trois dont le nom Ă©clatant elle Ă©tait d'ailleurs nĂ©e Choiseul me fit un prodigieux effet. Monsieur, j'crois que vous voulez Ă©crire quelque chose sur Mme la duchesse de Montmorency, dit Mme de Villeparisis Ă l'historien de la Fronde, avec cet air bougon dont, Ă son insu, sa grande amabilitĂ© Ă©tait froncĂ©e par le reĂšroquevillement boudeur, le dĂ©pit physiologique de la vieillesse, ainsi que par l'affectation d'imiter le ton presque paysan de l'ancienne aristocratie. J'vais vous montrer son portrait, l'original de la copie qui est au Louvre. Elle se leva en posant ses pinceaux prĂšs de ses fleurs, et le petit tablier qui apparut alors Ă sa taille et qu'elle portait pour ne pas se salir avec ses couleurs, ajoutait encore Ă l'impression presque d'une campagnarde que donnaient son bonnet' et. ses grosses lunettes et contrastait avec le luxe de sa domesticitĂ©, du maĂźtre d'hĂŽtel qui avait apportĂ© le thĂ© et les gĂąteaux, du valet de piĂ©d en livrĂ©e qu'elle sonna pour Ă©clairer le portrait de la duchesse de Montmorency, abbesse dans un des plus cĂ©lĂšbres chapitres de l'Est. Tout le monde s'Ă©tait levĂ©. Ce qui est assez amusant, dit-elle, c'est que dans ces chapitres oĂč nos grand' tantes Ă©taient souvent abbesses, les filles du roi de France n'eussent pas Ă©tĂ© admises. C'Ă©taient des chapitres trĂšs fermĂ©s. Pas admises les filles du Roi, pourquoi cela ? demanda Bloch stupĂ©fait. Mais parce que la Maison de France n'avait plus assez de quartiers depuis qu'elle s'Ă©tait mĂ©salliĂ©e. » L'Ă©tonnement de Bloch allait grandissant. MĂ©salliĂ©e, la Maison de France ? Comment ça ? Mais en s'alliant aux MĂ©dicis, rĂ©pondit Mme de Villeparisis du ton le plus naturel. Le portrait est beau, n'est-ce pas ? et dans un Ă©tat de conservation parfaite », ajouta-t-elle. Ma chĂšre amie, dit la dame coiffĂ©e Ă la MarieAntoinette, vous vous rappelez que quand je vous ai amenĂ© Liszt il vous a dit que c'Ă©tait celui-lĂ qui Ă©tait la copie. Je m'inclinerai devant une opinion de Liszt en musique, mais pas en peinture D'ailleurs, il Ă©tait dĂ©jĂ gĂąteux et je ne me .rappelle pas qu'il ait jamais dit cela. Mais ce n'est pas vous qui me l'avez amenĂ©. J'avais dĂźnĂ© vingt fois avec lui chez la princesse de Sayn-Wittgenstein. Le coup d'Alix avait ratĂ©, elle se tut, resta debout et immobile. Des couches de poudre plĂątrant son visage, celui-ci avait l'air d'un visage de pierre. Et comme le profil Ă©tait noble, elle semblait, sur un socle triangulaire et moussu cachĂ© par le mantelet, la dĂ©esse effritĂ©e d'un parc. Ah voilĂ encore un autre beau portrait, dit l'historien. La porte s'ouvrit et la duchesse de Guermantes entra. Tiens, bonjour, lui dit sans un signe de tĂȘte Mme de Villeparisis en tirant d'une poche de son tablier une main qu'elle tendit Ă la nouvelle arrivante; et cessant aussitĂŽt de s'occuper d'elle pour se retourner vers l'historien C'est le portrait de la duchesse de La Rochefoucauld. Un jeune domestique, Ă l'air hardi et Ă la figure charmante mais rognĂ©e si juste pour rester aussi parfaite que le nez un peu rouge et la peau lĂ©gĂšrement enflammĂ©e semblaient garder quelque trace de la rĂ©cente et sculpturale incision entra portant une carte sur un plateau. C'est ce monsieur qui est dĂ©jĂ venu plusieurs fois pour voir Madame la Marquise. Est-ce que vous lui avez dit que je recevais ? Il a entendu causer. Eh bien soit, faites-le entrer. C'est un monsieur qu'on m'a prĂ©sentĂ©, dit Mme de Villeparisis. Il m'a dit qu'il dĂ©sirait beaucoup ĂȘtre reçu ici. Jamais je ne l'ai autorisĂ© Ă venir. Mais enfin voilĂ cinq fois qu'il se dĂ©range, il ne faut pas froisser les gens. Monsieur, me dit-elle, et vous, monsieur, ajouta-t-elle en dĂ©signant l'historien de la 'Fronde, je vous prĂ©sente ma niĂšce, la duchesse de Guermantes. L'historien s'inclina profondĂ©ment ainsi que moi et, semblant supposer que quelque rĂ©flexion cordiale devait suivre ce salut, ses yeux s'animĂšrent et il s'apprĂȘtait Ă ouvrir la bouche quand il fut refroidi par l'aspect de Mme de Guermantes qui avait profitĂ© de l'indĂ©pendance de son torse pour le jeter en avant avec une politesse exagĂ©rĂ©e et le ramener avec justesse sans que son visage et son regard eussent paru avoir remarquĂ© qu'il y avait quelqu'un devant eux; aprĂšs avoir poussĂ© un lĂ©ger soupir, elle se contenta de manifester de la nullitĂ© de l'impression que lui produisaient la vue de l'historien et la mienne en exĂ©cutant certains mouvements des ailes du nez avec une prĂ©cision qui attestait l'inertie absolue'de son attention dĂ©sĆuvrĂ©e. Le visiteur importun entra, marchant droit vers Mme de Villeparisis, d'un air ingĂ©nu et fervent, c'Ă©tait Legrandin. Je vous remercie beaucoup de me recevoir, madame, dit-il en insistant sur le mot beaucoup » c'est un plaisir d'une qualitĂ© tout Ă fait rare et subtile que vous faites Ă un vieux solitaire, je vous assure que sa rĂ©percussion. Il s'arrĂȘta net en m'apercevant. Je montrais Ă monsieur le beau portrait de la duchesse de La Rochefoucauld, femme de l'auteur des Maximes, il me vient de famille. Mme de Guermantes, ellĂ©, salua Alix, en s'excusant de n'avoir pu, cette annĂ©e comme les autres, aller la voir. J'ai eu de vos nouvelles par Madeleine», ajoutat-elle. Elle a dĂ©jeunĂ© chez moi ce matiri, dit la marquise du quai Malaquais avec la satisfaction de penser que Mme de Villeparisis n'en pourrait jamais dire autant. Cependant je causais avec Bloch, et craignant, d'aprĂšs ce qu'on m'avait dit du changement Ă son Ă©gard de son pĂšre, qu'il n'enviĂąt ma vie, Je lui dis que la sienne devait. ĂȘtre plus heureuse. Ces paroles Ă©taient de ma part un simple effet de l'amabilitĂ©'. Mais elle persuade aisĂ©ment de leur bonne chance ceux qui ont beaucoup d'amour-propre, ou leur donne le dĂ©sir de persuader les autres. Oui, j'ai en effet une vie dĂ©licieuse, me dit Bloch d'un air de bĂ©atitude. J'ai trois grands amis, je n'en voudrais pas un de plus, une maĂźtresse adorable, je suis infiniment heureux. Rare est le mortel Ă qui le PĂšre Zeus accorde tant de fĂ©licitĂ©s. » Je crois qu'il cherchait surtout Ă se louer et Ă me faire envie. Peut-ĂȘtre aussi y avait-il quelque dĂ©sir d'originalitĂ© dans son optimisme. Il fut visible qu'il ne voulait. pas rĂ©pondre les mĂȘmes banalitĂ©s que tout le monde Oh ce n'Ă©tait rien, etc. » quand, Ă ma question Ătait-ce joli ? » posĂ©e Ă propos d'une matinĂ©e dansante donnĂ©e chez lui et Ă laquelle je n'avais pu aller, il me rĂ©pondit d'un air uni, indiffĂ©rent comme s'il s'Ă©tait agi d'un autre Mais oui, c'Ă©tait trĂšs joli, on ne peut plus rĂ©ussi. C'Ă©tait vraiment ravissant. » Ce que vous nous apprenez lĂ m'intĂ©resse infiniment, dit Legrandin Ă Mme de Villeparisis, car je me disais justement l'autre jour que vous teniez beaucoup de lui par la nettetĂ© alerte du tour, par quelque chose que j'appellerai de deux termes contradictoires, la rapiditĂ© lapidaire et l'instantanĂ© immortel. J'aurais voulu ce soir prendre en note toutes les choses que vous dites; mais je les retiendrai. Elles sont, d'un mot qui est, je crois, de Joubert, amies de la mĂ©moire. Vous n'avez jamais lu Joubert ? Oh vous lui auriez tellement plu Je me permettrai dĂšs ce soir de vous envoyer ses Ćuvres, trĂšs fier de vous prĂ©senter son esprit. Il n'avait pas votre force. Mais il avait aussi bien de la grĂące. J'avais voulu tout de suite aller dire bonjour Ă Legrandin, mais il se tenait constamment le plus Ă©loignĂ© de moi qu'il pouvait, sans doute dans l'espoir que je n'entendisse pas les flatteries qu'avec un grand raffinement d'expression, il ne cessait Ă tout propos de prodiguer Ă Mme de Villeparisis. Elle haussa les Ă©paules en souriant comme s'il avait voulu se moquer et se tourna vers l'historien. Et celle-ci, c'est la fameuse Marie de Rohan, duchesse de Chevreuse, qui avait Ă©pousĂ© en premiĂšres noces M. de Luynes. Ma chĂšre, Mme de Luynes me fait penser Ă Yolande; elle est venue hier chez moi; si j'avais su que vous n'aviez votre soirĂ©e prise par personne, je vous aurais envoyĂ© chercher; Mme Ristori, qui est venue Ă l'improviste, a dit devant l'auteur des vers de la reine Carmen Sylva, c'Ă©tait d'une beautĂ© Quelle perfidie pensa Mme de Villeparisis. C'est sĂ»rement de cela qu'elle parlait tout bas, l'autre jour, Ă Mme de Beaulaincourt et Ă Mme de Chaponay. » J'Ă©tais libre, mais je ne serais pas venue, rĂ©pondit-elle. J'ai entendu Mme Ristori dans son beau temps, ce n'est plus qu'une ruine. Et puis je dĂ©teste les vers de Carmen Sylva. La Ristori est venue ici une fois, amenĂ©e par la duchesse d'Aoste, dire un chant de l'Enfer, de Dante. VoilĂ oĂč elle est incomparable. Alix supporta le coup sans faiblir. Elle restait de marbre. Son regard Ă©tait perçant et vide, son nez noblement arquĂ©. Mais une joue s'Ă©caillait. Des vĂ©gĂ©tations lĂ©gĂšres, Ă©tranges, vertes et roses, envahissaient le menton. Peut-ĂȘtre un hiver de plus la jetterait bas. Tenez, monsieur, si vous aimez la peinture, regardez le portrait de Mme de Montmorency, dit Mme de Villeparisis Ă Legrandin pour interrompre les compliments qui recommençaient. Profitant de ce qu'il s'Ă©tait Ă©loignĂ©, Mme de Guermantes le dĂ©signa Ă sa tante d'un regard ironique et interrogateur. C'est M. Legrandin, dit Ă mi-voix Mme de Villeparisis il a une sĆur qui s'appelle Mme de Cambremer, ce qui ne doit pas, du reste, te dire plus qu'Ă moi. Comment, mais je la connais parfaitement, s'Ă©cria en mettant sa main devant sa bouche Mme de Guermantes. Ou plutĂŽt je ne la connais pas, mais je ne sais pas ce qui a pris Ă Basin, qui rencontre Dieu sait oĂč le mari, de dire Ă cette grosse femme de venir me voir. Je ne peux pas vous dire ce que ç'a Ă©tĂ© que sa visite. Elle m'a racontĂ© qu'elle Ă©tait allĂ©e Ă Londres, elle m'a Ă©numĂ©rĂ© tous les tableaux du British. Telle que vous me voyez, en sortant de chez vous je vais fourrer un carton chez ce monstre. Et ne croyez pas que ce soit des plus faciles, car sous prĂ©texte qu'elle est mourante elle est toujours chez elle et, qu'on y aille Ă sept heures du soir ou Ă neuf heures du matin, elle est prĂȘte Ă vous offrir des tartes aux fraises. Mais bien entendu, voyons, c'est un monstre, dit Mme de Guermantes Ă un regard interrogatif de sa tante. C'est une personne ĂŻmpossible elle dit plumitif », enfin des choses comme ça. Qu'est-ce que ça veut dire plumitif » ? demanda Mme de Villeparisis Ă sa niĂšce ? Mais je n'en sais rien s'Ă©cria la duchesse avec une indignation feinte. Je ne veux pas le savoir. Je ne parle pas ce français-lĂ . Et voyant que sa tante ne savait vraiment pas ce que voulait dire plumitif, pour avoir la satisfaction de montrer qu'elle Ă©tait savante autant que puriste et pour se moquer de sa tante aprĂšs s'ĂȘtre moquĂ©e de Mme de Cambremer Mais si, dit-elle avec un demi-rire, que les restes de la mauvaise humeur jouĂ©e rĂ©primaient, tout le monde sait ça, un plumitif c'est un Ă©crivain, c'est quelqu'un qui tient une plume. Mais c'est une horreur de mot. C'est Ă vous faire tomber vos dents de sagesse. Jamais on ne me ferait dire ça. Comment, c'est le frĂšre je n'ai pas encore rĂ©alisĂ©. Mais au fond ce n'est pas incomprĂ©hensible. Elle a la mĂȘme humilitĂ© de descente de lit et les mĂȘmes ressources de bibliothĂšque tournante. Elle est aussi flagorneuse que lui et aussi embĂȘtante. Je commence Ă me faire assez bien Ă l'idĂ©e de cette parentĂ©. Assieds-toi, on va prendre un peu de thĂ©, dit Mme de Villeparisis Ă Mme de Guermantes, sers-toi toi-mĂȘme, toi tu n'as pas besoin de voir les portraits de tes arriĂšre-grand'mĂšres, tu les connais aussi bien que moi. Mme de Villeparisis revint bientĂŽt s'asseoir et se mit Ă peindre. Tout le monde se rapprocha, j'en profitai pour aller vers Legrandin et, ne trouvant rien de coupable Ă sa prĂ©sence chez Mme de Villeparisis, je lui dis sans songer combien j'allais Ă la fois le blesser et lui faire croire Ă l'intention de le blesser Eh bien, monsieur, je suis presque excusĂ© d'ĂȘtre dans un salon puisque je vous y trouve. » M. Legrandin conclut de ces paroles ce fut du moins le jugement qu'il porta sur moi quelques jours plus tard que j'Ă©tais un petit ĂȘtre fonciĂšrement mĂ©chant qui ne se plaisait qu'au mal. Vous pourriez avoir la politesse de commencer par me dire bonjour », me rĂ©pondit-il, sans me donner la main et d'une vois rageuse et vulgaire que je ne lui soupçonnais pas et qui, nullement en rapport rationnel avec ce qu'il disait d'habitude, en avait un autre plus immĂ©diat et plus saisissant avec quelque chose qu'il Ă©prouvait. C'est que, ce que nous Ă©prouvons, comme nous sommes dĂ©cidĂ©s Ă toujours le cacher, nous n'avons jamais pensĂ© Ă la façon dont nous l'exprimerions. Et tout d'un coup, c'est en nous une bĂȘte immonde et inconnue qui se fait entendre et dont l'accent parfois peut aller jusqu'Ă faire aussi peur Ă qui reçoit cette confidence involontaire, elliptique et presquĂ© irrĂ©sistible de votre dĂ©faut ou de votre vice, que ferait l'aveu soudain indirectement et bizarrement profĂ©rĂ© par un criminel ne pouvant s'empĂȘcher de confesser un meurtre dont vous ne le saviez pas coupable. Certes je savais bien que l'idĂ©alisme, mĂȘme subjectif, n'empĂȘche pas de grands philosophes de rester gourmands ou de se prĂ©senter avec tĂ©nacitĂ© Ă l'AcadĂ©mie. Mais vraiment Legrandin n'avait pas besoin de rappeler si souvent qu'il appartenait Ă une autre planĂšte quand tous ses mouvements convulsifs de colĂšre ou d'amabilitĂ© Ă©taient gouvernĂ©s par le dĂ©sir d'avoir une bonne position dans celle-ci. Naturellement, quand on mejpersĂ©cute vingt fois de suite pour me faire venir quelque part, continua-t-il Ă voix basse, quoique j'aie bien droit Ă ma libertĂ©, je ne peux pourtant pas agir comme un rustre Mme de Guermantes s'Ă©tait assise. Son nom, comme il Ă©tait accompagnĂ© de son titre, ajoutait Ă sa personne physique son duchĂ© qui se projetait autour d'elle et faisait rĂ©gner la fraĂźcheur ombreuse et dorĂ©e des bois des Guermantes au milieu du salon, Ă l'entour du pouf oĂč elle Ă©tait. Je me sentais seulement Ă©tonnĂ© que leur ressemblance ne fĂ»t pas plus lisible sur le visage de la duchesse, lequel n'avait rien de vĂ©gĂ©tal et oĂč tout au plus le couperosĂ© des joues qui auraient dĂ», semblait-il, ĂȘtre blasonnĂ©es par le nom de Guermantes Ă©tait l'effet, mais non l'image, de longues chevauchĂ©es au grand air. Plus tard, quand elle me fut devenue indiffĂ©rente, je connus bien des particularitĂ©s de la duchesse, et notamment afin de m'en tenir pour le moment Ă ce dont je subissais dĂ©jĂ le charme alors sans savoir le distinguer ses yeux, oĂč Ă©tait captif comme dans un tableau le ciel bleu d'une aprĂšs-midi de France, largement dĂ©couvert, baignĂ© de lumiĂšre mĂȘme quand elle ne brillait pas; et une voix qu'on eĂ»t crue, aux premiers sons enrouĂ©s, presque canaille, oĂč traĂźnait, comme sur les marches de l'Ă©glise de Combray ou la pĂątisserie de la place, l'or paresseux et gras d'un soleil de province. Mais ce premier jour je ne discernais rien, mon ardente attention volatilisait immĂ©diatement le peu que j'eusse pu recueillir et oĂč j'aurais pu retrouver quelque chose du nom de Guermantes. En tout cas je me disais que c'Ă©tait bien elle que dĂ©signait pour tout le monde lĂ© nom de duchesse de Guermantes la vie inconcevable que ce nom signifiait, ce corps la contenait bien; il venait de l'introduire au milieu d'ĂȘtres diffĂ©rents, dans ce salon qui la circonvenait de toutes parts et sur lequel elle exerçait une rĂ©action si vive que je croyais voir, lĂ oĂč cette vie cessait de s'Ă©tendre, une frange d'effervescence en dĂ©limiter les frontiĂšres dans la circonfĂ©rence que dĂ©coupait sur le tapis le ballon de la jupe de pĂ©kin bleu, et, dans les prunelles claires de la duchesse, Ă l'intersection des prĂ©occupations, des souvenirs, de la pensĂ©e incomprĂ©hensible, mĂ©prisante, 3 Vol. II. amusĂ©e et curieuse qui les remplissaient, et des images Ă©trangĂšres qui s'y reflĂ©taient. Peut-ĂȘtre eussĂ©-je Ă©tĂ© un peu moins Ă©mu si je l'eusse rencontrĂ©e chez Mme de Villeparisis Ă une soirĂ©e, au lieu de la voir ainsi Ă un des jours» de la marquise, Ă un de ces thĂ©s qui ne sont pour les femmes qu'une courte halte au milieu de leur .sortie et oĂč, gardant le chapeau avec lequel elles viennent de faire leurs courses, elles apportent dans l'enfilade des salons la qualitĂ© de l'air du dehors et donnent plus jour sur Paris Ă la fin' de l'aprĂšs-midi que ne font les hautes fenĂȘtres ouvertes dans lesquelles on entend les roulements des victorias Mme de Guermantes Ă©tait coiffĂ©e d'un canotier fleuri de bleuets; et ce qu'ils m'Ă©voquaient, ce n'Ă©tait pas, sur les sillons de Combray oĂč si souvent j'en avais cueilli, sur le talus contigu Ă la haie de Tansonville, les soleils des lointaines annĂ©es, c'Ă©tait l'odeur et la poussiĂšre du crĂ©puscule, telles qu'elles Ă©taient tout Ă l'heure, au moment oĂč Mme de Guermantes venait de les traverser, rue de la Paix. D'un air souriant, dĂ©daigneux et vague, tout en faisant la moue avec ses lĂšvres serrĂ©es, de la pointe de son ombrelle, comme de l'extrĂȘme antenne de sa vie mystĂ©rieuse, elle dessinait des ronds sur le tapis, puis, avec cette attention indiffĂ©rente qui commence par ĂŽter tout point de contact avec ce que l'on considĂšre soi-mĂȘme, son regard fixait tour Ă tour chacun de nous, puis inspectait les canapĂ©s et les fauteuils mais en s'adoucissant alors de cette sympathie humaine qu'Ă©veille la prĂ©sence mĂȘme insignifiante d'une chose que l'on connaĂźt, d'une chose qui est presque une personne; ces meubles n'Ă©taient pas comme Ă©taient vaguement de son monde, ils Ă©taient liĂ©s Ă la vie de sa tante; puis du meuble de Beauvais ce regard Ă©tait ramenĂ© Ă la personne qui y Ă©tait assise et reprenait alors le mĂȘme air de perspicacitĂ© et de cette mĂȘme dĂ©sapprobation que le respect de Mme de Guermantes pour sa tante l'eĂ»t empĂȘchĂ©e d'exprimer, mais enfin qu'elle eĂ»t Ă©prouvĂ©e si elle eĂ»t constatĂ© sur les fauteuils au lieu de notre prĂ©sence celle d'une tache de graisse ou d'une couche de poussiĂšre. L'excellent Ă©crivain G. entra; il venait faire Ă Mme de Villeparisis une visite qu'il considĂ©rait comme une corvĂ©e. La duchesse, qui fut enchantĂ©e de le retrouver, ne lui fit pourtant pas signe, mais tout naturellement il vint prĂšs d'elle, le charme qu'elle avait, son tact, sa simplicitĂ© la lui faisant considĂ©rer comme une femme d'esprit. D'ailleurs la politesse lui faisait un devoir d'aller auprĂšs d'elle, car, comme il Ă©tait agrĂ©able et cĂ©lĂšbre, Mme de Guermantes l'invitait souvent Ă dĂ©jeuner mĂȘme en tĂȘte Ă tĂȘte avec elle et son mari, ou l'automne, Ă Guermantes, profitait de cette intimitĂ© pour le convier certains soirs Ă dĂźner avec des altesses curieuses de le rencontrer. Car la duchesse aimait Ă recevoir certains hommes d'Ă©lite, Ă la condition toutefois qu'ils fussent garçons, condition que, mĂȘme mariĂ©s, ils. remplissaient toujours pour elle, car comme leurs femmes, toujours plus ou moins vulgaires, eussent fait tache dans un salon oĂč il n'y avait que les plus Ă©lĂ©gantes beautĂ©s de Paris, c'est toujours sans elles qu'ils Ă©taient invitĂ©s; et le duc, pour prĂ©venir toute susceptibilitĂ©, expliquait Ă ces veufs malgrĂ© eux que la duchesse ne recevait pas de femmes, ne supportait pas la sociĂ©tĂ© des femmes, presque comme si c'Ă©tait par ordonnance du mĂ©decin et comme il eĂ»t dit qu'elle ne pouvait rester dans une chambre oĂč il y avait des odeurs, manger trop salĂ©, voyager en arriĂšre ou porter un corset. Il est vrai que ces grands hommes voyaient chez les Guermantes la princesse de Parme, la princesse de Sagan que Françoise, entendant toujours parler d'elle, finit par appeler, croyant ce fĂ©minin exigĂ© par la grammaire, la Sagante, et bien d'autres, mais on justifiait leur prĂ©sence en disant que c'Ă©tait la famille, ou des amies d'enfance qu'on ne pouvait Ă©liminer. PersuadĂ©s ou non par les explications que le duc de Guermantes leur avait donnĂ©es sur la singuliĂšre maladie de la duchesse de ne pouvoir frĂ©quenter des femmes, les grands hommes les transmettaient Ă leurs Ă©pouses. Quelquesunes pensaient que la maladie n'Ă©tait qu'un prĂ©texte pour cacher sa jalousie, parce que la duchesse voulait ĂȘtre seule Ă rĂ©gner sur une cour d'adorateurs. De plus naĂŻves encore pensaient que peut-ĂȘtre la duchesse avait un genre singulier, voire un passĂ© scandaleux, que les femmes ne voulaient pas aller chez elle, et qu'elle donnait le nom de sa fantaisie Ă la nĂ©cessitĂ©. Les meilleures, entendant leur mari dire monts et merveilles de l'esprit de la duchesse, estimaient que celle-ci Ă©tait si supĂ©rieure au reste des femmes qu'elle s'ennuyait dans leur sociĂ©tĂ© car elles ne savent parler de rien. Et il est vrai que la duchesse s'ennuyait auprĂšs des femmes, si leur qualitĂ© princiĂšre ne leur donnait pas un intĂ©rĂȘt particulier. Mais les Ă©pouses Ă©liminĂ©es se trompaient quand elles s'imaginaient qu'elle ne voulait recevoir que des hommes pour pouvoir parler littĂ©rature, science et philosophie. Car elle n'en parlait jamais, du moins avec les grands intellectuels. Si, en vertu de la mĂȘme tradition de famille qui fait que les filles de grands militaires gardent au milieu de leurs prĂ©occupations les plus vaniteuses le respect des choses de l'armĂ©e, petite-fille de femmes qui avaient Ă©tĂ© liĂ©es avec Thiers, MĂ©rimĂ©e et Augier, elle pensait qu'avant tout il faut garder dans son salon une place aux gens d'esprit, mais avait d'autre part retenu de la façon Ă la fois condescendante et intime dont ces hommes cĂ©lĂšbres Ă©taient reçus Ă Guermantes le pli de considĂ©rer les gens de talent comme des relations familiĂšres dont le talent ne vous Ă©blouit pas, Ă qui on ne parle pas de leurs Ćuvres, ce qui ne les intĂ©resserait d'ailleurs pas. Puis le genre d'esprit MĂ©rimĂ©e et Meilhac et HalĂ©vy, qui Ă©tait le sien, la portait, par contraste avec le sentimentalisme verbal d'une Ă©poque antĂ©rieure, Ă un genre de conversation qui rejette tout ce qui est grandes phrases et expression de sentiments Ă©levĂ©s, et faisait qu'elle mettait une sorte d'Ă©lĂ©gance quand elle Ă©tait avec un poĂšte ou un musicien Ă ne parler que des plats qu'on mangeait ou de la partie de cartes qu'on allait faire. Cette abstention avait, pour un tiers peu au courant, quelque chose de troublant qui allait jusqu'au mystĂšre. Si Mme de Guermantes lui demandait s'il lui ferait plaisir d'ĂȘtre invitĂ© avec tel poĂšte cĂ©lĂšbre, dĂ©vorĂ© de curiositĂ© il arrivait Ă l'heure dite. La duchesse parlait au poĂšte du temps qu'il faisait. On passait Ă table. Aimez-vous cette façon de faire les Ćufs ? » demandait-elle au poĂšte. Devant son assentiment, qu'elle partageait, car tout ce qui Ă©tait chez elle lui paraissait exquis, jusqu'Ă un cidre affreux qu'elle faisait venir de Guermantes Redonnez des Ćufs Ă monsieur », ordonnait-elle au maĂźtre d'hĂŽtel, cependant que le tiers, anxieux, attendait toujours ce qu'avaient sĂ»rement eu l'intention de se dire, puisqu'ils avaient arrangĂ© de se voir malgrĂ© mille difficultĂ©s avant son dĂ©part, le poĂšte et la duchesse. Mais le repas continuait, les plats Ă©taient enlevĂ©s les Ăčns aprĂšs les autres, non sans fournir Mme de Guermantes l'occasion de spirituelles plaisanteries ou de fines historiettes. Cependant le poĂšte mangeait toujours sans que duc ou duchesse eussent eu l'air de se rappeler qu'il Ă©tait poĂšte. Et bientĂŽt le dĂ©jeuner Ă©tait fini et on se disait adieu, sans avoir dit un mot de la poĂ©sie, que tout le monde pourtant aimait, mais dont, par une rĂ©serve analogue Ă celle dont m'avait donnĂ© l'avant-goĂ»t, personne ne parlait. Cette rĂ©serve Ă©tait simplement de bon ton. Mais pour le tiers, s'il y rĂ©flĂ©chissait un peu, elle avait quelque chose de fort mĂ©lancolique, et les repas du milieu Guermantes faisaient alors penser Ă ces heures que des amoureux timides passent souvent ensemble Ă parler de banalitĂ©s jusqu'au moment de se quitter, et sans que, soit timiditĂ©, pudeur, ou maladresse, le grand secret qu'ils seraient plus heureux d'avouer ait pu jamais passer de leur cĆur Ă leurs lĂšvres. D'ailleurs il faut ajouter que ce silence gardĂ© sur les choses profondes qu'on attendait toujours en vain le moment de voir aborder, s'il pouvait passer pour caractĂ©ristique de la duchesse, n'Ă©tait .pas chez elle absolu. Mme de Guermantes avait passĂ© sa jeunesse dans un milieu un peu diffĂ©rent, aussi aristocratique, mais moins brillant et surtout moins futile que celui oĂč elle vivait aujourd'hui, et de grande culture. Il avait laissĂ© Ă sa frivolitĂ© actuelle une sorte de tuf plus solide, invisiblement nourricier et oĂč mĂȘme la duchesse allait chercher fort rarement car elle dĂ©testait le pĂ©dantisme quelque citation de Victor Hugo ou de Lamartine qui, fort bien appropriĂ©e, dite avec un regard senti de ses beaux yeux, ne manquait pas de surprendre et de charmer. Parfois mĂȘme, sans prĂ©tentions, avec pertinence et simplicitĂ©, elle donnait Ă un auteur dramatique acadĂ©micien quelque conseil sagace, lui faisait attĂ©nuer une situation ou changer un dĂ©nouement. Si, daps le salon de Mme de Villeparisis, tout autant que dans l'Ă©glise de Combray, au mariage de Mlle Percepied, j'avais peine Ă retrouver dans le beau visage, trop humain, de Mme de Guermantes, l'inconnu de son nom, je pensais du moins que, quand elle parlerait, sa causerie, profonde, mystĂ©rieuse, aurait une Ă©trangetĂ© de tapisserie mĂ©diĂ©vale, de vitrail gothique. Mais pour que je n'eusse pas Ă©tĂ© déçu par les paroles que j'entendrais prononcer Ă une personne qui s'appelait Mme de Guermantes, mĂȘme si je ne l'eusse pas aimĂ©e, il n'eĂ»t pas suffi que les paroles fussent fines, belles et profondes, il eĂ»t fallu qu'elles reflĂ©tassent cette couleur amarante de la derniĂšre syllabe de son nom, cette couleur que je m'Ă©tais dĂšs le pre- mier jour Ă©tonnĂ© de ne pas trouver dans sa personne et que j'avais fait se rĂ©fugier dans sa pensĂ©e. Sans doute j'avais dĂ©jĂ entendu Mme de Villeparisis, Saint-Loup, des gens dont l'intelligence n'avait rien d'extraordinaire prononcer sans prĂ©caution ce nom de Guermantes, simplement comme Ă©tant celui d'une personne qui allait venir en visite ou avec qui on devait dĂźner, en n'ayant pas l'air de sentir, dans ce nom, des aspects de bois jaunissants et tout un mystĂ©rieux coin de province. Mais ce devait ĂȘtre une affectation de leur part comme quand les poĂštes classiques ne nous avertissent pas des intentions profondes qu'ils ont cependant eues, affectation que moi aussi je m'efforçais d'imiter en disant sur le ton le plus naturel la duchesse de Guermantes, comme un nom qui eĂ»t ressemblĂ© Ă d'autres. Du reste tout le monde assurait que c'Ă©tait une femme trĂšs intelligente, d'une conversation spirituelle, vivant dans une petite coterie des plus intĂ©ressantes paroles qui se faisaient complices de mon rĂȘve. Car quand ils disaient coterie intelligente, conversation spirituelle, ce n'est nullement l'intelligence telle que je la connaissais que j'imaginais, fĂ»t-ce celle des plus grands esprits, ce n'Ă©tait nullement de gens comme Bergotte que je composais cette coterie. Non, par intelligence, j'entendais une facultĂ© ineffable, dorĂ©e, imprĂ©gnĂ©e d'une fraĂźcheur sylvestre. MĂȘme en tenant les propos les plus intelligents dans le sens oĂč je prenais le mot intelligent » quand il s'agissait d'un philosophe ou d'un critique, Mme de Guermantes aurait peut-ĂȘtre déçu plus encore mon attente d'une facultĂ© si particuliĂšre, que si, dans une conversation insignifiante, elle s'Ă©tait contentĂ©e de parler de recettes de cuisine ou de mobilier de chĂąteau, de citer des noms de voisines ou de parents Ă elle, qui m'eussent Ă©voquĂ© sa vie. Je croyais trouver Basin ici, il comptait venir vous voir, dit Mme de Guermantes Ă sa tante. Je ne l'ai pas vu, ton mari, depuis plusieurs jours, rĂ©pondit d'un ton susceptible et fĂąchĂ© Mme de Villeparisis. Je ne l'ai pas vu, ou enfin peut-ĂȘtre une fois, depuis cette charmante plaisanterie de se faire annoncer comme la reine de SuĂšde. Pour sourire Mme de Guermantes pinça le coin de ses lĂšvres comme si elle avait mordu sa voilette. Nous avons dĂźnĂ© avec elle hier chez Blanche Leroi, vous ne la reconnaĂźtriez pas, elle est devenue Ă©norme, je suis sĂ»re qu'elle est malade. Je disais justement Ă ces messieurs que tu lui trouvais l'air d'une grenouille. 'Mme de Guermantes fit entendre une espĂšce de bruit rauque qui signifiait qu'elle ricanait par acquit de conscience. Je ne savais pas que j'avais fait cette jolie comparaison, mais, dans ce cas, maintenant c'est la grenouille qui a rĂ©ussi Ă devenir aussi grosse que le bĆuf. Ou plutĂŽt ce n'est pas tout Ă fait cela, parce que toute sa grosseur s'est amoncelĂ©e sur le ventre, c'est plutĂŽt une grenouille dans une position intĂ©ressante. Ah je trouve ton image drĂŽle, dit Mme de Villeparisis qui Ă©tait au fond assez fiĂšre, pour ses visiteurs, de l'esprit de sa niĂšce. Elle est surtout arbitraire, rĂ©pondit Mme de Guermantes en dĂ©tachant ironiquement cette Ă©pithĂšte choisie, comme eĂ»t fait Swann, car j'avoue n'avoir jamais vu de grenouille en couches. En tout cas cette grenouille, qui d'ailleurs ne demande pas de roi, car je ne l'ai jamais vue plus folĂątre que depuis la mort de son Ă©poux, doit venir dĂźner Ă la maison un jour de la semaine prochaine. J'ai dit que je vous prĂ©viendrais Ă tout hasard. Mme de Villeparisis fit entendre une sorte de grommellement indistinct. Je sais qu'elle a dĂźnĂ© avant-hier chez Mme de Mecklembourg, ajouta-t-elle. Il y avait Hannibal de BrĂ©autĂ©. Il est venu me le raconter, assez drĂŽlement je dois dire. Il y avait Ă ce dĂźner quelqu'un de bien plus spirituel encore que Babal, dit Mme de Guermantes, qui, si intime qu'elle fĂ»t avec M. de BrĂ©autĂ©-Consalvi, tenait Ă le montrer en l'appelant par ce diminutif. C'est M. Bergotte. Je n'avais pas songĂ© que Bergotte pĂ»t ĂȘtre considĂ©rĂ© comme spirituel; de plus il m'apparaissait comme mĂȘlĂ© Ă l'humanitĂ© intelligente, c'est-Ă -dire infiniment distant de ce royaume mystĂ©rieux que j'avais aperçu sous les toiles de pourpre d'une baignoire et oĂč M. de BrĂ©autĂ©, faisant rire la duchesse, tenait avec elle, dans la langue des Dieux, cette chose inimaginable une conversation entre gens du faubourg Saint-Germain. Je fus navrĂ© de voir l'Ă©quilibre se rompre et Bergotte passer par-dessus M. de BrĂ©autĂ©. Mais, surtout, je fus dĂ©sespĂ©rĂ© d'avoir Ă©vitĂ© Bergotte le soir de PhĂšdre, de ne pas ĂȘtre allĂ© Ă lui, en entendant Mme de Guermantes dire Ă Mme de Villeparisis C'est la seule personne que j'aie envie de connaĂźtre, ajouta la duchesse en qui on pouvait toujours, comme au moment d'une marĂ©e spirituelle, voir le flux d'une curiositĂ© Ă l'Ă©gard des intellectuels cĂ©lĂšbres croiser en route le reflux du snobisme aristocratique. Cela me ferait un plaisir La prĂ©sence de Bergotte Ă cĂŽtĂ© de moi, prĂ©sence qu'il m'eĂ»t Ă©tĂ© si facile d'obtenir, mais que j'aurais crue capable de donner une mauvaise idĂ©e de moi Ă Mme de Guermantes, eĂ»t sans doute eu au contraire pour rĂ©sultat qu'elle m'eĂ»t fait signe de venir dans sa baignoire et m'eĂ»t demandĂ© d'amener un jour dĂ©jeuner le grand Ă©crivain. Il paraĂźt qu'il n'a pas Ă©tĂ© trĂšs aimable, on l'a prĂ©sentĂ© Ă M. de Cobourg et il ne lui a pas dit un mot, ajouta Mme de Guermantes, en signalant ce trait curieux comme elle aurait racontĂ© qu'un Chinois se serait mouchĂ© avec du papier. Il ne lui a pas dit une fois Monseigneur », ajouta-t-elle, d'un air amusĂ© par ce dĂ©tail aussi important pour elle que le refus par un protestant, au cours d'une audience du pape, de se mettre Ă genoux devant Sa SaintetĂ©. IntĂ©ressĂ©e par ces particularitĂ©s de Bergotte, elle n'avait d'ailleurs pas l'air de les trouver blĂąmables, et paraissait plutĂŽt lui en faire un mĂ©rite sans qu'elle sĂ»t elle-mĂȘme exactement de quel genre. MalgrĂ© cette façon Ă©trange de comprendre l'originalitĂ© de Bergotte, il m'arriva plus tard de ne pas trouver tout Ă fait nĂ©gligeable que Mme de Guermantes, au grand Ă©tonnement de beaucoup, trouvĂąt Bergotte plus spirituel que M. de BrĂ©autĂ©. Ces jugements subversifs, isolĂ©s et, malgrĂ© tout, justes, sont ainsi portĂ©s dans le monde par de rares personnes supĂ©rieures aux autres. Et ils y dessinent les premiers linĂ©aments de la hiĂ©rarchie des valeurs telle que l'Ă©tablira la gĂ©nĂ©ration suivante au lieu de s'en tenir Ă©ternellement Ă l'ancienne. Le comte d'Argencourt, chargĂ© d'affaires de Belgique et petit-cousin par alliance de Mme de Villeparisis, entra en boitant, suivi bientĂŽt de deux jeunes gens, le baron de Guermantes et S. A. le duc de ChĂątellerault, Ă qui Mme de Guermantes dit Bonjour, mon petit ChĂątellerault », d'un air distrait et sans bouger de son pouf, car elle Ă©tait une grande amie de la mĂšre du jeune duc, lequel avait, Ă cause de cela et depuis son enfance, un extrĂȘme respect pour elle. Grands, minces, la peau et les cheveux dorĂ©s, tout Ă fait de type Guermantes, ces deux jeunes gens avaient l'air d'une condensation de la lumiĂšre printaniĂšre et vespĂ©rale qui inondait le grand salon. Suivant une habitude qui Ă©tait Ă la mode Ă ce moment-lĂ , ils posĂšrent leurs hauts de forme par terre, prĂšs d'eux. L'historien de la Fronde pensa qu'ils Ă©taient gĂȘnĂ©s comme un paysan entrant Ă la mairie et ne sachant que faire de son chapeau. Croyant devoir venir charitablement en aide Ă la gaucherie et Ă la timiditĂ© qu'il leur supposait Non, non, leur dit-il, ne les posez pas par terre, vous allez les abĂźmer. . Un regard du baron de Guermantes, en rendant oblique le plan de ses prunelles, y roula tout Ă coup une couleur d'un bleu cru et tranchant qui glaça le bienveillant historien. Comment s'appelle ce monsieur, me demanda le baron, qui venait de m'ĂȘtre prĂ©sentĂ© par Mme de Villeparisis ? M. Pierre, rĂ©pondis-je Ă mi-voix. Pierre de quoi ? Pierre, c'est son nom, c'est un historien de grande valeur. Ah vous m'en direz tant. Non, c'est une nouvelle habitude qu'ont ces messieurs de poser leurs chapeaux Ă terre, expliqua Mme de Villeparisis, je suis comme vous, je ne m'y habitue pas. Mais j'aime mieux cela que mon neveu Robert qui laisse toujours le sien dans l'antichambre. Je lui dis, quand je le vois entrer ainsi, qu'il a l'air de l'horloger et je lui demande s'il vient remonter les pendules. Vous parliez tout Ă l'heure, madame la marquise, du chapeau de M. MolĂ©, nous allons bientĂŽt arriver Ă faire, comme Aristote, un chapitre des chapeaux, dit l'historien de la Fronde, un peu rassurĂ© par l'intervention de Mme de Villeparisis, mais pourtant d'une voix encore si faible que, sauf moi, personne ne l'entendit. Elle est vraiment Ă©tonnante la petite duchesse, dit M. d'Argencourt en montrant Mme de Guermantes qui causait avec G. DĂšs qu'il y a un homme en vue dans un salon, il est toujours Ă cĂŽtĂ© d'elle. Ăvidemment cela ne peut ĂȘtre que le grand pontife qui se trouve lĂ . Cela ne peut pas ĂȘtre tous les jours M. de Borelli, Schlumberger ou d'Avenel. Mais alors ce sera M. Pierre Loti ou Edmond Rostand. Hier soir, chez les Doudeauville, oĂč, entre parenthĂšses, elle Ă©tait splendide sous son diadĂšme d'Ă©meraudes, dans une grande robe rose Ă queue, elle avait d'un cĂŽtĂ© d'elle M. Deschanel, de l'autre l'ambassadeur d'Allemagne elle leur tenait tĂȘte sur la Chine; le gros public, Ă distance respectueuse, et qui n'entendait pas ce qu'ils disaient, se demandait s'il n'y allait pas y avoir la guerre. Vraiment on aurait dit une reine qui tenait le cercle. Chacun s'Ă©tait rapprochĂ© de Mme de Villeparisis pour la voir peindre. Ces fleurs sont d'un rose vraiment cĂ©leste, dit Legrandin, je veux dire couleur de ciel rose. Car il y a un rose ciel comme il y a un bleu ciel. Mais, murmura-t-il pour tĂącher de n'ĂȘtre entendu que de la marquise, je crois que je penche encore pour le soyeux, pour l'incarnat vivant de la copie que vous en faites. Ah vous laissez bien loin derriĂšre vous Pisanello et Van Huysun, leur herbier minutieux et mort. Un artiste, si modeste qu'il soit, accepte toujours d'ĂȘtre prĂ©fĂ©rĂ© Ă ses rivaux et tĂąche seulement de leur rendre justice. Ce qui vous fait cet effet-lĂ , c'est qu'ils peignaient des fleurs de ce temps-lĂ que nous ne connaissons plus, mais ils avaient une bien grande science. Ah des fleurs de ce temps-lĂ , comme c'est ingĂ©nieux, s'Ă©cria Legrandin. Vous peignez en effet de belles fleurs de cerisier. ou de roses de mai, dit l'historien de la Fronde non sans hĂ©sitation quant Ă la fleur, mais avec de l'assurance dans la voix, car il commençait Ă oublier l'incident des chapeaux. Non, ce sont des fleurs de pommier, dit la duchesse de Guermantes en s'adressant Ă sa tante. Ah je vois que tu es une bonne campagnarde; comme moi, tu sais distinguer les fleurs. Ah oui, c'est vrai mais je croyais que la saison des pommiers Ă©tait dĂ©jĂ passĂ©e, dit au hasard l'historien de la Fronde pour s'excuser. Mais non, au contraire, ils ne sont pas en fleurs, ils ne le seront pas avant une quinzaine, peut-ĂȘtre trois semaines, dit l'archiviste qui, gĂ©rant un peu les propriĂ©tĂ©s de Mme de Villeparisis, Ă©tait plus au courant des choses de la campagne. Oui, et encore dans les environs de Paris oĂč ils sont trĂšs en avance. En Normandie, par exemple, chez son pĂšre, dit-elle en dĂ©signant le duc de ChĂątellerault, qui a de magnifiques pommiers au bord de la mer, comme sur un paravent japonais, ils ne sont vraiment roses qu'aprĂšs le 20 mai. Je ne les vois jamais, dit le jeune duc, parce que ça me donne la fiĂšvre des foins, c'est Ă©patant. La fiĂšvre des foins, je n'ai jamais entendu parler de cela, dit l'historien. C'est la maladie Ă la mode, dit l'archiviste. Ăa dĂ©pend, cela ne vous donnerait peut-ĂȘtre rien si c'est une annĂ©e oĂč il y a des pommes. Vous savez le mot du Normand. Pour une annĂ©e oĂč il y a des pommes. dit M. d'Argencourt, qui n'Ă©tant pas tout Ă fait français, cherchait Ă se donner l'air parisien. Tu as raison, rĂ©pondit Ă sa niĂšce Mme de Villeparisis, ce sont des pommiers du Midi. C'est une fleuriste qui m'a envoyĂ© ces branches-lĂ en me demandant de les accepter. Cela vous Ă©tonne, monsieur VallenĂšres, dit-elle en se tournant vers l'archiviste, qu'une fleuriste m'envoie des branches de pommier ? Mais j'ai beau ĂȘtre une vieille dame, je connais du monde, j'ai quelques amis, ajouta-t-elle en souriant par simplicitĂ©, crut-on gĂ©nĂ©ralement, plutĂŽt, me sembla-t-il, parce qu'elle trouvait du piquant Ă tirer vanitĂ© de l'amitiĂ© d'une fleuriste quand on avait d'aussi grandes relations. Bloch se leva pour venir Ă son tour admirer les fleurs que peignait Mme de Villeparisis. N'importe, marquise, dit l'historien regagnant sa chaise, quand mĂȘme reviendrait une de ces rĂ©volutions qui ont si souvent ensanglantĂ© l'histoire de France et, mon Dieu, par les temps oĂč nous vivons on ne peut savoir, ajouta-t-il en jetant un regard circulaire et circonspect comme pour voir s'il ne se trouvait aucun mal pensant dans le salon, encore qu'il n'en doutĂąt pas, avec un talent pareil et vos cinq langues, vous seriez toujours sĂ»re de vous tirer d'affaire. L'historien de la Fronde goĂ»tait quelque repos, car il avait oubliĂ© ses insomnies. Mais il se rappela soudain qu'il n'avait pas dormi depuis six jours, alors une dure fatigue, nĂ©e de son esprit, s'empara de ses jambes, lui fit courber les Ă©paules, et son visage dĂ©solĂ© pendait, pareil Ă celui d'un vieillard. Bloch voulut faire un geste pour exprimer son admiration, mais d'un coup de coude il renversa le vase oĂč Ă©tait la branche et toute l'eau se rĂ©pandit sur le tapis. Vous avez vraiment des doigts de fĂ©e, dit Ă la marquise l'historien qui, me tournant le dos Ă ce moment-lĂ , ne s'Ă©tait pas aperçu de la maladresse de Bloch. Mais celui-ci crut que ces mots s'appliquaient Ă lui, et pour cacher sous une insolence la honte de sa gaucherie Cela ne prĂ©sente aucune importance, dit-il, car je ne suis pas mouillĂ©. Mme de Villeparisis sonna et un valet de pied vint essuyer le tapis et ramasser les morceaux de verre. Elle invita les deux jeunes gens Ă sa matinĂ©e ainsi que la duchesse de Guermantes Ă qui elle recommanda Pense Ă dire Ă GisĂšle et Ă Berthe les duchesses d'Auberjon et de Portefin d'ĂȘtre lĂ un peu avant deux heures pour m'aider, comme elle aurait dit Ă des maĂźtres d'hĂŽtel extras d'arriver d'avance pour faire les compotiers. Elle n'avait avec ses parents princiers, pas plus qu'avec M. de Norpois, aucune de ces amabilitĂ©s qu'elle avait avec l'historien, avec Cottard, avec Bloch, avec moi, et ils semblaient n'avoir pour elle d'autre intĂ©rĂȘt que de les offrir en pĂąture Ă notre cusiositĂ©. C'est qu'elle savait qu'elle n'avait pas Ă se gĂȘner avec des gens pour qui elle n'Ă©tait pas une femme plus ou moins brillante, mais la sĆur susceptible, et mĂ©nagĂ©e, de leur pĂšre ou de leur oncle. Il ne lui eĂ»t servi Ă rien de chercher Ă briller vis-Ă -vis d'eux, Ă qui cela ne pouvait donner le change sur le fort ou le faible de sa situation, et qui mieux que personne connaissaient son histoire et respectaient la race illustre dont elle Ă©tait issue. Mais surtout ils n'Ă©taient plus pour elle qu'un rĂ©sidu mort qui ne fructifierait plus; ils ne lui feraient pas connaĂźtre leurs nouveaux amis, partager leurs plaisirs. Elle ne pouvait obtenir que leur prĂ©sence ou la possibilitĂ© de parler d'eux Ă sa rĂ©ception de cinq heures, comme plus tard dans ses MĂ©moires dont celle-ci n'Ă©tait qu'une sorte de rĂ©pĂ©tition, de premiĂšre lecture Ă haute voix devant un petit cercle. Et la compagnie que tous ces nobles parents lui servaient Ă intĂ©resser, Ă Ă©blouir, Ă enchaĂźner, la compagnie des Cottard, des Bloch, des auteurs dramatiques notoires, historiens de la Fronde de tout genre, c'Ă©tait dans celle-lĂ que, pour Mme de Villeparisis Ă dĂ©faut de la partie du monde Ă©lĂ©gant qui n'allait pas chez elle Ă©taient le mouvement, la nouveautĂ©, les divertissements et la vie; c'Ă©taient ces gens-lĂ dont elle pouvait tirer des avantages sociaux qui valaient bien qu'elle leur fĂźt rencontrer quelquefois, sans qu'ils la connussent jamais, la duchesse de Guermantes des dĂźners avec des hommes remarquables dont les travaux l'avaient intĂ©ressĂ©e, un opĂ©ra-comique ou une pantomime toute montĂ©e que l'auteur faisait reprĂ©senter chez elle, des loges pour. des spectacles curieux. Bloch se leva pour partir. Il avait dit tout haut que l'incident du vase de fleurs renversĂ© n'avait aucune importance, mais ce qu'il disait tout bas Ă©tait diffĂ©rent, plus diffĂ©rent encore ce qu'il pensait Quand on n'a pas des domestiques assez bien stylĂ©s pour savoir placer un vase sans risquer de tremper et mĂȘme de blesser les visiteurs on ne se mĂȘle pas d'avoir de ces luxes-là », grommelait-il tout bas. Il Ă©tait de ces gens susceptibles et nerveux » qui ne peuvent supporter d'avoir commis une maladresse qu'ils ne s'avouent pourtant pas, pour qui 'elle gĂąte toute la journĂ©e. Furieux, il se sentait des idĂ©es noires, ne voulait plus retourner dans le monde. C'Ă©tait le moment oĂč un peu de distraction est nĂ©cessaire. Heureusement, dans une seconde, Mme de Villeparisis allait le retenir. Soit parce qu'elle connaissait les opinions de ses amis et le flot' d'antisĂ©mitisme qui commençait Ă monter, soit par distraction, elle ne l'avait pas prĂ©sentĂ© aux personnes qui se trouvaient lĂ . Lui, cependant, qui avait peu l'usage du monde, crut qu'en s'en allant il devait les saluer, par savoir-vivre, mais sans amabilitĂ©; il inclina plusieurs fois le front, enfonça son menton barbu dans son faux-col, regardant successivement chacun Ă travers son lorgnon, d'un air froid et mĂ©content. Mais Mme de Villeparisis l'arrĂȘta; elle avait encore Ă lui parler du petit acte qui devait ĂȘtre donnĂ© chez elle, et d'autre part elle n'aurait pas voulu qu'il partĂźt sans avoir eu la satisfaction de connaĂźtre M. de Norpois qu'elle s'Ă©tonnait de ne pas voir entrer, et bien que cette prĂ©sentation fĂ»t superflue, car Bloch Ă©tait dĂ©jĂ rĂ©solu Ă persuader aux deux artistes dont il avait parlĂ© de venir chanter Ă l'oeil chez la marquise, dans l'intĂ©rĂȘt de leur gloire, Ă une de ces rĂ©ceptions oĂč frĂ©quentait l'Ă©lite de l'Europe. Il avait mĂȘme proposĂ© en plus une tragĂ©dienne aux yeux purs, belle comme HĂ©ra », qui dirait des proses lyriques avec le sens de la beautĂ© plastique. Mais Ă son nom Mme de Villeparisis avait refusĂ©, car c'Ă©tait l'amie de Saint-Loup. J'ai de meilleures nouvelles, me dit-elle Ă l'oreille, je crois que cela ne bat plus que d'une aile et qu'ils ne tarderont pas Ă ĂȘtre sĂ©parĂ©s, malgrĂ© un officier qui a jouĂ© un rĂŽle abominable dans tout cela, ajoutat-elle. Car la famille de Robert commençait Ă en vouloir Ă mort Ă M. de Borodino qui avait donnĂ© la permission pour Bruges, sur les instances du coiffeur, et l'accusait de favoriser une liaison infĂąme. C'est quelqu'un de trĂšs mal, me dit Mme de Villeparisis. avec l'accent vertueux des Guermantes mĂȘme les plus s dĂ©pravĂ©s. De trĂšs, trĂšs mal, reprit-elle en mettant trois t Ă trĂšs. On sentait qu'elle ne doutait pas qu'il ne fĂ»t en tiers dans toutes les orgies. Mais comme J'amabilitĂ© Ă©tait chez la marquise l'habitude dominante, son expression de sĂ©vĂ©ritĂ© froncĂ©e envers l'horrible capitaine, dont elle dit avec une emphase ironique le nom le Prince de Borodino, en femme pour qui l'Empire ne compte pas, s'acheva en un tendre sourire Ă mon adresse avec un clignement d'Ćil mĂ©canique de connivence vague avec moi. J'aime beaucoup de Saint-Loup-en-Bray, dit Bloch, quoiqu'il soit un mauvais chien, parce qu'il est extrĂȘmement bien Ă©levĂ©. J'aime beaucoup, pas lui, mais les personnes extrĂȘmement bien Ă©levĂ©es, c'est si rare, continua-t-il sans se rendre compte, parce qu'il Ă©tait lui-mĂȘme trĂšs mal Ă©levĂ©, combien ses paroles dĂ©plaisaient. Je vais vous citer une. preuve que je trouve trĂšs frappante de sa parfaite Ă©ducation. Je l'ai rencontrĂ© une fois avec un jeune homme, comme il allait monter sur son char aux belles jantes, aprĂšs avoir passĂ© lui-mĂȘme les courroies splendides Ă deux chevaux nourris d'avoine et d'orge et qu'il n'est pas besoin d'exciter avec le fouet Ă©tincelant. Il nous prĂ©senta, mais je n'entendis pas le nom du 4 Vol. II. jeune homme, car on n'entend jamais le nom des personnes Ă qui on vous prĂ©sente, ajouta-t-il en riant parce que c'Ă©tait une plaisanterie de son pĂšre. De Saint-Loup-en-Bray resta simple, ne fit pas de frais exagĂ©rĂ©s pour le jeune homme, ne parut gĂȘnĂ© en aucune façon. Or, par hasard, j'ai appris quelques jours aprĂšs que le jeune homme Ă©tait le fils de Sir Rufus IsraĂ«l La fin de cette histoire parut moins choquante que son, dĂ©but, car elle resta incomprĂ©hensible pour les personnes prĂ©sentes. En effet, Sir Rufus IsraĂ«l, qui semblait Ă Bloch et Ă son pĂšre un personnage presque royal devant lequel Saint-Loup devait trembler, Ă©tait au contraire aux yeux du milieu Guermantes un Ă©tranger parvenu, tolĂ©rĂ© par le monde, et de l'amitiĂ© de qui on n'eĂ»t pas eu l'idĂ©e de s'enorgueillir, bien au contraire Je l'ai appris, dit Bloch, par le fondĂ© de pouvoir de Sir Rufus IsraĂ«l, lequel est un ami de mon pĂšre et un homme tout Ă fait extraordinaire. Ah un individu absolument curieux, ajouta-t-il, avec cette Ă©nergie affirmative, cet accent d'enthousiasme qu'on n'apporte qu'aux convictions qu'on ne s'est pas formĂ©es soi-mĂȘme. Bloch s'Ă©tait montrĂ© enchantĂ© de l'idĂ©e de connaĂźtre M. de Norpois. Il eĂ»t aimĂ©, disait-il, le faire parler sur l'affaire Dreyfus. Il y a lĂ une mentalitĂ© que je connais mal et ce serait assez piquant de prendre une interview Ă ce diplomatĂ© considĂ©rable, dit-il d'un ton sarcastique pour ne pas avoir l'air de se juger infĂ©rieur Ă l' Dis-moi, reprit Bloch en me parlant tout bas, quelle fortune peut avoir Saint-Loup ? Tu comprends' bien que, si je te demande cela, je m'en moque comme de l'an quarante, mais c'est au point de vue balzacien, tu comprends. Et tu ne sais mĂȘme pas en quoi c'est placĂ©, s'il a des valeurs, françaises, Ă©trangĂšres, des terres ? Je ne pus le renseigner en rien. Cessant de parler Ă mi-voix, Bloch demanda trĂšs haut la permission d'ouvrir les fenĂȘtres et, sans attendre la rĂ©ponse, se dirigea vers celles-ci. Mme de Villeparisis dit qu'il Ă©tait impossible d'ouvrir, qu'elle Ă©tait enrhumĂ©e. Ah si ça doit vous faire du mal rĂ©pondit Bloch, déçu. Mais on peut dire qu'il fait chaud » Et se mettant Ă rire, il fit faire Ă ses regards qui tournĂšrent autour de l'assistance une quĂȘte qui rĂ©clamait un appui contre Mme de Villeparisis. Il ne le rencontra pas, parmi ces gens bien Ă©levĂ©s. Ses yeux allumĂ©s, qui n'avaient pu dĂ©baucher personne, reprirent avec rĂ©signation leur sĂ©rieux; il dĂ©clara en matiĂšre de dĂ©faite Il fait au moins 22 degrĂ©s 25 Cela ne m'Ă©tonne pas. Je suis presque en nage. Et je n'ai pas, comme le sage AntĂ©nor, fils du fleuve Alpheios, la facultĂ© de me tremper dans l'onde paternelle, pour Ă©tancrĂźer ma sueur, avant de me mettre' dans une baignoire polie et de m'oindre d'une huile parfumĂ©e. » Et avec ce besoin qu'on a d'esquisser Ă l'usage des autres des thĂ©ories mĂ©dicales dont l'application serait favorable Ă notre propre bien-ĂȘtre Puisque vous croyez que c'est bon pour vous Moi je crois tout le contraire. C'est justement ce qui vous enrhume.» Mme de Villeparisis regretta qu'il eĂ»t dit cela aussi tout haut, mais n'y attacha pas grande importance quand elle vit que l'archiviste, dont les opinions nationalistes la tenaient pour ainsi dire Ă la chaĂźne, se trouvait placĂ© trop loin pour avoir pu entendre. Elle fut plus choquĂ©e d'entendre que Bloch, entraĂźnĂ© par le dĂ©mon de sa mauvaise Ă©ducation qui l'avait prĂ©alablement rendu aveugle, lui demandait, en riant Ă la plaisanterie paternelle N'ai-je pas lu de lui une savante Ă©tude oĂč il dĂ©montrait pour quelles raisons irrĂ©futables la guerre russo-japonaise devait se terminer par la victoire des Russes et la dĂ©faite des Japonais ? Et n'est-il pas un peu gĂąteux ? Il me semble que c'est lui que j'ai vu viser son siĂšge, avant d'aller s'y asseoir, en glissant comme sur des roulettes. » Jamais de la vie Attendez un instant, ajouta la marquise, je ne sais pas ce qu'il peut faire. Elle sonna et quand le domestique fut entrĂ©, comme elle ne dissimulait nullement et mĂȘme aimait Ă montrer que son vieil ami passait la plus grande partie de son temps chez elle Allez donc dire Ă M. de Norpois de venir, il est en train de classer des papiers dans mon bureau, il a dit qu'il viendrait dans vingt minutes et voilĂ une heure trois quarts que je l'attends. Il vous parlera de l'affaire Dreyfus, de tout ce que vous voudrez, dit-elle d'un ton boudeur Ă Bloch, il n'approuve pas beaucoup ce qui se passe. Car M. de Norpois Ă©tait mal avec le ministĂšre actuel et Mme de Villeparisis, bien qu'il ne se fĂ»t pas permis de lui amener des personnes du gouvernement elle gardait tout de mĂȘme sa hauteur de dame de la grande aristocratie et restait en dehors et au-dessus des relations qu'il Ă©tait obligĂ© de cultiver, Ă©tait tenue par lui au courant de ce qui se passait. De mĂȘme ces hommes politiques du rĂ©gime n'auraient pas osĂ© demander Ă M. de Norpois de les prĂ©senter Ă Mme de Villeparisis. Mais plusieurs Ă©taient aller le chercher chez elle Ă la campagne, quand ils avaient eu besoin de son concours dans des circonstances graves. On savait l'adresse. On allait au chĂąteau. On ne voyait pas la chĂątelaine. Mais au dĂźner elle disait Monsieur, je sais qu'on est venu vous dĂ©ranger. Les affaires vont-elles mieux ? » Vous n'ĂȘtes pas trop pressĂ© ? demanda Mme de Villeparisis Ă Bloch ? Non, non, je voulais partir parce que je ne suis pas trĂšs bien, il est mĂȘme question que je fasse une cure Ă Vichy pour ma vĂ©sicule biliaire, dit-il en articulant ces mots avec une ironie satanique. Tiens, mais justement mon petit-neveu ChĂątellerault doit y aller, vous devriez arranger cela ensemble. Est-ce .qu'il est encore lĂ ? Il est gentil, vous savez, dit Mme de Villeparisis de bonne foi peut-ĂȘtre, et pensant que des gens qu'elle connaissait tous deux n'avaient aucune raison de ne pas se lier. Oh je ne sais si ça lui plairait, je ne le connais. qu'Ă peine, il est lĂ -bas plus loin, dit Bloch confus et ravi. %.e maĂźtre d'hĂŽtel n'avait pas dĂ» exĂ©cuter d'une façon complĂšte la commission dont il venait d'ĂȘtre chargĂ© pour M. de Norpois. Car celui-ci, pour faire croire qu'il arrivait du dehors et n'avait pas encore vu la maĂźtresse de la maison, prit au hasard un chapeau dans l'antichambre et vint baiser cĂ©rĂ©monieusement la main de Mme de Villeparisis, en lui demandant de ses nouvelles avec le mĂȘme intĂ©rĂȘt qu'on manifeste aprĂšs une longue absence. Il ignorait que la marquise de Villeparisis avait prĂ©alablement ĂŽtĂ© toute vraisemblance Ă cette comĂ©die, Ă laquelle elle coupa court d'ailleurs en emmenant M. de Norpois et Bloch dans un salon voisin. Bloch, qui avait vu toutes les amabilitĂ©s qu'on faisait Ă celui qu'il ne savait pas encore ĂȘtre M. de Norpois, et les saluts compassĂ©s, gracieux et profonds par lesquels l'Ambassadeur y rĂ©pondait, Bloch se sentait infĂ©rieur Ă tout ce cĂ©rĂ©monial et, vexĂ© de penser qu'il jamais Ă lui, m'avait dit pour avoir l'air Ă l'aise Qu'est-ce que cette espĂšce d'imbĂ©cile ? » Peut-ĂȘtre du reste toutes les salutations de M. de Norpois choquant ce qu'il y avait de meilleur en Bloch, la franchise plus directe d'un milieu moderne, est-ce en partie sincĂšrement qu'il les trouvait ridicules. En tout cas elles cessĂšrent de le lui paraĂźtre et mĂȘme l'enchantĂšrent dĂšs la seconde oĂč ce fut lui, Bloch, qui se trouva en ĂȘtre l'objet. Monsieur l'Ambassadeur, dit Mme de Villeparisis, je voudrais vous faire connaĂźtre Monsieur. Monsieur Bloch, Monsieur le marquis de Norpois. Elle tenait, malgrĂ© la façon dont elle rudoyait M. de Norpois, Ă lui dire Monsieur l'Ambassadeur par savoir-vivre, par considĂ©ration exagĂ©rĂ©e du rang d'ambassadeur, considĂ©ration que le marquis lui avait inculquĂ©e, et enfin pour appliquer ces maniĂšres moins familiĂšres, plus cĂ©rĂ©monieuses Ă l'Ă©gard d'un certain homme, lesquelles dans le salon d'une femme distinguĂ©e, tranchant avec la libertĂ© dont elle use avec ses autres habituĂ©s, dĂ©signent aussitĂŽt son amant. M. de Norpois noya son regard bleu dans sa barbe blanche, abaissa profondĂ©ment sa haute taille comme s'il l'inclinait devant tout ce que lui reprĂ©sentait de notoire et d'imposant le nom de Bloch, murmura je suis enchantĂ© », tandis que son jeune interlocuteur, Ă©mu mais trouvant que le cĂ©lĂšbre diplomate allait trop loin, rectifia avec empressement et dit Mais pas du tout, au contraire, c'est moi qui suis enchantĂ© » Mais cette cĂ©rĂ©monie, que M. de Norpois par amitiĂ© pour Mme de Villeparisis renouvelait avec chaque inconnu que sa vieille amie lui prĂ©sentait, ne parut pas Ă celle-ci une politesse suffisante pour Bloch Ă qui elle dit Mais demandez-lui tout ce que vous voulez savoir, emmenez-le Ă cĂŽtĂ© si cela est plus commode; il sera enchantĂ© de causer avec vous. Je crois que vous vouliez lui parler de l'affaire Dreyfus, ajouta-t-elle sans plus se prĂ©occuper si cela faisait plaisir Ă M. de Norpois qu'elle n'eĂ»t pensĂ© Ă demander leur agrĂ©ment au portrait de la duchesse de Montmorency avant de le faire Ă©clairer pour l'historien, ou au thĂ© avant d'en offrir une tasse. Parlez-lui fort, dit-elle Ă Bloch, il est un peu sourd, mais il vous dira tout ce que vous voudrez, il a trĂšs bien connu Bismarck, Cavour. N'est-pas, Monsieur, dit-elle avec force, vous avez bien connu Bismarck ? Avez-vous quelque chose sur le chantier ? me demanda M. de Norpois avec un signe d'intelligence en me serrant la main cordialement. J'en profitai pour le dĂ©barrasser obligeamment du chapeau qu'il avait cru devoir apporter en signe de cĂ©rĂ©monie, car je venais de m'apercevoir que c'Ă©tait le mien qu'il avait pris par hasardT Vous m'aviez montrĂ© une Ćuvrette un 'peu tarabiscotĂ©e oĂč vous coupiez les cheveux en quatre. Je vous ai donnĂ© franchement mon avis; ce que vous aviez fait ne valait pas la peine que vous le couchiez sur le papier. Nous prĂ©parez-vous quelque chose ? Vous ĂȘtes trĂšs fĂ©ru de Bergotte, si je me souviens bien. Ah ne dites pas de mal de Bergotte, s'Ă©cria la duchesse. Je ne conteste pas son talent de peintre, nul ne s'en aviserait, duchesse. Il sait graver au burin ou Ă l'eau-forte, sinon brosser, comme M. Cherbuliez, une grande composition. Mais il me semble que notre temps fait une confusion de genres et que le propre du romancier est plutĂŽt de nouer une intrigue et d'Ă©lever les coeurs que de fignoler Ă la pointe sĂšche un frontispice ou un cul-de-lampe. Je verrai votre pĂšre dimanche chez ce brave A. J., ajouta-t-il en se tournant vers moi. J'espĂ©rai un instant, en le voyant parler Ă Mme de Guermantes, qu'il me prĂȘterait peut-ĂȘtre pour aller chez elle l'aide qu'il m'avait refusĂ©e pour aller chez M. Swann. Une autre de mes grandes admirations, lui dis-je, c'est Elstir. Il paraĂźt que la duchesse de Guermantes en a de merveilleux, notamment cette admirable botte de radis que j'ai aperçue Ă l'Exposition et que j'aimerais tant revoir; quel chef-d'Ćuvre que ce tableau » Et en effet, si j'avais Ă©tĂ© un homme en vue, et qu'on m'eĂ»t demandĂ© le morceau de peinture que je prĂ©fĂ©rais, j'aurais citĂ© cette botte de radis. Unc hef-d'oeuvre ? s'Ă©cria M. de Norpois avec un air d'Ă©tonnement et de blĂąme. Ce n'a mĂȘme pas la prĂ©tention d'ĂȘtre un tableau, mais une simple esquisse il avait raison. Si vous appelez chef-d'Ćuvre cette vive pochade, que direz-vous de la Vierge » d'HĂ©bert ou de Dagnan-Bouveret ? J'ai entendu que vous refusiez l'amie de Robert, dit Mme de Guermantes Ă sa tante aprĂšs que Bloch eĂ»t pris Ă part l'Ambassadeur, je crois que vous n'avez rien Ă regretter, vous savez que c'est une horreur, elle n'a pas l'ombre de talent, et en plus elle'est grotesque. Mais comment la connaissez-vous, duchesse ? dit M. d'Argencourt. Mais comment, vous ne savez pas. qu'elle a jouĂ© chez moi avant tout le monde ? je n'en suis pas plus fiĂšre pour cela, dit en riant Mme de Guermantes, heureuse pourtant, puisqu'on parlait de cette actrice, de faire savoir qu'elle avait eu la primeur de ses ridicules. Allons, je n'ai plus qu'Ă partir, ajouta-t-elle sans bouger. Elle venait de voir entrer son mari, et par les mots qu'elle prononçait, faisait allusion au comique d'avoir l'air de faire ensemble une visite de noces, nullement aux rapports souvent difficiles qui existaient entre elle et cet Ă©norme gaillard vieillissant, mais qui menait toujours une vie de jeune homme. Promenant sur le grand, nombre de personnes qui entouraient la table Ă thĂ© les regards affables, malicieux et un par les rayons du soleil couchant, de ses petites prunelles rondes et exactement logĂ©es dans l'Ćil comme les mouches » que savait viser et atteindre si parfaitement l'excellent tireur qu'il Ă©tait, le duc s'avançait avec une lenteur Ă©merveillĂ©e et prudente comme si, intimidĂ© par une si brillante assemblĂ©e, il eĂ»t craint de marcher sur les robes et de dĂ©ranger les conversations. Un sourire permanent de bon roi d'Yvetot lĂ©gĂšrement pompette, une main Ă demi dĂ©pliĂ©e flot- tant, comme l'aileron d'un requin, Ă cĂŽtĂ© de sa poitrine, et qu'il laissait presser indistinctement par ses vieux amis et par les inconnus qu'on lui prĂ©sentait, lui permettaient, sans avoir Ă faire un seul geste ni Ă interrompre sa tournĂ©e dĂ©bonnaire, fainĂ©ante et royale, de satisfaire Ă l'empressement de tous, en murmurant seulement Bonsoir, mon bon », bonsoir mon cher ami », charmĂ© monsieur Bloch », bonsoir Argencourt », et prĂšs de moi, qui fus le plus favorisĂ© quand il eut entendu mon nom Bonsoir, mon petit voisin, comment va votre pĂšre ? Quel brave homme » Il ne fit de grandes dĂ©monstrations que pour Mme de Villeparisis, qui lui dit bonjour d'un signe de tĂȘte en sortant une main de son petit tablier, Formidablement riche dans un monde oĂč on l'est de moins en moins, ayant assimilĂ© Ă sa personne, d'une façon permanente, la notion de cette Ă©norme fortune, en lui la vanitĂ© du grand seigneur Ă©tait doublĂ©e de celle de l'homme d'argent, l'Ă©ducation raffinĂ©e du premier arrivant tout juste Ă contenir la suffisance du second. On comprenait d'ailleurs que ses succĂšs de femmes, qui faisaient le malheur de la sienne, ne fussent pas dus qu'Ă son nom et Ă sa fortune, car il Ă©tait encore d'une grande beautĂ©, avec, dans le profil, la puretĂ©, la dĂ©cision de contour de quelque dieu grec. Vraiment, elle a jouĂ© chez vous ? demanda M. d'Argencourt Ă la duchesse. Mais voyons, elle est venue rĂ©citer, avec un bouquet de lis dans la main et d'autres lis su » sa robe. Mme de Guermantes mettait, comme Mme de Villeparisis, de l'affectation Ă prononcer certains mots d'une façon trĂšs paysanne, quoiqu'elle ne roulĂąt nullement les r comme faisait sa tante. Avant que M. de Norpois, contraint et forcĂ©, n'emmenĂąt Bloch dans la petite baie oĂč ils pourraient causer ensemble, je revins un instant vers le vieux diplomate et lui glissai un mot d'un fauteuil acadĂ©- mique pour mon pĂšre. Il voulut d'abord remettre la conversation Ă plus tard. Mais j'objectai que j'allais partir pour Balbec. Comment vous allez de nouveau Ă Balbec ? Mais vous ĂȘtes un vĂ©ritable globe-trotter » Puis il m'Ă©couta. Au nom de Leroy-Beaulieu, M. de Norpois me regarda d'un air soupçonneux. Je me figurai qu'il avait peut-ĂȘtre tenu Ă M. Leroy-Beaulieu des propos dĂ©sobligeants pour mon pĂšre, et qu'il craignait que l'Ă©conomiste ne les lui eĂ»t rĂ©pĂ©tĂ©s. AussitĂŽt, il parut animĂ© d'une vĂ©ritable affection pour mon pĂšre. Et aprĂšs un de ces ralentissements du dĂ©bit oĂč tout d'un coup une parole Ă©clate, comme malgrĂ© celui qui parle, et chez qui l'irrĂ©sistible conviction emporte les efforts bĂ©gayants qu'il faisait pour se taire Non, non, me dit-il avec Ă©motion, il ne faut pas que votre pĂšre se prĂ©sente. Il ne le faut pas dans son intĂ©rĂȘt, pour lui-mĂȘme, par respect pour sa valeur qui est grande et qu'il compromettrait dans une pareille aventure. Il vaut mieux que cela. FĂ»t-il nommĂ©, il aurait tout Ă perdre et rien Ă gagner. Dieu merci, il n'est pas orateur. Et c'est la seule chose qui compte auprĂšs de mes chers collĂšgues, quand mĂȘme ce qu'on dit ne serait que turlutaines. Votre pĂšre a un but important dans la vie il doit y marcher droit, sans se laisser dĂ©tourner Ă battre les buissons, fĂ»t-ce les buissons, d'ailleurs plus Ă©pineux que fleuris, du jardin d'Academus. D'ailleurs il ne rĂ©unirait que quelques voix. L'AcadĂ©mie' aime Ă faire faire un stage au postulant avant de l'admettre dans son giron. Actuellement, il n'y a rien Ă faire. Plus tard je ne dis pas. Mais il faut que ce soit la Compagnie elle-mĂȘme qui vienne le chercher. Elle pratique avec plus de fĂ©tichisme que de bonheur le 'ÌÌFar Ă da se de nos voisins d'au delĂ des Alpes. Leroy-Beaulieu m'a parlĂ© de tout cela d'une maniĂšre qui ne m'a pas plu. âą II m'a du reste semblĂ© Ă vue de nez avoir partie liĂ©e avec votre pĂšre. Je lui ai peut-ĂȘtre fait sentir un peu vivement qu'habituĂ© Ă s'occuper de cotons et de mĂ©taux, il mĂ©connaissait le rĂŽle des impondĂ©rables, comme disait Bismarck. Ce qu'il faut Ă©viter avant tout, c'est que votre pĂšre se prĂ©sente Principiis obsta ». Ses amis se trouveraient dans une position dĂ©licate s'il les mettait en prĂ©sence du fait accompli. Tenez, dit-il brusquement d'un air de franchise, en fixant ses yeux bleus sur moi, je vais vous dire une chose qui va vous Ă©tonner de .ma part Ă moi qui aime tant votre pĂšre. Eh bien, justement parce que je l'aime, justement nous sommes les deux insĂ©parables, Arcades ambo parce que je sais les services qu'il peut rendre Ă son pays, les Ă©cueils qu'il peut lui Ă©viter s'il reste Ă la barre, par affection, par haute estime, par patriotisme, je ne voterais pas pour lui. Du reste, je crois l'avoir laissĂ© entendre. Et je crus apercevoir dans ses yeux le profil assyrien et sĂ©vĂšre de Leroy-Beaulieu. Donc lui donner ma voix serait âą de ma part une sorte de palinodie. » A plusieurs reprises, M. de Norpois traita ses collĂšgues de fossiles. En dehors des autres raisons, tout membre d'un club ou d'une AcadĂ©mie aime Ă investir ses collĂšgues du genre de caractĂšre le plus contraire au sien, moins pour l'utilitĂ© de pouvoir dire Ah si cela ne dĂ©pendait que de moi » que pour la satisfaction de prĂ©senter le titre qu'il a obtenu comme plus difficile et plus flatteur. Je vous dirai, conclut-il, que, dans .votre intĂ©rĂȘt Ă tous, j'aime mieux pour votre pĂšre une Ă©lection triomphale dans dix ou quinze ans. » Paroles qui furent jugĂ©es par moi comme dictĂ©es, sinon par la jalousie, au moins par un manque absolu de serviabilitĂ© et qui se trouvĂšrent recevoir plus tard, de l'Ă©vĂ©nement mĂȘme, un sens diffĂ©rent. Vous n'avez pas l'intention d'entretenir l'Institut du prix du pain pendant la Fronde ? demanda timidement l'historien de la Fronde Ă M. de Norpois. Vous pourriez trouver lĂ un succĂšs considĂ©rable ce qui voulait dire me faire une rĂ©clame monstre, ajouta-t-il en souriant Ă l'Ambassadeur avec une pusillanimitĂ© mais aussi une tendresse qui lui fit lever les paupiĂšres et dĂ©couvrir ses yeux, grands comme un ciel. Il me semblait avoir vu ce regard, pourtant je ne connaissais que d'aujourd'hui l'historien. Tout d'un coup je me rappelai ce mĂȘme regard, je l'avais vu dans les yeux d'un mĂ©decin brĂ©silien qui prĂ©tendait guĂ©rir les Ă©touffements du genre de ceux que j'avais par d'absurdes inhalations d'essences de plantes. Comme, pour qu'il prĂźt plus soin de moi, je lui avais dit que je connaissais le professeur Cottard, il m'avait rĂ©pondu, comme dans l'intĂ©rĂȘt de Cottard VoilĂ un traitement, si vous lui en parliez, qui lui fournirait la matiĂšre d'une retentissante communication Ă l'AcadĂ©mie de mĂ©decine » Il n'avait osĂ© insister mais m'avait regardĂ© de ce mĂȘme air d'interrogation timide, intĂ©ressĂ©e et suppliante que je venais d'admirer chez l'historien de la Fronde. Certes ces deux hommes ne. se connaissaient pas et ne se ressemblaient guĂšre, mais les lois psychologiques ont comme les lois physiques une certaine gĂ©nĂ©ralitĂ©. Et les conditions nĂ©cessaires sont les mĂȘmes, un mĂȘme regard Ă©claire des animaux humains diffĂ©rents, comme un mĂȘme ciel matinal des lieux de la terre situĂ©s bien loin l'un de l'autre et qui ne se sont jamais vus. Je n'entendis pas la rĂ©ponse de l'Ambassadeur, car tout le monde, avec un peu de brouhaha, s'Ă©tait approchĂ© de Mme de Villeparisis pour la voir peindre. Vous savez de qui nous parlons, Basin ? dit la duchesse Ă son mari. Naturellement je devine, dit le duc. Ah ce n'est pas ce que nous appelons une comĂ©dienne de la grande lignĂ©e. Jamais, reprit Mme de Guermantes s'adressant Ă M. d'Argencourt, vous n'avez imaginĂ© quelque chose de plus risible. C'Ă©tait mĂȘme drolatique, interrompit M. de Guermantes dont le bizarre vocabulaire permettait Ă la fois aux gens du monde de dire qu'il n'Ă©tait pas un sot et aux gens de lettres de le trouver le pire des imbĂ©ciles. Je ne peux pas comprendre, reprit la duchesse, comment Robert a jamais pu l'aimer. Oh je sais bien qu'il ne faut jamais discuter ces choses-lĂ , ajouta-t-elle avec une jolie moue de philosophe et de sentimentale dĂ©senchantĂ©e. Je sais que n'importe qui peut aimer n'importe quoi. Et, ajouta-t-elle car si elle se moquait encore de la littĂ©rature nouvelle, celle-ci, peut-ĂȘtre par la vulgarisation des journaux ou Ă travers certaines conversations, s'Ă©tait un peu infiltrĂ©e en elle c'est mĂȘme ce qu'il y a de beau dans l'amour, parce que c'est justement ce qui le rend mystĂ©rieux ». MystĂ©rieux Ah j'avoue que c'est un peu fort pour moi, ma cousine, dit le comte d'Argencourt. Mais si, c'est trĂšs mystĂ©rieux, l'amour, reprit la duchesse avec un doux sourire de femme du monde aimable, mais aussi avec l'intransigeante conviction d'une wagnĂ©rienne qui affirme Ă un homme du cercle qu'il n'y a pas que du bruit dans la Walkyrie. Du reste, au fond, on ne sait pas pourquoi une personne en aime une autre; ce n'est peut-ĂȘtre pas du tout pour ce que nous croyons, ajouta-t-elle en souriant, repoussant ainsi tout d'un coup par son interprĂ©tation l'idĂ©e qu'elle venait d'Ă©mettre.. Du reste, au fond on ne sait jamais rien, conclut-elle d'un air sceptique et fatiguĂ©. Aussi, voyez-vous, c'est plus intelligent »; il ne faut jamais discuter le choix des amants. Mais aprĂšs avoir posĂ© ce principe, elle y manqua immĂ©diatement en critiquant le choix de Saint-Loup. Voyez-vous, tout de mĂȘme, je trouve Ă©tonnant qu'on puisse trouver de la sĂ©duction Ă une personne ridicule. Bloch entendant que nous parlions de Saint-Loup, et comprenant qu'il Ă©tait Ă Paris, se mit Ă en dire un mal si Ă©pouvantable que tout le monde en fut rĂ©voltĂ©. Il commençait Ă avoir des haines, et on sentait que pour les assouvir il ne reculerait devant rien. Ayant posĂ© en principe qu'il avait une haute valeur morale, et que l'espĂšce de gens qui frĂ©quentait la Boulie cercle sportif qui lui semblait Ă©lĂ©gant mĂ©ritait le bagne, tous les coups qu'il pouvait leur porter lui semblaient mĂ©ritoires. Il alla une fois jusqu'Ă parler d'un procĂšs qu'il voulait intenter Ă un de ses amis de la Boulie. Au cours de ce procĂšs, il comptait dĂ©poser d'une façon mensongĂšre et dont l'inculpĂ© ne pourrait pas cependant prouver la faussetĂ©. De cette façon, Bloch, qui ne mit du reste pas Ă exĂ©cution son projet, pensait le dĂ©sespĂ©rer et l'affoler davantage. Quel mal y avait-il Ă cela, puisque celui qu'il voulait frapper ainsi Ă©tait un homme qui ne pensait qu'au chic, un homme de la Boulie, et que contre de telles gens toutes les armes sont permises, surtout Ă un Saint, comme lui, Bloch ? Pourtant, voyez Swann, objecta M. d'Argencourt qui, venant enfin de comprendre le sens des paroles qu'avait. prononcĂ©es sa cousine, Ă©tait frappĂ© de leur justesse et cherchait dans sa mĂ©moire l'exemple de gens ayant aimĂ© des personnes qui Ă lui ne lui eussent pas plu. Ah Swann ce n'est pas du tout le mĂȘme cas, protesta la duchesse. C'Ă©tait trĂšs Ă©tonnant tout de mĂȘme parce que c'Ă©tait une brave idiote, mais elle n'Ă©tait pas ridicule et elle a Ă©tĂ© jolie.. Hou, hou, grommela Mme de Villeparisis. Ah vous ne la trouviez pas jolie ? si, elle avait des choses charmantes, de bien jolis yeux, de jolis cheveux, elle s'habillait et elle s'habille encore merveilleusement. Maintenant, je reconnais qu'elle est immonde, mais elle a Ă©tĂ© une ravissante personne. Ăa ne m'a fait pas moins de chagrin que Charles l'ait Ă©pousĂ©e, parce que c'Ă©tait tellement inutile. La duchesse ne croyait pas dire quelque chose de remarquable, mais, comme M. d'Argencourt se mit Ă rire, elle rĂ©pĂ©ta la phrase, soit qu'elle la trouvĂąt drĂŽle, ou seulement qu'elle trouvĂąt gentil le rieur qu'elle se mit Ă regarder d'un air cĂąlin, pour ajouter l'enchantement de la douceur Ă celui de l'esprit. Elle continua Oui, n'est-ce pas, ce n'Ă©tait pas la peine, mais enfin elle n'Ă©tait pas sans charme et je comprends parfaitement qu'on l'aimĂąt, tandis que la demoiselle de Robert, je vous assure qu'elle est Ă mourir de rire. Je sais bien qu'on m'objectera cette vieille rengaine d'Augier Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse » Eh bien, Robert a peut-ĂȘtre l'ivresse, mais il n'a vraiment pas fait preuve de goĂ»t dans le choix du flacon D'abord, imaginez-vous qu'elle avait la prĂ©tention que je fisse dresser un escalier au beau milieu de mon salon. C'est un rien, n'est-ce pas, Ăšt elle m'avait annoncĂ© qu'elle resterait couchĂ©e Ă plat ventre sur les marches. D'ailleurs, si vous aviez entendu ce qu'elle disait je ne connais qu'une scĂšne, mais je ne crois pas qu'on puisse imaginer quelque chose de pareil cela s'appelle les Sept Princesses. Les Sept Princesses, oh oĂŻl, oĂŻl, quel snobisme s'Ă©cria M. d'Argencourt. Ah mais attendez, je connais toute la piĂšce. C'est d'un de mes compatriotes. Il l'a envoyĂ©e au Roi qui n'y a rien compris et m'a demandĂ© de lui expliquer. Ce n'est pas par hasard du Sar Peladan ? demanda l'historien de la Fronde avec une intention de finesse et d'actualitĂ©, mais si bas que sa question passa inaperçue. Ah vous connaissez les Sept Princesses ? rĂ©pondit la duchesse Ă M. d'Argencourt. Tous mes compliments Moi je n'en connais qu'une, mais cela m'a ĂŽtĂ© la curiositĂ© de faire la connaissance des six autres. Si elles sont toutes pareille Ă celle que j'ai vue Quelle buse » pensais-je, irritĂ© de l'accueil glacial qu'elle m'avait fait. Je trouvais une sorte d'Ăąpre satisfaction Ă constater sa complĂšte incomprĂ©hension de Maeterlinck. C'est pour une pareille femme que tous les matins je fais tant de kilomĂštres, vraiment j'ai de la bontĂ©. Maintenant c'est moi qui ne voudrais pas d'elle. » Tels Ă©taient les mots que je me disais; ils Ă©taient le contraire de ma pensĂ©e; c'Ă©taient de purs mots de conversation, comme nous nous en disons dans ces moments oĂč, trop agitĂ©s pour rester seuls avec nous-mĂȘme, nous Ă©prouvons le besoin, Ă dĂ©faut d'autre interlocuteur, de causer avec nous, sans sincĂ©ritĂ©, comme avec un Ă©tranger. Je ne peux pas vous donner une idĂ©e, continua la duchesse, c'Ă©tait Ă se tordre de rire. On ne s'en est pas fait faute, trop mĂȘme, car lĂ petite personne n'a pas aimĂ© cela, et dans le fond Robert m'en a toujours voulu. Ce que je ne regrette pas du reste, car si cela avait bien tournĂ©, lĂ . demoiselle serait peut-ĂȘtre revenue et je me demande jusqu'Ă quel point cela aurait charmĂ© Marie-Aynard. On appelait ainsi dans la famille la mĂšre de Robert, Mme de Marsantes, veuve d'Aynard de Saint-Loup, pour la distinguer de sa cousine la princesse de Guermantes-BaviĂšre, autre Marie, au prĂ©nom de qui ses neveux, cousins et beaux-frĂšres ajoutaient, pour Ă©viter la confusion, soit le prĂ©nom de son mari, soit un autre de ses prĂ©noms Ă elle, ce qui donnait soit MarieGilbert, soit Marie-Hedwige. D'abord la veille il y eut une espĂšce de rĂ©pĂ©tition qui Ă©tait une bien belle chose poursuivit ironiquement Mme de Guermantes. Imaginez qu'elle disait une phrase, pas mĂȘme, un quart de phrase, et puis elle s'arrĂȘtait; elle ne disait plus rien, mais je n'exagĂšre pas, pendant cinq minutes. OĂŻl, oĂŻl, oĂŻl s'Ă©cria M. d'Argencourt. Avec toute la politesse du monde je me suis permis d'insinuer que cela Ă©tonnerait peut-ĂȘtre .un peu. Et elle m'a rĂ©pondu textuellement Il faut toujours dire une chose comme si on Ă©tait en train de la composer soi-mĂȘme.; Si vous y rĂ©flĂ©chissez c'est monumental, cette rĂ©ponse Mais je croyais qu'elle ne disait pas mal les vers, dit un des deux jeunes gens. Elle ne se doute pas de ce que c'est, rĂ©pondit Mme de Guermantes. Du reste je n'ai pas eu besoin de l'entendre. Il m'a suffi de la voir arriver avec des lis J'ai tout de suite compris qu'elle n'avait pas de talent quand j'ai vu les lis Tout le monde rit. Ma tante, vous ne m'en avez pas voulu de ma plaisanterie de l'autre jour au sujet de la reine de SuĂšde ? je viens vous demander l'aman. Non, je ne t'en veux pas; je te donne mĂȘme le droit de goĂ»ter si tu as faim. Allons, Monsieur VallenĂšres, faites la jeune fille, dit Mme de Villeparisis Ă l'archiviste, selon une plaisanterie consacrĂ©e. M. de Guermantes se redressa dans le fauteuil oĂč il sjĂ©tait affalĂ©, son chapeau Ă cĂŽtĂ© de lui sur le tapis, examina d'un air de satisfaction les assiettes de petits fours qui lui Ă©taient prĂ©sentĂ©es. Mais volontiers, maintenant que je commence Ă ĂȘtre familiarisĂ© avec cette noble assistance, j'accepterai un baba, ils semblent excellents. Monsieur remplit Ă merveille son rĂŽle de jeune fille, dit M. d'Argencourt qui, par esprit d'imitation, reprit la plaisanterie de Mme de Villeparisis. L'archiviste prĂ©senta l'assiette de petits fours Ă l'historien de la Fronde. 5 Vol. II. Vous vous acquittez Ă merveille de vos fonctions, dit celui-ci par timiditĂ© et pour tĂącher de conquĂ©rir la sympathie gĂ©nĂ©rale. Aussi jeta-t-il Ă la dĂ©robĂ©e un regard de connivence sur ceux qui avaient dĂ©jĂ fait comme lui. Dites-moi, ma bonne tante, demanda M. de Guermantes Ă Mme de Villeparisis, qu'est-ce que ce monsieur assez bien de sa personne qui sortait comme j'entrais ? Je dois le connaĂźtre parce qu'il m'a fait un grand salut, mais je ne l'ai pas remis; vous savez, je suis brouillĂ© avec les noms, ce qui est bien dĂ©sagrĂ©able, dit-il d'un air de satisfaction. M. Legrandin. Ah mais Oriane a une cousine dont la mĂšre, sauf erreur, est nĂ©e Grandin. Je sais trĂšs bien, ce sont des Grandin de l'Ăprevier. Non, rĂ©pondit Mme de Villeparisis, cela n'a aucun rapport. Ceux-ci Grandin tout simplement, Grandin de rien du tout. Mais ils ne demandent qu'Ă l'ĂȘtre de tout ce que tu voudras. La sĆur de celui-ci s'appelle Mme de Cambremer. Mais voyons, Basin, vous savez bien de qui ma tante veut parler, s'Ă©cria la duchesse avec indignation, c'est le frĂšre de cette Ă©norme herbivore que vous avez eu l'Ă©trange idĂ©e d'envoyer venir me voir l'autre jour. Elle est restĂ©e une heure, j'ai pensĂ© que je deviendrais folle. Mais j'ai commencĂ© par croire que c'Ă©tait elle qui l'Ă©tait en voyant entrer chez moi une personne que je ne connaissais pas et qui avait l'air d'une vache. Ăcoutez, Oriane, elle m'avait demandĂ© votre jour; je ne pouvais pourtant pas lui faire une grossiĂšretĂ©, et puis, voyons, vous exagĂ©rez, elle n'a pas l'air d'une vache, ajouta-t-il d'un air plaintif, mais non sans jeter Ă la dĂ©robĂ©e un regard souriant sur l'assistance. Il savait que la verve de sa femme avait besoin d'ĂȘtre stimulĂ©e par la contradiction, la contradiction du bon sens qui proteste que, par exemple, on ne peut pas prendre une femme pour une vache c'est ainsi que Mme de Guermantes, enchĂ©rissant sur une premiĂšre image, Ă©tait souvent arrivĂ©e Ă produire ses plus jolis mots. Et le duc se prĂ©sentait naĂŻvement pour l'aider, sans en avoir l'air, Ă rĂ©ussir son tour, comme, dans un wagon, le compĂšre inavouĂ© d'un joueur de bonneteau. Je reconnais qu'elle n'a pas l'air d'une vache, car elle a l'air de plusieurs, s'Ă©cria Mme de Guermantes. Je vous jure que j'Ă©tais bien embarrassĂ©e voyant ce troupeau de vaches qui entrait en chapeau dans mon salon et qui me demandait comment j'allais. D'un cĂŽtĂ© j'avais envie de lui rĂ©pondre Mais, troupeau de vaches, tu confonds, tu ne peux pas ĂȘtre en relations avec moi puisque tu es un troupeau de vaches », et d'autre part, ayant cherchĂ© dans ma mĂ©moire, j'ai fini par croire que votre Cambremer Ă©tait l'infante DorothĂ©e qui avait dit qu'elle viendrait une fois et qui est assez bovine aussi, de sorte que j'ai failli dire Votre Altesse royale et parler Ă la troisiĂšme personne Ă un troupeau de vaches. Elle a aussi le genre de gĂ©sier de la reine de SuĂšde. Du reste cette attaque de vive force avait Ă©tĂ© prĂ©parĂ©e par un tir Ă distance, selon toutes les rĂšgles de l'art. Depuis je ne sais combien de temps j'Ă©tais bombardĂ©e de ses cartes, j'en trouvais partout, sur tous les meubles, comme des prospectus. J'ignorais le but de cette rĂ©clame. On ne voyait chez moi que Marquis et Marquise de Cambremer » avec une adresse que je ne me rappelle pas et dont je suis d'ailleurs rĂ©solue Ă ne jamais me servir. Mais c'est trĂšs flatteur de ressembler Ă une reine, dit l'historien de la Fronde. Oh mon. Dieu, monsieur, les rois et les reines, Ă notre Ă©poque ce n'est pas grand'chose dit M. de Guermantes parce qu'il avait la prĂ©tention d'ĂȘtre un esprit et moderne, et aussi pour n'avoir pas l'air de faire cas des relations royales, auxquelles il tenait beaucoup. Bloch et M. de Norpois, qui s'Ă©taient levĂ©s, se trouvĂšrent plus prĂšs de nous. Monsieur, dit Mme de Villeparisis, lui avez-vous parlĂ© de l'affaire Dreyfus ? M. de Norpois leva les yeux au ciel, mais en souriant, comme pour attester l'Ă©normitĂ© des caprices auxquels sa DulcinĂ©e lui imposait le devoir d'obĂ©ir. NĂ©anmoins il parla Ă Bloch, avec beaucoup d'affabilitĂ©, des annĂ©es affreuses, peut-ĂȘtre mortelles, que traversait la France.. Comme cela signifiait probablement que M. de Norpois Ă qui Bloch cependant avait dit croire Ă l'innocence de Dreyfus Ă©tait ardemment antidreyfusard, l'amabilitĂ© de l'Ambassadeur, l'air qu'il avait de donner raison Ă sort interlocuteur, de ne pas douter qu'ils fussent du mĂȘme avis, de se liguer en complicitĂ© avec lui pour accabler le gouvernement, flattaient la vanitĂ© de Bloch et excitaient sa curiositĂ©. Quels Ă©taient les points importants que M. de Norpois ne spĂ©cifiait point, mais sur lesquels il semblait implicitement admettre que Bloch et lui Ă©taient d'accord, quelle opinion avait-il donc de l'affaire, qui pĂ»t les rĂ©unir ? Bloch Ă©tait d'autant plus Ă©tonnĂ© de l'accord mystĂ©rieux qui semblait exister entre lui et M. de Norpois que cet accord ne portait pas que sur la politique, Mme de Villeparisis ayant assez longuement parlĂ© Ă . M. de Norpois des travaux littĂ©raires de Bloch. Vous n'ĂȘtes pas de votre temps, dit Ă celui-ci l'ancien ambassadeur, et je vous en fĂ©licite, vous n'ĂȘtes pas de ce temps oĂč les Ă©tudes dĂ©sintĂ©ressĂ©es n'existent plus, oĂč on ne vend plus au public que des obscĂ©nitĂ©s ou des inepties. Des efforts tels que les vĂŽtres devraient ĂȘtre encouragĂ©s si nous avions un gouvernement. Bloch Ă©tait flattĂ© de surnager seul dans le naufrage universel. Mais lĂ encore il aurait voulu des prĂ©cisions, savoir de quelles inepties voulait parler M. de Norpois. Bloch avait le sentiment de travailler dans la mĂȘme voie que beaucoup, il ne s'Ă©tait pas cru si exceptionnel. Il revint Ă l'affaire Dreyfus, mais ne put arriver Ă dĂ©mĂȘler l'opinion de M. de Norpois. Il tĂącha de le faire parler des officiers dont le nom revenait souvent dans les journaux Ă ce moment-lĂ ; ils excitaient plus la curiositĂ© que les hommes politiques mĂȘlĂ©s Ă la mĂȘme affaire, parce qu'ils n'Ă©taient pas dĂ©jĂ connus comme ceux-ci et, dans un costume spĂ©cial, du fond d'une vie diffĂ©rente et d'un silence religieusement gardĂ©, venaient seulement de surgir et de parler, comme Lohengrin descendant d'une nacelle conduite par un cygne. Bloch avait pu, grĂące Ă un avocat nationaliste qu'il connaissait, entrer Ă plusieurs audiences du procĂšs Zola. Il arrivait lĂ le matin, pour n'en sortir que le soir, avec une provision de sandwiches et une bouteille de cafĂ©, comme au concours gĂ©nĂ©ral ou aux compositions de baccalaurĂ©at, et ce changement d'habitudes rĂ©veillant l'Ă©rĂ©thisme nerveux que le cafĂ© et les Ă©motions du procĂšs portaient Ă son comble, il sortait de lĂ tellement amoureux de tout ce qui s'y Ă©tait passĂ© que, le soir, rentrĂ© chez lui, il voulait se replonger dans le beau songe et courait retrouver dans un restaurant frĂ©quentĂ© par les deux partis des camarades avec qui il reparlait sans fin de ce qui s'Ă©tait passĂ© dans la journĂ©e et rĂ©parait par un souper commandĂ© sur un ton impĂ©rieux qui lui donnait l'illusion du pouvoir le jeĂ»ne et les fatigues d'une journĂ©e commencĂ©e si tĂŽt et oĂč on n'avait pas dĂ©jeunĂ©. L'homme, jouant perpĂ©tuellement entre les deux plans de l'expĂ©rience et de l'imagination, voudrait approfondir la vie idĂ©ale des gens qu'il connaĂźt et connaĂźtre les ĂȘtres dont il a eu Ă imaginer la vie. Aux questions de Bloch, M. de Norpois rĂ©pondit Il y a deux officiers mĂȘlĂ©s Ă l'affaire en cours et dont j'ai entendu parler autrefois par un homme dont le jugement m'inspirait grande confiance et qui faisait d'eux le plus grand cas M. de Miribel, c'est le lieutenant-colonel Henry et le lieutenant-colonel Picquart. Mais, s'Ă©cria Bloch, la divine AthĂšna, fille de Zeus, a mis dans l'esprit de chacun le contraire de ce qui est dans l'esprit de l'autre. Et ils luttent l'un contre l'autre, tels deux lions. Le colonel Picquart avait une grande situation dans l'armĂ©e, mais sa Moire l'a conduit du cĂŽtĂ© qui n'Ă©tait pas le sien. L'Ă©pĂ©e des nationalistes tranchera son corps dĂ©licat et il servira de pĂąture aux animaux carnassiers et aux oiseaux qui se nourrissent de la graisse de morts. M. de Norpois ne rĂ©pondit pas. De quoi palabrent-ils lĂ -bas dans un coin, demanda M. de Guermantes Ă Mme de Villeparisis en montrant M. de Norpois et Bloch. De l'affaire Dreyfus. Ah diable A propos, saviez-vous qui est partisan enragĂ© de Dreyfus.? Je vous le donne en mille. Mon neveu Robert Je vous dirai mĂȘme qu'au Jockey, quand on a appris ces prouesses, cela a Ă©tĂ© une levĂ©e de boucliers, un vĂ©ritable tollĂ©. Comme on le prĂ©sente dans huit jours. Ăvidemment, interrompit la duchesse, s'ils sont tous comme Gilbert qui a toujours soutenu qu'il fallait renvoyer tous les Juifs Ă JĂ©rusalem. Ah alors, le prince de Guermantes est tout Ă fait dans mes idĂ©es, interrompit M. d'Argencourt. Le duc se parait de sa femme mais ne l'aimait pas. TrĂšs suffisant », il dĂ©testait d'ĂȘtre interrompu, puis il avait dans son mĂ©nage l'habitude d'ĂȘtre brutal avec elle. FrĂ©missant d'une double colĂšre de mauvais mari Ă qui on parle et de beau parleur qu'on n'Ă©coute pas, il s'arrĂȘta net et lança sur la duchesse un regard qui embarrassa tout le monde. Qu'est-ce qu'il vous prend de nous parler de Gilbert et de JĂ©rusalem ? dit-il enfin. Il ne s'agit pas de cela. Mais, ajouta-t-il d'un ton radouci, vous m'avouerez que si un des nĂŽtres Ă©tait refusĂ© au Jockey, et surtout Robert dont le pĂšre y a Ă©tĂ© pendant dix ans prĂ©sident, ce serait un comble. Que voulez-vous, ma chĂšre, ça les a fait tiquer, ces gens, ils ont ouvert de gros yeux. Je ne peux pas leur donner tort; personnellement vous savez que je n'ai aucun prĂ©jugĂ© de races, je trouve que ce n'est pas de notre Ă©poque et j'ai la prĂ©tention de marcher avec mon temps, mais enfin, que diable quand on s'appelle le marquis de Saint-Loup, on n'est pas dreyfusard, que voulez-vous que je vous dise M. de Guermantes prononça ces mots quand on s'appelle le marquis de Saint-Loup avec emphase. Il savait pourtant bien que c'Ă©tait une plus grande chose de s'appeler le duc de Guermantes ». Mais si son amour-propre avait des tendances Ă s'exagĂ©rer plutĂŽt la supĂ©rioritĂ© du titre de duc de Guermantes, ce n'Ă©tait peut-ĂȘtre pas tant les rĂšgles du bon goĂ»t que les lois de l'imagination qui le poussaient Ă le diminuer. Chacun voit en plus beau ce qu'il voit Ă distance, ce qu'il voit chez les autres. Car les lois gĂ©nĂ©rales qui rĂšglent la perspective dans l'imagination s'appliquent aussi bien aux ducs qu'aux autres hommes. Non seulement les lois de l'imagination, mais celles du langage. Or, l'une ou l'autre de deux lois du langage pouvaient s'appliquer ici, l'une veut qu'on s'exprime comme les gens de sa classe mentale et non de sa caste d'origine. Par lĂ M. de Guermantes pouvait ĂȘtre dans ses expressions, mĂȘme quand il voulait parler de la noblesse, tributaire de trĂšs petits bourgeois qui auraient dit Quand on s'appelle le duc de Guermantes », tandis qu'un homme lettrĂ©, un Swann, un Legrandin, ne l'eussent pas dit. Un duc peut Ă©crire des romans d'Ă©picier, mĂȘme sur les mĆurs du grand monde, les parchemins n'Ă©tant lĂ de nul secours, et l'Ă©pithĂšte d'aristocratique ĂȘtre mĂ©ritĂ©e par les Ă©crits d'un plĂ©bĂ©ien. Quel Ă©tait dans ce cas le bourgeois Ă qui M. de Guermantes avait entendu dire Quand on s'appelle », il n'en savait sans doute rien.. Mais une autre loi du langage est que de temps en temps, comme font leur apparition et s'Ă©loignent certaines maladies dont on n'entend plus parler ensuite, il naĂźt on ne sait trop comment, soit spontanĂ©ment, soit par un hasard comparable Ă celui qui fit germer en France une mauvaise herbe d'AmĂ©rique dont la graine prise aprĂšs la peluche d'une couverture de voyage Ă©tait tombĂ©e sur un talus de chemin de fer, des modes d'expressions qu'on entend dans la mĂȘme dĂ©cade dites par des gens qui ne se sont pas concertĂ©s pour cela. Or, de mĂȘme qu'une certaine annĂ©e j'entendis Bloch dire en parlant de lui-mĂȘme Comme les gens les plus charmants, les plus brillants, les mieux posĂ©s, les plus difficiles, se sont aperçus qu'il n'y avait qu'un seul ĂȘtre qu'ils trouvaient intelligent, agrĂ©able, dont ils ne pouvaient se passer, c'Ă©tait Bloch » et la- mĂȘme phrase dans la bouche de bien d'autres jeunes gens qui ne la connaissaient pas et qui remplaçaient seulement Bloch par leur propre nom,,de mĂȘme je- devais entendre souvent le quand on s'appelle ». Que voulez-vous, continua le duc, avec l'esprit qui rĂšgne lĂ , c'est assez comprĂ©hensible. C'est surtout comique, rĂ©pondit la duchesse,Ă©tant donnĂ© les idĂ©es de sa mĂšre qui nous rase avec la Patrie française du matin au soir. Oui, mais il n'y a pas que sa mĂšre, il ne faut pas nous raconter de craques. Il y a une donzelle, une cascadeuse de la. pire espĂšce, qui a plus d'influence sur lui et qui est prĂ©cisĂ©ment compatriote du sieur Dreyfus. Elle a passĂ© Ă Robert son Ă©tat d'esprit. Vous ne saviez peut-ĂȘtre pas, monsieur le duc, qu'il y a un mot nouveau pour exprimer un tel genre d'esprit, dit l'archiviste qui Ă©tait secrĂ©taire des comitĂ©s antirevisionnistes. On dit mentalitĂ© ». Cela signifie exactement la mĂȘme chose, mais au moins personne ne sait ce qu'on veut dire. C'est le fin du fin et, comme on dit, le dernier cri ». Cependant, ayant entendu le nom de Bloch, il le voyait poser des questions Ă M. de Norpois avec une inquiĂ©tude qui 'en Ă©veilla une diffĂ©rente mais aussi forte chez la marquise. Tremblant devant l'archiviste et faisant l'antidreyfusarde avec lui, elle craignait ses reproches s'il se rendait compte qu'elle avait reçu un Juif plus ou moins affiliĂ© au syndicat ». Ah mentalitĂ©, j'en prends note, je le resservirai, dit le duc. Ce n'Ă©tait pas une figure, le duc avait un petit carnet rempli de citations » et qu'il relisait avant les grands dĂźners. MentalitĂ© me plaĂźt. Il y a comme cela des mots nouveaux qu'on lance, mais ils ne durent pas. DerniĂšrement, j'ai lu comme cela qu'un Ă©crivain Ă©tait talentueux ». Comprenne qui pourra. Puis je ne l'ai plus jamais revu. Mais mentalitĂ© est plus employĂ© que-talentueux, dit l'historien de la Fronde pour se mĂȘler Ă la conversation. Je suis membre d'une commission au ministĂšre de l'Instruction publique oĂč je l'ai entendu employer plusieurs fois, et aussi Ă mon cercle, le cercle Volney, et mĂȘme Ă dĂźner chez M. Ămile Ollivier. Moi qui n'ai pas l'honneuro de faire partie du ministĂšre de l'Instruction publique, rĂ©pondit le duc avec une feinte humilitĂ©, mais avec une vanitĂ© si profonde que sa bouche ne pouvait s'empĂȘcher de sourire et ses yeux de jeter Ă l'assistance des regards pĂ©tillants de joie sous l'ironie desquels rougit le pauvre historien, moi qui n'ai pas l'honneur de faire partie du ministĂšre de l'Instruction publique, reprit-il, s'Ă©coutant parler, ni du cercle Volney je ne suis que de l'Union et du Jockey. vous n'ĂȘtes pas du Jockey, monsieur ? demanda-t-il Ă l'historien qui, rougissant encore davantage, flairant une insolence et ne la comprenant pas, se mit Ă trembler de tous ses membres, moi qui ne dĂźne mĂȘme pas chez M. Ămile Ollivier, j'avoue que je ne connaissais pas mentalitĂ©. Je suis sĂ»r que vous ĂȘtes dans mon cas, Argencourt. Vous savez pourquoi on ne peut pas montrer les preuves de la trahison de Dreyfus. Il paraĂźt que c'est parce qu'il est l'amant de la femme du ministre de la Guerre, cela se dit sous le manteau. Ah je croyais de la femme du prĂ©sident du Conseil, dit M. d'Argencourt. Je vous trouve tous aussi assommants, les uns que les autres avec cette affaire, dit la duchesse de Guermantes qui, au point de vue mondain, tenait toujours Ă . montrer qu'elle ne se laissait mener par personne. Elle ne peut pas avoir de consĂ©quence pour moi au point de vue des Juifs pour la bonne raison que je n'en ai pas dans mes relations et compte toujours rester dans cette bienheureuse ignorance. Mais, d'autre part, je trouve insupportable que, sous prĂ©texte qu'elles sont bien pensantes, qu'elles n'achĂštent rien aux marchands juifs ou qu'elles ont Mort aux Juifs » Ă©crit sur leur ombrelle, une quantitĂ© de dames Durand ou Dubois, que nous n'aurions jamais connues, nous soient imposĂ©es par Marie-Aynard ou par Victurnienne. Je suis allĂ©e chez Marie-Aynard avant-hier. C'Ă©tait charmant autrefois. Maintenant on y trouve toutes les personnes qu'on a passĂ© sa vie Ă Ă©viter, sous prĂ©texte qu'elle sont contre Dreyfus, et d'autres dont on n'a pas idĂ©e qui c'est. Non, c'est la femme du ministre de la Guerre. C'est du moins un bruit qui court les ruelles, reprit le duc qui employait ainsi dans la conversation certaines expressions qu'il croyait ancien rĂ©gime. Enfin en tout cas, personnellement, on sait que je pense tout le contraire de mon cousin Gilbert. Je ne suis pas un fĂ©odal comme lui, je me promĂšnerais avec un nĂšgre s'il Ă©tait de mes amis, et je me soucierais de l'opinion du tiers et du quart comme de l'an quarante, mais enfin tout de mĂȘme vous m'avouerez que, quand on s'appelle Saint-Loup, on ne s'amuse pas Ă prendre le contrepied des idĂ©es1 de tout le monde qui a plus d'esprit que Voltaire et mĂȘme que mon neveu. Et surtout on ne se livre pas Ă ce que j'appellerai ces acrobaties de sensibilitĂ©, huit jours avant de se prĂ©senter au Cercle Elle est un peu roide Non, c'est probablement sa petite grue qui lui aura montĂ© le bourrichon. Elle lui aura persuadĂ© qu'il se classerait parmi les intellectuels ». Les intellectuels, c'est le tarte Ă la crĂšme » de ces messieurs. Du reste cela a fait faire un assez joli jeu de mots, mais trĂšs mĂ©chant. Et le duc cita tout bas pour la duchesse Ă©t M. d'Argencourt Mater Semita » qui en effet se disait dĂ©jĂ au Jockey, car de toutes les graines voyageuses, celle Ă qui sont attachĂ©es les ailes les plus solides qui lui permettent d'ĂȘtre dissĂ©minĂ©e Ă une plus grande distance de son lieu d'Ă©closion, c'est encore une plaisanterie. Nous pourrions demander des explications Ă monsieur, qui a l'air d'une Ă©rudit, dit-il en montrant l'historien. Mais il est prĂ©fĂ©rable de n'en pas parler, d'autant plus que le fait est parfaitement faux. Je ne suis pas si ambitieux que ma cousine Mirepoix qui prĂ©tend qu'elle peut suivre la filiation de sa maison avant JĂ©sus-Christ jusqu'Ă la tribu de LĂ©vi, et je me fais fort de dĂ©montrer qu'il n'y a jamais eu une goutte de sang juif dans notre famille. Mais enfin il ne faut tout de mĂȘme pas nous la faire Ă l'oseille, il est bien certain que les charmantes opinions de monsieur mon neveu peuvent faire assez de bruit dans Landerneau. D'autant plus que Fezensac est malade, ce sera Duras qui mĂšnera tout, et vous savez s'il aime Ă faire des embarras, dit le duc qui n'Ă©tait jamais arrivĂ© Ă con- naĂźtre le sens prĂ©cis de certains mots et qui croyait que faire des embarras voulait dire faire non pas de l'esbroufe, mais des complications. Bloch cherchait Ă pousser M. de Norpois sur le colonel Picquart. Il est hors de conteste, rĂ©pondit M. de Norpois, que sa dĂ©position Ă©tait nĂ©cessaire. Je sais qu'en soutenant cette opinion j'ai fait pousser Ă plus d'un de mes collĂšgues des cris d'orfraie, mais, Ă mon sens, le gouvernement avait le devoir de laisser parler le colonel. On ne sort pas d'une pareille impasse par une simple pirouette, ou alors on risque de tomber dans un bourbier. Pour l'officier lui-mĂȘme, cette dĂ©position produisit Ă la premiĂšre audience une impression des plus favorables. Quand on l'a vu, bien pris dans le joli uniforme des chasseurs, venir sur un ton parfaitement simple et franc raconter ce qu'il avait vu, ce qu'il avait cru, dire Sur mon honneur de soldat et ici la voix de M. de Norpois vibra d'un lĂ©ger tremolo patriotique telle est ma conviction », il n'y a pas Ă nier que l'impression a Ă©tĂ© profonde. VoilĂ , il est dreyfusard, il n'y a plus l'ombre d'un doute », pensa Bloch. Mais ce qui lui a aliĂ©nĂ© entiĂšrement les sympathies qu'il avait pu rallier d'abord, cela a Ă©tĂ© sa confrontation avec l'archiviste Gribelin, quand on entendit ce vieux serviteur, cet homme qui n'a qu'une parole et M. de Norpois accentua avec l'Ă©nergie des convictions sincĂšres les mots qui suivirent, quand on l'entendit, quand on le vit regarder dans les yeux son supĂ©rieur, ne pas craindre de lui tenir la dragĂ©e haute et lui dire d'un ton qui n'admettait pas de rĂ©plique Voyons, mon colonel, vous savez bien que je n'ai jamais menti, vous savez bien qu'en ce moment, comme toujours, je dis la vĂ©ritĂ© », le vent tourna, M. Picquart eut beau remuer ciel et terre dans les' audiences suivantes, il fit bel et bien fiasco. Non, dĂ©cidĂ©ment il est antidreyfusard, c'est couru, se dit Bloch. Mais s'il croit Picquart un traĂźtre qui ment, comment peut-il tenir compte de ses rĂ©vĂ©lations et les Ă©voquer comme s'il y trouvait du charme et les croyait sincĂšres ? Et si au contraire il voit en lui un juste qui dĂ©livre sa conscience, comment peut-il le supposer mentant dans sa confrontation avec Gribelin ? » En tout cas; si ce Dreyfus est innocent, interrompit la duchesse, il ne le prouve guĂšre. Quelles lettres idiotes, emphatiques, il Ă©crit de son Ăźle Je ne sais pas si M. Esterhazy vaut mieux que lui, mais il a un autre chic dans la façon de tourner les phrases, une autre couleur. Cela ne doit pas faire plaisir aux partisans de M. Dreyfus. Quel malheur pour eux qu'ils ne puissent pas changer d'innocent. Tout le monde Ă©clata de rire. Vous avez entendu le mot d'Oriane ? demanda vivement le duc de Guermantes Ă Mme de Villeparisis. Oui, je le trouve trĂšs drĂŽle. » Cela ne suffisait pas au duc Eh bien, moi, je ne le trouve pas drĂŽle; ou plutĂŽt cela m'est tout Ă fait Ă©gal qu'il soit drĂŽle ou non. Je ne fais aucun cas de l'esprit. » M. d.'Argencourt protestait. Il ne pense pas un mot de ce qu'il dit », murmura la duchesse. C'est sans doute parce que j'ai fait partie des Chambres oĂč j'ai entendu des discours brillants qui ne signifiaient rien. J'ai appris Ă y apprĂ©cier surtout la logique. C'est sans doute Ă cela que je dois de n'avoir pas Ă©tĂ© réélu; Les choses drĂŽles me sont indiffĂ©rentes. Basin, ne faites pas le Joseph Prudhomme, mon petit, vous savez bien que personne n'aime plus l'esprit que vous. Laissez-moi finir. C'est justement parce que je suis insensible Ă un certain genre. de facĂ©ties, que je prise souvent l'esprit de ma femme. CĂąr il part gĂ©nĂ©ralement d'une observation juste. Elle raisonne comme un homme, elle formule comme un Ă©crivain. » Peut-ĂȘtre la raison pour laquelle M. de Norpois parlait ainsi Ă Bloch comme s'ils eussent Ă©tĂ© d'accord venait-elle de ce qu'il Ă©tait tellement antidreyfusard que, trouvant que le gouvernement ne l'Ă©tait pas assez, il en Ă©tait l'ennemi tout autant qu'Ă©taient les dreyfusards. Peut-ĂȘtre parce que l'objet auquel il s'attachait en politique Ă©tait quelque chose de plus profond, situĂ© dans un autre plan, et d'oĂč le dreyfusisme apparaissait comme une modalitĂ© sans importance et qui ne mĂ©rite pas de retenir un patriote soucieux des grandes questions extĂ©rieures. Peut-ĂȘtre, plutĂŽt, parce que les maximes de sa sagesse politique ne s'appliquant qu'Ă des questions de forme, de procĂ©dĂ©, d'opportunitĂ©, elles Ă©taient aussi impuissantes Ă rĂ©soudre. les questions de fond qu'en philosophie la pure logique l'est Ă trancher les questions d'existence, ou que cette sagesse mĂȘme lui fĂźt trouver dangereux de traiter de ces sujets et que, par prudence, il ne voulĂ»t parler que de circonstances secondaires. Mais oĂč Bloch se trompait, c'est quand il croyait que M. de Norpois, mĂȘme moins prudent de caractĂšre et d'esprit moins exclusivement formel, eĂ»t pu, s'il l'avait voulu, lui dire la vĂ©ritĂ© sur le rĂŽle d'Henry, de Picquart, de du Paty de Clam, sur tous les points de l'affaire. La vĂ©ritĂ©, en effet, sur toutes ces choses, Bloch ne pouvait douter que M. de Norpois la connĂ»t. Comment l'aurait-il ignorĂ©e puisqu'il connaissait les ministres ? Certes, Bloch pensait que la vĂ©ritĂ© politique peut ĂȘtre approximativement reconstituĂ©e par les cerveaux les plus lucides, mais il s'imaginait, tout comme le gros du public, qu'elle habite toujours, indiscutable et matĂ©rielle, le dossier secret du prĂ©sident de la RĂ©publique et du prĂ©sident du Conseil, lesquels en donnent connaissance aux ministres.. Or, mĂȘme quand la vĂ©ritĂ© politique comporte des documents, il est rare que ceux-ci aient plus que la valeur d'un clichĂ© radioscopique oĂč le vulgaire croit, que la maladie du patient s'inscrit en toutes lettres, tandis qu'en fait, ce clichĂ© fournit un simple Ă©lĂ©ment d'apprĂ©ciation qui se joindra Ă beaucoup d'autres sur lesquels s'appliquera le raisonnement du mĂ©decin et d'oĂč il tirera son diagnostic. Aussi la vĂ©ritĂ© politique, quand on se rapproche des hommes renseignĂ©s et qu'on croit l'atteindre, se dĂ©robe. MĂȘme plus tard, et pour en rester Ă l'affaire Dreyfus, quand se produisit un fait aussi Ă©clatant que l'aveu d'Henry, suivi de son suicide, ce fait fut aussitĂŽt interprĂ©tĂ© de façon opposĂ©e par des ministres dreyfusards et par Cavaignac et Cuignet qui avaient eux-mĂȘmes fait la dĂ©couverte du faux et conduit l'interrogatoire; bien plus, parmi les ministres dreyfusards eux-mĂȘmes, et de mĂȘme nuance, jugeant non seulement sur les mĂȘmes piĂšces mais dans le mĂȘme esprit, le rĂŽle d'Henry fut expliquĂ© de façon entiĂšrement opposĂ©e, les uns voyant en lui un complice d'Esterhazy, les autres assignant au contraire ce rĂŽle Ă du Paty de Clam, se ralliant ainsi Ă une thĂšse de leur adversaire Cuignet et Ă©tant en complĂšte opposition avec leur partisan Reinach. Tout ce que Bloch put tirer de M. de Norpois c'est que, s'il Ă©tait vrai que le chef d'Ă©tat-major, M. de Boisdeffre, eĂ»t fait faire une communication secrĂšte Ă M. Rochefort, il y avait Ă©videmment lĂ quelque chose de singuliĂšrement regrettable. Tenez pour assurĂ© que le ministre de la Guerre a dĂ», in petto du moins, vouer son chef d'Ă©tat-major aux dieux infernaux. Un dĂ©saveu officiel n'eĂ»t pas Ă©tĂ© Ă mon sens une superfĂ©tation. Mais le ministre de la Guerre s'exprime fort crĂ»ment lĂ -dessus inter pocula. Il y a du reste. certains sujets sur lesquels il est fort imprudent de crĂ©er une agitation dont on ne peut ensuite rester maĂźtre. Mais ces piĂšces sont manifestement fausses, dit Bloch. M. de Norpois ne rĂ©pondit pas, mais dĂ©clara qu'il n'approuvait pas les manifestations du Prince Henri d'OrlĂ©ans D'ailleurs elles ne peuvent que troubler la sĂ©rĂ©nitĂ© du prĂ©toire et encourager des agitations qui dans un sens comme dans l'autre seraient Ă dĂ©plorer. Certes il faut mettre le holĂ aux menĂ©es antimilitaristes, mais nous n'avons non plus que faire d'un grabuge encouragĂ© par ceux des Ă©lĂ©ments de droite qui, au lieu de servir l'idĂ©e patriotique, songent Ă s'en servir. La France, Dieu merci, n'est pas une rĂ©publique sud-amĂ©ricaine et le besoin ne se fait pas sentir d'un gĂ©nĂ©ral de pronunciamento. Bloch ne put arriver Ă le faire parler de la question de la culpabilitĂ© de Dreyfus ni donner un pronostic sur le jugement qui interviendrait dans l'affaire civile actuellement en cours. En revanche M. de Norpois parut prendre plaisir Ă donner des dĂ©tails sur les suites de ce jugement. Si c'est une condamnation,'dit-il, elle sera probablement cassĂ©e, car il est rare que, dans un procĂšs oĂč les dĂ©positions de tĂ©moins sont aussi nombreuses, il n'y ait pas de vices de forme que les avocats puissent invoquer. Pour en finir sur l'algarade du prince Henri d'OrlĂ©ans, je doute fort qu'elle ait Ă©tĂ© du goĂ»t de son pĂšre. Vous croyez que Chartres est pour Dreyfus ? demanda la duchesse en souriant, les yeux ronds, les joues roses, le nez dans son assiette de petits fours, l'air scandalisĂ©. Nullement, je voulais seulement dire qu'il y a dans toute la famille, de ce cĂŽtĂ©-lĂ , un sens politique dont on a pu voir, chez l'admirable princesse ClĂ©mentine, le nec Plus ultra, et que son fils le prince Ferdinand a gardĂ©, comme un prĂ©cieux hĂ©ritage. Ce n'est pas le prince de Bulgarie qui eĂ»t serrĂ© le commandant Esterhazy dans ses bras. Il aurait prĂ©fĂ©rĂ© un simple soldat, murmura Mme de Guermantes, qui dĂźnait souvent avec le Bulgare chez le prince de Joinville et qui lui avait rĂ©pondu une fois, comme il lui demandait si elle n'Ă©tait pas jalouse Si, Monseigneur, de vos bracelets. » Vous n'allez pas ce soir au bal de Mme de Sagan? dit M. de Norpois Ă Mme de Villeparisis pour couper court Ă l'entretien avec Bloch. Celui-ci ne dĂ©plaisait pas Ă l'Ambassadeur qui nous dit plus tard, non sans naĂŻvetĂ© et sans doute Ă cause des quelques traces qui subsistaient dans le langage de Bloch de la mode nĂ©o-homĂ©rique qu'il avait pourtant abandonnĂ©e Il est assez amusant, avec sa maniĂšre de parler un peu vieux jeu, un peu solennelle. Pour un peu il dirait les Doctes SĆurs » comme Lamartine ou Jean-Baptiste Rousseau. C'est devenu assez rare dans la jeunesse actuelle et cela l'Ă©tait mĂȘme dans celle qui l'avait prĂ©cĂ©dĂ©e. Nous-mĂȘmes nous Ă©tions un peu romantiques. » Mais si singulier que lui parĂ»t l'interlocuteur, M. de Norpois trouvait que l'entretien n'avait que trop durĂ©. Non, monsieur, je ne vais plus au bal, rĂ©ponditelle avec un joli sourire de vieille femme. Vous y allez, vous autres ? C'est de votre Ăąge, ajouta-t-elle en englobant dans un mĂȘme regard M. de ChĂątellerault, son ami, et Bloch. Moi aussi j'ai Ă©tĂ© invitĂ©e, dit-elle en affectant par plaisanterie d'en tirer vanitĂ©. On est mĂȘme venu m'inviter. On c'Ă©tait la princesse de Sagan. Je n'ai pas de carte d'invitation, dit Bloch, pensant que Mme de Villeparisis allait lui en offrir une, et que Mme de Sagan serait heureuse de recevoir l'ami d'une femme qu'elle Ă©tait venue inviter en personne. La marquise ne rĂ©pondit rien, et Bloch n'insista pas, car il avait une affaire plus sĂ©rieuse Ă traiter avec elle et pour laquelle il venait de lui demander un rendez-vous pour le surlendemain. Ayant entendu les deux jeunes gens dire qu'ils avaient donnĂ© leur dĂ©mission du cercle de la rue Royale oĂč on entrait comme dans un moulin, il voulait demander Ă Mme de Villeparisis de l'y faire recevoir. 6 Vol. II. Est-ce que ce n'est pas assez faux chic, assez snob Ă cĂŽtĂ©, ces Sagan ? dit-il d'un air sarcastique. Mais pas du tout, c'est ce que nous faisons de mieux dans le genre, rĂ©pondit M. d'Argencourt qui avait adoptĂ© toutes les plaisanteries parisiennes. Alors, dit Bloch Ă demi ironiquement, c'est ce qu'on appelle une des solennitĂ©s, des grandes assises mondaines de la saison Mme de Villeparisis dit gaiement Ă Mme de Guermantes Voyons, est-ce une grande solennitĂ© mondaine, le bal de Mme de Sagan ? Ce n'est pas Ă moi qu'il faut demander cela, lui rĂ©pondit ironiquement la duchesse, je ne suis pas encore arrivĂ©e Ă savoir ce que c'Ă©tait qu'une solennitĂ© mondaine. Du reste, les choses mondaines ne sont pas mon fort. Ah je croyais le contraire, dit Bloch qui se figurait que Mme de Guermantes avait parlĂ© sincĂšrement. Il continua, au grand dĂ©sespoir de M. de Norpois, Ă lui poser nombre de questions sur les officiers dont le nom revenait le plus souvent Ă propos de l'affaire Dreyfus; celui-ci dĂ©clara qu'Ă vue de nez » le colonel du Paty de Clam lui faisait l'effet d'un cerveau un peu fumeux et qui n'avait peut-ĂȘtre pas Ă©tĂ© trĂšs heureusement choisi pour conduire cette chose dĂ©licate, qui exige tant de sang-froid et de discernement, une instruction. Je sais que le parti socialiste rĂ©clame sa tĂȘte Ă cor et Ă cri, ainsi que l'Ă©largissement immĂ©diat du prisonnier de l'Ăźle du Diable. Mais je pense que nous n'en sommes pas encore rĂ©duits Ă passer ainsi sous les fourches caudines de MM. GĂ©rault-Richard et consorts. Cette affaire-lĂ , jusqu'ici, c'est la bouteille Ă l'encre. Je ne dis pas que d'un cĂŽtĂ© comme de l'autre il n'y ait Ă cacher d'assez vilaines turpitudes. Que mĂȘme certains protecteurs plus ou moins dĂ©sintĂ©ressĂ©s s de votre client puissent avoir de bonnes intentions, je ne prĂ©tends pas le contraire, mais vous savez que l'enfer en est pavĂ©, ajouta-t-il avec un regard fin. Il est essentiel que le gouvernement donne l'impression qu'il n'est pas aux mains des factions de gauche et qu'il n'a pas Ă se rendre pieds et poings liĂ©s aux sommations de je ne sais quelle armĂ©e prĂ©torienne qui, croyez-moi, n'est pas l'armĂ©e. Il va de soi que si un fait nouveau se produisait, une procĂ©dure de rĂ©vision serait entamĂ©e. La consĂ©quence saute aux yeux. RĂ©clamer cela, c'est enfoncer une porte ouverte. Ce jour-lĂ le gouvernement saura parler haut et clair ou il laisserait tomber en quenouille ce qui est sa prĂ©rogative essentielle. Les coqs-Ă -l'Ăąne ne suffiront plus. Il faudra donner des juges Ă Dreyfus. Et ce sera chose facile car, quoique l'on ait pris l'habitude dans notre douce France, oĂč l'on aime Ă se calomnier soi-mĂȘme, de croire ou de laisser croire que pour faire entendre les mots de vĂ©ritĂ© et de justice il est indispensable de traverser la Manche, ce qui n'est bien souvent qu'un moyen dĂ©tournĂ© de rejoindre la SprĂ©e, il n'y Ă pas de juges qu'Ă Berlin. Mais une fois l'action gouvernementale mise en mouvement, le gouvernement saurez-vous l'Ă©couter ? Quand il vous conviera Ă remplir votre devoir civique, saurez-vous l'Ă©couter, vous rangerez-vous autour de lui ? Ă son patriotique appel saurez-vous ne pas rester sourds et rĂ©pondre PrĂ©sent » ? M. de Norpois posait ces questions Ă Bloch avec une vĂ©hĂ©mence qui, tout en intimidant mon camarade, le flattait aussi; car l'Ambassadeur avait l'air de s'adresser en lui Ă tout un parti, d'interroger Bloch comme s'il avait reçu les confidences de ce parti et pouvait assumer la responsabilitĂ© des dĂ©cisions qui seraient prises. Si vous ne dĂ©sarmiez pas, continua M. de Norpois sans attendre la rĂ©ponse collective de Bloch, si, avant mĂȘme que fĂ»t .sĂ©chĂ©e l'encre du dĂ©cret qui instituerait la procĂ©dure de rĂ©vision, obĂ©issant Ă je ne sais quel insidieux mot d'ordre vous ne dĂ©sarmiez pas, mais vous confiniez dans une opposition stĂ©rile qui semble pour certains l'ultima ratio de la politique, si vous vous retiriez sous votre tente et brĂ»liez vos vaisseaux, ce serait Ă votre grand dam. Ătes-vous prisonniers des fauteurs de dĂ©sordre ? Leur avez-vous donnĂ© des gages ? » Bloch Ă©tait embarrassĂ© pour rĂ©pondre. M. de Norpois ne lui en laissa pas le temps. Si la nĂ©gative est vraie, comme je veux le croire, et si vous avez un peu de ce qui me semble malheureusement manquer Ă certains de vos chefs et de vos amis, quelque esprit politique, le jour mĂȘme oĂč la Chambre criminelle sera saisie, si vous ne vous laissez pas embrigader par les pĂȘcheurs en eau trouble, vous aurez ville gagnĂ©e. Je ne rĂ©ponds pas que tout l'Ă©tat-major puisse tirer son Ă©pingle du jeu, mais c'est dĂ©jĂ bien beau si une partie tout au moins peut sauver la face sans mettre le feu aux poudres et amener du grabuge. Il va de soi d'ailleurs que c'est au gouvernement qu'il appartient de dire le droit et de clore la liste trop longue des crimes impunis, non, certes, en obĂ©issant aux excitations socialistes ni de je ne sais quelle soldatesque, ajouta-t-il, en regardant Bloch dans les yeux et peut-ĂȘtre avec l'instinct qu'ont tous les conservateurs de se mĂ©nager des appuis dans le camp adverse. L'action gouvernementale doit s'exercer sans souci des surenchĂšres, d'oĂč qu'elles viennent. Le gouvernement n'est, Dieu merci, aux ordres ni du colonel Driant, ni, Ă l'autre pĂŽle, de M. Clemenceau. Il faut mater les agitateurs de profession et les empĂȘcher de relever la tĂȘte. La France dans son immense majoritĂ© dĂ©sire le travail, dans l'ordre LĂ -dessus ma religion est faite. Mais il ne faut pas craindre d'Ă©clairer l'opinion; et si quelques moutons, de ceux qu'a si bien connus notre Rabelais, se jetaient Ă l'eau tĂȘte baissĂ©e, il conviendrait de leur montrer que cette eau est trouble, qu'elle a Ă©tĂ© troublĂ©e Ă dessein par une engeance qui n'est pas de chez nous, pour en dissimuler les dessous dangereux. Et il ne doit pas se donner l'air de sortir de sa passivitĂ© Ă son corps dĂ©fendant quand il exercera le droit qui est essentiellement le sien, j'entends de mettre en mouvement Dame Justice. Le gouvernement acceptera toutes vos suggestions. S'il est avĂ©rĂ© qu'il y ait eu erreur judiciaire, il sera assurĂ© d'une majoritĂ© Ă©crasante qui lui permettrait de se donner du champ. Vous, monsieur, dit Bloch, en se tournant vers M. d'Argencourt Ă qui on l'avait nommĂ© en mĂȘme temps que les autres personnes, vous ĂȘtes certainement dreyfusard Ă l'Ă©tranger tout le monde l'est. C'est une affaire qui ne regarde que les Français entre eux, n'est-ce pas ? rĂ©pondit M. d'Argencourt avec cette insolence particuliĂšre qui consiste Ă prĂȘter Ă l'interlocuteur une opinion qu'on sait manifestement qu'il ne partage pas, puisqu'il vient d'en Ă©mettre une opposĂ©e. Bloch rougit; M. d'Argencourt sourit, en regardant autour de lui, et si ce sourire, pendant qu'il l'adressa aux autres visiteurs, fut malveillant pour Bloch, il se tempĂ©ra de cordialitĂ© en l'arrĂȘtant finalement sur mon ami afin d'ĂŽter Ă celui-ci le prĂ©texte de se fĂącher des mots qu'il venait d'entendre et qui n'en restaient pas moins cruels. Mme de Guermantes dit Ă l'oreille de M. d'Argencourt quelque chose que je n'entendis pas mais qui devait avoir trait Ă la religion de Bloch, car il passa Ă ce moment dans la figure de la duchesse cette expression Ă laquelle la peur qu'on a d'ĂȘtre remarquĂ© par la personne dont on parle donne quelque chose d'hĂ©sitant et de faux et oĂč se mĂȘle la gaĂźtĂ© curieuse et malveillante qu'inspire un groupement humain auquel nous nous sentons radicalement Ă©tran- gers. Pour se rattraper Bloch se tourna vers le duc de ChĂątellerault Vous, monsieur, qui ĂȘtes français, vous savez certainement qu'on est dreyfusard Ă l'Ă©tranger, quoiqu'on prĂ©tende qu'en France on ne sait jamais ce qui se passe Ă l'Ă©tranger. Du reste je sais qu'on peut causer avec vous, Saint-Loup me l'a dit. » Mais le jeune duc, qui sentait que tout le monde se mettait contre Bloch et qui Ă©tait lĂąche comme on l'est souvent dans le monde, usant d'ailleurs d'un esprit prĂ©cieux et mordant que, par atavisme, il semblait tenir de M. de Charlus Excusez-moi, Monsieur, de ne pas discuter de Dreyfus avec vous, mais c'est une affaire dont j'ai pour principe de ne parler qu'entre JaphĂ©tiques. » Tout le monde sourit, exceptĂ© Bloch, non qu'il n'eĂ»t l'habitude de prononcer des phrases ironiques sur ses origines juives, sur son cĂŽtĂ© qui tenait un peu au SinaĂŻ. Mais au lieu d'une de ces phrases, lesquelles sans doute n'Ă©taient pas prĂȘtes, le dĂ©clic de la machine intĂ©rieure en fit monter une autre Ă la bouche de Bloch. Et on ne put recueillir que ceci Mais comment avez-vous pu savoir ? Qui vous a dit ? » comme s'il avait Ă©tĂ© le fils d'un forçat. D'autre part, Ă©tant donnĂ© son nom qui ne passe pas prĂ©cisĂ©ment pour chrĂ©tien, et son visage, son Ă©tonnement montrait quelque naĂŻvetĂ©. Ce que lui avait dit M. de Norpois ne l'ayant pas complĂštement satisfait, il s'approcha de l'archiviste et lui demanda si on ne voyait pas quelquefois. chez Mme de Villeparisis M. du Paty de Clam ou M. Joseph Reinach. L'archiviste ne rĂ©pondit rien; il Ă©tait nationaliste et ne cessait de prĂȘcher Ă la marquise qu'il y aurait bientĂŽt une guerre sociale et qu'elle devrait ĂȘtre plus prudente dans le choix de ses relations. Il se demanda si Bloch n'Ă©tait pas un Ă©missaire secret du syndicat venu pour le renseigner et alla immĂ©diatement rĂ©pĂ©ter Ă Mme de Villeparisis ces questions que Bloch venait de lui poser. Elle jugea qu'il Ă©tait au moins mal Ă©levĂ©, peut-ĂȘtre dangereux pour la situation de M. de Norpois. Enfin elle voulait donner satisfaction Ă l'archiviste, la seule personne qui lui inspirĂąt quelque crainte et par lequel elle Ă©tait endoctrinĂ©e, sans grand succĂšs chaque matin il lui lisait l'article de M. Judet dans le Petit Journal. Elle voulut donc signifier Ă Bloch qu'il eĂ»t Ă ne pas revenir et elle trouva tout naturellement dans son rĂ©pertoire mondain la scĂšne par laquelle une grande dame met quelqu'un Ă la porte de chez elle, scĂšne qui ne comporte nullement le doigt levĂ© et les yeux flambants que l'on se figure. Comme Bloch s'approchait d'elle pour lui dire au revoir, enfoncĂ©e dans son grand fauteuil, elle parut Ă demi tirĂ©e d'une vague somno-' lence. Ses regards noyĂ©s n'eurent que la lueur faible et charmante d'une perle.. Les adieux de Bloch, dĂ©plissant .Ă peine dans la figure de la marquise un languissant sourire, ne lui arrachĂšrent pas une parole, et elle ne lui tendit pas la main. Cette scĂšne mit Bloch au comble de l'Ă©tonnement, mais comme un cercle de personnes en Ă©tait tĂ©moin alentour, il ne pensa pas qu'elle pĂ»t se prolonger sans inconvĂ©nient pour lui et, pour forcer la marquise, la main qu'on ne venait pas lui prendre, de lui-mĂȘme il la tendit. Mme de Villeparisis fut choquĂ©e. Mais sans doute, tout en tenant Ă donner une satisfaction immĂ©diate Ă l'archiviste et au clan antidreyfusard, voulait-elle pourtant mĂ©nager l'avenir, elle se contenta d'abaisser les paupiĂšres et de fermer Ă demi les yeux. Je crois qu'elle dort, dit Bloch Ă l'archiviste qui, se sentant soutenu par la marquise, prit un air indignĂ©. Adieu, madame, cria-t-il. La marquise fit le lĂ©ger mouvement de lĂšvres d'une mourante qui voudrait ouvrir la bouche, mais dont le regard ne reconnaĂźt plus. Puis elle se tourna, dĂ©bordante d'une vie retrouvĂ©e, vers le marquis d'Argencourt tandis que Bloch s'Ă©loignait persuadĂ© qu'elle Ă©tait ramollie ». Plein de curiositĂ© et du dessein d'Ă©clairer un incident si Ă©trange, il revint la voir quelques jours aprĂšs. Elle le reçut trĂšs bien parce qu'elle Ă©tait bonne femme, que l'archiviste n'Ă©tait pas lĂ , qu'elle tenait Ă la saynĂšte que Bloch devait faire jouer chez elle, et qu'enfin elle avait fait le jeu de grande dame qu'elle dĂ©sirait, lequel fut universellement admirĂ© et commentĂ© le soir mĂȘme dans divers salons, mais d'aprĂšs une version qui n'avait dĂ©jĂ plus aucun rapport avec la vĂ©ritĂ©. Vous parliez des Sept Princesses, duchesse, vous savez je n'en suis pas plus fier pour ça que l'auteur de ce. comment dirai-je, de ce factum, est un de mes compatriotes, dit M. d'Argencourt avec une ironie mĂȘlĂ©e de la satisfaction de connaĂźtre mieux que les autres l'auteur d'une Ćuvre dont on venait de parler. Oui, il est belge de son Ă©tat, ajouta-t-il. Vraiment ? Non, nous ne vous accusons pas d'ĂȘtre pour quoi que ce soit dans les Sept Princesses. Heureusement pour vous et pour vos compatriotes, vous ne ressemblez pas Ă l'auteur de cette ineptie. Je connais des Belges trĂšs aimables, vous, votre Roi qui est un peu timide mais plein d'esprit, mes cousins Ligne et bien d'autres, mais heureusement vous ne parlez pas le mĂȘme langage que l'auteur des Sept Princesses. Du reste, si vous voulez que je vous dise, c'est trop d'en .parler parce que surtout ce n'est rien. Ce sont des gens qui cherchent Ă avoir l'air obscur et au besoin qui s'arrangent d'ĂȘtre ridicules pour cacher qu'ils n'ont pas d'idĂ©es. S'il y avait quelque chose dessous, je vous dirais que je ne crains pas certaines audaces, ajouta-t-elle d'un ton sĂ©rieux, du moment qu'il y a de la pensĂ©e. Je ne sais pas si vous avez vu la piĂšce de Borelli. Il y a des gens que cela a choquĂ©s; moi, quand je devrais me faire lapider, ajouta-t-elle sans se rendre compte qu'elle ne courait pas de grands risques, j'avoue que j'ai trouvĂ© cela infiniment curieux. Mais les Sept Princesses L'une d'elle a beau avoir des bontĂ©s pour son neveu, je ne peux pas pousser les sentiments de famille. La duchesse s'arrĂȘta net, car une dame entrait qui Ă©tait la vicomtesse de Marsantes, lĂ mĂšre de Robert. Mme de Marsantes Ă©tait considĂ©rĂ©e dans le faubourg Saint-Germain comme un ĂȘtre supĂ©rieur, d'une bontĂ©, d'une rĂ©signation angĂ©liques. On me l'avait dit et je n'avais pas de raison particuliĂšre pour en ĂȘtre surpris, ne sachant pas Ă ce moment-lĂ qu'elle Ă©tait la propre sĆur du duc dĂ© Guermantes. Plus tard j'ai toujours Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© chaque fois que j'appris, dans cette sociĂ©tĂ©, que des femmes mĂ©lancoliques, pures, sacrifiĂ©es, vĂ©nĂ©rĂ©es comme d'idĂ©ales saintes de vitrail, avaient fleuri sur la mĂȘme souche gĂ©nĂ©alogique que des frĂšres brutaux, dĂ©bauchĂ©s et vils. Des frĂšres et sĆurs, quand ils sont tout Ă fait pareils du visage comme Ă©taient le duc de Guermantes et Mme de Marsantes, me semblaient devoir avoir en commun une seule intelligence, un mĂȘme cĆur, comme aurait une personne qui peut avoir de bons ou de mauvais moments mais dont on ne peut attendre tout de mĂȘme de vastes vues si elle est d'esprit bornĂ©, et une abnĂ©gation sublime si elle est de cĆur dur. Mme de Marsantes suivait les cours de BrunetiĂšre. Elle enthousiasmait le faubourg Saint-Germain et, par sa vie de sainte, l'Ă©difiait aussi. Mais la connexitĂ© morphologique du joli nez et du regard pĂ©nĂ©trant incitait pourtant Ă classer Mme de Marsantes dans la mĂȘme famille intellectuelle et morale que son frĂšre le duc. Je ne pouvais croire que le seul fait d'ĂȘtre une femme, et peut-ĂȘtre d'avoir Ă©tĂ© malheureuse et d'avoir l'opinion de tous pour soi, pouvait faire qu'on fĂ»t aussi diffĂ©rent des siens, comme dans les chansons de geste oĂč toutes les vertus et les grĂąces sont rĂ©unies en la sĆur de frĂšres farouches. Il me semblait que la nature, moins libre que les vieux poĂštes, devait se servir Ă peu prĂšs exclusivement des Ă©lĂ©ments communs Ă la famille et je ne pouvais lui attribuer tel pouvoir d'innovation qu'elle fĂźt, avec des matĂ©riaux analogues Ă ceux qui composaient un sot et un rustre, un grand esprit sans aucune tare de sottise, une sainte sans aucune souillure de brutalitĂ©. Mme de Marsantes avait une robe de surah blanc Ă grandes palmes, sur lesquelles se dĂ©tachaient des fleurs en Ă©toffe lesquelles Ă©taient noires. C'est qu'elle avait perdu, il y a trois semaines, son cousin M. de Montmorency, ce qui ne l'empĂȘchait pas de faire des visites, d'aller Ă de petits dĂźners, mais en deuil. C'Ă©tait une grande dame. Par atavisme son Ăąme Ă©tait remplie par la frivolitĂ© des existences de cour, avec tout ce qu'elles ont de superficiel et de rigoureux. Mme de Marsantes n'avait pas eu la force de regretter longtemps son pĂšre et sa mĂšre, mais pour rien au monde elle n'eĂ»t portĂ© de couleurs dans le mois qui suivait la mort d'un cousin. Elle fut plus qu'aimable avec moi parce que j'Ă©tais l'ami de Robert et parce que je n'Ă©tais pas du mĂȘme monde que Robert. Cette bontĂ© s'accompagnait d'une feinte timiditĂ©, de l'espĂšce de mouvement de retrait intermittent de la voix, du regard, de la pensĂ©e qu'on ramĂšne Ă soi comme une jupe indiscrĂšte, pour ne pas prendre trop de place, pour rester bien droite, mĂȘme dans la souplesse, comme le veut la bonne Ă©ducation. Bonne Ă©ducation qu'il ne faut pas prendre trop au pied de la lettre d'ailleurs, plusieurs de ces dames versant trĂšs vite dans le dĂ©vergondage des mĆurs sans perdre jamais la correction presque enfantine des maniĂšres. Mme de Marsantes agaçait un peu dans la conversation parce que, chaque fois qu'il s'agissait d'un roturier, par exemple de Bergotte, d'Elstir, elle disait en dĂ©tachant le mot, en le faisant valoir, et en le psalmodiant sur deux tons diffĂ©rents en une modulation qui Ă©tait particuliĂšre aux Guermantes J'ai eu l'honneur, le grand hon-neur de rencontrer Monsieur Bergotte, de faire la connaissance de Monsieur Elstir », soit pour faire admirer son humilitĂ©, soit par le mĂȘme goĂ»t qu'avait M. de Guermantes de revenir aux formes dĂ©suĂštes pour protester contre les usages de mauvaise Ă©ducation actuelle oĂč on ne se dit pas assez honoré». Quelle que fĂ»t celle de ces deux raisons qui fĂ»t la vraie, de toutes façons on sentait que, quand Mme de Marsantes disait J'ai eu l'honneur, le grand hon-neur », elle croyait remplir un grand rĂŽle, et montrer qu'elle savait accueillir les noms des hommes de valeur comme elle les eĂ»t reçus eux-mĂȘmes dans son chĂąteau, s'ils s'Ă©taient trouvĂ©s dans le voisinage. D'autre part, comme sa famille Ă©tait nombreuse, qu'elle l'aimait beaucoup, que, lente de dĂ©bit et amie des explications, elle voulait faire comprendre les parentĂ©s, elle se trouvait sans aucun dĂ©sir d'Ă©tonner et tout en n'aimant sincĂšrement parler que de paysans touchants et de gardes-chasse sublimes citer Ă tout instant toutes les familles mĂ©diatisĂ©es d'Europe, ce que les personnes moins brillantes ne lui pardonnaient pas et, si elles Ă©taient un peu intellectuelles, raillaient comme de la stupiditĂ©. A la campagne, Mme de Marsantes Ă©tait adorĂ©e pour le bien qu'elle faisait, mais surtout parce que la puretĂ© d'un sang oĂč depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations on ne rencontrait que ce qu'il y a de plus grand dans l'histoire de France avait ĂŽtĂ© Ă sa maniĂšre d'ĂȘtre tout ce que les gens du peuple appellent des maniĂšres » et lui avait donnĂ© la parfaite simplicitĂ©. Elle ne craignait pas d'embrasser une pauvre femme qui Ă©tait malheureuse et lui disait d'aller chercher un char de bois au chĂąteau. C'Ă©tait, disait-on, la parfaite chrĂ©tienne. Elle tenait Ă faire faire un mariage colossalement riche Ă Robert. Ătre grande dame, c'est jouer Ă la grande dame, c'est-Ă -dire, pour une part, jouer la simplicitĂ©. C'est un jeu qui coĂ»te extrĂȘmement cher d'autant plus que la simplicitĂ© ne ravit qu'Ă la condition que les autres sachent que vous pourriez ne pas ĂȘtre simples, c'est-Ă -dire que vous ĂȘtes trĂšs riches. On me dit plus tard, quand je racontai que je l'avais vue Vous avez dĂ» vous rendre compte qu'elle a Ă©tĂ© ravissante. » Mais la vraie beautĂ© est si particuliĂšre, si nouvelle, qu'on ne la reconnaĂźt pas pour la beautĂ©. Je me dis seulement ce jour-lĂ qu'elle avait un nez tout petit, des yeux trĂšs bleus, le cou long et l'air triste. Ăcoute, dit Mme de Villeparisis Ă la duchesse de Guermantes, je crois que j'aurai tout Ă l'heure la visite d'une femme que tu ne veux pas connaĂźtre, j'aime mieux te prĂ©venir pour que cela ne t'ennuie pas. D'ailleurs, tu peux ĂȘtre tranquille, je ne l'aurai jamais chez moi plus tard, mais elle doit venir pour une seule fois aujourd'hui. C'est la femme de Swann. Mme Swann, voyant les proportions que prenait l'affaire Dreyfus et craignant que les origines de son mari ne se tournassent contre elle, l'avait suppliĂ© de ne plus jamais parler de l'innocence du condamnĂ©. Quand il n'Ă©tait pas lĂ , elle allait plus loin et faisait profession du nationalisme le plus ardent; elle ne faisait que suivre en cela d'ailleurs Mme Verdurin chez qui un antisĂ©mitisme bourgeois et latent s'Ă©tait rĂ©veillĂ© et avait atteint une vĂ©ritable exaspĂ©ration. Mme Swann avait gagnĂ© Ă cette attitude d'entrer dans quelques-unes des ligues de femmes du monde antisĂ©mite qui commençaient Ă se former et avait nouĂ© des relations avec plusieurs personnes de l'aristocratie. Il peut paraĂźtre Ă©trange que, loin de les imiter, la duchesse de Guermantes, si amie de Swann, eĂ»t, au contraire, toujours rĂ©sistĂ© au dĂ©sir qu'il ne lui avait pas cachĂ© de lui prĂ©senter sa femme. Mais on verra plus tard que c'Ă©tait un effet du caractĂšre particulier de la duchesse qui jugeait qu'elle n'avait pas » Ă faire telle ou telle chose, et imposait avec despotisme ce qu'avait dĂ©cidĂ© son libre arbitre » mondain, fort arbitraire. Je vous remercie de me prĂ©venir, rĂ©pondit la duchesse. Cela me serait en effet trĂšs dĂ©sagrĂ©able. Mais comme je la connais de vue je me lĂšverai Ă temps. Je t'assure, Oriane, elle est trĂšs agrĂ©able, c'est une excellente femme, dit Mme de Marsantes. Je n'en doute pas, mais je n'Ă©prouve aucun besoin de m'en assurer par moi-mĂȘme. Est-ce que tu es invitĂ©e chez Lady IsraĂ«l ? demanda Mme de Villeparisis Ă la duchesse, pour changer la conversation. Mais, Dieu merci, je ne la connais pas, rĂ©pondit Mme de Guermantes. C'est Ă Marie-Aynard qu'il faut demander cela. Elle la connaĂźt et je me suis toujours demandĂ© pourquoi. Je l'ai en effet connue, rĂ©pondit Mme de Marsantes, je confesse mes erreurs. Mais je suis dĂ©cidĂ©e Ă ne plus la connaĂźtre. Il paraĂźt que c'est une des pires et qu'elle ne s'en cache pas. Du reste, nous avons tous Ă©tĂ© trop confiants, trop hospitaliers. Je ne frĂ©quenterai plus personne de cette nation. Pendant qu'on avait de vieux cousins de province du mĂȘme sang, Ă qui on fermait sa, porte, on l'ouvrait aux Juifs. Nous voyons maintenant leur remerciement. HĂ©las je n'ai rien. Ă dire, j'ai un fils adorable et qui dĂ©bite, en jeune fou qu'il est, toutes les insanitĂ©s possibles, ajouta-t-elle en entendant que M. d'Argencourt avait fait allusion Ă Robert. Mais, Ă propos de Robert, est-ce que vous ne l'avez pas vu ? demandat-elle Ă Mme de Villeparisis; comme c'est samedi, je pensais' qu'il aurait pu passer vingt-quatre heures Ă Paris, et dans ce cas il serait sĂ»rement venu vous voir. En rĂ©alitĂ© Mme de Marsantes pensait que son fils n'aurait pas de permission; mais comme, en tout cas, elle savait que s'il en avait eu une il ne serait pas venu chez Mme de Villeparisis, elle espĂ©rait, en ayant l'air de croire qu'elle l'eĂ»t trouvĂ© ici, lui faire pardonner, par sa tante susceptible, toutes les visites qu'il ne lui avait pas faites. Robert ici Mais je n'ai pas mĂȘme eu un mot de lui; je crois que je ne l'ai pas vu depuis Balbec. Il est si occupĂ©, il a tant Ă faire, dit Mme de Marsantes. Un imperceptible sourire fit onduler les cils de Mme de Guermantes qui regarda le cercle qu'avec la pointe de son ombrelle elle traçait sur le tapis. Chaque fois que le duc avait dĂ©laissĂ© trop ouvertement sa femme, Mme de Marsantes avait pris avec Ă©clat contre son propre frĂšre le parti de sa belle-sĆur. Celle-ci gardait de cette protection un souvenir reconnaissant et rancunier, et elle n'Ă©tait qu'Ă demi fĂąchĂ©e des fredaines de Robert. A ce moment, la porte s'Ă©tant ouverte de nouveau, celui-ci entra. Tiens, quand on parle du Saint-Loup. dit Mme de Guermantes. Mme de Marsantes, qui tournait le dos Ă la porte, n'avait pas vu entrer son fils. Quand elle l'aperçut, en cette mĂšre la joie battit vĂ©ritablement comme un coup d'aile, le corps de Mme de Marsantes se souleva Ă demi, son visage palpita et elle attachait sur Robert des yeux Ă©merveillĂ©s Comment, tu es venu quel bonheur quelle surprise 1 Ah quand on parle du Saint-Loup. je comprends, dit le diplomate belge riant aux Ă©clats. C'est dĂ©licieux, rĂ©pliqua sĂšchement Mme de Guermantes qui dĂ©testait les calembours et n'avait hasardĂ© celui-lĂ qu'en ayant l'air de se moquer d'ellemĂȘme. Bonjour, Robert, dit-elle; eh bien voilĂ comme on oublie sa tante. Ils causĂšrent un instant ensemble et sans doute de moi, car tandis que Saint-Loup se rapprochait de sa mĂšre, Mme de Guermantes se tourna vers moi. Bonjour, comme allez-vous ? me dit-elle. Elle laissa pleuvoir sur moi la lumiĂšre de son regard bleu, hĂ©sita un instant, dĂ©plia et tendit la tige de son bras, pencha en avant son corps, qui se redressa rapidement en arriĂšre comme un arbuste qu'on a couchĂ© et qui, laissĂ© libre, revient Ă sa position naturelle. Ainsi agissait-elle sous le feu des regards de Saint-Loup qui l'observait et faisait Ă distance des efforts dĂ©sespĂ©rĂ©s pour obtenir un peu plus encore de sa tante. Craignant que la conversation ne tombĂąt, il vint l'alimenter et rĂ©pondit pour moi Il ne va pas trĂšs bien, il est un peu fatiguĂ©; du reste, il irait peut-ĂȘtre .mieux s'il te voyait plus souvent, car je ne te cache pas qu'il aime beaucoup te voir. Ah mais, c'est trĂšs aimable, dit Mme de Guermantes d'un ton volontairement banal, comme si je lui eusse apportĂ© son manteau. Je suis trĂšs nattĂ©e. Tiens, je vais un peu prĂšs de ma mĂšre, je te donne ma chaise, me dit Saint-Loup en me forçant ainsi Ă m'asseoir Ă cĂŽtĂ© de sa tante. Nous nous tĂ»mes tous deux. Je vous aperçois quelquefois le matin, me ditelle comme si ce fĂ»t une nouvelle qu'elle m'eĂ»t apprise, et comme si moi je ne la voyais pas. Ăa fait beaucoup de bien Ă la santĂ©. Oriane, dit Ă mi-voix Mme de Marsantes, vous disiez que vous alliez voir Mme de Saint-FerrĂ©ol, est-ce que vous auriez Ă©tĂ© assez gentille pour lui dire qu'elle ne m'attende pas Ă dĂźner ? Je resterai chez moi puisque j'ai Robert. Si' mĂȘme j'avais osĂ© vous demander de dire en passant qu'on achĂšte tout de suite de ces cigares que Robert aime, ça s'appelle des Corona », il n'y en a plus. Robert se rapprocha il avait seulement entendu le nom de Mme de Saint-FerrĂ©ol. Qu'est-ce que c'est encore que ça, Mme de SaintFerrĂ©ol ? demanda-t-il sur un ton d'Ă©tonnement et de dĂ©cision, car il affectait d'ignorer tout ce qui concernait le monde. Mais voyons, mon chĂ©ri, tu sais bien, dit sa mĂšre, c'est la sĆur de Vermandois; c'est elle qui t'avait donnĂ© ce beau jeu de billard que tu aimais tant. Comment, c'est la sĆur de Vermandois, je n'en avais pas la moindre idĂ©e. Ah ma famille est Ă©patante, dit-il en se tournant Ă demi vers moi et en prenant sans s'en rendre compte les intonations de Bloch comme il empruntait ses idĂ©es, elle connaĂźt des gens inouĂŻs, des gens qui s'appellent plus ou moins SaintFerrĂ©ol et dĂ©tachant la derniĂšre consonne de chaque mot, elle va au bal, elle se promĂšne en victoria, elle mĂšne une existence fabuleuse. C'est prodigieux. Mme de Guermantes fit avec la gorge ce bruit lĂ©ger, bref et fort comme d'un sourire forcĂ© qu'on ravale, et qui Ă©tait destinĂ© Ă montrer qu'elle prenait part, dans la mesure oĂč la parentĂ© l'y obligeait, Ă l'esprit de son neveu. On vint annoncer que le prince de Faffenheim-Munsterburg-Weinigen faisait dire Ă M. de Norpois qu'il Ă©tait lĂ . Allez le chercher, monsieur, dit Mme de Villeparisis Ă l'ancien ambassadeur qui se porta au-devant du premier ministre allemand. Mais la marquise le rappela Attendez, monsieur; faudra-t-il que je lui montre la miniature de l'ImpĂ©ratrice Charlotte ? ? Ah je crois qu'il sera ravi, dit l'Ambassadeur d'un ton pĂ©nĂ©trĂ© et comme s'il enviait ce fortunĂ© ministre de la faveur qui l'attendait. Ah je sais qu'il est trĂšs bien pensant, dit Mme de Marsantes, et c'est si rare parmi les Ă©trangers. Mais je suis renseignĂ©e. C'est l'antisĂ©mitisme en personne. Le nom du prince gardait, dans la franchise avec. laquelle ses premiĂšres syllabes Ă©taient comme on dit en musique attaquĂ©es, et dans la bĂ©gayante rĂ©pĂ©tition qui les scandait, l'Ă©lan, la naĂŻvetĂ© maniĂ©rĂ©e, les lourdes dĂ©licatesses » germaniques projetĂ©es comme des branchages verdĂątres sur le Heim » d'Ă©mail bleu sombre qui dĂ©ployait la mysticitĂ© d'un vitrail rhĂ©nan, derriĂšre les dorures pĂąles et finement ciselĂ©es du XVIIIe siĂšcle allemand. Ce nom contenait, parmi les noms divers dont il Ă©tait formĂ©, celui d'une petite ville d'eaux allemande, oĂč tout enfant j'avais Ă©tĂ© avec ma grand'mĂšre, au pied d'une montagne honorĂ©e par les promenades de GĆthe, et des vignobles de laquelle nous buvions au Kurhof les crus illustres Ă l'appellation composĂ©e et retentissante comme les Ă©pithĂštes qu'HomĂšre donne Ă ses hĂ©ros. Aussi Ă peine eus-je entendu prononcer le nom du prince, qu'avant de m'ĂȘtre rappelĂ© la station thermale il me parut diminuer, s'imprĂ©gner d'humanitĂ©, trouver assez grande pour lui une petite place dans ma mĂ©moire, Ă laquelle il adhĂ©ra, familier, terre Ă terre, pittoresque, savoureux, lĂ©ger, avec quelque chose d'autorisĂ©, de prescrit. Bien plus, M. de Guermantes, en expliquant qui Ă©tait le prince, cita plusieurs de ses titres, et je reconnus le nom d'un village traversĂ© par la riviĂšre oĂč chaque soir, la cure finie, j'allais en barque, Ă travers les moustiques; et celui d'une forĂȘt assez Ă©loignĂ©e pour que le mĂ©decin ne m'eĂ»t pas permis d'y aller en promenade. Et en effet, il Ă©tait comprĂ©hensible que la suzerainetĂ© du seigneur s'Ă©tendĂźt aux lieux circonvoisins et associĂąt Ă nouveau dans l'Ă©numĂ©ration de ses titres les noms qu'on pouvait lire Ă cĂŽtĂ© les uns des autres sur une carte. Ainsi, sous la visiĂšre du prince du Saint-Empire et de l'Ă©cuyer de Franconie, ce fut le visage d'une terre aimĂ©e oĂč s'Ă©taient souvent arrĂȘtĂ©s pour moi les rayons du soleil de six heures que je vis, du moins avant que le prince, 7 Vol. II. rhingrave et Ă©lecteur palatin, fĂ»t entrĂ©. Car j'appris en quelques instants que les revenus qu'il tirait de la forĂȘt et de la riviĂšre peuplĂ©es de gnomes et d'ondines, de la montagne enchantĂ©e oĂč s'Ă©lĂšve le vieux Burg qui garde le souvenir de Luther et de Louis le Germanique, il en usait pour avoir cinq automobiles Charron, un hĂŽtel Ă Paris et un Ă Londres, une loge le lundi Ă l'OpĂ©ra et une aux mardis » des Français ». Il ne me semblait pas et il ne semblait pas luimĂȘme le croire qu'il diffĂ©rĂąt des hommes de mĂȘme fortune et de mĂȘme Ăąge qui avaient une moins poĂ©tique origine. Il avait leur culture, leur idĂ©al, se rĂ©jouissant de son rang mais seulement Ă cause des avantages qu'il lui confĂ©rait, et n'avait plus qu'une ambition dans la vie, celle d'ĂȘtre Ă©lu membre correspondant de l'AcadĂ©mie des Sciences morales et politiques, raison pour laquelle il Ă©tait venu chez Mme de Villeparisis. Si lui, dont la femme Ă©tait Ă la tĂȘte de la coterie la plus fermĂ©e de Berlin, avait sollicitĂ© d'ĂȘtre prĂ©sentĂ© chez la marquise, ce n'Ă©tait pas qu'il en eĂ»t Ă©prouvĂ© d'abord le dĂ©sir. RongĂ© depuis des annĂ©es par cette ambition d'entrer Ă l'Institut, il n'avait malheureusement jamais pu voir monter au-dessus de cinq le nombre des AcadĂ©miciens qui semblaient prĂȘts Ă voter pour lui. Il savait que M. de Norpois disposait Ă lui seul d'au moins une dizaine de voix auxquelles il Ă©tait capable, grĂące Ă d'habiles transactions, d'en ajouter d'autres. Aussi le prince, qui l'avait connu en Russie quand ils y Ă©taient tous deux ambassadeurs, Ă©tait-il allĂ© le voir et avait-il fait tout ce qu'il avait pu pour se lĂ© concilier. Mais il avait eu beau multiplier les amabilitĂ©s, faire avoir au marquis des dĂ©corations russes, le citer dans des articles de politique Ă©trangĂšre, il avait eu devant lui un ingrat, un homme pour qui toutes ces prĂ©venances avaient l'air de ne pas compter, qui n'avait pas fait avancer sa candidature d'un pas, ne lui avait mĂȘme pas promis sa voix Sans doute M. de Norpois le recevait avec une extrĂȘme politesse, mĂȘme ne voulait pas qu'il se dĂ©rangeĂąt et prĂźt la peine de venir jusqu'Ă sa porte », se rendait lui-mĂȘme Ă l'hĂŽtel du prince et, quand le chevalier teutonique avait lancĂ© Je voudrais bien ĂȘtre votre collĂšgue », rĂ©pondait d'un ton pĂ©nĂ©trĂ© Ah je serais trĂšs heureux » Et sans doute un naĂŻf, un docteur Cottard, se fĂ»t dit c Voyons, il est lĂ chez moi, c'est lui qui a tenu Ă venir parce qu'il me considĂšre comme un personnage plus important que lui, il me dit qu'il serait heureux que je sois de l'AcadĂ©mie, les mots ont tout de mĂȘme un sens, que diable sans doute s'il ne me propose pas de voter pour moi, c'est qu'il n'y pense pas. Il parle trop de mon grand pouvoir, il doit croire que les alouettes me tombent toutes rĂŽties, que j'ai autant de voix que j'en veux, et c'est pour cela qu'il ne m'offre pas la sienne, mais je n'ai qu'Ă le mettre au pied du mur, lĂ , entre nous deux, et Ă lui dire Eh bien votez pour moi », et il sera obligĂ© de le faire. Mais le prince de Faffenheim n'Ă©tait pas un naĂŻf; il Ă©tait ce que le docteur Cottard eĂ»t appelĂ© un fin diplomate » et il savait que M. de Norpois n'en Ă©tait pas un moins fin, ni un homme qui ne se fĂ»t pas avisĂ© de lui-mĂȘme qu'il pourrait ĂȘtre agrĂ©able Ă un candidat en votant pour lui. Le prince, dans ses ambassades et comme ministre des Affaires EtrangĂšres, avait tenu, pour son pays au lieu que ce fĂ»t comme maintenant pour lui-mĂȘme, de ces conversations oĂč on sait d'avance jusqu'oĂč on veut aller et ce qu'on ne vous fera pas dire. Il n'ignorait pas que dans le langage diplomatique causer signifie offrir. Et c'est pour cela qu'il avait fait avoir Ă M. de Norpois le cordon de Saint-AndrĂ©. Mais s'il eĂ»t dĂ» rendre compte Ă son gouvernement de l'entretien qu'il avait eu aprĂšs cela avec M. de Norpois, il eĂ»t pu Ă©noncer dans sa dĂ©pĂȘche J'ai compris que j'avais fait fausse route. Car dĂšs qu'il avait recommencĂ© Ă parler Institut, M. de Norpois lui avait redit J'aimerais cela beaucoup, beaucoup pour mes collĂšgues. Ils doivent, je pense, se sentir vraiment honorĂ©s que vous ayez pensĂ© Ă eux. C'est une candidature tout Ă fait intĂ©ressante, un peu en dehors de nos habitudes. Vous savez, l'AcadĂ©mie est trĂšs routiniĂšre, elle s'effraye de tout ce qui rend un son un peu nouveau. Personnellement je l'en blĂąme. Que de fois il m'est arrivĂ© de le laisser entendre Ă mes collĂšgues. Je ne sais mĂȘme pas, Dieu me pardonne, si le mot d'encroĂ»tĂ©s n'est pas sorti une fois de mes lĂšvres, avait-il ajoutĂ© avec un sourire scandalisĂ©, Ă mi-voix, presque a parte, Comme dans un effet de théùtre et en jetant sur le prince un coup d'Ćil rapide et oblique de son Ćil bleu, comme un vieil acteur qui veut juger de son effet. Vous comprenez, prince, que je ne voudrais pas laisser une personnalitĂ© aussi Ă©minente que la vĂŽtre s'embarquer dans une partie perdue d'avance. Tant que les idĂ©es de mes collĂšgues resteront aussi arriĂ©rĂ©res, j'estime que la sagesse est de s'abstenir. Croyez bien d'ailleurs que si je voyais jamais un esprit un peu plus nouveau, un peu plus vivant, se dessiner dans ce collĂšge qui tend Ă devenir une nĂ©cropole, si j'escomptais une chance possible pour vous, je serais le premier Ă vous en avertir. Le cordon de Saint-AndrĂ© est une erreur, pensa le prince; les nĂ©gociations n'ont pas fait un pas; ce n'est pas cela qu'il voulait. Je n'ai pas mis la main sur la bonne clef. » C'Ă©tait un genre de raisonnement dont M. de Norpois, formĂ© Ă la mĂȘme Ă©cole que le prince, eĂ»t Ă©tĂ© capable. On peut railler la pĂ©dantesque niaiserie avec laquelle les diplomates Ă la Norpois s'extasient devant une parole officielle Ă peu prĂšs insignifiante. Mais leur enfantillage a sa contre-partie les diplomates savent que, dans la balance qui assure cet Ă©quilibre, europĂ©en ou autre, qu'on appelle la paix, les bons sentiments, les beaux discours, les supplications pĂšsent fort peu; et que le poids lourd, le vrai, les dĂ©terminations, consiste en autre chose, en la possibilitĂ© que l'adversaire a, s'il est assez fort, ou n'a pas, de contenter, par moyen d'Ă©change, un dĂ©sir. CĂ©t ordre de vĂ©ritĂ©s, qu'une personne entiĂšrement dĂ©sintĂ©ressĂ©e comme ma grand'mĂšre, par exemple, n'eĂ»t pas compris, M. de Norpois, le prince von avaient souvent Ă©tĂ© aux prises avec lui. ChargĂ© d'affaires dans les pays avec lesquels nous avions Ă©tĂ© Ă deux doigts d'avoir la guerre, M. de Norpois, anxieux de la tournure que les Ă©vĂ©nements allaient prendre, savait trĂšs bien que ce n'Ă©tait pas par le mot Paix », ou par le mot Guerre », qu'ils lui seraient signifiĂ©s, mais par un autre, banal en apparence, terrible ou bĂ©ni, et que le diplomate, Ă l'aide de son chiffre, saurait immĂ©diatement lire, et auquel, pour sauvegarder la dignitĂ© de la France, il rĂ©pondrait par un autre mot tout aussi banal mais sous lequel le ministre de la nation ennemie verrait aussitĂŽt Guerre. Et mĂȘme, selon une coutume ancienne, analogue Ă celle qui donnait au premier rapprochement de deux ĂȘtres promis l'un Ă l'autre la forme d'une entrevue fortuite Ă une reprĂ©sentation du théùtre du Gymnase, le dialogue oĂč le destin dicterait le mot Guerre » ou le mot Paix » n'avait gĂ©nĂ©ralement pas eu lieu dans le cabinet du ministre, mais sur le banc d'un Kurgarten» oĂč le ministre et M. de Norpois allaient l'un et l'autre Ă des fontaines thermales boire Ă la source de petits verres d'une eau curative. Par une sorte de convention tacite, ils se rencontraient Ă l'heure de la cure, faisaient d'abord ensemble quelques pas d'une promenade que, sous son apparence bĂ©nigne, les deux interlocuteurs savaient aussi tragique qu'un ordre de mobilisation. Or, dans une affaire privĂ©e comme cette prĂ©sentation Ă l'Institut, le prince avait usĂ© du mĂȘme systĂšme d'induction qu'il avait fait dans sa carriĂšre, de la mĂȘme mĂ©thode de lecture Ă travers les symboles superposĂ©s. Et certes on ne peut prĂ©tendre que ma grand'mĂšre et ses rares pareils eussent Ă©tĂ© seuls Ă ignorer ce genre de calculs. En partie la moyenne de l'humanitĂ©, exerçant des professions tracĂ©es d'avance, rejoint par son manque d'intuition l'ignorance que ma grand'mĂšre devait Ă son haut dĂ©sintĂ©ressement. Il faut souvent descendre jusqu'aux ĂȘtres entretenus, hommes ou femmes, pour avoir Ă chercher le mobile de l'action ou des paroles en apparence les plus innocentes dans l'intĂ©rĂȘt, dans la nĂ©cessitĂ© de vivre. Quel homme ne sait que, quand une femme qu'il va payer lui dit Ne parlons pas d'argent », cette parole doit ĂȘtre comptĂ©e, ainsi qu'on dit en musique, comme une mesure pour rien », et que si plus tard elle lui dĂ©clare Tu m'as fait trop de peine, tu m'as souvent cachĂ© la vĂ©ritĂ©, je suis Ă bout », il doit interprĂ©ter un autre protecteur lui offre davantage » ? Encore n'est-ce lĂ que le langage d'une cocotte assez rapprochĂ©e des femmes du monde. Les apaches fournissent des exemples plus frappants. Mais M. de Norpois et le prince allemand, si les apaches leur Ă©taient inconnus, avaient accoutumĂ© de vivre sur le mĂȘme plan que les nations, lesquelles sont aussi, malgrĂ© leur grandeur, des ĂȘtres d'Ă©goĂŻsme et de ruse, qu'on ne dompte que par la force, par la considĂ©ration de leur intĂ©rĂȘt, qui peut les pousser jusqu'au meurtre, un meurtre symbolique souvent lui aussi, la simple hĂ©sitation Ă se battre ou le refus de se battre pouvant signifier pour une nation pĂ©rir ». Mais comme tout cela n'est pas dit dans les Livres Jaunes et autres, le peuple est volontiers pacifiste; s'il est guerrier, c'est instinctivement, par haine, par rancune, non par les raisons qui ont dĂ©cidĂ© les chefs d'Ătat avertis par les Norpois. L'hiver suivant, le prince fut trĂšs malade, il guĂ©rit, mais son cĆur resta irrĂ©mĂ©diablement atteint. Diable se dit-il, il ne faudrait pas perdre de temps pour l'Institut car, si je suis trop long, je risque de mourir avant d'ĂȘtre nommĂ©. Ce serait vraiment dĂ©sagrĂ©able. » Il fit sur la politique de ces vingt derniĂšres annĂ©es une Ă©tude pour la Revue des Deux Mondes et s'y exprima Ă plusieurs reprises dans les termes les plus flatteurs sur M. de Norpois. Celui-ci alla le voir et le remercia. Il ajouta qu'il ne savait comment exprimer sa gratitude. Le prince se dit, comme quelqu'un qui vient d'essayer d'une autre clef pour une serrure Ce n'est pas encore celle-ci », et se sentant un peu essoufflĂ© en reconduisant M. de Norpois, pensa Sapristi, ces gaillards-lĂ me laisseront crever avant de me faire entrer. DĂ©pĂȘchons. » Le mĂȘme soir, il rencontra M. de Norpois Ă l'OpĂ©ra Mon cher ambassadeur, lui dit-il, vous me disiez ce matin que vous ne saviez pas comment me prouver votre reconnaissance; c'est fort exagĂ©rĂ©, car vous ne' m'en devez aucune, mais je vais avoir l'indĂ©licatesse de vous prendre au mot. M. de Norpois n'estimait pas moins le tact du prince que le prince le sien. Il comprit immĂ©diatement que ce n'Ă©tait pas une demande qu'allait lui faire le prince de Faffenheim, mais une offre, et avec une affabilitĂ© souriante il se mit en devoir de l'Ă©couter. VoilĂ , vous allez me trouver trĂšs indiscret. Il y a deux personnes auxquelles je suis trĂšs attachĂ© et tout Ă fait diversement comme vous allez, le comprendre, et 'qui se sont fixĂ©es depuis peu Ă Paris oĂč elles comptent vivre dĂ©sormais ma femme et la grandeduchesse Jean. Elles vont donner quelques dĂźners, notamment en l'honneur du roi et de la reine d'Angleterre, et leur rĂȘve aurait Ă©tĂ© de pouvoir offrir Ă leurs convives une personne pour laquelle, sans la connaĂźtre, elle Ă©prouvent toutes deux une grande admiration. J'avoue que je ne savais comment faire pour contenter leur dĂ©sir quand j'ai appris tout Ă l'heure, par le plus grand des hasards, que vous connaissiez cette personne; je sais qu'elle vit trĂšs retirĂ©e, ne veut voir que peu de monde, happy few mais si vous me donniez votre appui, avec la bienveillance que vous me tĂ©moignez, je suis sĂ»r qu'elle permettrait que vous me prĂ©sentiez chez elle et que je lui transmette le dĂ©sir de la grande-duchesse et de la princesse. Peut-ĂȘtre consentirait-elle Ă venir dĂźner avec la reine d'Angleterre et, qui sait, si nous ne l'ennuyons pas trop, passer les vacances de PĂąques avec nous Ă Beaulieu chez la grande-duchesse Jean. Cette personne s'appelle la marquise de Villeparisis. J'avoue que l'espoir de devenir l'un des habituĂ©s d'un pareil bureau d'esprit me consolerait, me ferait envisager sans ennui de renoncer Ă me prĂ©senter Ă l'Institut. Chez elle aussi on tient commerce d'intelligence et de fines causeries. Avec un sentiment de plaisir inexprimable le prince sentit que la serrure ne rĂ©sistait pas et qu'enfin cette clef-lĂ y entrait. Une telle option est bien inutile, mon cher prince, rĂ©pondit M. de Norpois; rien ne s'accorde mieux avec l'Institut que le salon dont vous parlez et qui est une vĂ©ritable pĂ©piniĂšre d'acadĂ©miciens. Je transmettrai votre requĂȘte Ă Mme la marquise de Villeparisis elle en sera certainement flattĂ©e. Quant Ă aller dĂźner chez vous, elle sort trĂšs peu et ce sera peut-ĂȘtre plus difficile. Mais je vous prĂ©senterai et vous plaiderez vous-mĂȘme votre cause. Il ne faut surtout pas renoncer Ă l'AcadĂ©mie; je dĂ©jeune prĂ©cisĂ©ment, de demain en quinze, pour aller ensuite avec lui Ă une sĂ©ance importante, chez Leroy-Beaulieu sans lequel on ne peut faire une Ă©lection; j'avais dĂ©jĂ laissĂ© tomber devant lui votre nom qu'il connaĂźt, naturellement, Ă merveille. Il avait Ă©mis certaines objections. Mais il se trouve qu'il a besoin de l'appui de mon groupe. pour l'Ă©lection prochaine, et j'ai l'intention de revenir Ă la charge; je lui dirai trĂšs franchement les liens tout Ă fait cordiaux qui nous unissent, je ne lui cacherai pas que, si vous vous prĂ©sentiez, je demanderais Ă tous mes amis de voter pour vous le prince eut un profond soupir de soulagement et il sait que j'ai des amis. J'estime que, si je parvenais Ă m'assurer son concours, vos chances deviendraient fort sĂ©rieuses. Venez ce soir-lĂ Ă six heures chez Mme de Villeparisis, je vous introduirai et je pourrai vous rendre compte de mon entretien du matin. C'est ainsi que le prince de Faffenheim avait Ă©tĂ© amenĂ© Ă venir voir Mme de Villeparisis. Ma profonde dĂ©sillusion eut lieu quand il parla. Je n'avais pas songĂ© que, si une Ă©poque a des traits particuliers et gĂ©nĂ©raux plus forts qu'une nationalitĂ©, de sorte que, dans un dictionnaire illustrĂ© oĂč l'on donne jusqu'au portrait authentique de Minerve, Leibniz avec sa perruque et sa fraise diffĂšre peu de Marivaux ou de Samuel Bernard, une nationalitĂ© a des traits particuliers plus forts qu'une caste. Or ils se traduisirent devant moi, non par un discours oĂč je croyais d'avance que j'entendrais le frĂŽlement des elfes et la danse des Kobolds, mais par une transposition qui ne certifiait pas moins cette poĂ©tique origine le fait qu'en s'inclinant, petit, rouge et ventru, devant Mme de Villeparisis, le Rhingrave lui dit Ponchour, Matame la marquise » avec le mĂȘme accent qu'un concierge alsacien. Vous ne voulez pas que je vous donne une tasse de thĂ© ou un peu de tarte, elle est trĂšs bonne, me dit Mme de Guermantes, dĂ©sireuse d'avoir Ă©tĂ© aussi aimable que possible. Je fais les honneurs de cette maison comme si c'Ă©tait la mienne, ajouta-t-elle sur un ton ironique qui donnait quelque chose d'un peu guttural Ă sa voix, comme si elle avait Ă©touffĂ© un rire rauque. Monsieur, dit Mme de Villeparisis Ă M. de Norpois, vous penserez tout Ă l'heure que vous avez quelque chose Ă dire au prince au l'AcadĂ©mie ? Mme de GuermĂ ntes baissa les yeux, fit faire un quart de cercle Ă son poignet pour regarder l'heure. Oh mon Dieu; il est temps que je dise au revoir Ă ma tante, si je dois encore passer chez Mme de Saint-FerrĂ©ol, et je dĂźne chez Mme Leroi. Et elle se leva sans me dire adieu. Elle venait d'apercevoir Mme Swann, qui parut assez gĂȘnĂ©e de me rencontrer. Elle se rappelait sans doute qu'avant personne elle m'avait dit ĂȘtre convaincue de l'innocence de Dreyfus. Je ne veux pas que ma mĂšre me prĂ©sente Ă Mme Swann, me dit Saint-Loup. C'est une ancienne grue. Son mari est juif et elle nous le fait au nationalisme. Tiens, voici mon oncle PalamĂšde. La prĂ©sence de Mme Swann avait pour moi un intĂ©rĂȘt particulier dĂ» Ă un fait qui s'Ă©tait produit quelques jours auparavant, et qu'il est nĂ©cessaire de relater Ă cause des consĂ©quences qu'il devait avoir beaucoup plus tard, et qu'on suivra dans leur dĂ©tail quand le moment sera venu. Donc, quelques jours avant cette visite, j'en avais reçu une Ă laquelle je ne m'attendais guĂšre, celle de Charles Morel, le fils, inconnu de moi, de l'ancien valet de chambre de mon grand-oncle. Ce grand-oncle celui chez lequel j'avais vu la dame en rose Ă©tait mort l'annĂ©e prĂ©cĂ©dente. Son valet de chambre avait manifestĂ© Ă plusieurs reprises l'intention de venir me voir; je ne savais pas le but de sa visite, mais je l'aurais vu volontiers car j'avais appris par Françoise qu'il avait gardĂ© un vrai culte pour la mĂ©moire de mon oncle et faisait, Ă chaque occasion, le pĂšlerinage du cimetiĂšre. Mais obligĂ© d'aller se soigner dans son pays, et comptant y rester longtemps, il me dĂ©lĂ©guait son fils. Je fus surpris de voir entrer un beau garçon de dix-huit ans, habillĂ© plutĂŽt richement qu'avec goĂ»t, mais qui pourtant avait l'air de tout, exceptĂ© d'un valet de chambre. Il tint du reste, dĂšs l'abord, Ă couper le cĂąble avec la domesticitĂ© d'oĂč il sortait, en m'apprenant avec un sourire satisfait qu'il Ă©tait premier prix du Conservatoire. Le but de sa visite Ă©tait celui-ci son pĂšre avait, parmi les souvenirs de mon oncle Adolphe, mis de cĂŽtĂ© certains qu'il avait jugĂ© inconvenant d'envoyer Ă mes parents, mais qui, pensait-il, Ă©taient de nature Ă intĂ©resser un jeune homme de mon Ăąge. C'Ă©taient les photographies des actrices cĂ©lĂšbres, des grandes cocottes que mon oncle avait connues, les derniĂšres images de cette vie de vieux viveur qu'il sĂ©parait, par une cloison Ă©tanche, de sa vie de famille. Tandis que le jeune Morel me les montrait, je me rendis compte qu'il affectait de me parler comme Ă un Ă©gal. Il avait Ă dire vous », et le moins souvent possible Monsieur », le plaisir de quelqu'un dont le pĂšre n'avait jamais employĂ©, en s'adressant Ă mes parents, que la troisiĂšme personne ». Presque toutes les photographies portaient une dĂ©dicace telle que A mon meilleur ami n. Une actrice plus ingrate et plus avisĂ©e avait Ă©crit Au meilleur des amis », ce qui lui permettait, m'a-t-on assurĂ©, de dire que mon oncle n'Ă©tait nullement, et Ă beaucoup prĂšs, son meilleur ami, mais l'ami qui lui avait rendu le plus de petits services, l'ami dont elle se servait, un excellent homme, presque une vieille bĂȘte.. Le jeune Morel avait beau chercher Ă s'Ă©vader de ses origines, on sentait que l'ombre de mon oncle Adolphe, vĂ©nĂ©rable et dĂ©mesurĂ©e aux yeux du vieux valet de chambre, n'avait cessĂ© de planer, presque sacrĂ©e, sur l'enfance et la jeunesse du fils. Pendant que je regardais les photographies, Charles Morel examinait ma chambre. Et comme je cherchais oĂč je pourrais les serrer Mais comment se fait-il, me dit-il d'un ton oĂč le reproche n'avait pas besoin de s'exprimer tant il Ă©tait dans les paroles mĂȘmes, que je n'en voie pas une seule de votre oncle dans votre chambre ? » Je sentis le rouge me monter au visage, et balbutiai Mais je crois que je n'en ai pas. Comment, vous n'avez pas une seule photographie de votre oncle Adolphe qui vous aimait tant Je vous en enverrai une que je prendrai dans les quantitĂ©s qu'a mon paternel, et j'espĂšre que vous l'installerez Ă la place d'honneur, au-dessus de cette commode qui vous vient justement de votre oncle. » Il est vrai que, comme je n'avais mĂȘme pas une photographie de mon pĂšre ou de ma mĂšre dans ma chambre, il n'y avait rien de si choquant Ă ce qu'il ne s'en trouvĂąt pas de mon oncle Adolphe. Mais il n'Ă©tait pas difficile de deviner que pour Morel, lequel avait enseignĂ© cette maniĂšre de voir Ă son fils, mon oncle Ă©tait le personnage important de la famille, duquel mes parents tiraient seulement un Ă©clat amoindri. J'Ă©tais plus en faveur parce que mon oncle disait tous les jours que je serais une espĂšce de Racine, de Vaulabelle, et Morel me considĂ©rait Ă peu prĂšs comme un fils adoptif, comme un enfant d'Ă©lection de mon oncle. Je me rendis vite compte que le fils de Morel Ă©tait trĂšs arriviste ». Ainsi, ce jour-lĂ , il me demanda, Ă©tant un peu compositeur aussi, et capable de mettre quelques vers en musique, si je ne connaissais pas de poĂšte ayant une situation importante dans le monde aristo ». Je lui en citai un. Il ne connaissait pas les Ćuvres de ce poĂšte et n'avait jamais entendu son nom, qu'il prit en note. Or je sus que peu aprĂšs il avait Ă©crit Ă ce poĂšte pour lui dire qu'admirateur fanatique de ses oeuvres, il avait fait de la musique sur un sonnet de lui et serait heureux que le librettiste en fĂźt donner une audition chez la Comtesse C'Ă©tait aller un peu vite et dĂ©masquer son plan. Le poĂšte, blessĂ©, ne rĂ©pondit pas. Au reste, Charles Morel semblait avoir, Ă cĂŽtĂ© de l'ambition, un vif penchant vers des rĂ©alitĂ©s plus con- crĂštes, Il avait remarquĂ© dans la cour la niĂšce de Jupien en train de faire un gilet et, bien qu'il me dĂźt seulement avoir justement besoin d'un gilet de fantaisie », je sentis que la jeune fille avait produit une vive impression sur lui. Il n'hĂ©sita pas Ă me demander de descendre et de la prĂ©senter, mais par rapport Ă votre famille, vous m'entendez, je compte sur votre discrĂ©tion quant Ă mon pĂšre, dites seulement un grand artiste de vos amis, vous comprenez, il faut faire bonne impression aux commerçants ». Bien qu'il m'eĂ»t insinuĂ© que, ne le connaissant pas assez pour l'appeler, il le comprenait, cher ami », je pourrais lui dire devant la jeune fille quelque chose comme pas Cher MaĂźtre Ă©videmment. quoique, mais, si cela vous plaĂźt cher grand artiste», j'Ă©vitai dans la boutique de le qualifier comme eĂ»t dit Saint-Simon, et me contentai de rĂ©pondre Ă ses vous » par des vous ». Il avisa, parmi quelques piĂšces de velours, une du rouge le plus vif et si criard que, malgrĂ© le mauvais goĂ»t qu'il avait, il ne put jamais, par la suite, porter ce gilet. La jeune fille se remit Ă travailler avec ses deux apprenties », mais il me sembla que l'impression avait Ă©tĂ© rĂ©ciproque et que Charles Morel, qu'elle crut de son monde » plus Ă©lĂ©gant seulement et plus riche, lui avait plu singuliĂšrement. Comme j'avais Ă©tĂ© trĂšs Ă©tonnĂ© de trouver parmi les photographies que m'envoyait son pĂšre une du portrait de miss Sacripant c'est-Ă -dire Odette par Elstir, je dis Ă Charles Morel, en l'accompagnant jusqu'Ă la porte cochĂšre Je crains que vous ne puissiez me renseigner. Est-ce que mon oncle connaissait beaucoup cette dame ? Je ne vois pas Ă quelle Ă©poque de la vie de mon oncle je puis la situer; et cela m'intĂ©resse Ă cause de M. Swann. Justement j'oubliais de vous dire que mon pĂšre m'avait recommandĂ© d'attirer votre attention sur cette dame. En effet, cette demi-mondaine dĂ©jeunait chez votre oncle le dernier jour que vous l'avez vu. Mon pĂšre ne savait pas trop s'il pouvait vous faire entrer. Il paraĂźt que vous aviez plu beaucoup Ă cette femme lĂ©gĂšre, et elle espĂ©rait vous revoir. Mais justement Ă ce moment-lĂ il y a eu de la fĂąche dans la famille, Ă ce que m'a dit mon pĂšre, et vous n'avez jamais revu votre oncle. » Il sourit Ă ce moment, pour lui dire adieu de loin, Ă la niĂšce de Jupien. Elle le regardait et admirait sans doute son visage maigre, d'un dessin rĂ©gulier, ses cheveux lĂ©gers, ses yeux gais. Moi, en lui serrant la main, je pensais Ă Mme Swann, et je me disais avec Ă©tonnement, tant elles Ă©taient sĂ©parĂ©es et diffĂ©rentes dans mon souvenir, que j'aurais dĂ©sormais Ă l'identifier avec la Dame en rose ». M. de Charlus fut bientĂŽt assis Ă cĂŽtĂ© de Mme Swann. Dans toutes les rĂ©unions oĂč il se trouvait, et dĂ©daigneux avec les hommes, courtisĂ© par les femmes, il avait vite fait d'aller faire corps avec la plus Ă©lĂ©gante, de la toilette de laquelle il se sentait empanachĂ©. La redingote ou le frac du baron le faisait ressembler Ă ces portraits remis par un grand coloriste d'une homme en noir, mais qui a prĂšs de lui, sur une chaise, un manteau Ă©clatant qu'il va revĂȘtir pour quelque bal costumĂ©. Ce tĂȘte-Ă -tĂȘte, gĂ©nĂ©ralement avec quelque Altesse, procurait Ă M. de Charlus de ces distinctions qu'il aimait. Il avait, par exemple, pour consĂ©quence que les maĂźtresses de maison laissaient, dans une fĂȘte, le baron avoir seul une chaise sur le devant dans un rang de dames, tandis que les autres hommes se bousculaient dans le fond. De plus, fort absorbĂ©, semblait-il, Ă raconter, et trĂšs haut, d'amusantes histoires Ă la dame charmĂ©e, M. de Charlus Ă©tait dispensĂ© d'aller dire bonjour aux autres, donc d'avoir des devoirs Ă rendre. DerriĂšre la barriĂšre parfumĂ©e que lui faisait la beautĂ© choisie, il Ă©tait isolĂ© au milieu d'un salon comme au milieu d'une salle de spectacle dans une loge et, quand on venait le saluer, au travers pour ainsi dire de la beautĂ© de sa compagne, il Ă©tait excusable de rĂ©pondre fort briĂšvement et sans s'interrompre de parler Ă une femme. Certes Mme Swann n'Ă©tait guĂšre du rang des personnes avec qui il aimait ainsi Ă s'afficher. Mais il faisait profession d'admiration pour elle, d'amitiĂ© pour Swann, savait qu'elle serait flattĂ©e de son empressement, et Ă©tait flattĂ© lui-mĂȘme d'ĂȘtre compromis par la plus jolie personne qu'il y eĂ»t lĂ . Mme de Villeparisis n'Ă©tait d'ailleurs qu'Ă demi contente d'avoir la visite de M. de Charlus. Celui-ci, tout en trouvant de grands dĂ©fauts Ă sa tante, l'aimait beaucoup. Mais, par moments, sous le coup de la colĂšre, de griefs imaginaires, il lui adressait, sans rĂ©sister Ă ses impulsions, des lettres de la derniĂšre violence, dans lesquelles il faisait Ă©tat de petites choses qu'il semblait jusque-lĂ n'avoir pas remarquĂ©es. Entre autres exemples je peux citer ce fait, parce que mon sĂ©jour Ă Balbec me mit au courant de lui Mme de Villeparisis, craignant de ne pas avoir emportĂ© assez d'argent pour prolonger sa villĂ©giature Ă Balbec, et n'aimant pas, comme elle Ă©tait avare et craignait les frais superflus, faire venir de l'argent de Paris, s'Ă©tait fait prĂȘter trois mille francs par M. de Charlus. Celuici, un mois plus tard, mĂ©content de sa tante pour une raison insignifiante, les lui rĂ©clama par mandat tĂ©lĂ©graphique. Il reçut deux mille neuf cent quatre-vingtdix et quelques francs. Voyant sa tante quelques jours aprĂšs Ă Paris et causant amicalement avec elle, il lui fit, avec beaucoup de douceur, remarquer l'erreur commise par la banque chargĂ©e de l'envoi. Mais il n'y a pas erreur, rĂ©pondit Mme de Villeparisis, le mandat tĂ©lĂ©graphique coĂ»te six francs soixante-quinze. Ah du moment que c'est intentionnel, c'est parfait, rĂ©pliqua M. de Charlus. Je vous l'avais dit seulement pour le cas oĂč vous l'auriez ignorĂ©, parce que dans ce cas-lĂ , si la banque avait agi de mĂȘme avec des personnes moins liĂ©es avec vous que moi, cela aurait pu vous contrarier. Non, non, il n'y a pas erreur. Au fond vous avez eu parfaitement raison a, conclut gaiement M. de Charlus en baisant tendrement la main de sa tante. En effet, il ne lui en voulait nullement et souriait seulement de cette petite mesquinerie. Mais quelque temps aprĂšs, ayant cru que dans une chose de famille sa tante avait voulu le jouer et monter contre lui tout un complot », comme celle-ci se retranchait assez bĂȘtement derriĂšre des hommes d'affaires avec qui il l'avait prĂ©cisĂ©ment soupçonnĂ©e d'ĂȘtre alliĂ©e contre lui, il lui avait Ă©crit une lettre qui dĂ©bordait de fureur et d'insolence. Je ne me contenterai pas de me venger, ajoutait-il en post-scriptum, je vous rendrai ridicule. Je vais dĂšs demain aller raconter Ă tout le monde l'histoire du mandat tĂ©lĂ©graphique et des six francs soixantequinze que vous m'avez retenus sur les trois mille francs que je vous avais prĂȘtĂ©s, je vous dĂ©shonorerai. » Au lieu de cela il Ă©tait allĂ© le lendemain demander pardon Ă sa tante Villeparisis, ayant regret d'une lettre oĂč il y avait des phrases vraiment affreuses. D'ailleurs Ă qui eĂ»t-il pu apprendre l'histoire du mandat tĂ©lĂ©graphique ? Ne voulant pas de vengeance, mais une sincĂšre rĂ©conciliation, cette histoire du mandat, c'est maintenant qu'il l'aurait tue. Mais auparavant il l'avait racontĂ©e partout, tout en Ă©tant trĂšs bien avec sa tante, il l'avait racontĂ©e sans mĂ©chancetĂ©, pour faire rire, et parce qu'il Ă©tait l'indiscrĂ©tion mĂȘme. Il l'avait racontĂ©e, mais sans que Mme de Villeparisis le sĂ»t. De sorte qu'ayant appris par sa lettre qu'il comptait la dĂ©shonorer en. divulguant une circonstance oĂč il lui avait dĂ©clarĂ© Ă elle-mĂȘme qu'elle avait bien agi, elle avait pensĂ© qu'il l'avait trompĂ©e alors et mentait en feignant de l'aimer. Tout cela s'Ă©tait apaisĂ©, mais chacun des deux ne savait pas exactement l'opinion que l'autre avait de lui. Certes il s'agit lĂ d'un cas de brouilles intermittentes un peu particulier. D'ordre diffĂ©rent Ă©taient celles de Bloch et de ses amis. D'un autre encore celles de M. de Charlus, comme on le verra, avec des personnes tout autres que Mme de Villeparisis. MalgrĂ© cela il faut se rappeler que l'opinion que nous avons les uns des autres, les rapports d'amitiĂ©, de famille, n'ont rien de fixe qu'en apparence, mais sont aussi Ă©ternellement mobiles que la mer. De lĂ tant de bruits de divorce entre des Ă©poux qui semblaient unis et qui, bientĂŽt aprĂšs, parlent tendrement l'un de l'autre; tant d'infamies dites par un ami sur un ami dont nous le croyions insĂ©parable et avec qui nous le trouverons rĂ©conciliĂ© avant que nous ayons eu le temps de revenir de notre surprise; tant de renversements d'alliances en si peu de temps, entre le's peuples. Mon Dieu, ça chauffe entre mon oncle et Mme Swann, me dit Saint-Loup. Et maman qui, dans son innocence, vient les dĂ©ranger. Aux pures tout est pur Je regardais M. de Charlus. La houppette de ses cheveux gris, son Ćil dont le sourcil Ă©tait relevĂ© par le monocle et qui souriait, sa boutonniĂšre en fleurs rouges, formaient comme les trois sommets mobiles d'un triangle convulsif et frappant. Je n'avais pas osĂ© le saluer, car il ne m'avait fait aucun signe. Or, bien qu'il ne fĂ»t pas tournĂ© de mon cĂŽtĂ©, j'Ă©tais persuadĂ© qu'il m'avait vu; tandis qu'il dĂ©bitait quelque histoire Ă Mme Swann dont flottait jusque sur un genou du baron le magnifique manteau couleur pensĂ©e, les yeux errants de M. de Charlus, pareils Ă ceux d'un marchand en plein vent qui craint l'arrivĂ©e de la Rousse, avaient certainement explorĂ© chaque partie du salon et dĂ©couvert toutes les personnes qui s'y trouvaient. M. de ChĂątellerault vint lui dire bonjour sans que rien dĂ©celĂąt dans le visage de M. de Charlus qu'il eĂ»t aperçu le jeune duc avant le moment oĂč celui-ci se trouva devant lui. C'est ainsi que, dans les rĂ©unions un peu nombreuses comme Ă©tait celle-ci, 8 Vol. II. M. de Charlus gardait d'une façon presque constante un sourire sans direction dĂ©terminĂ©e ni destination particuliĂšre, et qui, prĂ©existant de la sorte aux saluts des arrivants, se trouvait, quand ceux-ci entraient dans sa zone, dĂ©pouillĂ© de toute signification d'amabilitĂ© pour eux. NĂ©anmoins il fallait bien que j'allasse dire bonjour Ă Mme Swann. Mais, comme elle ne savait pas si je connaissais Mme de Marsantes et M. de Charlus, elle fut assez froide, craignant sans doute que je lui demandasse de me prĂ©senter. Je m'avançai alors vers M. de Charlus, et aussitĂŽt le regrettai car, devant trĂšs bien me voir, il ne le marquait en rien. Au moment oĂč je m'inclinai devant lui, je trouvai, distant de son corps dont il m'empĂȘchait d'approcher de toute la longueur de son bras tendu, un doigt veuf, eĂ»t-on dit, d'un anneau Ă©piscopal dont il avait l'air d'offrir, pour qu'on la baisĂąt, la place consacrĂ©e, et dus paraĂźtre avoir pĂ©nĂ©trĂ©, Ă l'insu du baron et par une effraction dont il me laissait la responsabilitĂ©, dans la permanence, la dispersion anonyme et vacante de son sourire. Cette froideur ne fut pas pour encourager beaucoup Mme Swann Ă se dĂ©partir de la sienne. Comme tu as l'air fatiguĂ© et agitĂ©, dit Mme de Marsantes Ă son fils qui Ă©tait venu dire bonjour Ă M. de Charlus. Et en effet, les regards de Robert semblaient par moments atteindre Ă une profondeur qu'ils quittaient aussitĂŽt comme un plongeur qui a touchĂ© le fond. Ce fond, qui faisait si mal Ă Robert quand il le touchait qu'il le quittait aussitĂŽt pour y revenir un instant aprĂšs, c'Ă©tait l'idĂ©e qu'il avait rompu avec sa maĂźtresse. Ăa ne fait rien, ajouta sa mĂšre, en lui caressant la joue, ça ne fait rien, c'est bon de voir son petit garçon. Mais cette tendresse paraissant agacer Robert, Mme de Marsantes entraĂźna son fils dans le fond du salon, lĂ oĂč, dans une baie tendue de soie jaune, quelques fauteuils de'Beauvais massaient leurs tapisseries violacĂ©es comme des iris empourprĂ©s dans un champ de boutons d'or. Mme Swann se trouvant seule et ayant compris que j'Ă©tais liĂ© avec Saint-Loup me fit signe de venir auprĂšs d'elle. Ne l'ayant pas vue depuis si longtemps, je ne savais de quoi lui parler. Je ne perdais pas de vue mon chapeau parmi tous ceux qui se trouvaient sur le tapis, mais me demandais curieusement Ă qui pouvait en. appartenir un qui n'Ă©tait pas celui du duc de Guermantes et dans la coiffe duquel un G Ă©tait surmontĂ© de la couronne ducale. Je savais qui Ă©taient tous les visiteurs et n'en trouvais pas un seul. dont ce pĂ»t ĂȘtre le chapeau. Comme M. de Norpois est sympathique, dis-je Ă Mme Swann en le lui montrant. Il est vrai que Robert de Saint-Loup me dit que c'est une peste, mais. Il a raison, rĂ©pondit-elle. Et voyant que son regard se reportait Ă quelque chose qu'elle me cachait, je la pressai de questions. Peut-ĂȘtre contente d'avoir l'air d'ĂȘtre trĂšs occupĂ©e -par quelqu'un dans ce salon, oĂč elle ne connaissait presque personne, elle m'emmena dans un coin. VoilĂ sĂ»rement ce que M. de Saint-Loup a voulu vous dire, me rĂ©pondit-elle, mais ne le lui rĂ©pĂ©tez pas, car il me trouverait indiscrĂšte et je tiens beaucoup Ă son estime, je suis trĂšs honnĂȘte homme »,' vous savez. DerniĂšrement Charlus a dĂźnĂ© chez la princesse de Guermantes; je ne sais pas comment on a parlĂ© de vous. M. de Norpois leur aurait dit c'est inepte, n'allez pas vous mettre martel en tĂȘte pour cela, personne n'y a attachĂ© d'importance, on savait trop de quelle bouche cela tombait que vous Ă©tiez un flatteur Ă moitiĂ© hystĂ©rique. J'ai racontĂ© bien auparavant ma stupĂ©faction qu'un ami de mon pĂšre comme Ă©tait M. de Norpois eĂ»t pu s'exprimer ainsi en parlant de moi. J'en Ă©prouvai une plus grande encore Ă savoir que mon Ă©moi de ce jour ancien oĂč j'avais parlĂ© de Mme Swann et de Gilberte Ă©tait connu par la princesse de Guermantes de qui je me croyais ignorĂ©. Chacune de nos actions, de nos paroles, de nos attitudes est sĂ©parĂ©e du monde», des gens qui ne l'ont pas directement perçue, par un milieu dont la permĂ©abilitĂ© varie Ă l'infini et nous reste inconnue; ayant appris par l'expĂ©rience que tel propos important que nous avions souhaitĂ© vivement ĂȘtre propagĂ© tels ceux si enthousiastes que je tenais autrefois Ă tout le monde et en toute occasion sur Mme Swann, pensant que parmi tant de bonnes graines rĂ©pandues il s'en trouverait bien une qui lĂšverait s'est trouvĂ©, souvent Ă cause de notre dĂ©sir mĂȘme, immĂ©diatement mis sous le boisseau, combien Ă plus forte raison Ă©tions-nous Ă©loignĂ© de croire que telle parole minuscule, oubliĂ©e de nous-mĂȘme, voire jamais prononcĂ©e par nous et formĂ©e en route par l'imparfaite rĂ©fraction d'une parole diffĂ©rente, serait transportĂ©e, sans que jamais sa marche s'arrĂȘtĂąt, Ă des distances infinies eh l'espĂšce jusque chez la princesse de Guermantes et allĂąt divertir Ă nos dĂ©pens le festin des dieux. Ce que nous nous rappelons de notre conduite reste ignorĂ© de notre plus proche voisin; ce que nous en avons oubliĂ© avoir dit, ou mĂȘme ce que nous n'avons jamais dit, va provoquer l'hilaritĂ© jusque dans une autre planĂšte, et l'image que les autres se font de nos faits et gestes ne ressemble pas plus Ă celle que nous nous en faisons nous-mĂȘme qu'Ă un dessin quelque dĂ©calque ratĂ©, oĂč tantĂŽt au trait noir correspondrait un espace vide, et Ă un blanc un contour inexplicable. Il peut du reste arriver que ce qui n'a pas Ă©tĂ© transcrit soit quelque trait irrĂ©el que nous ne voyons que par complaisance, et que ce qui nous semble ajoutĂ© nous appartienne au contraire, mais si essentiellement que cela nous Ă©chappe. De sorte que cette Ă©trange Ă©preuve qui nous semble si peu ressemblante a quelquefois le genre de vĂ©ritĂ©, peu flatteur certes, mais profond et utile, d'une photographie par les rayons X. Ce n'est pas une raison pour que nous nous y reconnaissions. Quelqu'un qui a l'habitude de sourire dans la glace Ă sa belle figure et Ă son beau torse, si on lui montre leur radiographie aura, devant ce chapelet osseux, indiquĂ© comme Ă©tant une image de lui-mĂȘme, le mĂȘme soupçon d'une erreur que le visiteur d'une exposition qui, devant un portrait de jeune femme, lit dans le catalogue Dromadaire couchĂ© ». Plus tard, cet Ă©cart entre notre image selon qu'elle est dessinĂ©e par nous-mĂȘme ou par autrui, je devais m'en rendre compte pour d'autres que moi, vivant bĂ©atement au milieu d'une collection de photographies qu'ils avaient tirĂ©es d'euxmĂȘmes tandis qu'alentour grimaçaient d'effroyables images, habituellement invisibles pour eux-mĂȘmes, mais qui les plongeaient dans la stupeur si un hasard les leur montrait en leur disant C'est vous. » Il y a quelques annĂ©es j'aurais Ă©tĂ© bien heureux de dire Ă Mme Swann Ă quel sujet » j'avais Ă©tĂ© si tendre pour M. de Norpois, puisque ce sujet » Ă©tait le dĂ©sir de la connaĂźtre. Mais je ne le ressentais plus, je n'aimais plus Gilberte. D'autre part, je ne parvenais pas Ă identifier Mme Swann Ă la Dame en rose de mon enfance. Aussi je parlai de la femme qui me prĂ©occupait en ce moment. Avez-vous vu tout Ă l'heure la duchesse de Guermantes ? demandai-je Ă Mme Swann. Mais comme la duchesse ne saluait pas Mme Swann, celle-ci voulait avoir l'air de la considĂ©rer comme une personne sans intĂ©rĂȘt et de la prĂ©sence de laquelle on ne s'aperçoit mĂȘme pas. Je ne sais pas, je n'ai pas rĂ©alisĂ©, me rĂ©pondit-elle d'un air dĂ©sagrĂ©able, en employant un terme traduit de l'anglais. J'aurais pourtant voulu avoir des renseignements non seulement sur Mme de Guermantes mais sur tous les ĂȘtres qui l'approchaient, et, tout comme Bloch, avec le manque de tact des gens qui cherchent dans leur conversation non Ă plaire aux autres mais Ă Ă©lucider, en Ă©goĂŻstes, des points que les intĂ©ressent, pour tĂącher de me reprĂ©senter exactement la vie de Mme de Guermantes, j'interrogeai Mme de Villeparisis sur Mme Leroi. Oui, je sais, rĂ©pondit-elle avec un dĂ©dain affectĂ©,- la fille de ces gros marchands de bois. Je sais qu'elle voit du monde maintenant, mais je vous dirai que je suis bien vieille pour faire de nouvelles connaissances. J'ai connu des gens si intĂ©ressants, si aimables, que vraiment je crois que Mme Leroi n'ajouterait rien Ă ce que j'ai. Mme de Marsantes, qui faisait la dame d'honneur de la marquise, me prĂ©senta au prince, et elle n'avait pas fini que M. de Norpois me prĂ©sentait aussi, dans les termes les plus chaleureux. Peut-ĂȘtre trouvait-il commode de me faire une politesse qui n'entamait en rien son crĂ©dit puisque je venais justement d'ĂȘtre prĂ©sentĂ©; peut-ĂȘtre parce qu'il pensait qu'un Ă©tranger, mĂȘme illustre, Ă©tait moins au courant des salons français et pouvait croire qu'on lui prĂ©sentait un jeune homme du grand monde; peut-ĂȘtre pour exercer une de ses prĂ©rogatives, celle d'ajouter le poids de sa propre recommandation d'ambassadeur, ou par le goĂ»t d'archaĂŻsme de faire revivre en l'honneur du prince l'usage, flatteur pour cette Altesse, que deux parrains Ă©taient nĂ©cessaires si on voulait lui ĂȘtre prĂ©sentĂ©. Mme de Villeparisis interpella M. de Norpois, Ă©prouvant le besoin de me faire dire par lui qu'elle n'avait pas Ă regretter de ne pas connaĂźtre Mme Leroi. N'est-ce pas, monsieur l'ambassadeur, que Mme Leroi est une personne sans intĂ©rĂȘt, trĂšs infĂ©rieure Ă toutes celles qui frĂ©quentent ici, et que j'ai eu raison de ne pas l'attirer ? Soit indĂ©pendance, soit fatigue, M. de Norpois se contenta de rĂ©pondre par un salut plein de respect mais vide de signification. Monsieur, lui dit Mme de Villeparisis en riant, il y a des gens bien ridicules. Croyez-vous que j'ai eu aujourd'hui la visite d'un monsieur qui a voulu me faire croire qu'il avait plus de plaisir Ă embrasser ma main que celle d'une jeune femme ? Je compris tout de suite que c'Ă©tait Legrandin. M. de Norpois sourit avec un lĂ©ger clignement d'Ćil, comme s'il s'agissait d'une concupiscence si naturelle qu'on ne pouvait en vouloir Ă celui qui l'Ă©prouvait, presque d'un commencement de roman qu'il Ă©tait prĂȘt Ă absoudre, voire Ă encourager, avec une indulgence perverse Ă la Voisenon ou Ă la CrĂ©billon fils. Bien des mains de jeunes femmes seraient incapables de faire ce que j'ai vu lĂ , dit le prince en montrant les aquarelles commencĂ©es de Mme de Villeparisis. Et il lui demanda si elle avait vu les fleurs de Fantin-Latour qui venaient d'ĂȘtre exposĂ©es. Elles sont de premier ordre et, comme on dit aujourd'hui, d'un beau peintre, d'un des maĂźtres de la palette, dĂ©clara M. de Norpois; je trouve cependant qu'elles ne peuvent pas soutenir la comparaison avec celles de Mme de Villeparisis oĂč je reconnais mieux le coloris de la fleur. MĂȘme en supposant que la partialitĂ© de vieil amant, l'habitude de flatter, les opinions admises dans une coterie, dictassent ces paroles Ă l'ancien ambassadeur, celles-ci prouvaient pourtant sur quel nĂ©ant de goĂ»t vĂ©ritable repose le jugement artistique des gens du monde, si arbitraire qu'un rien peut le faire aller aux pires absurditĂ©s, sur le chemin desquelles il ne rencontre pour l'arrĂȘter aucune impression vraiment sentie. Je n'ai aucun mĂ©rite Ă connaĂźtre les fleurs, j'ai toujours vĂ©cu aux champs, rĂ©pondit modestement Mme de Villeparisis. Mais, ajouta-t-elle gracieusement en s'adressant au prince, si j'en ai eu toute jeune des notions un peu plus sĂ©rieuses que les autres enfants de la campagne, je le dois Ă un homme bien distinguĂ© de votre nation, M. de Schlegel. Je l'ai rencontrĂ© Ă Broglie oĂč ma tante Cordelia la marĂ©chale de Castellane m'avait amenĂ©e. Je me rappelle trĂšs bien que M. Lebrun, M. de Salvandy, M. Doudan, le faisaient parler sur les fleurs. J'Ă©tais une toute petite fille, je ne pouvais pas bien comprendre ce qu'il disait. Mais il s'amusait Ă me faire jouer et, revenu dans votre pays, il m'envoya un bel herbier en souvenir d'une promenade que nous avions Ă©tĂ© faire en phaĂ©ton au Val Richer et oĂč je m'Ă©tais endormie sur ses genoux. J'ai toujours conservĂ© cet herbier et il m'a appris Ă remarquer bien des particularitĂ©s des fleurs qui ne m'auraient pas frappĂ©e sans cela. Quand Mme de Barante a publiĂ© quelques lettres de Mme de Broglie, belles et affectĂ©es comme elle Ă©tait elle-mĂȘme, j'avais espĂ©rĂ© y trouver quelques-unes de ces conversations de M. de Schlegel. Mais c'Ă©tait une femme qui ne cherchait dans la nature que des arguments pour la religion. Robert m'appela dans le fond du salon, oĂč il Ă©tait avec sa mĂšre. Que tu as Ă©tĂ© gentil, lui dis-je, comment te remercier ? Pouvons-nous dĂźner demain ensemble ? Demain, si tu veux, mais alors avec Bloch; je l'ai rencontrĂ© devant la porte; aprĂšs un instant de froideur, parce que j'avais, malgrĂ© moi, laissĂ© sans rĂ©ponse deux lettres de lui il ne m'a pas dit que c'Ă©tait cela qui l'avait froissĂ©, mais je l'ai compris, il a Ă©tĂ© d'une tendresse telle que je ne peux pas me montrer ingrat envers un tel ami. Entre nous, de sa part au moins, je sens bien que c'est Ă la vie, Ă la mort. Je ne crois pas que Robert se trompĂąt absolument. Le dĂ©nigrement furieux Ă©tait souvent chez Bloch l'effet d'une vive sympathie qu'il avait cru qu'on ne lui rendait pas. Et comme il imaginait peu la vie des autres, ne songeait pas qu'on peut avoir Ă©tĂ© malade ou en voyage, etc., un silence de huit jours lui paraissait vite provenir d'une froideur voulue. Aussi je n'ai jamais cru que ses pires violences d'ami, et plus tard d'Ă©crivain, fussent bien profondes. Elles s'exaspĂ©raient si l'on y rĂ©pondait par une dignitĂ© glacĂ©e, ou par une platitude qui l'encourageait Ă redoubler ses coups, mais cĂ©daient souvent Ă une chaude sympathie. Quant Ă gentil, continua Saint-Loup, tu prĂ©tends que je l'ai Ă©tĂ© pour toi, mais je n'ai pas Ă©tĂ© gentil du tout, ma tante dit que c'est toi qui la fuis, que tu ne lui dis pas un mol;. Elle se demande si tu n'as pas quelque chose contre elle. » Heureusement pour moi, si j'avais Ă©tĂ© dupe de ces paroles, notre imminent dĂ©part pour Balbec m'eĂ»t empĂȘchĂ© d'essayer de revoir Mme de Guermantes, de lui assurer que je n'avais rien contre elle et de la mettre ainsi dans la nĂ©cessitĂ© de me prouver que c'Ă©tait elle qui avait quelque chose contre moi. Mais je n'eus qu'Ă me rappeler qu'elle ne m'avait pas mĂȘme offert d'aller voir les Elstir. D'ailleurs ce n'Ă©tait pas une dĂ©ception; je ne m'Ă©tais nullement attendu Ă ce qu'elle m'en parlĂąt; je savais que je ne lui plaisais pas, que je n'avais pas Ă espĂ©rer me faire aimer d'elle; le plus que j'avais pu souhaiter, c'est que, grĂące Ă sa bontĂ©, j'eusse d'elle, puisque je ne devais pas la revoir avant de quitter Paris, une impression entiĂšrement douce, que j'emporterais Ă Balbec indĂ©finiment prolongĂ©e, intacte, au lieu d'un souvenir mĂȘlĂ© d'anxiĂ©tĂ© et de tristesse. A tous moments Mme de Marsantes s'interrompait de causer avec Robert pour me dire combien il lui avait souvent parlĂ© de moi, combien il m'aimait; elle Ă©tait avec moi d'un empressement qui me faisait presque de la peine parce que je le sentais dictĂ© par la crainte qu'elle avait de faire fĂącher ce fils qu'elle n'avait pas encore vu aujourd'hui, avec qui elle Ă©tait impatiente de se trouver seule, et sur lequel elle croyait donc que l'empire qu'elle exerçait n'Ă©galait pas et devait mĂ©nager le mien. M'ayant entendu auparavant demander Ă Bloch des nouvelles de M. Nissim Bernard, son oncle, Mme de Marsantes s'informa si c'Ă©tait celui qui avait habitĂ© Nice. Dans ce cas, il y a connu M. de Marsantes avant qu'il m'Ă©pousĂąt, avait rĂ©pondu Mme de Marsantes. Mon mari m'en a souvent parlĂ© comme d'un homme excellent, d'un cĆur dĂ©licat et gĂ©nĂ©reux. Dire que pour une fois il n'avait pas menti, c'est incroyable », eĂ»t pensĂ© Bloch. Tout le temps j'aurais voulu dire Ă Mme de Marsantes que Robert avait pour elle infiniment plus d'affection que pour moi, et que, m'eĂ»t-elle tĂ©moignĂ© de l'hostilitĂ©, je n'Ă©tais pas d'une nature Ă chercher Ă le prĂ©venir contre elle, Ă le dĂ©tacher d'elle. Mais depuis que Mme de Guermantes Ă©tait partie, j'Ă©tais plus libre d'observer Robert, et je m'aperçus seulement alors que de nouveau une sorte de colĂšre semblait s'ĂȘtre Ă©levĂ©e en lui, affleurant Ă son visage durci et sombre. Je craignais qu'au souvenir de la scĂšne de l'aprĂšs-midi il ne fĂ»t humiliĂ© vis-Ă -vis de moi de s'ĂȘtre laissĂ© traiter si durement par sa maĂźtresse, sans riposter. Brusquement il s'arracha d'auprĂšs de sa mĂšre qui lui avait passĂ© un bras autour du cou, et venant Ă moi m'entraĂźna derriĂšre le petit comptoir fleuri de Mme de Villeparisis, oĂč celle-ci s'Ă©tait rassise, puis me fit signe de le suivre dans le petit salon. Je m'y dirigeais assez vivement quand M. de Charlus, qui avait pu croire que j'allais vers la sortie, quitta brusquement M. de Faffenheim avec qui il causait, fit un tour rapide qui l'amena en face de moi. Je vis avec inquiĂ©tude qu'il avait pris le chapeau au fond duquel il y avait un G et'une couronnĂ© ducale. Dans l'embrasure de la porte du petit salon il me dit sans me regarder Puisque je vois que vous allez dans le monde maintenant, faites-moi donc le plaisir de venir me voir. Mais c'est assez compliquĂ©, ajouta-t-il d'un air d'inattention et de calcul, et comme s'il s'Ă©tait agi d'un plaisir qu'il avait peur de ne plus retrouver une fois qu'il aurait laissĂ© Ă©chapper l'occasion de combiner avec moi les moyens de le rĂ©aliser. Je suis peu chez moi, il faudrait que vous m'Ă©criviez. Mais j'aimerais mieux vous expliquer cela plus tranquillement. Je vais partir dans un moment. Voulez-vous faire deux pas avec moi ? Je ne vous retiendrai qu'un instant. Vous ferez bien de faire attention, monsieur, lui dis-je. Vous avez pris par erreur le chapeau d'un des visiteurs. Vous voulez m'empĂȘcher de prendre mon chapeau ? Je supposai, l'aventure m'Ă©tant arrivĂ©e Ă moi-mĂȘme peu auparavant, que, quelqu'un lui ayant enlevĂ© son. chapeau, il en avait avisĂ© un au hasard pour ne pas rentrer nu-tĂȘte, et que je le mettais dans l'embarras en dĂ©voilant sa ruse. Je lui dis qu'il fallait d'abord que je dise quelques mots Ă Saint-Loup. Il est en train de parler avec cet idiot de duc de Guermantes, ajoutai-je. C'est charmant ce que vous dites lĂ , je le dirai Ă mon frĂšre. Ah vous croyez que cela peut intĂ©resser M. de Charlus ? Je me figurais que, s'il avait un frĂšre, ce frĂšre devait s'appeler Charlus aussi. Saint-Loup m'avait bien donnĂ© quelques explications lĂ -dessus Ă Balbec, mais je les avais oubliĂ©es. Qui est-ce qui vous parle de M. de Charlus ? me dit le baron d'un air insolent. Allez auprĂšs de Robert. Je sais que vous avez participĂ© ce matin Ă un de ces dĂ©jeuners d'orgie qu'il a avec une femme qui le dĂ©shonore. Vous devriez bien user de votre influence sur lui pour lui faire comprendre le chagrin qu'il cause Ă sa pauvre mĂšre et Ă nous tous en traĂźnant notre'nom dans la boue '». J'aurais voulu rĂ©pondre qu'au dĂ©jeuner avilissant on n'avait parlĂ© que d'Emerson, d'Ibsen, de TolstoĂŻ, et que la jeune femme avait prĂȘchĂ© Robert pour qu'il ne bĂ»t que de l'eau; afin de tĂącher d'apporter quelque baume Ă Robert de qui je croyais la fiertĂ© blessĂ©e, je cherchai Ă excuser sa maĂźtresse. Je ne savais pas qu'en ce moment, malgrĂ© sa colĂšre contre elle, c'Ă©tait Ă lui-mĂȘme qu'il adressait des reproches. MĂȘme dans les querelles entre un bon et une mĂ©chante et quand le droit est tout entier d'un cĂŽtĂ©, il arrive toujours qu'il y a une vĂ©tille qui peut donner Ă la mĂ©chante l'apparence de n'avoir pas tort sur un point. Et comme tous les autres points, elle les nĂ©glige, pour peu que le bon ait besoin d'elle, soit dĂ©moralisĂ© par la sĂ©paration, son affaiblissement le rendra scrupuleux, il se rappellera les reproches absurdes qui lui ont Ă©tĂ© faits et se demandera s'ils n'ont pas quelque fondement. Je crois que j'ai eu tort dans cette affaire du collier, me dit Robert. Bien sĂ»r je ne l'avais pas fait dans une mauvaise intention, mais je sais bien que les autres ne se mettent pas au mĂȘme point de vue que nous-mĂȘme. Elle a eu une enfance trĂšs dure. Pour elle je suis tout de mĂȘme le riche qui croit qu'on arrive Ă tout par son argent, et contre lequel le pauvre ne peut pas lutter, qu'il s'agisse d'influencer Boucheron ou de gagner un procĂšs devant un tribunal. Sans doute elle a Ă©tĂ© bien cruelle; moi qui n'ai jamais cherchĂ© que son bien. Mais, je me rends bien compte, elle croit que j'ai voulu lui faire sentir qu'on pouvait la tenir par l'argent, et ce n'est pas vrai. Elle qui m'aime tant, que doit-elle se dire Pauvre chĂ©rie; si tu savais, elle a de telles dĂ©licatesses, je ne peux pas te dire, elle a souvent fait pour moi des choses adorables. Ce qu'elle doit ĂȘtre malheureuse en ce moment En tout cas, quoi qu'il arrive je ne veux pas qu'elle me prenne pour un mufle, je cours chez Boucheron chercher le collier. Qui sait ? peut-ĂȘtre en voyant que j'agis ainsi reconnaĂźtra-t-elle ses torts. Vois-tu, c'est l'idĂ©e qu'elle souffre en ce moment que je ne peux pas supporter Ce qu'on souffre, soi, on le sait, ce n'est rien. Mais elle, se dire qu'elle souffre et ne pas pouvoir se le reprĂ©senter, je crois que je deviendrais fou, j'aimerais mieux ne la revoir jamais que de la laisser souffrir. Qu'elle soit heureuse sans moi s'il le faut, c'est tout ce que je demande. Ecoute, tu sais, pour moi, tout ce qui la touche c'est immense, cela prend quelque chose de cosmique; je cours chez le bijoutier et aprĂšs cela lui demander pardon. Jusqu'Ă ce que je sois lĂ -bas, qu'est-ce qu'elle va pouvoir penser de moi ? Si elle savait seulement que je vais venir A tout hasard tu pourras venir chez elle; qui sait, tout s'arrangera peut-ĂȘtre. Peut-ĂȘtre, dit-il avec un sourire, comme n'osant croire Ă un tel rĂȘve, nous irons dĂźner tous les trois Ă la campagne. Mais on ne peut pas savoir encore, je sais si mal la prendre; pauvre petite, je vais peut-ĂȘtre encore la blesser. Et puis sa dĂ©cision est peut-ĂȘtre irrĂ©vocable. Robert m'entraĂźna brusquement vers sa mĂšre. Adieu, lui dit-il; je suis forcĂ© de partir. Je ne sais pas quand je reviendrai en permission, sans doute pas avant un mois. Je vous l'Ă©crirai dĂšs que je le saurai. Certes Robert n'Ă©tait nullement de ces fils qui, quand ils sont dans le monde avec leur mĂšre, croient qu'une attitude exaspĂ©rĂ©e Ă son Ă©gard doit faire contrepoids aux sourires et aux saluts qu'ils adressent aux Ă©trangers. Rien n'est plus rĂ©pandu que cette odieuse vengeance de ceux qui semblent croire que la grossiĂšretĂ© envers les siens complĂšte tout naturellement la tenue de cĂ©rĂ©monie. Quoi que la pauvre mĂšre dise, son fils, comme s'il avait Ă©tĂ© emmenĂ© malgrĂ© lui et voulait faire payer cher sa prĂ©sence, contrebat immĂ©diatement d'une contradiction ironique, prĂ©cise, cruelle, l'assertion timidement risquĂ©e; la mĂšre se range aussitĂŽt, sans le dĂ©sarmer pour cela, Ă l'opinion de cet ĂȘtre supĂ©rieur qu'elle continuera Ă vanter Ă chacun, en son absence, comme une nature dĂ©licieuse, et qui ne lui Ă©pargne pourtant aucun de ses traits les plus acĂ©rĂ©s. Saint-Loup Ă©tait tout autre, mais l'angoisse que provoquait l'absence de Rachel faisait que, pour des raisons diffĂ©rentes, il n'Ă©tait pas moins dur avec sa mĂšre que ne le sont ces fils-lĂ avec la leur. Et aux paroles qu'il prononça je vis le mĂȘme battement, pareil Ă celui d'une aile, que Mme de MarsĂ ntes n'avait pu rĂ©primer Ă l'arrivĂ©e de son fils, la dresser encore tout entiĂšre; mais maintenant c'Ă©tait un visage anxieux, des yeux dĂ©solĂ©s qu'elle attachait sur lui. Comment, Robert, tu t'en vas ? c'est sĂ©rieux ? mon petit enfant le seul jour oĂč je pouvais t'avoir Et presque bas, sur le ton le plus naturel, d'une voix d'oĂč elle s'efforçait de bannir toute tristesse pour ne pas inspirer Ă son fils une pitiĂ© qui eĂ»t peut-ĂȘtre Ă©tĂ© cruelle pour lui, ou inutile et bonne seulement Ă l'irriter, comme un argument de simple bon sens elle ajouta Tu sais que ce n'est pas gentil ce que tu fais lĂ . Mais Ă cette simplicitĂ© elle ajoutait tant de timiditĂ© pour lui montrer qu'elle n'entreprenait pas sur sa libertĂ©, tant de tendresse pour qu'il ne lui reprochĂąt pas d'entraver ses plaisirs, que Saint-Loup ne put pas ne pas apercevoir en lui-mĂȘme comme la possibilitĂ© d'un attendrissement, c'est-Ă -dire un obstacle Ă passer la soirĂ©e avec son amie. Aussi se mit-il en colĂšre C'est regrettable, mais gentil ou non, c'est ainsi. Et il fit Ă sa mĂšre les reproches que sans doute il se sentait peut-ĂȘtre mĂ©riter; c'est ainsi que les Ă©goĂŻstes ont toujours le dernier mot; ayant posĂ© d'abord que leur rĂ©solution est inĂ©branlable, plus le sentiment auquel on fait appel en eux pour qu'ils y renoncent est touchant, plus ils trouvent condamnables, non pas eux qui y rĂ©sistent, mais ceux qui les mettent dans la nĂ©cessitĂ© d'y rĂ©sister, de sorte que leur propre duretĂ© peut aller jusqu'Ă la plus extrĂȘme cruautĂ© sans que cela fasse Ă leurs yeux qu'aggraver d'autant la culpabilitĂ© de l'ĂȘtre assez indĂ©licat pour souffrir, pour avoir raison, et leur causer ainsi lĂąchement la douleur d'agir contre leur propre pitiĂ©. D'ailleurs, d'elle-mĂȘme Mme de Marsantes cessa d'insister, car elle sentait qu'elle ne le retiendrait plus. Je te laisse, me dit-il, mais, maman, ne le gardez pas longtemps parce qu'il faut qu'il aille faire une visite tout Ă l'heure. Je sentais bien que ma prĂ©sence ne pouvait faire aucun plaisir Ă Mme de Marsantes, mais j'aimais mieux, en ne partant pas avec Robert, qu'elle ne crĂ»t pas que j'Ă©tais mĂȘlĂ© Ă ces plaisirs qui la privaient de lui. J'aurais voulu trouver quelque excuse Ă la conduite de son fils, moins par affection pour lui que par pitiĂ© pour elle. Mais ce fut elle qui parla la premiĂšre Pauvre petit, me dit-elle, je suis sĂ»re que je lui ai fait de la peine. Voyez-vous, monsieur, les mĂšres sont trĂšs Ă©goĂŻstes; il n'a pourtant pas tant de plaisirs, lui qui vient si peu Ă Paris. Mon Dieu, s'il n'Ă©tait pas encore parti, j'aurais voulu le rattraper, non pas pour le retenir certes, mais pour lui dire que je nĂ© lui en veux pas, que je trouve qu'il a eu raison. Cela ne vous ennuie pas que je regarde sur l'escalier ? Et nous allĂąmes jusque-lĂ Robert Robert cria-t-elle. Non, il est parti, il est trop tard. Maintenant je me serais aussi volontiers chargĂ© d'une mission pour faire rompre Robert et sa maĂźtresse qu'il y a quelques heures pour qu'il partĂźt vivre tout Ă fait avec elle. Dans un cas Saint-Loup m'eĂ»t jugĂ© un ami traĂźtre, dans l'autre cas sa famille m'eĂ»t appelĂ© son mauvais gĂ©nie. J'Ă©tais pourtant le mĂȘme homme Ă quelques heures de distance. Nous rentrĂąmes dans le salon. En ne voyant pas rentrer Saint-Loup, Mme de Villeparisis Ă©changea avec M. de Norpois ce regard dubitatif, moqueur, et sans grande pitiĂ© qu'on a en montrant une Ă©pouse trop jalouse ou une mĂšre trop tendre lesquelles donnent aux autres la comĂ©die et qui signifie Tiens, il a dĂ» y avoir de l'orage. » Robert alla chez sa maĂźtresse en lui apportant le splendide bijou que, d'aprĂšs leurs conventions, il n'aurait pas dĂ» lui donner. Mais d'ailleurs cela revint au mĂȘme car elle n'en voulut pas, et mĂȘme, dans la suite, il ne rĂ©ussit jamais Ă le lui faire accepter. Certains amis de Robert pensaient que ces preuves de dĂ©sintĂ©ressement qu'elle donnait Ă©taient un calcul pour se l'attacher. Pourtant elle ne tenait pas Ă l'argent, sauf peut-ĂȘtre pour pouvoir le dĂ©penser sans compter. Je lui ai vu faire Ă tort et Ă travers, Ă des gens qu'elle croyait pauvres, des charitĂ©s insensĂ©es. En ce moment, disaient Ă Robert ses amis pour faire contrepoids par leurs mauvaises paroles Ă un acte de dĂ©sintĂ©ressement de Rachel, en ce moment elle doit ĂȘtre au promenoir des Folies-BergĂšre. Cette Rachel, c'est une Ă©nigme, un vĂ©ritable sphinx. » Au reste combien de femmes intĂ©ressĂ©es, puisqu'elles sont entretenues, ne voit-on pas, par une dĂ©licatesse qui fleurit au milieu de cette existence, poser elles-mĂȘmes mille petites bornes Ă la gĂ©nĂ©rositĂ© de leur amant Robert ignorait presque toutes les infidĂ©litĂ©s de sa maĂźtresse et faisait travailler son esprit sur ce qui n'Ă©tait que des riens insignifiants auprĂšs de la vraie vie de Rachel, vie qui ne commençait chaque jour que lorsqu'il venait de la quitter. Il ignorait presque toutes ces infidĂ©litĂ©s. On aurait pu les lui apprendre sans Ă©branler sa confiance en Rachel. Car c'est une charmante loi de nature, qui se manifeste au sein des sociĂ©tĂ©s les plus complexes, qu'on vive dans l'ignorance parfaite de ce qu'on aime. D'un cĂŽtĂ© du miroir, l'amoureux se dit C'est un ange, jamais elle ne se donnera Ă moi, je n'ai plus qu'Ă mourir, et pourtant elle m'aime; elle m'aime tant que peut-ĂȘtre. mais non ce ne sera pas possible. » Et dans l'exaltation de son dĂ©sir, dans l'angoisse de son attente, que de bijoux il met aux pieds de cette femme, comme il court emprunter de l'argent pour lui Ă©viter un souci cependant, de l'autre cĂŽtĂ© de la cloison, Ă travers laquelle ces conversations ne passeront pas plus que celles qu'Ă©changent les promeneurs devant un aquarium, le public dit Vous ne la connaissez pas ? je vous en fĂ©licite, elle a volĂ©, ruinĂ© je ne sais pas combien de gens, -il n'y a pas pis que ça comme fille. C'est une pure escroqueuse. Et roublarde » Et peutĂȘtre le public n'a-t-il pas absolument tort en ce qui concerne cette derniĂšre Ă©pithĂšte, car mĂȘme l'homme sceptique qui n'est pas vraiment amoureux de cette femme et Ă qui elle plaĂźt seulement dit Ă ses amis Mais non, mon cher, ce n'est pas du tout une cocotte; je ne dis pas que dans sa vie elle n'ait pas eu deux ou trois caprices, mais ce n'est pas une femme qu'on paye, ou alors ce serait trop cher. Avec elle c'est cinquante mille francs ou rien du tout. » Or, lui, a dĂ©pensĂ© cinquante mille francs pour elle, il l'a eue une fois, mais elle, trouvant d'ailleurs pour cela un complice chez lui-mĂȘme, dans la personne de son amour-propre, elle a su lui persuader qu'il Ă©tait de ceux qui l'avaient eue pour rien. Telle est la sociĂ©tĂ©, oĂč chaque ĂȘtre est double, et oĂč le plus percĂ© Ă jour, le plus mal famĂ©, ne sera jamais connu par un certain autre qu'au fond et sous la protection d'une coquille, d'un doux cocon, d'une dĂ©licieuse curiositĂ© naturelle. Il y avait Ă Paris deux honnĂȘtes gens que Saint-Loup 9 Vol. II. ne saluait plus et dont il ne parlait pas sans que sa voix tremblĂąt, les appelant exploiteurs de femmes c'est qu'ils avaient Ă©tĂ© ruinĂ©s par Rachel. Je ne me reproche qu'une chose, me dit tout bas Mme de Marsantes, c'est de lui avoir dit qu'il n'Ă©tait pas gentil, Lui, ce fils adorable, unique, comme il n'y en a pas d'autres, pour la seule fois oĂč je le vois, lui avoir dit qu'il n'Ă©tait pas gentil, j'aimerais mieux avoir reçu un coup de bĂąton, parce que je suis certaine que, quelque plaisir qu'il ait ce soir, lui qui n'en a pas tant, il lui sera gĂątĂ© par cette parole injuste. Mais, Monsieur, je ne vous retiens pas, puisque vous ĂȘtes pressĂ©. Mme de Marsantes me dit au revoir avec anxiĂ©tĂ©. Ces sentiments se rapportaient Ă Robert, elle Ă©tait sincĂšre. Mais elle cessa de l'ĂȘtre pour redevenir grande dame J'ai Ă©tĂ© intĂ©ressĂ©e, si heureuse, de causer un peu avec vous. Merci merci Et d'un air humble elle attachait sur moi des regards reconnaissants, enivrĂ©s, comme si ma conversation Ă©tait un des plus grands plaisirs qu'elle eĂ»t connus dans la vie. Ces regards charmants allaient fort bien avec les fleurs noires sur la robe blanche Ă ramages; ils Ă©taient d'une grande dame qui sait son mĂ©tier. Mais, je ne suis pas pressĂ©, Madame, rĂ©pondis-je; d'ailleurs j'attends M. de -Charlus avec qui je dois m'en aller. Mme de Villeparisis entendit ces derniers mots. Elle en parut contrariĂ©e. S'il ne s'Ă©tait agi d'une chose qui ne pouvait intĂ©resser un sentiment de cette nature, il m'eĂ»t paru que ce qui me semblait en alarme Ă ce moment-lĂ chez Mme de Villeparisis, c'Ă©tait la pudeur. Mais cette hypothĂšse ne se prĂ©senta mĂȘme pas Ă mon esprit. J'Ă©tais content de Mme de Guermantes, de Saint-Loup, de Mme de Marsantes, de M. de Charlus, de Mme de Villeparisis, je ne rĂ©flĂ©chissais pas, et je parlais gaiement Ă tort et Ă travers. Vous devez partir avec mon neveu PalamĂšde ? me dit-elle. Pensant que cela pouvait produire une impression trĂšs favorable sur Mme de Villeparisis que je fusse liĂ© avec un neveu qu'elle prisait si fort Il m'a demandĂ© de revenir avec lui, rĂ©pondis-je avec joie. J'en suis enchantĂ©. Du reste nous sommes plus amis que vous ne croyez, Madame, et je suis dĂ©cidĂ© Ă tout pour que nous le soyons davantage. » De contrariĂ©e, Mme de Villeparisis sembla devenue soucieuse Ne l'attendez pas, me dit-elle d'un air prĂ©occupĂ©, il cause avec M. de Faffenheim. Il ne pense dĂ©jĂ plus Ă ce qu'il vous a dit. Tenez, partez, profitez vite pendant qu'il a le dos tournĂ©. » Ce premier Ă©moi de Mme de Villeparisis eĂ»t ressemblĂ©, n'eussent Ă©tĂ© les circonstances, Ă celui de la pudeur. Son insistance, son opposition auraient pu, si l'on n'avait consultĂ© que son visage, paraĂźtre dictĂ©es par la vertu. Je n'Ă©tais, pour ma part, guĂšre pressĂ© d'aller retrouver Robert et sa maĂźtresse. Mais Mme de Villeparisis semblait tenir tant Ă ce que je partisse que, pensant peut-ĂȘtre qu'elle avait Ă causer d'affaire importante avec son neveu, je lui dis au revoir. A cĂŽtĂ© d'elle M. de Guermantes, superbe et olympien, Ă©tait lourdement assis. On aurait dit que la notion omniprĂ©sente en tous ses membres de ses grandes richesses lui donnait une densitĂ© particuliĂšrement Ă©levĂ©e, comme si elles avaient Ă©tĂ© fondues au creuset en un seul lingot humain, pour faire cet homme qui valait si cher. Au moment oĂč je lui dis au revoir, il se leva poliment de son siĂšge et je sentis la masse inerte de trente millions que la vieille Ă©ducation française faisait mouvoir, soulevait, et qui se tenait debout devant moi. Il me semblait voir cette statue de Jupiter Olympien que Phidias, dit-on, avait fondue tout en or. Telle Ă©tait la puissance que la bonne Ă©ducation avait sur M. de Guermantes, sur le corps de M. de Guermantes du moins, car elle ne rĂ©gnait pas aussi en maĂźtresse sur l'esprit du duc. M. de Guermantes riait de ses bons mots, mais ne se dĂ©ridait pas Ă ceux des autres. Dans l'escalier, j'entendis derriĂšre moi une voix qui m'interpellait VoilĂ comme vous m'attendez, Monsieur. C'Ă©tait M. de Charlus. Cela vous est Ă©gal de faire quelques pas Ă pied ? me dit-il sĂšchement, quand nous fĂ»mes dans la cour. Nous marcherons jusqu'Ă ce que j'aie trouvĂ© un fiacre qui me convienne. Vous vouliez me parler de quelque chose, Monsieur ? Ah voilĂ , en effet, j'avais certaines choses Ă vous dire, mais je ne sais trop si je vous les dirai. Certes je crois qu'elles pourraient ĂȘtre pour vous le point de dĂ©part d'avantages inapprĂ©ciables. Mais j'entrevois aussi qu'elles amĂšneraient dans mon existence, Ă mon Ăąge oĂč on commence Ă tenir Ă la tranquillitĂ©, bien des pertes de temps, bien des dĂ©rangements. Je me demande si vous valez la peine que je me donne pour vous tout ce tracas, et je n'ai pas le plaisir de vous connaĂźtre assez pour en dĂ©cider. Peut-ĂȘtre aussi n'avez-vous pas de ce que je pourrais faire pour vous un assez grand dĂ©sir pour que je me donne tant d'ennuis, car je vous le rĂ©pĂšte trĂšs franchement, Monsieur, pour moi ce ne peut ĂȘtre que de l'ennui. Je protestai qu'alors il n'y fallait pas songer. Cette rupture des pourparlers ne parut pas ĂȘtre de son goĂ»t. Cette politesse ne signifie rien, me dit-il d'un ton dur. Il n'y a rien de plus agrĂ©able que de se donner de l'ennui pour une personne qui en vaille le peine. Pour les meilleurs d'entre nous, l'Ă©tude des arts, le goĂ»t de la brocante, les collections, les jardins, ne sont que des ersatz, des succĂ©danĂ©s, des alibis. Dans le fond de notre tonneau, comme DiogĂšne, nous demandons un homme. Nous cultivons les bĂ©gonias, nous taillons les ifs, par pis aller, parce que les ifs et les bĂ©gonias se laissent faire. Mais nous aimerions donner notre temps Ă un arbuste humain, si nous Ă©tions sĂ»rs qu'il en valĂ»t la peine. Toute la question est lĂ ; vous devez vous connaĂźtre un peu. Valez-vous la peine ou non ? Je ne voudrais, Monsieur, pour rien au monde, ĂȘtre pour vous une cause de soucis, lui dis-je, mais quant Ă mon plaisir, croyez bien que tout ce qui me viendra de vous m'en causera un trĂšs grand. Je suis profondĂ©ment touchĂ© que vous veuillez bien faire ainsi attention Ă moi et chercher Ă m'ĂȘtre utile. A mon grand Ă©tonnement ce fut presque avec effusion qu'il me remercia de ces paroles. Passant son bras sous le mien avec cette familiaritĂ© intermittente qui m'avait dĂ©jĂ frappĂ© Ă Balbec et qui contrastait avec la duretĂ© de son accent Avec l'inconsidĂ©ration de votre Ăąge, me dit-il, vous pourriez parfois avoir des paroles capables de creuser un abĂźme infranchissable entre nous. Celles que vous venez de prononcer au contraire sont du genre qui est justement capable de me toucher et de me faire faire beaucoup pour vous. Tout en marchant bras dessus bras dessous avec moi et en me disant ces paroles qui, bien que mĂȘlĂ©es de dĂ©dain, Ă©taient si affectueuses, M. de Charlus tantĂŽt fixait ses regards sur moi avec cette fixitĂ© intense, cette duretĂ© perçante qui m'avaient frappĂ© le premier matin oĂč je l'avais aperçu devant le casino Ă Balbec, et mĂȘme bien des annĂ©es avant, prĂšs de l'Ă©pinier rose, Ă cĂŽtĂ© de Mme Swann que je croyais alors sa maĂźtresse, dans le parc de Tansonville; tantĂŽt il les faisait ewer autour de lui et examiner les fiacres, qui passaient assez nombreux Ă cette heure de relais, avec tant d'insistance que plusieurs s'arrĂȘtĂšrent, le cocher ayant cru qu'on voulait le prendre. Mais M. de Charlus les congĂ©diait aussitĂŽt. Aucun ne fait mon affaire, me dit-il, tout cela est une question de lanternes, du quartier oĂč ils rentrent. Je voudrais, Monsieur, me dit-il, que vous ne puissiez pas vous mĂ©prendre sur le caractĂšre purement dĂ©sintĂ©ressĂ© et charitable de la proposition que je vais vous adresser. J'Ă©tais frappĂ© combien sa diction ressemblait Ă celle de Swann encore plus qu'Ă Balbec. Vous ĂȘtes assez intelligent, je suppose, pour ne pas croire que c'est par manque de relations», par crainte de la solitude et de l'ennui, que je m'adresse Ă vous. Je n'aime pas beaucoup Ă parler de moi, Monsieur, mais enfin, vous l'avez peut-ĂȘtre appris, un article assez retentissant du Times y a fait allusion, l'empereur d'Autriche, qui m'a toujours honorĂ© de sa bienveillance et veut bien entretenir avec moi des relations de cousinage, a dĂ©clarĂ© naguĂšre dans un entretien rendu public que, si M. le comte de Chambord avait eu auprĂšs de lui un homme possĂ©dant âą aussi Ă fond que moi les dessous de la politique europĂ©enne, il serait aujourd'hui roi de France. J'ai souvent pensĂ©, Monsieur, qu'il y avait en moi, du fait non de mes faibles dons mais de circonstances que vous apprendrez peut-ĂȘtre un jour, un trĂ©sor d'expĂ©rience, une sorte de dossier secret et inestimable, que je n'ai pas cru devoir utiliser personnellement, mais qui serait sans prix pour un jeune homme Ă qui je livrerais en quelques mois ce que j'ai mis plus de trente ans Ă acquĂ©rir et que je suis peut-ĂȘtre seul Ă possĂ©der. Je ne parle pas des jouissances intellectuelles que vous auriez Ă apprendre certains secrets qu'un Michelet de nos jours donnerait des annĂ©es de sa vie pour connaĂźtre et grĂące auxquels certains Ă©vĂ©nements prendraient Ă ses yeux un aspect entiĂšrement diffĂ©rent. Et je ne parle pas seulement des Ă©vĂ©nements accomplis, mais de l'enchaĂźnement de circonstances c'Ă©tait une des expressions favorites de M. de Charlus et souvent, quand il la prononçait, il conjoignait ses deux mains comme quand on veut prier, mais les doigts raides et comme pour faire comprendre par ce complexus ces circonstances qu'il ne spĂ©cifiait pas et leur enchaĂźnement. Je vous donnerais une explication inconnue non seulement du passĂ©, mais de l'avenir. M. de Charlus s'interrompit pour me poser des questions sur Bloch dont on avait parlĂ© sans qu'il eĂ»t l'air d'entendre, chez Mme de Villeparisis. Et de cet accent dont il savait si bien dĂ©tacher ce qu'il disait qu'il avait l'air de penser Ă toute autre chose et de parler machinalement par simple politesse; il me demanda si mon camarade Ă©tait jeune, Ă©tait beau, etc. Bloch, s'il l'eĂ»t entendu, eĂ»t Ă©tĂ© plus en peine encore que pour M. dĂ© Norpois, mais Ă cause de raisons bien diffĂ©rentes, de savoir si M. de Charlus Ă©tait pour ou contre Dreyfus. Vous n'avez pas tort, si vous voulez vous instruire, me dit M. de Charlus aprĂšs m'avoir posĂ© ces questions sur Bloch, d'avoir parmi vos amis quelques Ă©trangers. » Je rĂ©pondis que Bloch Ă©tait Français. Ah dit M. de Charlus, j'avais cru qu'il Ă©tait Juif » La dĂ©claration de cette incompatibilitĂ© me fit croire que M. de Charlus Ă©tait plus antidreyfusard qu'aucune des personnes que j'avais rencontrĂ©es Il protesta au contraire contre l'accusation de trahison portĂ©e contre Dreyfus. Mais ce fut sous cette forme Je crois que les journaux disent que Dreyfus a commis un crime contre sa patrie, je crois qu'on le dit, je ne fais pas attention aux journaux, je les lis comme je me lave les mains, sans trouver que cela vaille la peine de m'intĂ©resser. En tout cas le crime est inexistant, le compatriote de votre ami aurait commis un crime contre sa patrie s'il avait trahi la JudĂ©e, mais qu'est-ce qu'il a Ă voir avec la France ? » J'objectai que, s'il y avait jamais une guerre, les Juifs seraient aussi bien mobilisĂ©s que les autres. Peut-ĂȘtre et il n'est pas certain que ce ne soit pas une imprudence. Mais si on fait venir des SĂ©nĂ©galais et des Malgaches, je ne pense pas qu'ils mettront grand cĆur Ă dĂ©fendre la France, et c'est bien naturel. Votre Dreyfus pourrait plutĂŽt ĂȘtre condamnĂ© pour infraction aux rĂšgles de l'hospitalitĂ©. Mais laissons cela. Peut-ĂȘtre pourriez-vous demander Ă votre ami de me faire assister Ă quelque belle fĂȘte au temple, Ă une circoncision, Ă des chants juifs. Il pourrait peut-ĂȘtre louer une salle et me donner quelque divertissement biblique, comme les filles de Saint-Cyr jouĂšrent des scĂšnes tirĂ©es- des Psaumes par Racine pour distraire Louis XIV. Vous pourriez peutĂȘtre arranger mĂȘme des parties pour faire rire. Par exemple une lutte entre votre ami et son pĂšre oĂč il le blesserait comme David Goliath. Cela composerait une farce assez plaisante. Il pourrait mĂȘme, pendant qu'il y est, frapper Ă coups redoublĂ©s sur sa charogne, ou, comme dirait ma vieille bonne, sur sa carogne de mĂšre. VoilĂ qui serait fort bien fait et ne serait pas pour nous dĂ©plaire, hein petit ami, puisque nous aimons les spectacles exotiques et que frapper cette crĂ©ature extra-europĂ©enne, ce serait donner une correction mĂ©ritĂ©e Ă un vieux chameau. » En disant ces mots affreux et presque fous, M. de Charlus me serrait le bras Ă me faire mal. Je me souvenais de la famille de M. de Charlus citant tant de traits de bontĂ© admirables, de la part du baron, Ă l'Ă©gard,de cette vieille bonne dont il venait de rappeler le patois moliĂ©resque, et je me disais que les rapports, peu Ă©tudiĂ©s jusqu'ici, me semblait-il, entre la bontĂ© et la mĂ©chancetĂ© dans un mĂȘme cĆur, pour divers qu'ils puissent ĂȘtre, seraient intĂ©ressants Ă Ă©tablir. Je l'avertis qu'en tout cas Mme Bloch n'existait plus, et que quant Ă M. Bloch je me demandais jusqu'Ă quel point il se plairait Ă un jeu qui pourrait parfaitement lui crever les yeux. M. de Charlus sembla fĂąchĂ©. VoilĂ , dit-il, une femme qui a eu grand tort de mourir. Quant aux yeux crevĂ©s, justement la Synagogue est aveugle, elle ne voit pas les vĂ©ritĂ©s de l'Ăvangile. En tout cas, pensez, en ce moment oĂč tous ces malheureux Juifs tremblent devant la fureur stupide des chrĂ©tiens, quel honneur pour eux de voir un homme comme moi condescendre Ă s'amuser de leurs jeux. » A ce moment j'aperçus M. Bloch pĂšre qui passait, allant sans doute au-devant de son fils. Il ne nous voyait pas mais j'offris Ă M. de Charlus de le lui prĂ©senter. Je ne me doutais pas de la colĂšre que j'allais dĂ©chaĂźner chez mon compagnon Me le prĂ©senter Mais il faut que vous ayez bien peu le sentiment des valeurs On ne me connaĂźt pas si facilement que ça. Dans le cas actuel l'inconvenance serait double Ă cause de la juvĂ©nilitĂ© du prĂ©sentateur et de l'indignitĂ© du prĂ©sentĂ©. Tout au plus, si on me donne un jour le spectacle asiatique que j'esquissais, pourrai-je adresser Ă cet affreux bonhomme quelques paroles empreintes de bonhomie. Mais Ă condition qu'il se soit laissĂ© copieusement rosser par son fils. Je pourrais aller jusqu'Ă exprimer ma satisfaction. » D'ailleurs M. Bloch ne faisait nulle attention Ă nous. Il Ă©tait en train d'adresser Ă Mme Sazerat de grands saluts fort bien accueillis d'elle. J'en Ă©tais surpris, car jadis, Ă Combray, elle avait Ă©tĂ© indignĂ©e que mes parents eussent reçu le jeune Bloch, tant elle Ă©tait antisĂ©mite. Mais le dreyfusisme, comme une chasse d'air, avait fait il y a quelques jours voler jusqu'Ă elle M. Bloch. Le pĂšre de mon ami avait trouvĂ© Mme Sazerat charmante et Ă©tait particuliĂšrement flattĂ© de l'antisĂ©mitisme de cette dame qu'il trouvait une preuve de la sincĂ©ritĂ© de sa foi et de la vĂ©ritĂ© de ses opinions dreyfusardes, et qui donnait aussi du prix Ă la visite qu'elle l'avait autorisĂ©e Ă lui faire. Il n^vait mĂȘme pas Ă©tĂ© blessĂ© qu'elle eĂ»t dit Ă©tourdiment devant lui M. Drumont a la prĂ©tention de mettre les rĂ©visionnistes dans le mĂȘme sac que les protestants et les juifs. C'est charmant cette promiscuitĂ© » Bernard, avait-il dit avec orgueil, en rentrant, Ă M. Nissim Bernard, tu sais, elle a le prĂ©jugĂ© » Mais M. Nissim Bernard n'avait rien rĂ©pondu et avait levĂ© au ciel un regard d'ange. S'attristant du malheur des Juifs, se souvenant de ses amitiĂ©s chrĂ©tiennes, devenant maniĂ©rĂ© et prĂ©cieux au fur et Ă mesure que les annĂ©es venaient, pour des raisons que l'on verra plus tard, il avait maintenant l'air d'une larve prĂ©raphaĂ©lite oĂč des poils se seraient malproprement implantĂ©s, comme des cheveux noyĂ©s dans une opale. Toute cette affaire Dreyfus, reprit le baron qui tenait toujours mon bras, n'a qu'un inconvĂ©nient c'est qu'elle dĂ©truit la sociĂ©tĂ© je ne dis pas la bonne sociĂ©tĂ©, il y a longtemps que la sociĂ©tĂ© ne mĂ©rite plus cette Ă©pithĂšte louangeuse par l'afflux de messieurs et de dames du Chameau, de la Chamellerie, de la ChamelliĂšre, enfin de gens inconnus que je trouve mĂȘme chez mes cousines parce qu'ils font partie de la ligue de la Patrie Française, antijuive, je ne sais quoi, comme si une opinion politique donnait droit Ă une qualification sociale. » Cette frivolitĂ© de M. de Charlus l'apparentait davantage Ă la duchesse de Guermantes. Je lui soulignai le rapprochement. Comme il semblait croire que je ne la connaissais pas, je lui rappelai la soirĂ©e de l'OpĂ©ra oĂč il avait semblĂ© vouloir se cacher de moi. M. de Charlus me dit avec tant de force ne m'avoir nullement vu que j'aurais fini par le croire si bientĂŽt un petit incident ne m'avait donnĂ© Ă penser que trop orgueilleux peut-ĂȘtre il n'aimait pas Ă ĂȘtre vu avec moi. Revenons Ă vous, me dit M. de Charlus, et Ă mes projets sur vous. Il existe entre certains hommes, Monsieur, une franc-maçonnerie dont je ne puis vous parler, mais qui compte dans ses rangs en ce moment quatre souverains de l'Europe. Or l'entourage de l'un d'eux veut le guĂ©rir de sa chimĂšre. Cela est une chose trĂšs grave et peut nous amener la guerre. Oui, Monsieur, parfaitement. Vous connaissez l'histoire de cet homme qui croyait tenir dans une bouteille la princesse de la Chine. C'Ă©tait une folie. On l'en guĂ©rit. Mais dĂšs qu'il ne fut plus fou il devint bĂȘte. Il y a des maux dont il ne faut pas chercher Ă guĂ©rir parce qu'ils nous protĂšgent seuls contre de plus graves. Un de mes cousins avait une maladie de l'estomac, il ne pouvait rien digĂ©rer. Les plus savants spĂ©cialistes de l'estomac le soignĂšrent sans rĂ©sultat. Je l'amenai Ă un certain mĂ©decin encore un ĂȘtre bien curieux, entre parenthĂšses, et sur lequel il y aurait beaucoup Ă dire. Celui-ci devina aussitĂŽt que la maladie Ă©tait nerveuse, il persuada son malade, lui ordonna de manger sans crainte ce qu'il voudrait et qui serait toujours bien tolĂ©rĂ©. Mais mon cousin avait aussi de la nĂ©phrite. Ce que l'estomac digĂšre parfaitement, le rein finit par ne plus pouvoir l'Ă©liminer, et mon cousin, au lieu de vivre vieux avec une maladie d'estomac imaginaire qui le forçait Ă suivre un rĂ©gime, mourut Ă quarante ans, l'estomac guĂ©ri mais le rein perdu. Ayant une formidable avance sur votre propre vie, qui sait, vous serez peut-ĂȘtre ce qu'eĂ»t pu ĂȘtre un homme Ă©minent du passĂ© si un gĂ©nie bienfaisant lui avait dĂ©voilĂ©, au milieu d'une humanitĂ© qui les ignorait, les lois de la vapeur et de l'Ă©lectricitĂ©. Ne soyez pas bĂȘte, ne refusez pas par discrĂ©tion. Comprenez que si je vous rends un grand service, je n'estime pas que vous m'en rendiez un moins grand. Il y a longtemps que les gens du monde ont cessĂ© de m'intĂ©resser, je n'ai plus qu'une passion, chercher Ă racheter les fautes de ma vie en faisant profiter de ce que je sais une Ăąme encore vierge et capable d'ĂȘtre enflammĂ©e par la vertu. J'ai eu de grands chagrins, Monsieur, et que je vous dirai peut-ĂȘtre un jour, j'ai perdu ma femme qui Ă©tait l'ĂȘtre le plus beau, le plus noble, le plus parfait qu'on pĂ»t rĂȘver. J'ai de jeunes parents qui ne sont pas, je ne dirai pas dignes, mais capables de recevoir l'hĂ©ritage moral dont je vous parle. Qui sait si vous n'ĂȘtes pas celui entre les mains de qui il peut aller, celui dont je pourrai diriger et Ă©lever si haut la vie ? La mienne y gagnerait par surcroĂźt. Peut-ĂȘtre en vous apprenant les grandes affaires diplomatiques y reprendrais-je goĂ»t de moi-mĂȘme et me mettrais-je enfin Ă faire des choses intĂ©ressantes oĂč vous seriez de moitiĂ©. Mais avant de le savoir, il faudrait que je vous visse souvent, trĂšs souvent, chaque jour. Je voulais profiter de ces bonnes dispositions inespĂ©rĂ©es de M. de Charlus pour lui demander s'il ne pourrait pas me faire rencontrer sa belle-sĆur, mais, Ă ce moment, j'eus le bras vivement dĂ©placĂ© par une secousse comme Ă©lectrique. C'Ă©tait M. de Charlus qui venait de retirer prĂ©cipitamment son bras de dessous le mien. Bien que, tout en parlant, il promenĂąt ses regards dans toutes les directions, il venait seulement d'apercevoir M. d'Argencourt qui dĂ©bouchait d'une rue transversale. En nous voyant, M. d'Argencourt parut contrariĂ©, jeta sur moi un regard de mĂ©fiance, presque ce regard destinĂ© Ă -un ĂȘtre d'une autre race que Mme de Guermantes avait eu pour Bloch, et tĂącha de nous Ă©viter. Mais on eĂ»t dit que M. de Charlus tenait Ă lui montrer qu'il ne cherchait nullement Ă ne pas ĂȘtre vu de lui, car il l'appela et pour lui dire une chose fort insignifiante. Et- craignant peut-ĂȘtre que M. d'Argencourt ne me reconnĂ»t pas, M. de Charlus lui dit que j'Ă©tais un grand ami de Mme de Villeparisis, de la duchesse de Guermantes, de Robert de Saint-Loup; que lui-mĂȘme, Charlus, Ă©tait un vieil ami de ma grand'mĂšre, heureux de reporter sur le petit-fils un peu de la sympathie qu'il avait pour elle. NĂ©anmoins je remarquai que M. d'Argencourt, Ă qui pourtant j'avais Ă©tĂ© Ă peine nommĂ© chez Mme de Villeparisis et Ă qui M. de Charlus venait de parler longuement de ma famille, fut plus froid avec moi qu'il n'avait Ă©tĂ© il y a une heure; pendant fort longtemps il en fut ainsi chaque fois qu'il me rencontrait. Il m'observait avec une curiositĂ© qui n'avait rien de sympathique et sembla mĂȘme avoir Ă vaincre une rĂ©sistance quand, en nous quittant, aprĂšs une hĂ©sitation, il me tendit une main qu'il retira aussitĂŽt. Je regrette cette rencontre, me dit M. de Charlus. Cet Argencourt, bien nĂ© mais mal Ă©levĂ©, diplomate plus que mĂ©diocre, mari dĂ©testable et coureur, fourbe comme dans les piĂšces, est un de ces hommes incapables de comprendre, mais trĂšs capables de dĂ©truire les choses vraiment grandes. J'espĂšre que notre amitiĂ© le sera, si elle doit se fonder un jour, et j'espĂšre que vous me ferez l'honneur de la tenir autant que moi Ă l'abri des coups de pied d'un de ces Ăąnes qui, par dĂ©sĆuvrement, par maladresse, par mĂ©chancetĂ©, Ă©crasent ce qui semblait fait pour durer. C'est malheureusement sur ce moule que sont faits la plupart des gens du monde. La duchesse de Guermantes semble trĂšs intelligente. Nous parlions tout Ă l'heure d'une guerre possible. Il paraĂźt qu'elle a lĂ -dessus des lumiĂšres spĂ©ciales. Elle n'en a aucune, me rĂ©pondit sĂšchement M. de Charlus. Les femmes, et beaucoup d'hommes d'ailleurs, n'entendent rien aux choses dont je voulais parler. Ma belle-sĆur est une femme charmante qui s'imagine ĂȘtre encore au temps des romans de Balzac oĂč les femmes influaient sur la politique. Sa frĂ©quentation ne pourrait actuellement exercer sur vous qu'une action fĂącheuse, comme d'ailleurs toute frĂ©quentation mondaine. Et c'est justement une des premiĂšres choses que j'allais vous dire quand ce sot m'a interrompu. Le premier sacrifice qu'il faut me faire j'en exigerai autant que je vous ferai de dons c'est de ne pas aller dans le monde. J'ai souffert tantĂŽt de vous voir Ă cette rĂ©union ridicule. Vous me direz que j'y Ă©tais bien, mais pour moi ce n'est pas une rĂ©union mondaine, c'est une visite de famille. Plus tard, quand vous serez un homme arrivĂ©, si cela vous amuse de descendre un moment dans le monde, ce sera peut-ĂȘtre sans inconvĂ©nients. Alors je n'ai pas besoin de vous dire de quelle utilitĂ© je pourrai vous ĂȘtre. Le SĂ©same » de l'hĂŽtel Guermantes et de tous ceux qui valent la peine que la porte s'ouvre grande devant vous, c'est moi qui le dĂ©tiens. Je serai juge et entends rester maĂźtre de l'heure. Je voulus profiter de ce que M. de Charlus parlait de cette visite chez Mme de Villeparisis pour tĂącher de savoir quelle Ă©tait exactement celle-ci, mais la question se posa sur mes lĂšvres autrement que je n'aurais voulu et je demandai ce que c'Ă©tait que la famille Villeparisis. C'est absolument comme si vous me demandiez ce que c'est que la famille rien » me rĂ©pondit M. de Charlus. Ma tante a Ă©pousĂ© par amour un M. Thirion, d'ailleurs excessivement riche, et dont les sĆurs Ă©taient trĂšs bien mariĂ©es et qui, Ă partir de ce moment-lĂ , s'est appelĂ© le marquis de Villeparisis. Cela n'a fait de mal Ă personne, tout au plus un peu Ă lui, et bien peu Quant Ă la raison, je ne sais pas; je suppose que c'Ă©tait, en effet, un monsieur de Villeparisis, un monsieur nĂ© Ă Villeparisis, vous savez que c'est une petite localitĂ© prĂšs de Paris. Ma tante a prĂ©tendu qu'il y avait ce marquisat dans la famille, elle a voulu faire les choses rĂ©guliĂšrement, je ne sais pas pourquoi. Du moment qu'on prend un nom auquel on n'a pas droit, le mieux est de ne pas simuler des formes rĂ©guliĂšres. » Mme de Villeparisis, n'Ă©tant que Mme Thirion, acheva la chute qu'elle avait commencĂ©e dans mon esprit quand j'avais vu la composition mĂȘlĂ©e de son salon. Je trouvais injuste qu'une femme dont mĂȘme le titre et le nom Ă©taient presque tout rĂ©cents pĂ»t faire illusion aux contemporains et dĂ»t faire illusion Ă la postĂ©ritĂ© grĂące Ă des amitiĂ©s royales. Mme de Villeparisis redevenant ce qu'elle m'avait paru ĂȘtre dans mon enfance, une personne qui n'avait rien d'aristocratique, ces grandes parentĂ©s qui l'entouraient me semblĂšrent lui rester Ă©trangĂšres. Elle ne cessa dans la suite d'ĂȘtre charmante pour nous. J'allais quelquefois la voir et elle m'envoyait de temps en temps un souvenir. Mais je n'avais nullement l'impression qu'elle fĂ»t du faubourg Saint-Germain, et si j'avais eu quelque renseignement Ă demander sur lui, elle eĂ»t Ă©tĂ© une des derniĂšres personnes Ă qui je me fusse adressĂ©. » Actuellement, continua M. de Charlus, en allant dans le monde, vous ne feriez que nuire Ă votre situation, dĂ©former votre intelligence et votre caractĂšre. Du reste il faudrait surveiller, mĂȘme et surtout, vos camaraderies. Ayez des maĂźtresses si votre famille n'y voit pas d'inconvĂ©nient, cela ne me regarde pas et mĂȘme je ne peux que vous y encourager, jeune polisson, jeune polisson qui allez avoir bientĂŽt besoin de vous faire raser, me dit-il en me touchant le menton. Mais le choix des amis hommes a une autre importance. Sur dix jeunes gens, huit sont de petites fripouilles, de petits misĂ©rables capables de vous faire un tort que vous ne rĂ©parerez jamais. Tenez, mon neveu Saint-Loup est Ă la rigueur un bon camarade pour vous. Au point dĂ© vue de votre avenir, il ne pourra vous ĂȘtre utile en rien; mais pour cela, moi je suffis. Et, somme toute, pour sortir avec vous, aux moments oĂč vous aurez assez de moi, il me semble ne pas prĂ©senter d'inconvĂ©nient sĂ©rieux, Ă ce que je crois. Du moins, lui c'est un homme, ce n'est pas un de ces effĂ©minĂ©s comme on en rencontre tant aujourd'hui qui ont l'air de petits truqueurs et qui mĂšneront peut-ĂȘtre demain Ă l'Ă©chafaud leurs innocentes victimes. Je ne savais pas le sens de cette expression d'argot truqueur ». Quiconque l'eĂ»t connue eĂ»t Ă©tĂ© aussi surpris que moi. Les gens du monde aiment volontiers Ă parler argot, et les gens Ă qui on peut reprocher certaines choses Ă montrer qu'ils ne craignent nullement de parler d'elles. Preuve d'innocence Ă leurs yeux. Mais ils ont perdu l'Ă©chelle, ne se rendent plus compte du degrĂ© Ă partir duquel une certaine plaisanterie deviendra trop spĂ©ciale, trop choquante, sera plutĂŽt une preuve de corruption que de naĂŻvetĂ©. Il n'est pas comme les autres, il est trĂšs gentil, trĂšs sĂ©rieux. Je ne pus m'empĂȘcher de sourire de cette Ă©pithĂšte de sĂ©rieux » Ă laquelle l'intonation que lui prĂȘta M. de Charlus semblait donner le sens de vertueux », de rangĂ© », comme on dit d'une petite ouvriĂšre qu'elle est sĂ©rieuse ». A ce moment un fiacre passa qui allait tout de travers; un jeune cocher, ayant dĂ©sertĂ© son siĂšge, le conduisait du fond de la voiture oĂč il Ă©tait assis sur les coussins, l'air Ă moitiĂ© gris. M. de Charlus l'arrĂȘta vivement. Le cocher parlementa un moment. De quel cĂŽtĂ© allez-vous ? Du vĂŽtre cela m'Ă©tonnait, car M. de Charlus avait dĂ©jĂ refusĂ© plusieurs fiacres ayant des lanternes de la mĂȘme couleur. Mais je ne veux pas remonter sur le siĂšge. Ăa vous est Ă©gal que je reste dans la voiture ? Oui, seulement baissez la capote. Enfin pensez Ă ma proposition, me dit M. de Charlus avant'de me quitter, je vous donne quelques jours pour y rĂ©flĂ©chir, Ă©crivez-moi. Je vous le rĂ©pĂšte, il faudra que je vous voie chaque jour et que je reçoive de vous des garanties de loyautĂ©, de discrĂ©tion que d'ailleurs, je dois le dire, vous semblez offrir. Mais, au cours de ma vie, j'ai Ă©tĂ© si souvent trompĂ© par les apparences que je ne veux plus m'y fier. Sapristi c'est bien le moins qu'avant d'abandonner un trĂ©sor je sache en quelles mains je le remets. Enfin, rappelez-vous bien ce que je vous offre, vous ĂȘtes comme Hercule dont, malheureusement pour vous, vous ne me semblez pas avoir la forte musculature, au carrefour de deux routes. TĂąchez de ne pas avoir Ă regretter toute votre vie de n'avoir pas choisi celle qui .conduisait Ă la vertu. Comment, dit-il au cocher, vous n'avez pas encore. baissĂ© la capote ? je vais plier les ressorts moi-mĂȘme Je crois du reste qu'il faudra aussi que je conduise, Ă©tant donnĂ© l'Ă©tat oĂč vous semblez ĂȘtre. Et il sauta Ă cĂŽtĂ© du cocher, au fond du fiacre qui partit ati grand trot. Pour ma part, Ă peine rentrĂ© Ă la maison, j'y retrouvai le pendant de la conversation qu'avaient Ă©changĂ©e un peu auparavant Bloch et M. de Norpois, mais sous une forme brĂšve, invertie et cruelle c'Ă©tait une dispute entre notre maĂźtre d'hĂŽtel, qui Ă©tait dreyfusard, et celui des Guermantes, qui Ă©tait antidreyfusard. Les vĂ©ritĂ©s et contre-vĂ©ritĂ©s qui s'opposaient en haut chez les intellectuels de la Ligue de la Patrie française et celle des Droits de l'homme se propageaient en effet jusque dans les profondeurs du peuple. M. Reinach manoeuvrait par le sentiment des gens qui ne l'avaient jamais vu, alors que pour lui l'affaire Dreyfus se posait seulement devant sa raison comme un thĂ©orĂšme irrĂ©futable et qu'il dĂ©montra, en effet, par la plus Ă©tonnante rĂ©ussite de politique rationnelle rĂ©ussite contre la France, dirent certains qu'on ait jamais vue. En deux ans il remplaça un ministĂšre Billot par un ministĂšre Clemenceau, changea de fond en comble l'opinion publique, tira de sa prison Picquart pour le mettre, ingrat, au MinistĂšre de la Guerre. Peut-ĂȘtre ce rationaliste manĆuvreur de foules Ă©tait-il lui-mĂȘme manoeuvrĂ© par son ascendance. Quand les systĂšmes philosophiques qui contiennent le plus de vĂ©ritĂ©s sont dictĂ©s Ă leurs auteurs, en derniĂšre io Vol. II. analyse, par une raison de sentiment, comment supposer que, dans une simple affaire politique comme l'affaire Dreyfus, des raisons de ce genre ne puissent, Ă l'insu du raisonneur, gouverner sa raison ? Bloch croyait avoir logiquement choisi son dreyfusisme, et savait pourtant que son nez, sa peau et ses cheveux lui avaient Ă©tĂ© imposĂ©s par sa race. Sans doute la raison est plus libre; elle obĂ©it pourtant Ă certaines lois qu'elle ne s'est pas donnĂ©es. Le cas du maĂźtre d'hĂŽtel des Guermantes et du nĂŽtre Ă©tait particulier. Les vagues des deux courants de dreyfusisme et d'antidreyfusisme, qui de haut en bas divisaient la France, Ă©taient assez silencieuses, mais les rares Ă©chos qu'elles Ă©mettaient Ă©taient sincĂšres. En entendant quelqu'un, au milieu d'une causerie qui s'Ă©cartait volontairement de l'Affaire, annoncer furtivement une nouvelle politique, gĂ©nĂ©ralement fausse mais toujours souhaitĂ©e, on pouvait induire de l'objet de ses prĂ©dictions l'orientation de ses dĂ©sirs. Ainsi s'affrontaient sur quelques points, d'un cĂŽtĂ© un timide apostolat, de l'autre une sainte indignation. Les deux maĂźtres d'hĂŽtel que j'entendis en rentrant faisaient exception Ă la rĂšgle. Le nĂŽtre laissa entendre que Dreyfus Ă©tait coupable, celui des Guermantes qu'il Ă©tait innocent. Ce n'Ă©tait pas pour dissimuler leurs convictions, mais par mĂ©chancetĂ© et ĂąpretĂ© au jeu. Notre maĂźtre d'hĂŽtel, incertain si la rĂ©vision se ferait, voulait d'avance, pour le cas d'un Ă©chec, ĂŽter au maĂźtre d'hĂŽtel des Guermantes la joie de croire une juste cause battue. Le maĂźtre d'hĂŽtel des Guermantes pensait qu'en cas de refus de rĂ©vision, le nĂŽtre serait plus ennuyĂ© de voir maintenir Ă l'Ăźle du Diable un innocent. Je remontai et trouvai ma grand'mĂšre plus souffrante. Depuis quelque temps, sans trop savoir ce qu'elle avait, elle se plaignait de sa santĂ©. C'est dans la maladie que nous nous rendons compte que nous ne vivons pas seuls, mais enchaĂźnĂ©s Ă un ĂȘtre d'un rĂšgne diffĂ©rent, dont des abĂźmes nous sĂ©parent, qui ne nous connaĂźt pas et duquel il est impossible de nous faire comprendre notre corps. Quelque brigand que nous rencontrions sur une route, peut-ĂȘtre pourrons-nous arriver Ă le rendre sensible Ă son intĂ©rĂȘt personnel sinon Ă notre malheur. Mais demander pitiĂ© Ă notre corps, c'est discourir devant une pieuvre, pour qui nos paroles ne peuvent pas avoir plus de sens que le bruit de l'eau, et avec laquelle nous serions Ă©pouvantĂ©s d'ĂȘtre condamnĂ©s Ă vivre. Les malaises de ma grand'mĂšre passaient souvent inaperçus Ă son attention toujours dĂ©tournĂ©e vers nous. Quand elle en souffrait trop, pour arriver Ă les guĂ©rir, elle s'efforçà it en vain de les comprendre. Si les phĂ©nomĂšnes morbides dont son corps Ă©tait le théùtre restaient obscurs et insaisissables Ă la pensĂ©e de ma grand' mĂšre, ils Ă©taient clairs et intelligibles pour des ĂȘtres appartenant au mĂȘme rĂšgne physique qu'eux, de ceux Ă qui l'esprit humain a fini par s'adresser pour comprendre ce que lui dit son corps, comme devant les rĂ©ponses d'un Ă©tranger on va chercher quelqu'un du mĂȘme pays qui servira d'interprĂšte. Eux peuvent causer avec notre corps, nous dire si sa colĂšre est grave ou s'apaisera bientĂŽt. Cottard, qu'on avait appelĂ© auprĂšs de ma grand'mĂšre et qui nous avait agacĂ©s en nous demandant avec un sourire fin, dĂšs la premiĂšre minute oĂč nous lui avions dit que ma grand'mĂšre Ă©tait malade Malade ? Ce n'est pas au moins une maladie diplomatique ? », Cottard essaya, pour calmer l'agitation de sa malade, le rĂ©gime lactĂ©. Mais les perpĂ©tuelles soupes au lait ne firent pas d'effet parce que ma grand'mĂšre y mettait beaucoup de sel Widal n'ayant pas encore fait ses dĂ©couvertes, dont on ignorait l'inconvĂ©nient en ce temps-lĂ . Car la mĂ©decine Ă©tant un compendium des erreurs successives et contradictoires des mĂ©decins, en appelant Ă soi les meilleurs d'entre eux on a grande chance d'implorer une vĂ©ritĂ© qui sera reconnue fausse quelques annĂ©es plus tard. De sorte que croire Ă la mĂ©decine serait la suprĂȘme folie, si n'y pas croire n'en Ă©tait pas une plus grande, car de cet amoncellement d'erreurs se sont dĂ©gagĂ©es Ă la longue quelques vĂ©ritĂ©s. Cottard avait recommandĂ© qu'on prĂźt sa tempĂ©rature. On alla chercher un thermomĂštre. Dans presque toute sa hauteur le tube Ă©tait vide de mercure. A peine si l'on distinguait, tapie au fond dans sa petite cuve, la salamandre d'argent. Elle semblait morte. On plaça le chalumeau de verre dans la bouche de ma grand' mĂšre. Nous n'eĂ»mes pas besoin de l'y laisser longtemps la petite sorciĂšre n'avait pas Ă©tĂ© longue Ă tirer son horoscope. Nous la trouvĂąmes immobile, perchĂ©e Ă mi-hauteur de sa tour et n'en bougeant plus, nous montrant avec exactitude le chiffre que nous lui avions demandĂ© et que toutes les rĂ©flexions qu'ait pu faire sur soi-mĂȘme l'Ăąme de ma grand'mĂšre eussent Ă©tĂ© bien incapables de lui fournir 3803. Pour la premiĂšre fois nous ressentĂźmes quelque inquiĂ©tude. Nous secouĂąmes bien fort le thermomĂštre pour effacer le signe fatidique, comme si nous avions pu par lĂ abaisser la fiĂšvre en mĂȘme temps que la tempĂ©rature marquĂ©e. HĂ©las il fut bien clair que la petite sibylle dĂ©pourvue de raison n'avait pas donnĂ© arbitrairement cette rĂ©ponse, car le lendemain, Ă peine le thermomĂštre fut-il replacĂ© entre les lĂšvres de ma grand' mĂšre que presque aussitĂŽt, comme d'un seul bond, belle de certitude et de l'intuition d'un fait pour nous invisible, la petite prophĂ©tesse Ă©tait venue s'arrĂȘter au mĂȘme point, en une immobilitĂ© implacable, et nous montrait encore ce chiffre 38°3, de sa verge Ă©tincelante. Elle ne disait rien d'autre, mais nous avions eu beau dĂ©sirer, vouloir, prier, sourde, il semblait que ce fĂ»t son dernier mot avertisseur et menaçant. Alors, pour tĂącher de la contraindre Ă modifier sa rĂ©ponse, nous nous adressĂąmes Ă une autre crĂ©ature du mĂȘme rĂšgne, mais plus puissante, qui ne se contente pas d'interroger le corps mais peut lui commander, un fĂ©brifuge du mĂȘme ordre que l'aspirine, non encore employĂ©e alors. Nous n'avions pas fait baisser le thermomĂštre au delĂ de yjalA dans l'espoir qu'il n'aurait pas remonter. Nous fĂźmes prendre ce fĂ©brifuge Ă ma grand'mĂšre et remĂźmes alors le thermomĂštre. Comme un gardien implacable Ă qui on montre l'ordre d'une autoritĂ© supĂ©rieure auprĂšs de laquelle on a fait jouer une protection, et qui le trouvant en rĂšgle rĂ©pond C'est bien, je n'ai rien Ă dire, du moment que c'est comme ça, passez », la vigilante touriĂšre ne bougea pas cette fois. Mais, morose, elle semblait dire A quoi cela vous servira-t-il ? Puisque vous connaissez la quinine, elle me dĂŽnnera l'ordre de ne pas bouger, une fois, dix fois, vingt fois. Et puis elle se lassera, je la connais, allez. Cela ne durera pas toujours. Alors vous serez bien avancĂ©s. » Alors ma grand'mĂšre Ă©prouva la prĂ©sence, en elle, d'une crĂ©ature qui connaissait mieux le corps humain que ma grand'mĂšre, la prĂ©sence d'une contemporaine des races disparues, la prĂ©sence du premier occupant bien antĂ©rieur Ă la crĂ©ation de l'homme qui pense; elle sentit cet alliĂ© millĂ©naire qui la tĂątait, un peu durement mĂȘme, Ă la tĂȘte, au cĆur, au coude; il reconnaissait les lieux, organisait tout pour le combat prĂ©historique qui eut lieu aussitĂŽt aprĂšs. En un moment, Python Ă©crasĂ©, la fiĂšvre fut vaincue par le puissant Ă©lĂ©ment chimique, que ma grand'mĂšre, Ă travers les rĂšgnes, passant par-dessus tous les animaux et les vĂ©gĂ©taux, aurait voulu pouvoir remercier. Et elle restait Ă©mue de cette entrevue qu'elle venait d'avoir, Ă travers tant de siĂšcles, avec un climat antĂ©rieur Ă la crĂ©ation mĂȘme des plantes. De son cĂŽtĂ© le thermomĂštre, comme une Parque momentanĂ©ment vaincue par un dieu plus ancien, tenait immobile son fuseau d'argent. HĂ©las d'autres crĂ©atures infĂ©rieures, que l'homme a dressĂ©es Ă la chasse de ces gibiers mystĂ©rieux qu'il ne peut pas poursuivre au fond de lui-mĂȘme, nous apportaient cruellement tous les jours un chiffre d'albumine faible, mais assez fixe pour que lui aussi parĂ»t en rapport avec quelque Ă©tat persistant que nous n'apercevions pas. Bergotte avait choquĂ© en moi l'instinct scrupuleux qui me faisait subordonner mon intelligence, quand il m'avait parlĂ© du docteur du Boulbon comme d'un mĂ©decin qui ne m'ennuierait pas, qui trouverait des traitements, fussent-ils en apparence bizarres, mais s'adapteraient Ă la singularitĂ© de mon intelligence. Mais les idĂ©es se transforment en nous, elles triomphent des rĂ©sistances que nous leur opposions d'abord et se nourrissent de riches rĂ©serves intellectuelles toutes prĂȘtes, que nous ne savions pas faites pour elles. Maintenant, comme il arrive chaque fois que les propos entendus au sujet de quelqu'un que nous ne connaissons pas ont eu la vertu d'Ă©veiller en nous l'idĂ©e d'un grand talent, d'une sorte de gĂ©nie, au fond de mon esprit je faisais bĂ©nĂ©ficier le docteur du Boulbon de cette confiance sans limites que nous inspire celui qui d'un Ćil plus profond qu'un autre perçoit la vĂ©ritĂ©. Je savais certes qu'il Ă©tait plutĂŽt un spĂ©cialiste des maladies nerveuses, celui Ă qui Charcot avant de mourir avait prĂ©dit qu'il rĂ©gnerait sur la neurologie et la psychiatrie. Ah je ne sais pas, c'est trĂšs possible », dit Françoise qui Ă©tait lĂ et qui entendait pour la premiĂšre fois le nom de Charcot comme celui de du Boulbon. Mais cela ne l'empĂȘchait nullement de dire C'est possible. » Ses c'est possible », ses peut-ĂȘtre », ses je ne sais pas » Ă©taient exaspĂ©rants en pareil cas. On avait envie de lui rĂ©pondre Bien entendu que vous ne le saviez pas puisque vous ne connaissez rien Ă la chose dont il s'agit, comment pouvez-vous mĂȘme dire que c'est possible ou pas, vous n'en savez rien ? En tout cas maintenant vous ne pouvez pas dire que vous ne savez pas ce que Charcot a dit Ă du Boulbon, etc., vous le savez puisque vous nous l'avons dit, et vos peut-ĂȘtre », vos c'est possible » ne sont pas de mise puisque c'est certain. » MalgrĂ© cette compĂ©tence plus particuliĂšre en matiĂšre cĂ©rĂ©brale et nerveuse, comme je savais que du Boulbon Ă©tait un grand mĂ©decin,, un homme supĂ©rieur, d'une intelligence inventive et profonde, je suppliai ma mĂšre de le faire venir, et l'espoir que, par une vue juste du mal, il le guĂ©rirait peut-ĂȘtre, finit par l'emporter sur la crainte que nous avions, si nous appelions un consultant, d'effrayer ma grand' mĂšre. Ce qui dĂ©cida ma mĂšre fut que, inconsciemment encouragĂ©e par Cottard, ma grand'mĂšre ne sortait plus, ne se levait guĂšre. Elle avait beau nous rĂ©pondre par la lettre de Mme de SĂ©vignĂ© sur Mme de la Fayette On disait qu'elle Ă©tait folle de ne vouloir point sortir. Je disais Ă ces personnes si prĂ©cipitĂ©es dans leur jugement Mme de la Fayette n'est pas folle » et je m'en tenais lĂ . Il a fallu qu'elle soit morte pour faire voir qu'elle avait raison de ne pas sortir. » Du Boulbon appelĂ© donna tort, sinon Ă Mme de SĂ©vignĂ© qu'on ne lui cita pas, du moins Ă ma grand'mĂšre. Au lieu de l'ausculter, tout en posant sur elle ses admirables regards oĂč il y avait peut-ĂȘtre l'illusion de scruter profondĂ©ment la malade, ou le dĂ©sir de lui donner cette illusion, qui semblait spontanĂ©e mais devait ĂȘtre tenue machinale, ou de ne pas lui laisser voir qu'il pensait Ă tout autre chose, ou de prendre de l'empire sur elle, il commença Ă parler de Bergotte. Ah je crois bien, Madame, c'est admirable; comme vous avez raison de l'aimer Mais lequel de ses livres prĂ©fĂ©rez-vous ? Ah vraiment Mon Dieu, c'est peut-ĂȘtre en effet le meilleur. C'est en tout cas son roman le mieux composĂ© Claire y est bien char- mante; comme personnage d'homme lequel vous y est le plus sympathique ? Je crus d'abord qu'il la faisait ainsi parler littĂ©rature parce que, lui, la mĂ©decine l'ennuyait, peut-ĂȘtre aussi -pour faire montre de sa largeur d'esprit, et mĂȘme, dans un but plus thĂ©rapeutique, pour rendre confiance Ă la malade, lui montrer qu'il n'Ă©tait pas inquiet, la distraire de son Ă©tat. Mais, depuis, j'ai compris que, surtout particuliĂšrement remarquable comme aliĂ©niste et pour ses Ă©tudes sur le cerveau, il avait voulu se rendre compte par ses questions si la mĂ©moire de ma grand'mĂšre Ă©tait bien intacte. Comme Ă contre-cĆur il l'interrogea un peu sur sa vie, l'Ćil sombre et fixe. Puis tout Ă coup, comme apercevant la vĂ©ritĂ© et dĂ©cidĂ© Ă l'atteindre coĂ»te que coĂ»te, avec un geste prĂ©alable qui semblait avoir peine Ă s'Ă©brouer, en les Ă©cartant, du flot des derniĂšres hĂ©sitations qu'il pouvait avoir et de toutes les objections que nous aurions pu faire, regardant ma grand'mĂšre d'un Ćil lucide, librement et comme enfin sur la terre ferme, ponctuant les mots sur un ton doux et prenant, dont l'intelligence nuançait toutes les inflexions sa voix du reste, pendant toute la visite, resta ce qu'elle Ă©tait naturellement, caressante, et sous ses sourcils embroussaillĂ©s, ses yeux ironiques Ă©taient remplis de bontĂ© Vous irez bien, Madame, le jour lointain ou proche, et il dĂ©pend de vous que ce soit aujourd'hui mĂȘme, oĂč vous comprendrez que vous n'avez rien et oĂč vous aurez repris la vie commune. Vous m'avez dit que vous ne mangiez pas, que vous ne sortiez pas ? Mais, Monsieur, j'ai un peu de fiĂšvre. Il toucha sa main. Pas en ce moment en tout cas. Et puis la belle excuse Ne savez-vous pas que nous laissons au grand air, que nous suralimentons, des tuberculeux qui ont jusqu'Ă 39° ? Mais j'ai aussi un peu d'albumine. Vous ne devriez pas le savoir. Vous avez ce que j'ai dĂ©crit sous le nom d'albumine mentale. Nous avons tous eu, au cours d'une indisposition, notre petite crise d'albumine que notre mĂ©decin s'est empressĂ© de rendre durable en nous la signalant. Pour une affection que les mĂ©decins guĂ©rissent avec des mĂ©dicaments on assure, du moins, que cela est arrivĂ© quelquefois, ils en produisent dix chez des sujets bien portants, en leur inoculant cet agent pathogĂšne, plus virulent mille fois que tous les microbes, l'idĂ©e qu'on est malade. Une telle croyance, puissante sur le tempĂ©rament de tous, agit avec une efficacitĂ© particuliĂšre chez les nerveux. Dites-leur qu'une fenĂȘtre fermĂ©e est ouverte dans leur dos, ils commencent Ă Ă©ternuer; faites-leur croire que vous avez mis de la magnĂ©sie dans leur potage, ils seront pris de coliques; que leur cafĂ© Ă©tait plus fort que d'habitude, ils ne fermeront pas l'Ćil de la nuit. Croyezvous, Madame, qu'il ne m'a pas suffi de voir vos yeux, d'entendre seulement la façon dont vous vous exprimez, que dis-je ? de voir Madame votre fille et votre petit-fils qui vous ressemblent tant, pour connaĂźtre Ă qui j'avais affaire ? Ta grand'mĂšre pourrait peut-ĂȘtre aller s'asseoir, si le docteur le lui permet, dans une allĂ©e calme des Champs-ĂlysĂ©es, prĂšs de ce massif de lauriers devant lequel tu jouais autrefois », me dit ma mĂšre consultant ainsi indirectement du Boulbon et de laquelle la voix prenait, Ă cause de cela, quelque chose de timide et de dĂ©fĂ©rent qu'elle n'aurait pas eu si elle s'Ă©tait adressĂ©e Ă moi seul. Le docteur se tourna vers ma grand'mĂšre et, comme il n'Ă©tait pas moins lettrĂ© que savant Allez aux Champs-ĂlysĂ©es, Madame, prĂšs du massif de lauriers qu'aime votre petit-fils. Le laurier vous sera salutaire. Il purifie. AprĂšs avoir exterminĂ© le serpent Python, c'est une branche de laurier Ă la main qu'Apollon fit son entrĂ©e dans Delphes. Il voulait ainsi se prĂ©server des germes mortels de la bĂȘte venimeuse. Vous voyez que le laurier est le plus ancien, le plus vĂ©nĂ©rable, et j'ajouterai ce qui a sa valeur en thĂ©rapeutique, comme en prophylaxie le plus beau des antiseptiques. » Comme une grande partie de ce que savent les mĂ©decins leur est- enseignĂ©e par les malades, ils sont facilement portĂ©s Ă croire que ce savoir des patients » est le mĂȘme chez tous, et ils se flattent d'Ă©tonner celui auprĂšs de qui ils se trouvent avec quelque remarque apprise de ceux qu'ils ont auparavant soignĂ©s. Aussi fut-ce avec le fin sourire d'un Parisien qui, causant avec un paysan, espĂ©rerait l'Ă©tonner en se servant d'un mot de patois, que le docteur du Boulbon dit Ă ma grand'mĂšre Probablement les temps de vent rĂ©ussissent Ă vous faire dormir lĂ oĂč Ă©choueraient les plus puissants hypnotiques. An contraire, Monsieur, le vent m'empĂȘche absolument de dormir. Mais les mĂ©decins sont susceptibles. Ach murmura du Boulbon en fronçant les sourcils, comme si on lui avait marchĂ© sur le pied et si les insomnies de ma grand'mĂšre par les nuits de tempĂȘte Ă©taient pour lui une injure personnelle. Il n'avait pas tout de mĂȘme trop d'amour-propre, et comme, en tant qu' esprit supĂ©rieur », il croyait de son devoir de ne pas ajouter foi Ă la mĂ©decine, il reprit vite sa sĂ©rĂ©nitĂ© philosophique. Ma mĂšre, par dĂ©sir passionnĂ© d'ĂȘtre rassurĂ©e par l'ami de Bergotte, ajouta Ă l'appui de son dire qu'une cousine germaine de ma grand'mĂšre, en proie Ă une affection nerveuse, Ă©tait restĂ©e sept ans cloĂźtrĂ©e dans sa chambre Ă coucher de Combray, sans se lever qu'une fois ou deux par semaine. Vous voyez, Madame, je ne le savais pas, et j'aurais pu vous le dire. Mais, Monsieur, je ne suis nullement comme elle, au contraire mon mĂ©decin ne peut pas me faire rester couchĂ©e, dit ma grand'mĂšre, soit qu'elle fĂ»t un peu agacĂ©e par les thĂ©ories du docteur ou dĂ©sireuse de lui soumettre les objections qu'on y pouvait faire, dans l'espoir qu'il les rĂ©futerait, et que, une fois qu'il serait parti, elle n'aurait plus en elle-mĂȘme aucun doute Ă Ă©lever sur son heureux diagnostic. Mais naturellement, Madame, on ne peut pas avoir, pardonnez-moi le mot, toutes les vĂ©sanies; vous en avez d'autres, vous n'avez pas celle-lĂ . Hier, j'ai visitĂ© une maison de santĂ© pour neurasthĂ©niques. Dans le jardin, un homme Ă©tait debout sur un banc, immobile comme un fakir, le cou inclinĂ© dans une position qui devait ĂȘtre fort pĂ©nible. Comme je lui demandais ce qu'il faisait lĂ , il me rĂ©pondit sans faire un mouvement ni tourner la tĂȘte Docteur, je suis extrĂȘmement rhumatisant et enrhumable, je viens de prendre trop d'exercice, et pendant que je me donnais bĂȘtement chaud ainsi, mon cou Ă©tait appuyĂ© contre mes flanelles. Si maintenant je l'Ă©loignais de ces flanelles avant d'avoir laissĂ© tomber ma chaleur, je suis sĂ»r de prendre un torticolis et peut-ĂȘtre une bronchite. » Et il l'aurait pris, en effet. Vous ĂȘtes un joli neurasthĂ©nique, voilĂ ce que vous ĂȘtes », lui dis-je. Savez-vous la raison qu'il me donna pour me prouver que non ? C'est que, tandis que tous les malades de l'Ă©tablissement avaient la manie de prendre leur poids, au point qu'on avait dĂ» mettre un cadenas Ă la balance pour qu'ils ne passassent pas toute la journĂ©e Ă se peser, lui on Ă©tait obligĂ© de le forcer Ă monter sur la bascule, tant il en avait peu envie. Il triomphait de n'avoir pas la manie des autres, sans penser qu'il avait aussi la sienne et que c'Ă©tait elle qui le prĂ©servait d'une autre. Ne soyez pas blessĂ©e de la comparaison, Madame, car cet homme qui n'osait pas tourner le cou de peur de s'enrhumer est le plus grand poĂšte de notre temps. Ce pauvre maniaque est la plus haute intelligence que je connaisse. Supportez d'ĂȘtre appelĂ©e une nerveuse. Vous appartenez Ă cette famille magnifique et lamentable qui est le sel de la terre. Tout ce que nous connaissons de grand nous vient des nerveux. Ce sont eux et non pas d'autres qui ont fondĂ© les religions et composĂ© les chefsd'Ćuvre. Jamais le monde ne saura tout ce qu'il leur doit et surtout ce qu'eux ont souffert pour le lui donner. Nous goĂ»tons les fines musiques, les beaux tableaux, mille dĂ©licatesses, mais nous ne savons pas ce qu'elles ont coĂ»tĂ©, Ă ceux qui les inventĂšrent, d'insomnies, de pleurs, de rires spasmodiques, d'urticaires, d'asthmes, d'Ă©pilepsies, d'une angoisse de mourir qui est pire que tout cela, et que vous connaissez peut-ĂȘtre, Madame, ajouta-t-il en souriant Ă ma grand'mĂšre, car, avouez-le, quand je suis venu, vous n'Ă©tiez pas trĂšs rassurĂ©e. Vous vous croyiez malade, dangereusement malade peut-ĂȘtre. Dieu sait de quelle affection vous croyiez dĂ©couvrir en vous les symptĂŽmes. Et vous ne vous trompiez pas, vous les aviez. Le nervosisme est un pasticheur de gĂ©nie. Il n'y a pas de maladie qu'il ne contrefasse Ă merveille. Il imite Ă s'y mĂ©prendre la dilatation des dyspeptiques, les nausĂ©es de la grossesse, l'arythmie du cardiaque, la fĂ©bricitĂ© du tuberculeux. Capable de tromper le mĂ©decin, comment ne tromperait-il pas le malade ? Ah ne croyez pas que je raille vos maux, je n'entreprendrais pas de les soigner si je ne savais pas les comprendre. Et, tenez, il n'y a de bonne confession que rĂ©ciproque. Je vous ai dit que sans maladie nerveuse il n'est pas de grand artiste, qui plus est, ajouta-t-il en Ă©levant gravement l'index, il n'y a pas de grand savant. J'ajouterai que, sans qu'il soit atteint lui-mĂȘme de maladie nerveuse, il n'est pas, ne me faites pas dire de bon mĂ©decin, mais seulement de mĂ©decin correct des maladies nerveuses. Dans la pathologie nerveuse, un mĂ©decin qui ne dit pas trop de bĂȘtises, c'est un malade Ă demi guĂ©ri, comme un critique est un poĂšte qui ne fait plus de vers, un policier un voleur qui n'exerce plus. Moi, Madame, je ne me crois pas comme vous albuminurique, je n'ai pas la peur nerveuse de la nourriture, du grand air, mais je ne peux pas m'endormir sans m'ĂȘtre relevĂ© plus de vingt fois pour voir si ma porte est fermĂ©e. Et cette maison de santĂ© oĂč j'ai trouvĂ© hier un poĂšte qui ne tournait pas le cou, j'y allais retenir une chambre, car, ceci entre nous, j'y passe mes vacances Ă me soigner quand j'ai augmentĂ© mes maux en me fatiguant trop Ă guĂ©rir ceux des autres. Mais, Monsieur, devrais-je faire une cure semblable ? dit avec effroi ma grand'mĂšre. C'est inutile, Madame, Les manifestations que vous accusez cĂ©deront devant ma parole. Et puis vous avez prĂšs de vous quelqu'un de trĂšs puissant que je constitue dĂ©sormais votre mĂ©decin. C'est votre mal, votre suractivitĂ© nerveuse. Je saurais la maniĂšre de vous en guĂ©rir, je me garderais bien de le faire. Il me suffit de lui commander. Je vois sur votre table un ouvrage de Bergotte. GuĂ©rie de votre nervosisme, vous ne l'aimeriez plus. Or, me sentirais-je le droit d'Ă©changer les joies qu'il procure contre une intĂ©gritĂ© nerveuse qui serait bien incapable de vous les donner ? Mais ces joies mĂȘmes, c'est un puissant remĂšde, le plus puissant de tous peut-ĂȘtre. Non, je n'en veux pas Ă votre Ă©nergie nerveuse. Je lui demande seulement de m'Ă©couter; je vous confie Ă elle. Qu'elle fasse machine en arriĂšre. La force qu'elle mettait pour vous empĂȘcher de vous promener, de prendre assez de nourriture, qu'elle l'emploie Ă vous faire manger, Ă vous faire lire, Ă vous faire sortir, Ă vous distraire de toutes façons. Ne me dites pas que vous ĂȘtes fatiguĂ©e. La fatigue est la rĂ©alisation organique d'une idĂ©e prĂ©conçue. Commencez par ne pas la penser. Et si jamais vous avez une petite indisposition, ce qui peut arriver Ă tout le monde, ce sera comme si vous ne l'aviez pas, car elle aura fait de vous, selon un mot profond de M. de Talleyrand, un bien portant imaginaire. Tenez, elle a commencĂ© Ă vous guĂ©rir, vous m'Ă©coutez toute droite, sans vous ĂȘtre appuyĂ©e une fois, l'Ćil vif, la mine bonne, et il y a de cela une demi-heure d'horloge et vous ne vous en ĂȘtes pas aperçue. Madame, j'ai bien l'honneur de vous saluer. Quand, aprĂšs avoir reconduit le docteur du Boulbon, je rentrai dans la chambre oĂč ma mĂšre Ă©tait seule, le chagrin qui m'oppressait depuis plusieurs semaines s'envola, je sentis que ma mĂšre allait laisser Ă©clater sa joie et qu'elle allait voir la mienne, j'Ă©prouvai cette impossibilitĂ© de supporter l'attente de l'instant prochain oĂč, prĂšs de nous, une personne va ĂȘtre Ă©mue qui, dans un autre ordre, est un peu comme la peur qu'on Ă©prouve quand on sait que quelqu'un va entrer pour vous effrayer par une porte qui est encore fermĂ©e; je voulus dire un mot Ă maman, mais ma voix se brisa, et fondant en larmes, je restai longtemps, la tĂȘte sur son Ă©paule, Ă pleurer, Ă goĂ»ter, Ă accepter, Ă chĂ©rir la douleur, maintenant que je savais qu'elle Ă©tait sortie de ma vie, comme nous aimons Ă nous exalter de vertueux projets que les circonstances ne nous permettent pas de mettre Ă exĂ©cution. Françoise m'exaspĂ©ra en ne prenant pas part Ă notre joie. Elle Ă©tait tout Ă©mue parce qu'une scĂšne terrible avait Ă©clatĂ© entre le valet de pied et le concierge rapporteur. Il avait fallu que la duchesse, dans sa bontĂ©, intervĂźnt, rĂ©tablĂźt un semblant de paix et pardonnĂąt au valet de pied. Car elle Ă©tait bonne, et ç'aurait Ă©tĂ© la place idĂ©ale si elle n'avait pas Ă©coutĂ© les racontages ». On commençait dĂ©jĂ depuis plusieurs jours Ă savoir ma grand'mĂšre souffrante et Ă prendre de ses nouvelles. Saint-Loup m'avait Ă©crit Je ne veux pas profiter de ces heures oĂč ta chĂšre grand'mĂšre n'est pas bien pour te faire ce qui est beaucoup plus que des reproches et oĂč elle n'est pour rien. Mais je mentirais en te disant, fĂ»t-ce par prĂ©tĂ©rition, que je n'oublierai jamais la perfidie de ta conduite et qu'il n'y aura jamais un pardon pour ta fourberie et ta trahison. » Mais des amis, jugeant ma grahd'mĂšre peu souffrante on ignorait mĂȘme qu'elle le fĂ»t du tout, m'avaient demandĂ© de les prendre le lendemain aux Champs-ĂlysĂ©es pour aller de lĂ faire une visite et assister, Ă la campagne, Ă un dĂźner qui m'amusait. Je n'avais plus aucune raison de renoncer Ă ces deux plaisirs. Quand on avait dit Ă ma grand'mĂšre qu'il faudrait maintenant, pour obĂ©ir au docteur du Boulbon, qu'elle se promenĂąt beaucoup, on a vu qu'elle avait tout de suite parlĂ© des Champs-ĂlysĂ©es. Il me serait aisĂ© de l'y conduire; pendant qu'elle serait assise Ă lire, de m'entendre avec mes amis sur le lieu oĂč nous retrouver, et j'aurais encore le temps, en me dĂ©pĂȘchant, de prendre avec eux le train pour Villed'Avray. Au moment convenu, ma grand'mĂšre ne voulut pas sortir, se trouvant fatiguĂ©e. Mais ma mĂšre, instruite par du Boulbon, eut l'Ă©nergie de se fĂącher et de se faire obĂ©ir. Elle pleurait presque Ă la pensĂ©e que ma grand'mĂšre allait retomber dans sa faiblesse nerveuse, et ne. s'en relĂšverait plus. Jamais un temps aussi beau et chaud ne se prĂȘterait si bien Ă sa sortie. Le soleil changeant de place intercalait çà et lĂ dans la soliditĂ© rompue du balcon ses inconsistantes mousselines et donnait Ă la pierre de taille un tiĂšde Ă©piderme, un halo d'or imprĂ©cis. Comme Françoise n'avait pas eu le temps d'envoyer un tube » Ă sa fille, elle nous quitta dĂšs aprĂšs le dĂ©jeuner. Ce fut dĂ©jĂ bien beau qu'avant elle entrĂąt chez Jupien pour faire faire un point au mantelet que ma grand'mĂšre mettrait pour sortir. Rentrant moi-mĂȘme Ă ce momentlĂ de ma promenade matinale, j'allai avec elle chez le giletier. Est-ce votre jeune maĂźtre qui vous amĂšne ici, dit Jupien Ă Françoise, est-ce vous qui me l'amenez, ou bien est-ce quelque bon vent et la fortune qui vous amĂšnent tous les deux ? » Bien qu'il n'eĂ»t pas fait ses classes, Jupien respectait aussi naturellement la syntaxe que M. de Guermantes, malgrĂ© bien des efforts, la violait. Une fois Françoise partie et le mantelet rĂ©parĂ©, il fallut que ma grand-mĂšre s'habillĂąt; Ayant refusĂ© obstinĂ©ment que maman restĂąt avec elle, elle-mit, toute seule, un temps infini Ă sa toilette, et maintenant que je savais qu'elle Ă©tait bien portante, et avec cette Ă©trange indiffĂ©rence que nous avons pour nos parents tant qu'ils vivent, qui fait que nous les faisons passer aprĂšs tout le monde, je la trouvais bien Ă©goĂŻste d'ĂȘtre si longue, de risquer de me mettre en retard quand elle savait que j'avais rendez-vous avec des amis et devais dĂźner Ă Ville-d'Avray. D'impatience, je finis par descendre d'avance, aprĂšs qu'on m'eut dit deux fois qu'elle allait ĂȘtre prĂȘte. Enfin elle me rejoignit, sans me demander pardon de son retard comme elle faisait d'habitude dans ces cas-lĂ , rouge et distraite comme une personne qui est pressĂ©e et qui a oubliĂ© la moitiĂ© de ses affaires, comme j'arrivais prĂšs de la porte vitrĂ©e entr'ouverte qui, sans les en rĂ©chauffer le moins du monde, laissait entrer l'air liquide, gazouillant et tiĂšde du dehors, comme si on avait ouvert un rĂ©servoir, entre les glaciales parois de l'hĂŽtel. Mon Dieu, puisque tu vas voir des amis, j'aurais pu mettre un autre mantelet. J'ai l'air un peu malheureux avec cela. Je fus frappĂ© comme elle Ă©tait congestionnĂ©e et compris que, s'Ă©tant mise en retard, elle avait dĂ» beaucoup se dĂ©pĂȘcher. Comme nous venions de quitter le fiacre Ă l'entrĂ©e de l'avenue Gabriel, dans les Champs-ĂlysĂ©es, je vis ma grand'mĂšre qui, sans me parler, s'Ă©tait dĂ©tournĂ©e et se dirigeait vers le petit pavillon ancien, grillagĂ© de vert, oĂč un jour j'avais attendu Françoise. Le mĂȘme garde forestier qui s'y trouvait alors y Ă©tait encore auprĂšs de la marquise », quand, suivant ma grand'mĂšre qui, parce qu'elle avait sans doute une nausĂ©e, tenait sa main devant sa bouche, je montai les degrĂ©s du petit théùtre rustique Ă©difiĂ© au milieu des jardins. Au contrĂŽle, comme dans ces cirques forains oĂč le clown, prĂȘt Ă entrer en scĂšne et tout enfarinĂ©, reçoit lui-mĂȘme Ă la porte le prix des places, la marquise », percevant les entrĂ©es, Ă©tait toujours lĂ avec son museau Ă©norme et irrĂ©gulier enduit de plĂątre grossier, et son petit bonnet de fleurs rouges et de dentelle noire surmontant sa perruque rousse. Mais je ne crois pas qu'elle me reconnut. Le garde, dĂ©laissant la surveillance des verdures, Ă la couleur desquelles Ă©tait assorti son uniforme, causait, assis Ă cĂŽtĂ© d'elle. Alors, disait-il, vous ĂȘtes toujours lĂ . Vous ne pensez pas Ă vous retirer. Et pourquoi que je me retirerais, Monsieur ? Voulez-vous me dire oĂč je serais mieux qu'ici, oĂč j'aurais plus mes aises et tout le confortable ? Et puis toujours du va-et-vient, de la distraction; c'est ce que j'appelle mon petit Paris mes clients me tiennent au courant de ce qui se passe. Tenez, Monsieur, il y en a un qui est sorti il n'y a pas plus de cinq minutes, c'est un magistrat tout ce qu'il y a de plus haut placĂ©. Eh bien Monsieur, s'Ă©cria-t-elle avec ardeur comme prĂȘte Ă soutenir cette assertion par la violence si l'agent de l'autoritĂ© avait fait mine d'en contester l'exactitude, depuis huit ans, vous m'entendez bien, tous les jours que Dieu a faits, sur le coup de 3 heures, il est ici, toujours poli, jamais un mot plus haut que l'autre, ne salissant jamais rien, il reste plus d'une demi-heure pour lire ses journaux en faisant ses petits besoins. Un seul jour il n'est pas venu. Sur le moment je ne m'en suis pas aperçue, mais le soir tout d'un coup je me suis dit Tiens, mais ce monsieur n'est pas venu, il est peut-ĂȘtre mort. » Ăa m'a fait quelque chose parce que je m'attache quand le monde il Vol. II. A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU est bien. Aussi j'ai Ă©tĂ© bien contente quand je l'ai revu le lendemain, je lui ai dit Monsieur, il ne vous Ă©tait rien arrivĂ© hier ? » Alors il m'a dit comme ça qu'il ne lui Ă©tait rien arrivĂ© Ă lui, que c'Ă©tait sa femme qui Ă©tait morte, et qu'il avait Ă©tĂ© si retournĂ© qu'il n'avait pas pu venir. Il avait l'air triste assurĂ©ment, vous comprenez, des gens qui Ă©taient mariĂ©s depuis vingt-cinq ans, mais il avait l'air content tout de mĂȘme de revenir. On sentait qu'il avait Ă©tĂ© tout dĂ©rangĂ© dans ses petites habitudes. J'ai tĂąchĂ© de le remonter, je lui ai dit Il ne faut pas se laisser aller. Venez comme avant, dans votre chagrin ça vous fera une petite distraction. » La marquise » reprit un ton plus doux, car elle avait constatĂ© que le protecteur des massifs et des pelouses l'Ă©coutait avec bonhomie sans songer Ă la contredire, gardant inoffensive au fourreau une Ă©pĂ©e qui avait plutĂŽt l'air de quelque instrument de jardinage ou de quelque attribut horticole. Et puis, dit-elle, je choisis mes clients, je ne reçois pas tout le monde dans ce que j'appelle mes salons. Est-ce que ça n'a pas l'air d'un salon, avec mes fleurs ? Comme j'ai des clients trĂšs aimables, toujours l'un ou l'autre veut m'apporter une petite branche de beau lilas, de jasmin, ou des roses, ma fleur prĂ©fĂ©rĂ©e. L'idĂ©e que nous Ă©tions peut-ĂȘtre mal jugĂ©s par cette dame en ne lui apportant jamais ni lilas, ni belles roses me fit rougir, et pour tĂącher d'Ă©chapper physiquement ou de n'ĂȘtre jugĂ© par elle que par contumace Ă un mauvais jugement, je m'avançai vers la porte de sortie. Mais ce ne sont pas toujours dans la vie les personnes qui apportent les belles roses pour qui on est le plus aimable, car la marquise », croyant que je m'ennuyais, s'adressa Ă moi Vous ne voulez pas que je vous ouvre une petite cabine ? Et comme je refusais Non, vous ne voulez pas ? ajouta-t-elle avec un sourire; c'Ă©tait de bon cĆur, mais je sais bien que ce sont des besoins qu'il ne suffit pas de ne pas payer pour les avoir. A ce moment une femme mal vĂȘtue entra prĂ©cipitamment qui semblait prĂ©cisĂ©ment les Ă©prouver. Mais elle ne faisait pas partie du monde de la marquise », car celle-ci, avec une fĂ©rocitĂ© de snob, lui dit sĂšchement Il n'y a rien de libre, Madame. Est-ce que ce sera long ? demanda la pauvre dame, rouge sous ses fleurs jaunes. Ah Madame, je vous conseille d'aller ailleurs, car, vous voyez, il y a encore ces deux messieurs qui attendent, dit-elle en nous montrant moi et le garde, et je n'ai qu'un cabinet, les autres sont en rĂ©paration. Ăa a une tĂȘte de mauvais payeur, dit la marquise ». Ce n'est pas le genre d'ici, ça n'a pas de propretĂ©, pas de respect, il aurait fallu que ce soit moi qui passe une heure Ă nettoyer pour madame. Je ne regrette pas ses deux sous. » Enfin ma grand'mĂšre sortit, et songeant qu'elle ne chercherait pas Ă effacer par un pourboire l'indiscrĂ©tion qu'elle avait montrĂ©e en restant un temps pareil, je battis en retraite pour ne pas avoir une part du dĂ©dain que lui tĂ©moignerait sans doute la marquise », et je m'engageai dans une allĂ©e, mais lentement, pour que ma grand'mĂšre pĂ»t facilement me rejoindre et continuer avec moi. C'est ce qui arriva bientĂŽt. Je pensais que ma grand'mĂšre allait me dire Je t'ai fait bien attendre, j'espĂšre que tu ne manqueras tout de mĂȘme pas tes amis », mais elle ne prononça pas une seule parole, si bien qu'un peu déçu, je ne voulus pas lui parler le premier; enfin levant les yeux vers elle, je vis que, tout en marchant auprĂšs de moi, elle tenait la tĂȘte tournĂ©e de l'autre cĂŽtĂ©. Je craignais qu'elle n'eĂ»t encore mal au cĆur. Je la regardai mieux et fus frappĂ© de sa dĂ©marche saccadĂ©e. Son chapeau Ă©tait de travers, son manteau sale, elle avait l'aspect dĂ©sordonnĂ© et mĂ©content, la figure rouge et prĂ©occupĂ©e d'une personne qui vient d'ĂȘtre bousculĂ©e par une voiture ou qu'on a retirĂ©e d'un fossĂ©. J'ai eu peur que tu n'aies eu une nausĂ©e, grand' mĂšre; te sens-tu mieux ? lui dis-je. Sans doute pensa-t-elle qu'il lui Ă©tait impossible, sans m'inquiĂ©ter, de ne pas me rĂ©pondre. J'ai entendu toute la conversation entre la marquise » et le garde, me dit-elle. C'Ă©tait on ne peut plus Guermantes et petit noyau Verdurin. Dieu qu'en termes galants ces choses-lĂ Ă©taient mises. Et elle ajouta encore, avec application, ceci de sa marquise Ă elle, Mme de SĂ©vignĂ© En les Ă©coutant je pensais qu'ils me prĂ©paraient les dĂ©lices d'un adieu. » VoilĂ le propos qu'elle me tint et oĂč elle avait mis toute sa finesse, son goĂ»t des citations, sa mĂ©moire des classiques, un peu plus mĂȘme qu'elle n'eĂ»t fait d'habitude et comme pour montrer qu'elle gardait bien tout cela en sa possession. Mais ces phrases, je les devinai plutĂŽt que je ne les entendis, tant elle les prononça d'une voix ronchonnante et en serrant les dents plus que ne pouvait l'expliquer la peur de vomir. Allons, lui dis-je assez lĂ©gĂšrement pour n'avoir pas l'air de prendre trop au sĂ©rieux son malaise, puisque tu as un peu mal au cĆur, si tu veux bien nous allons rentrer, je ne veux pas promener aux Champs-ElysĂ©es une grand'mĂšre qui a une indigestion. Je n'osais pas te le proposer Ă cause de tes amis, me rĂ©pondit-elle. Pauvre petit Mais puisque tu le veux bien, c'est plus sage. J'eus peur qu'elle ne remarquĂąt la façon dont elle prononçait ces mots. Voyons, lui dis-je brusquement, ne te fatigue donc pas Ă parler, puisque tu as mal au cĆur; c'est absurde, attends au moins que nous soyons rentrĂ©s. Elle me sourit tristement et me serra la main. Elle avait compris qu'il n'y avait pas Ă me cacher ce que j'avais devinĂ© tout de suite qu'elle venait d'avoir une petite attaque. CHAPITRE PREMIER MALADIE DE MA GRAND'MĂRE. MALADIE DE BERGOTTE. LE DUC ET LE MĂDECIN. DĂCLIN DE MA GRAND'MĂRE. SA MORT. Nous retraversĂąmes l'avenue Gabriel, au milieu de la foule des promeneurs. Je fis asseoir ma grand'mĂšre sur un banc et j'allai chercher un fiacre. Elle, au cĆur de qui je me plaçais toujours pour juger la personne la plus insignifiante, elle m'Ă©tait maintenant fermĂ©e, elle Ă©tait devenue une partie du monde extĂ©rieur, et plus qu'Ă de simples passants, j'Ă©tais forcĂ© de lui taire ce que je pensais de son Ă©tat, de lui taire mon inquiĂ©tude. Je n'aurais pu lui en parler avec plus de confiance qu'Ă une Ă©trangĂšre. Elle venait de me restituer les pensĂ©es, les chagrins que depuis mon enfance je lui avais confiĂ©s pour toujours. Elle n'Ă©tait pas morte encore. J'Ă©tais dĂ©jĂ seul. Et mĂȘme ces allusions qu'elle avait faites aux Guermantes, Ă MoliĂšre, Ă nos conversations sur le petit noyau, prenaient un air sans appui, sans cause, fantastique, parce qu'elles sor- taient du nĂ©ant de ce mĂȘme ĂȘtre qui, demain peutĂȘtre, n'existerait plus, pour lequel elles n'auraient plus aucun sens, de ce nĂ©ant incapable de les concevoir que ma grand'mĂšre serait bientĂŽt. Monsieur, je ne dis pas, mais vous n'avez pas pris de rendez-vous avec moi, vous n'avez pas de numĂ©ro. D'ailleurs, ce n'est pas mon jour de consultation. Vous devez avoir votre mĂ©decin. Je ne peux pas me substituer, Ă moins qu'il ne me fasse appeler en consultation. C'est une question de dĂ©ontologie. Au moment oĂč je faisais signe Ă un fiacre, j'avais rencontrĂ© le fameux professeur E. presque ami de mon pĂšre et de mon grand-pĂšre, en tout cas en relations avec eux, lequel demeurait avenue Gabriel, et, pris d'une inspiration subite, je l'avais arrĂȘtĂ© au moment oĂč il rentrait, pensant qu'il serait peut-ĂȘtre d'un excellent conseil pour ma grand'mĂšre. Mais, pressĂ©, aprĂšs avoir pris ses lettres, il voulait m'Ă©conduire, et je ne pus lui parler qu'en montant avec lui dans l'ascenseur, dont il me pria de le laisser manĆuvrer les boutons, c'Ă©tait chez lui une manie. Mais, Monsieur, je ne demande pas que vous receviez ma grand'mĂšre, vous comprendrez aprĂšs ce que je vais vous dire, qu'elle est peu en Ă©tat, je vous demande au contraire de passer d'ici une demi-heure chez nous, oĂč elle sera rentrĂ©e. Passer chez vous ? mais, Monsieur, vous n'y pensez pas. Je dĂźne chez le Ministre du Commerce, il faut que je fasse une visite avant, je vais m'habiller tout de suite; pour comble de malheur mon habit a Ă©tĂ© dĂ©chirĂ© et l'autre n'a pas de boutonniĂšre pour passer les dĂ©corations. Je vous en prie, faites-moi le plaisir de ne pas toucher les boutons de l'ascenseur, vous ne savez pas le manĆuvrer, il faut ĂȘtre prudent en tout. Cette boutonniĂšre va me retarder encore. Enfin, par amitiĂ© pour les vĂŽtres, si votre grand'mĂšre vient tout de suite je la recevrai. Mais je vous prĂ©viens que je n'aurai qu'un quart d'heure bien juste Ă lui donner. J'Ă©tais reparti aussitĂŽt, n'Ă©tant mĂȘme pas sorti de l'ascenseur que le professeur E. avait mis lui-mĂȘme en marche pour me faire descendre, non sans me regarder avec mĂ©fiance. Nous disons bien que l'heure de la mort est incertaine, mais quand nous disons cela, nous nous reprĂ©sentons cette heure comme situĂ©e dans un espace vague et lointain, nous ne pensons pas qu'elle ait un rapport quelconque avec la journĂ©e dĂ©jĂ commencĂ©e et puisse signifier que la mort ou sa premiĂšre prise de possession partielle de nous, aprĂšs laquelle elle ne nous lĂąchera plus pourra se produire dans cet aprĂšsmidi mĂȘme, si peu incertain, cet aprĂšs-midi oĂč l'emploi de toutes les heures est rĂ©glĂ© d'avance. On tient Ă sa promenade pour avoir dans un mois le total de bon air nĂ©cessaire, on a hĂ©sitĂ© sur le choix d'un manteau Ă emporter, du cocher Ă appeler, on est en fiacre, la journĂ©e est tout entiĂšre devant vous, courte, parce qu'on veut ĂȘtre rentrĂ© Ă temps pour recevoir une amie; on voudrait qu'il fĂźt aussi beau le lendemain; et on ne se doute pas que la mort, qui cheminait en vous dans un autre plan, au milieu d'une impĂ©nĂ©trable obscuritĂ©, a choisi prĂ©cisĂ©ment ce jour-lĂ pour entrer en scĂšne, dans quelques minutes, Ă peu prĂšs Ă l'instant oĂč la voiture atteindra les Champs-ĂlysĂ©es. Peut-ĂȘtre ceux que hante d'habitude l'effroi de la singularitĂ© particuliĂšre Ă la mort, trouveront-ils quelque chose de rassurant Ă ce genre de mort-lĂ Ă ce genre de premier contact avec la mort parce qu'elle y revĂȘt une apparence connue, familiĂšre, quotidienne. Un bon dĂ©jeuner l'a prĂ©cĂ©dĂ©e et la mĂȘme sortie que font des gens bien portants. Un retour en voiture dĂ©couverte se superpose Ă sa premiĂšre atteinte; si malade que fĂ»t ma grand'mĂšre, en somme plusieurs personnes auraient pu dire qu'Ă six heures, quand nous revĂźnmes des Champs-ĂlysĂ©es, elles l'avaient saluĂ©e, passant en voiture dĂ©couverte, par un temps superbe. Legrandin, qui se dirigeait vers la place de la Concorde, nous donna un coup de chapeau, en s'arrĂȘtant, l'air Ă©tonnĂ©. Moi qui n'Ă©tais pas encore dĂ©tachĂ© de la vie, je demandai Ă ma grand'mĂšre si elle lui avait rĂ©pondu, lui rappelant qu'il Ă©tait susceptible. Ma grand'mĂšre, me trouvant sans doute bien lĂ©ger, leva sa main en l'air comme pour dire Qu'est-ce que cela fait ? cela n'a aucune importance. » Oui, on aurait pu dire tout Ă l'heure, pendant que je cherchais un fiacre, que ma grand'mĂšre Ă©tait assise sur un banc, avenue Gabriel, qu'un peu aprĂšs elle avait passĂ© en voiture dĂ©couverte. Mais eĂ»t-ce Ă©tĂ© bien vrai ? Le banc, lui,' pour qu'il se tienne dans une avenue bien qu'il soit soumis aussi Ă certaines conditions d'Ă©quilibre n'a pas besoin d'Ă©nergie. Mais pour qu'un ĂȘtre vivant soit stable, mĂȘme appuyĂ© sur un banc ou dans une voiture, il faut une tension de forces que nous ne percevons pas, d'habitude, plus que nous ne percevons parce qu'elle s'exerce dans tous les sens la pression atmosphĂ©rique. PeutĂȘtre si on faisait le vide en nous et qu'on nous laissĂąt supporter la pression de l'air, sentirions-nous, pendant l'instant qui prĂ©cĂ©derait notre destruction, le poids terrible que rien ne neutraliserait plus. De mĂȘme, quand les abĂźmes de la maladie et de la mort s'ouvrent en nous et que nous n'avons plus rien Ă opposer au tumulte avec lequel le monde et notre propre corps se ruent sur nous, alors soutenir mĂȘme la pesĂ©e de nos muscles, mĂȘme le frisson qui dĂ©vaste nos moelles, alors, mĂȘme nous tenir immobiles dans ce que nous croyons d'habitude n'ĂȘtre rien que la simple position nĂ©gative d'une chose, exige, si l'on veut que la tĂȘte reste droite et le regard calme, de l'Ă©nergie vitale, et devient l'objet d'une lutte Ă©puisante. Et si Legrandin nous avait regardĂ©s de cet air Ă©tonnĂ©, c'est qu'Ă lui comme Ă ceux qui passaient alors, dans le fiacre oĂč ma grand'mĂšre semblait assise sur la banquette, elle Ă©tait apparue sombrant, glissant Ă l'abĂźme, se retenant dĂ©sespĂ©rĂ©ment aux coussins qui pouvaient Ă peine retenir son corps prĂ©cipitĂ©, les cheveux en dĂ©sordre, l'oeil Ă©garĂ©, incapable de plus faire face Ă l'assaut des images que ne rĂ©ussissait plus Ă porter sa prunelle., Elle Ă©tait apparue, bien qu'Ă cĂŽtĂ© de moi, plongĂ©e dans ce monde inconnu au sein duquel elle avait dĂ©jĂ reçu les coups dont elle portait les traces quand je l'avais vue tout Ă l'heure aux Champs-ĂlysĂ©es, son chapeau, son visage, son manteau dĂ©rangĂ©s par la main de l'ange invisible avec lequel elle avait luttĂ©. J'ai pensĂ©, depuis, que ce moment de son attaque n'avait pas dĂ» surprendre entiĂšrement ma grand'mĂšre, que peut-ĂȘtre mĂȘme elle l'avait prĂ©vu longtemps d'avance, avait vĂ©cu dans son attente. Sans doute, elle n'avait pas su quand ce moment fatal viendrait, incertaine, pareille aux amants qu'un doute du mĂȘme genre porte tour Ă tour Ă fonder des espoirs dĂ©raisonnables et des soupçons injustifiĂ©s sur la fidĂ©litĂ© de leur maĂźtresse. Mais il est rare que ces grandes maladies, telles que celle qui venait enfin de la frapper en plein visage, n'Ă©lisent pas pendant longtemps domicile chez le malade avant de le tuer, et durant cette pĂ©riode ne se fassent pas assez vite, comme un voisin ou un locataire liant », connaĂźtre de lui. C'est une terrible connaissance, moins par les souffrances qu'elle cause que par l'Ă©trange nouveautĂ© des restrictions dĂ©finitives qu'elle impose Ă la vie. On se voit mourir, dans ce cas, non pas Ă l'instant mĂȘme de la mort, mais des mois, quelquefois des annĂ©es auparavant, depuis qu'elle est hideusement venue habiter chez nous. La malade fait la connaissance de l'Ă©tranger qu'elle entend aller et venir dans son cerveau. Certes elle ne le connaĂźt pas de vue, mais des bruits qu'elle l'entend rĂ©guliĂšrement faire elle dĂ©duit ses habitudes. Est-ce un malfaiteur ? Un matin, elle ne l'entend plus. Il est parti. Ah si c'Ă©tait pour toujours Le soir, il est revenu. Quels sont ses desseins ? Le mĂ©decin consultant, soumis Ă la question, comme une maĂźtresse adorĂ©e, rĂ©pond par des serments tel jour crus, tel jour mis en doute. Au reste, plutĂŽt que celui de la maĂźtresse, le mĂ©decin joue le rĂŽle des serviteurs interrogĂ©s. Ils ne sont que des tiers. Celle que nous pressons, dont nous soupçonnons qu'elle est sur le point de nous trahir, c'est la vie elle-mĂȘme, et malgrĂ© que nous ne la sentions plus la mĂȘme, nous croyons encore en elle, nous demeurons en tout cas dans le doute jusqu'au jour qu'elle nous a enfin abandonnĂ©s. Je mis ma grand'mĂšre dans l'ascenseur du professeur E. et au bout d'un instant il vint Ă nous et nous, fit passer dans son cabinet. Mais lĂ , si pressĂ© qu'il fĂ»t, son air rogue changea, tant les habitudes sont fortes, et il avait celle d'ĂȘtre aimable, voire enjouĂ©, avec ses malades. Comme il savait ma grand'mĂšre trĂšs lettrĂ©e et qu'il l'Ă©tait aussi, il se mit Ă lui citer pendant deux ou trois minutes de beaux vers sur l'ĂtĂ© radieux qu'il faisait. Il l'avait assise dans un fauteuil, lui Ă contre-jour, de maniĂšre Ă bien la voir. Son examen fut minutieux, nĂ©cessita mĂȘme que je sortisse un instant. Il le continua encore, puis ayant fini, se mit, bien que le quart d'heure touchĂąt Ă sa fin, Ă refaire quelques citations Ă ma grand'mĂšre. Il lui adressa mĂȘme quelques plaisanteries assez fines, que j'eusse prĂ©fĂ©rĂ© entendre un autre jour, mais qui me rassurĂšrent complĂštement par le ton amusĂ© du docteur. Je me rappelai alors que M. FalliĂšres, prĂ©sident du SĂ©nat, avait eu, il y avait nombre d'annĂ©es, une fausse attaque, et qu'au dĂ©sespoir de ses concurrents, il s'Ă©tait mis trois jours aprĂšs Ă reprendre ses fonctions et prĂ©parait, disait-on, une candidature plus ou moins lointaine Ă la prĂ©sidence de la RĂ©publique. Ma confiance en un prompt rĂ©tablissement de ma grand'mĂšre fut d'autant plus complĂšte, que, au moment oĂč je me rappelais l'exemple de M. FalliĂšres, je fus tirĂ© de la pensĂ©e de ce rapprochement par un franc Ă©clat de rire qui termina une plaisanterie du professeur E. Sur quoi il tira sa montre, fronça fiĂ©vreusement le sourcil en voyant qu'il Ă©tait en retard de cinq minutes, et tout en nous disant adieu sonna pour qu'on apportĂąt immĂ©diatement son habit. Je laissai ma grand'mĂšre passer devant, refermai la porte et demandai la vĂ©ritĂ© au savant. Votre grand'mĂšre est perdue, me dit-il. C'est une attaque provoquĂ©e par l'urĂ©mie. En soi, l'urĂ©mie n'est pas fatalement un mal mortel, mais le cas me paraĂźt dĂ©sespĂ©rĂ©. Je n'ai pas besoin de vous dire que j'espĂšre me tromper. Du reste, avec Cottard, vous ĂȘtes en excellentes mains. Excusez-moi, me dit-il en voyant entrer une femme de chambre qui portait sur le bras l'habit noir du professeur. Vous savez que je dĂźne chez le Ministre du Commerce, j'ai une visite Ă faire avant. Ah la vie n'est pas que roses, comme on le croit Ă votre Ăąge. Et il me tendit gracieusement la main. J'avais refermĂ© la porte et un valet nous guidait dans l'antichambre, ma grand'mĂšre et moi, quand nous entendĂźmes de grands cris de colĂšre. La femme de chambre avait oubliĂ© de percer la boutonniĂšre pour les dĂ©corations. Cela allait demander encore dix minutes. Le professeur tempĂȘtait toujours pendant que je regardais sur le palier ma grand'mĂšre qui Ă©tait perdue. Chaque personne est bien seule. Nous repartĂźmes vers la maison. Le soleil dĂ©clinait; il enflammait un interminable mur que notre fiacre avait Ă longer avant d'arriver Ă la rue que nous habitions, mur sur lequel l'ombre, projetĂ©e par le couchant, du cheval et de la voiture, se dĂ©tachait en noir sur le fond rougeĂątre, comme un char funĂšbre dans une terre cuite de PompĂ©i. Enfin nous arrivĂąmes. Je fis asseoir la malade en bas de l'escalier dans le vestibule, et je montai prĂ©venir ma mĂšre. Je lui dis que ma grand'mĂšre rentrait un peu souffrante, ayant eu un Ă©tourdissement. DĂšs mes premiers mots, le visage de ma mĂšre atteignit au paroxysme d'un dĂ©sespoir pourtant dĂ©jĂ si rĂ©signĂ©, que je compris que depuis bien des annĂ©es elle le tenait tout prĂȘt en elle pour un jour incertain et fatal. Elle ne me demanda rien; il semblait, de mĂȘme que la mĂ©chancetĂ© aime Ă exagĂ©rer les souffrances des autres, que par tendresse elle ne voulĂ»t pas admettre que sa mĂšre fĂ»t trĂšs atteinte, surtout d'une maladie qui peut toucher l'intelligence. Maman frissonnait, son visage pleurait sans larmes, elle courut dire qu'on allĂąt chercher le mĂ©decin, mais comme Françoise demandait qui Ă©tait malade, elle ne put rĂ©pondre, sa voix s'arrĂȘta dans sa gorge. Elle descendit en courant avec moi, effaçant de sa figure le sanglot qui la plissait. Ma grand'mĂšre attendait en bas sur le canapĂ© du vestibule, mais dĂšs qu'elle nous entendit, se redressa, se tint debout, fit Ă maman des signes gais de la main. Je lui avais enveloppĂ© Ă demi la tĂȘte avec une mantille en dentelle blanche, lui disant que c'Ă©tait pour qu'elle n'eĂ»t pas froid dans l'escalier. Je ne voulais pas que ma mĂšre remarquĂąt trop l'altĂ©ration du visage, la dĂ©viation de la bouche; ma prĂ©caution Ă©tait inutile ma mĂšre s'approcha de grand' mĂšre, embrassa sa main comme celle de son Dieu, la soutint, la souleva jusqu'Ă l'ascenseur, avec des prĂ©cautions infinies oĂč il y avait, avec la peur d'ĂȘtre maladroite et de lui faire mal, l'humilitĂ© de qui se sent indigne de toucher ce qu'il connaĂźt de plus prĂ©cieux, mais pas une fois elle ne leva les yeux et ne regarda le visage de la malade. Peut-ĂȘtre fut-ce pour que celle-ci ne s'attristĂąt pas en pensant que sa vue avait pu inquiĂ©ter sa fille. Peut-ĂȘtre par crainte d'une douleur trop forte qu'elle n'osa pas affronter. PeutĂȘtre par respect, parce qu'elle ne croyait pas qu'il lui fĂ»t permis sans impiĂ©tĂ© de constater la trace de quelque affaiblissement intellectuel dans le visage vĂ©nĂ©rĂ©. Peut-ĂȘtre pour mieux garder plus tard intacte l'image du vrai visge de sa mĂšre, rayonnant d'esprit et de bontĂ©. Ainsi montĂšrent-elles l'une Ă cĂŽtĂ© de l'autre, ma grand'mĂšre Ă demi cachĂ©e dans sa mantille, ma mĂšre dĂ©tournant les yeux. Pendant ce temps il y avait une personne qui ne quittait pas des siens ce qui pouvait se deviner des traits modifiĂ©s de ma grand'mĂšre que sa fille n'osait pas voir, une personne qui attachait sur eux un regard Ă©bahi, indiscret et de mauvais augure c'Ă©tait Françoise. Non qu'elle n'aimĂąt sincĂšrement ma grand' mĂšre mĂȘme elle avait déçue et presque scandalisĂ©e par la froideur de maman qu'elle aurait voulu voir se jeter en pleurant dans les bras de sa mĂšre, mais elle avait un certain penchant Ă envisager toujours le pire, elle avait gardĂ© de son enfance deux particularitĂ©s qui sembleraient devoir s'exclure, mais qui, quand elles sont assemblĂ©es, se fortifient le manque d'Ă©ducation des gens du peuple qui ne cherchent pas Ă dissimuler l'impression, voire l'effroi douloureux causĂ© en eux par la vue d'un changement physique qu'il serait plus dĂ©licat de ne pas paraĂźtre remarquer, et la rudesse insensible de la paysanne qui arrache les ailes des libellules avant qu'elle ait l'occasion de tordre le cou aux poulets et manque de la pudeur qui lui ferait cacher l'intĂ©rĂȘt qu'elle Ă©prouve Ă voir la chair qui souffre. Quand, grĂące aux soins parfaits de Françoise, ma grand'mĂšre fut couchĂ©e, ele se rendit compte qu'elle parlait beaucoup plus facilement, le petit dĂ©chirement ou encombrement d'un vaisseau qu'avait produit l'urĂ©mie avait sans doute Ă©tĂ© trĂšs lĂ©ger. Alors elle voulut ne pas faire faute Ă maman, l'assister dans les instants les plus cruels que celle-ci eĂ»t encore traversĂ©s. Eh bien ma fille, lui dit-elle, en lui prenant la main, et en gardant l'autre devant sa bouche pour donner cette cause apparente Ă la lĂ©gĂšre difficultĂ© qu'elle avait encore Ă prononcer certains mots, voilĂ comme tu plains ta mĂšre tu as l'air de croire que ce n'est pas dĂ©sagrĂ©able une indigestion Alors pour la premiĂšre fois les yeux de ma mĂšre se posĂšrent passionnĂ©ment sur ceux de ma grand'mĂšre, ne voulant pas voir le reste de son visage, et elle dit, commençant la liste de ces faux serments que nous ne pouvons pas tenir Maman, tu seras bientĂŽt guĂ©rie, c'est ta fille qui s'y engage. Et enfermant son amour le plus fort, toute sa volontĂ© que sa mĂšre guĂ©rĂźt, dans un baiser Ă qui elle les confia et qu'elle accompagna de sa pensĂ©e, de tout son ĂȘtre jusqu'au bord de ses lĂšvres, elle alla le dĂ©poser humblement, pieusement sur le front adorĂ©. Ma grand'mĂšre se plaignait d'une espĂšce d'alluvion de couvertures qui se faisait tout le temps du mĂȘme cĂŽtĂ© sur sa jambe gauche et qu'elle ne pouvait pas arriver Ă soulever. Mais elle ne se rendait pas compte qu'elle en Ă©tait elle-mĂȘme la cause, de sorte que chaque jour elle accusa injustement Françoise de mal retaper son lit. Par un mouvement convulsif, elle rejetait de ce cĂŽtĂ© tout le flot de ces Ă©cumantes couvertures de fine laine qui s'y amoncelaient comme les sables dans une baie bien vite transformĂ©e en grĂšve si on n'y construit une digue par les apports successifs du flux. Ma mĂšre et moi de qui le mensonge Ă©tait d'avance percĂ© Ă jour par Françoise, perspicace et offensante, nous ne voulions mĂȘme pas dire que ma grand'mĂšre fĂ»t trĂšs malade, comme si cela eĂ»t pu faire plaisir aux ennemis que d'ailleurs elle n'avait pas, et eĂ»t Ă©tĂ© plus affectueux de trouver qu'elle n'allait pas si mal que ça, en somme, par le mĂȘme sentiment instinctif qui m'avait fait supposer qu'AndrĂ©e plaignait trop Albertine pour l'aimer beaucoup. Les mĂȘmes phĂ©nomĂšnes se reproduisent des particuliers Ă la masse, dans les grandes crises. Dans une guerre, celui qui n'aime pas son pays n'en dit pas de mal, mais le croit perdu, le plaint, voit les choses en noir. Françoise nous rendait un service infini par sa facultĂ© de se passer de sommeil, de faire les besognes les plus dures. Et si, Ă©tant allĂ©e se coucher aprĂšs plusieurs nuits passĂ©es debout, on Ă©tait obligĂ© de l'appeler un quart d'heure aprĂšs qu'elle s'Ă©tait endormie, elle Ă©tait si heureuse de pouvoir faire des choses pĂ©nibles comme si elles eussent Ă©tĂ© les plus simples du monde que, loin de rechigner, elle montrait sur son visage de la satisfaction et de la modestie. Seulement quand arrivait l'heure de la messe, et l'heure du premier dĂ©jeuner, ma grand'mĂšre eĂ»t-elle Ă©tĂ© agonisante, Françoise se fĂ»t Ă©clipsĂ©e Ă temps pour ne pas ĂȘtre en retard. Elle ne pouvait ni ne voulait ĂȘtre suppléée par son jeune valet de pied. Certes elle avait apportĂ© de Combray une idĂ©e trĂšs haute des devoirs de chacun envers nous; elle n'eĂ»t pas tolĂ©rĂ© qu'un de nos gens nous manquĂąt ». Cela avait fait d'elle une si noble, si impĂ©rieuse, si efficace Ă©ducatrice, qu'il n'y avait jamais eu chez nous de domestiques si corrompus qui n'eussent vite modifiĂ©, Ă©purĂ© leur conception de la vie jusqu'Ă ne plus toucher le sou du franc » et Ă se prĂ©cipiter si peu serviables qu'ils eussent Ă©tĂ© jusqu'alors pour me prendre des mains et ne pas me. laisser me fatiguer Ă porter le moindre paquet. Mais, Ă Combray aussi, Françoise avait contractĂ© et importĂ© Ă Paris l'habitude de ne pouvoir supporter une aide quelconque dans son travail. Se voir prĂȘter un concours lui semblait recevoir 12 Vol. II. une avanie, et des domestiques sont restĂ©s des semaines sans obtenir d'elle une rĂ©ponse Ă leur salut matinal, sont mĂȘme partis en vacances sans qu'elle leur dĂźt adieu et qu'ils devinassent pourquoi, en rĂ©alitĂ© pour la seule raison qu'ils avaient voulu faire un peu de sa besogne, un jour qu'elle Ă©tait souffrante. Et en ce moment oĂč ma grand'mĂšre Ă©tait si mal, la besogne de Françoise lui semblait particuliĂšrement sienne. Elle ne voulait pas, elle la titulaire, se laisser chiper son rĂŽle dans ces jours de gala. Aussi son jeune valet de pied, Ă©cartĂ© par elle, ne savait que faire, et non content d'avoir, Ă l'exemple de Victor, pris mon papier dans mon bureau, il s'Ă©tait mis, de plus, Ă emporter des volumes de vers de ma bibliothĂšque. Il les lisait, une bonne moitiĂ© de la journĂ©e, par admiration pour les poĂštes qui les avaient composĂ©s, mais aussi afin, pendant l'autre partie de son temps, d'Ă©mailler de citations les lettres qu'il Ă©crivait Ă ses amis de village. Certes, il pensait ainsi les Ă©blouir. Mais, comme il avait peu de suite dans les idĂ©es, il s'Ă©tait formĂ© celle-ci que ces poĂšmes, trouvĂ©s dans ma bibliothĂšque, Ă©taient chose connue de tout le monde et Ă quoi il est courant de se reporter. Si bien qu'Ă©crivant Ă ces paysans dont il escomptait la stupĂ©faction, il entremĂȘlait ses propres rĂ©flexions de vers de Lamartine, comme il eĂ»t dit qui vivra verra, ou mĂȘme bonjour. A cause des souffrances de ma grand'mĂšre on lui permit la morphine. Malheureusement si celle-ci les calmait, elle augmentait aussi la dose d'albumine. Les coups que nous destinions au mal qui s'Ă©tait installĂ© en grand'mĂšre portaient toujours Ă faux; c'Ă©tait elle, c'Ă©tait son pauvre corps interposĂ© qui les recevait, sans qu'elle se plaignĂźt qu'avec un faible gĂ©missement. Et les douleurs que nous lui causions n'Ă©taient pas compensĂ©es par un bien que nous ne pouvions lui faire. Le mal fĂ©roce que nous aurions voulu exterminer, c'est Ă peine si nous l'avions frĂŽlĂ©, nous ne faisions que l'exaspĂ©rer davantage, hĂątant peut-ĂȘtre l'heure oĂč la captive serait dĂ©vorĂ©e. Les jours oĂč la dose d'albumine avait Ă©tĂ© trop forte, Cottard aprĂšs une hĂ©sitation refusait la morphine. Chez cet homme si insignifiant, si commun, il y avait, dans ces courts moments oĂč il dĂ©libĂ©rait, oĂč les dangers d'un traitement et d'un autre se disputaient en lui jusqu'Ă ce qu'il s'arrĂȘtĂąt Ă l'un, la sorte de grandeur d'un gĂ©nĂ©ral qui, vulgaire dans le reste de la vie, est un grand stratĂšge, et, dans un moment pĂ©rilleux, aprĂšs avoir rĂ©flĂ©chi un instant, conclut pour ce qui militairement est le plus sage et dit Faites face Ă l'Est. » MĂ©dicalement, si peu d'espoir qu'il y eĂ»t de mettre un terme Ă cette crise d'urĂ©mie, il ne fallait pas fatiguer le rein. Mais, d'autre part, quand ma grand'mĂšre n'Ă vait pas de morphine, ses douleurs devenaient intolĂ©rables, elle recommençait perpĂ©tuellement un certain mouvement qui lui Ă©tait difficile Ă accomplir sans gĂ©mir; pour une grande part, la souffrance est une sorte de besoin de l'organisme de prendre conscience d'un Ă©tat nouveau qui l'inquiĂšte, de rendre la sensibilitĂ© adĂ©quate Ă cet Ă©tat. On peut discerner cette origine de la douleur dans le cas d'incommoditĂ©s qui n'en sont pas pour tout le monde. Dans une chambre remplie d'une fumĂ©e Ă l'odeur pĂ©nĂ©trante, deux hommes grossiers entreront et vaqueront Ă leurs affaires; un troisiĂšme, d'organisation plus fine, trahira un trouble incessant. Ses narines ne cesseront de renifler anxieusement l'odeur qu'il devrait, semble-t-il, essayer de ne pas sentir et qu'il cherchera chaque fois Ă faire adhĂ©rer, par une connaissance plus exacte, Ă son odorat incommodĂ©. De lĂ vient sans doute qu'une vive prĂ©occupation empĂȘche de se plaindre d'une rage de dents. Quand ma grand' mĂšre souffrait ainsi, la sueur coulait sur son grand front mauve, y collant les mĂšches blanches, et si elle croyait que nous n'Ă©tions pas dans la chambre, elle poussait des cris Ah c'est affreux », mais si elle apercevait ma mĂšre, aussitĂŽt elle employait toute son Ă©nergie Ă effacer de son visage les traces de douleur, ou, au contraire, rĂ©pĂ©tait les mĂȘmes plaintes en les accompagnant d'explications qui donnaient rĂ©trospectivement un autre sens Ă celles que ma mĂšre avait pu entendre Ah ma fille, c'est affreux, rester couchĂ©e par ce beau soleil quand on voudrait aller se promener, je pleure de rage contre vos prescriptions. Mais elle ne pouvait empĂȘcher le gĂ©missement de ses regards, la sueur de son front, le sursaut convulsif, aussitĂŽt rĂ©primĂ©, de ses membres. Je n'ai pas mal, je me plains parce que je suis mal couchĂ©e, je me sens les cheveux en dĂ©sordre, j'ai mal au cĆur, je me suis cognĂ©e contre le mur. Et ma mĂšre, au pied du lit, rivĂ©e Ă cette souffrance comme si, Ă force de percer de son regard ce. front douloureux, ce corps qui recĂ©lait le mal, elle eĂ»t dĂ» finir par l'atteindre et l'emporter, ma mĂšre disait Non, ma petite maman, nous ne te laisserons pas souffrir comme ça, on va trouver quelque chose, prends patience une seconde, me permets-tu de t'embrasser sans que tu aies Ă bouger ? Et penchĂ©e sur le lit, les jambes flĂ©chissantes, Ă demi agenouillĂ©e, comme si, Ă force d'humilitĂ©, elle avait plus de chance de faire exaucer le don passionnĂ© d'elle-mĂȘme, elle inclinait vers ma grand'mĂšre toute sa vie dans son visage comme dans un ciboire qu'elle lui tendait, dĂ©corĂ© en reliefs de fossettes et de plissements si passionnĂ©s, si dĂ©solĂ©s et si doux qu'on ne savait pas s'ils y Ă©taient creusĂ©s par le ciseau d'un baiser, d'un sanglot ou d'un sourire. Ma grand'mĂšre essayait, elle aussi, de tendre vers maman son visage. Il avait tellement changĂ© que sans doute, si elle eĂ»t eu la force de sortir, on ne l'eĂ»t reconnue qu'Ă la plume de son chapeau. Ses traits, comme dans des sĂ©ances de modelage, semblaient s'appliquer, dans un effort qui la dĂ©tournait de tout le reste, Ă se conformer Ă certain modĂšle que nous ne connaissions pas. Ce travail de statuaire touchait Ă sa fin et, si la figure de ma grand'mĂšre avait, diminuĂ©, elle avait Ă©galement durci. Les veines qui la traversaient semblaient celles, non pas d'un marbre, mais d'une pierre plus rugueuse. Toujours penchĂ©e en avant par la difficultĂ© de respirer, en mĂȘme temps que repliĂ©e sur elle-mĂȘme par la fatigue, sa figure fruste, rĂ©duite, atrocement expressive, semblait, dans une sculpture primitive, presque prĂ©historique, la figure rude, violĂątre, rousse, dĂ©sespĂ©rĂ©e de quelque sauvage gardienne de tombeau. Mais toute l'oeuvre n'Ă©tait pas accomplie. Ensuite, il faudrait la briser, et puis, dans ce tombeau qu'on avait si pĂ©niblement gardĂ©, avec cette dure contraction descendre. Dans un de ces moments oĂč, selon l'expression populaire, on ne sait plus Ă quel saint se vouer, comme ma grand'mĂšre toussait et Ă©ternuait beaucoup, on suivit le conseil d'un parent qui affirmait qu'avec le spĂ©cialiste X. on Ă©tait hors d'affaire en trois jours. Les gens du monde disent cela de leur mĂ©decin, et on les croit comme Françoise croyait les rĂ©clames des journaux. Le spĂ©cialiste vint avec sa trousse chargĂ©e de tous les rhumes de ses clients, comme l'outre d'Ăole. Ma grand'mĂšre refusa net de se laisser examiner. Et nous, gĂȘnĂ©s pour le praticien qui s'Ă©tait dĂ©rangĂ© inutilement, nous dĂ©fĂ©rĂąmes au dĂ©sir qu'il exprima de visiter nos nez respectifs, lesquels pourtant n'avaient rien. Il prĂ©tendait que si, et que migraine ou colique, maladie de cĆur ou diabĂšte, c'est une maladie du nez mal comprise. A chacun de nous il dit VoilĂ une petite cornĂ©e que je serais bien aise de revoir. N'attendez pas trop. Avec quelques pointes de feu je vous dĂ©barrasserai. Certes nous pensions Ă toute autre chose. Pourtant nous nous demandĂąmes Mais dĂ©barrasser de quoi ? » Bref tous nos nez Ă©taient malades; il ne se trompa qu'en mettant la chose au prĂ©sent. Car dĂšs le lendemain son examen et son pansement provisoire avaient accompli leur effet. Chacun de nous eut son catarrhe. Et comme il rencontrait dans la rue mon pĂšre secouĂ© par des quintes, il sourit Ă l'idĂ©e qu'un ignorant pĂ»t croire le mal dĂ» Ă son intervention. Il nous avait examinĂ©s au moment oĂč nous Ă©tions dĂ©jĂ malades. La maladie de ma grand'mĂšre donna lieu Ă diverses personnes de manifester un excĂšs ou une insuffisance de sympathie qui nous surprirent tout autant que le genre de hasard par lequel les uns ou les autres nous dĂ©couvraient des chaĂźnons de circonstances, ou mĂȘme d'amitiĂ©s, que nous n'eussions pas soupçonnĂ©es. Et les marques d'intĂ©rĂȘt donnĂ©es par les personnes qui venaient sans cesse prendre des nouvelles nous rĂ©vĂ©laient la gravitĂ© d'un mal que jusque-lĂ nous n'avions pas assez isolĂ©, sĂ©parĂ© des mille impressions douloureusese ressenties auprĂšs ma grand'mĂšre. PrĂ©venues par dĂ©pĂȘche, ses sĆurs ne quittĂšrent pas Combray. Elles avaient dĂ©couvert un artiste qui leur donnait des sĂ©ances d'excellente musique de chambre, dans l'audition de laquelle elles pensaient trouver, mieux qu'au chevet de la malade, un recueillement, une Ă©lĂ©vation douloureuse, desquels la forme ne laissa pas de paraĂźtre insolite. Madame Sazerat Ă©crivit Ă maman, mais comme une personne dont les fiançailles brusquement rompues la rupture Ă©tait le dreyfusisme nous ont Ă jamais sĂ©parĂ©s. En revanche Bergotte vint passer tous les jours plusieurs heures avec moi. Il avait toujours aimĂ© Ă venir se fixer pendant quelque temps dans une mĂȘme maison oĂč il n'eĂ»t pas de frais Ă faire. Mais autrefois c'Ă©tait pour y parler sans ĂȘtre interrompu, maintenant pour garder longuement le silence sans qu'on lui demandĂąt de parler. Car il Ă©tait trĂšs malade les uns disaient d'albuminurie, comme ma grand'mĂšre; selon d'autres il avait une LE COTĂ DE GUERMA NTES tumeur. Il allait en s'affaiblissant; c'est avec difficultĂ© qu'il montait notre escalier, avec une plus grande encore qu'il le descendait. Bien qu'appuyĂ© Ă la rampe il trĂ©buchait souvent, et je crois qu'il serait restĂ© chez lui s'il n'avait pas craint de perdre entiĂšrement l'habitude, la possibilitĂ© de sortir, lui l' homme Ă barbiche que j'avais connu alerte, il n'y avait pas si longtemps. Il n'y voyait plus goutte, et sa parole mĂȘme s'embarrassait souvent. Mais en mĂȘme temps, tout au contraire, la somme de ses Ćuvres, connues seulement des lettrĂ©s Ă l'Ă©poque oĂč Mme Swann patronnait leurs timides efforts de dissĂ©mination, maintenant grandies et fortes aux yeux de tous, avait pris dans le grand public une extraordinaire puissance d'expansion. Sans doute il arrive que c'est aprĂšs sa mort seulement qu'un Ă©crivain devient cĂ©lĂšbre. Mais c'Ă©tait en vie encore et durant son lent acheminement vers la mort non encore atteinte, qu'il assistait Ă celui de ses oeuvres vers la RenommĂ©e. Un auteur mort est du moins illustre sans fatigue. Le rayonnement de son nom s'arrĂȘte Ă la pierre de sa tombe. Dans la surditĂ© du sommeil Ă©ternel, il n'est pas importunĂ© par la Gloire. Mais pour Bergotte l'antithĂšse n'Ă©tait pas entiĂšrement achevĂ©e. Il existait encore assez pour souffrir du tumulte. Il remuait encore, bien que pĂ©niblement, tandis que ses Ćuvres, bondissantes, comme des filles qu'on aime mais dont l'impĂ©tueuse jeunesse et les bruyants plaisirs vous fatiguent, entraĂźnaient chaque jour jusqu'au pied de son lit des admirateurs nouveaux. Les visites qu'il nous faisait maintenant venaient pour moi quelques annĂ©es trop tard, car je ne l'admirais plus autant. Ce qui n'est pas en contradiction avec ce grandissement de sa renommĂ©e. Une Ćuvre est rarement tout Ă fait comprise et victorieuse, sans que celle d'un autre Ă©crivain, obscure encore, n'ait com- mencĂ©, auprĂšs de quelques esprits plus difficiles, de substituer un nouveau culte Ă celui qui a presque fini de s'imposer. Dans les livres de Bergotte, que je relisais souvent, ses phrases Ă©taient aussi claires devant mes yeux que mes propres idĂ©es, les meubles dans ma chambre et les voitures dans la rue. Toutes choses s'y voyaient aisĂ©ment, sinon telles qu'on les avait toujours vues, du moins telles qu'on avait l'habitude de les voir maintenant. Or un nouvel Ă©crivain avait commencĂ© Ă publier des Ćuvres oĂč les rapports entre les choses Ă©taient si diffĂ©rents de ceux qui les liaient pour moi que je ne comprenais presque rien de ce qu'il Ă©crivait. Il disait par exemple Les tuyaux d'arrosage admiraient le bel entretien des routes » et cela c'Ă©tait facile, je glissais le long de ces routes qui partaient toutes les cinq minutes de Briand et de Claudel ». Alors je ne comprenais plus parce que j'avais attendu un nom de ville et qu'il m'Ă©tait donnĂ© un nom de personne. Seulement je sentais que ce n'Ă©tait pas la phrase qui Ă©tait mal faite, mais moi pas assez fort et agile pour aller jusqu'au bout. Je reprenais mon Ă©lan, m'aidais des pieds et des mains pour arriver Ă l'endroit d'oĂč je verrais les rapports nouveaux entre les choses. Chaque fois, parvenu Ă peu prĂšs Ă la moitiĂ© de la phrase, je retombais comme plus tard au rĂ©giment, dans l'exercice appelĂ© portique. Je n'en avais, pas moins pour le nouvel Ă©crivain l'admiration d'un enfant gauche et Ă qui on donne zĂ©ro pour la gymnastique, devant un autre enfant plus adroit. DĂšs lors j'admirai moins Bergotte dont la limpiditĂ© me parut de l'insuffisance. Il y eut un temps oĂč on reconnaissait bien les choses quand c'Ă©tait Fromentin qui les peignait et oĂč on ne les reconnaissait plus quand c'Ă©tait Renoir. Les gens de goĂ»t nous disent aujourd'hui que Renoir est un grand peintre du xvme siĂšcle. Mais en disant cela ils oublient le Temps et qu'il en a fallu beaucoup, mĂȘme en plein xixe, pour que Renoir fĂ»t saluĂ© grand artiste. Pour rĂ©ussir Ă ĂȘtre ainsi reconnus, le peintre original, l'artiste original procĂšdent Ă la façon des oculistes. Le traitement par leur peinture, par leur prose, n'est pas toujours agrĂ©able. Quand il est terminĂ©, le praticien nous dit Maintenant regardez. Et voici que le monde qui n'a pas Ă©tĂ© créé une fois, mais aussi souvent qu'un artiste original est survenu nous apparaĂźt entiĂšrement diffĂ©rent de l'ancien, mais parfaitement clair. Des femmes passent dans la rue, diffĂ©rentes de celles d'autrefois, puisque ce sont dĂ©s Renoir, ces Renoir oĂč nous nous refusions jadis Ă voir des femmes. Les voitures aussi sont des Renoir, et l'eau, et le ciel nous avons envie de nous promener dans la forĂȘt pareille Ă celle qui le premier jour nous semblait tout exceptĂ© une forĂȘt, et par exemple une tapisserie aux nuances nombreuses mais oĂč manquaient justement les nuances propres aux forĂȘts. Tel est l'univers nouveau et pĂ©rissable qui vient d'ĂȘtre créé. Il durera jusqu'Ă la prochaine catastrophe gĂ©ologique que dĂ©chaĂźneront un nouveau peintre ou un nouvel Ă©crivain originaux. Celui qui avait remplacĂ© pour moi Bergotte me lassait non par l'incohĂ©rence mais par la nouveautĂ©, parfaitement cohĂ©rente, de rapports que je n'avais pas l'habitude de suivre. Le point, toujours le mĂȘme, oĂč je me sentait retomber, indiquait l'identitĂ© de chaque tour de force Ă faire. Du reste, quand une fois sur mille je pouvais suivre l'Ă©crivain jusqu'au bout de sa phrase, ce que je voyais Ă©tait toujours d'une drĂŽlerie, d'une vĂ©ritĂ©, d'un charme, pareils Ă ceux que j'avais trouvĂ©s jadis dans la lecture de Bergotte, mais plus dĂ©licieux. Je songeais qu'il n'y avait pas tant d'annĂ©es qu'un mĂȘme renouvellement du monde, pareil Ă celui que j'attendais de son successeur, c'Ă©tait Bergotte qui me l'avait apportĂ©. Et j'arrivais Ă me demander s'il y avait quelque vĂ©ritĂ© en cette distinc- tion que nous faisons toujours entre l'art, qui n'est pas plus avancĂ© qu'au temps d'HomĂšre, et la science aux progrĂšs continus. Peut-ĂȘtre l'art ressemblait-il au contraire en cela Ă la science; chaque nouvel Ă©crivain original me semblait en progrĂšs sur celui qui l'avait prĂ©cĂ©dĂ©; et qui me disait que dans vingt ans, quand je saurais accompagner sans fatigue le nouveau d'aujourd'hui, un autre ne surviendrait pas devant qui l'actuel filerait rejoindre Bergotte ? Je parlai Ă ce dernier du nouvel Ă©crivain. Il me dĂ©goĂ»ta de lui moins en m'assurant que son art Ă©tait rugueux, facile et vide, qu'en me racontant l'avoir vu, ressemblant, au point de s'y mĂ©prendre, Ă Bloch. Cette image se profila dĂ©sormais sur les pages Ă©crites et je ne me crus plus astreint Ă la peine de comprendre. Si Bergotte m'avait mal parlĂ© de lui, c'Ă©tait moins, je crois, par jalousie de son insuccĂšs que par ignorance de son Ćuvre. Il ne lisait presque rien. DĂ©jĂ la plus grande partie de sa pensĂ©e avait passĂ© de son cerveau dans ses livres. Il Ă©tait amaigri comme s'il avait Ă©tĂ© opĂ©rĂ© d'eux. Son instinct reproducteur ne l'induisait plus Ă l'activitĂ©, maintenant qu'il avait produit au dehors presque tout ce qu'il pensait. Il menait la vie vĂ©gĂ©tative d'un convalescent, d'une accouchĂ©e; ses beaux yeux restaient immobiles, vaguement Ă©blouis, comme les yeux d'un homme Ă©tendu au bord de la mer qui dans une vague rĂȘverie regarde seulement chaque petit flot. D'ailleurs si j'avais moins d'intĂ©rĂȘt Ă causer avec lui que je n'aurais eu jadis, de cela je n'Ă©prouvais pas de remords. Il Ă©tait tellement homme d'habitude que les plus simples comme les plus luxueuses, une fois qu'il les avait prises, lui devenaient indispensables pendant un certain temps. Je ne sais ce qui le fit venir une premiĂšre fois, mais ensuite chaque jour ce fut pour la raison qu'il Ă©tait venu la veille. Il arrivait Ă -la maison comme il fĂ»t allĂ© au cafĂ©, pour qu'on ne lui parlĂąt pas, pour qu'il pĂ»t bien rarement parler, de sorte qu'on aurait pu en somme trouver un signe qu'il fĂ»t Ă©mu de notre chagrin ou prĂźt plaisir Ă se trouver avec moi, si l'on avait voulu induire quelque chose d'une telle assiduitĂ©. Elle n'Ă©tait pas indiffĂ©rente Ă ma mĂšre, sensible Ă tout ce qui pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un hommage Ă sa malade. Et tous les jours elle me disait Surtout n'oublie pas de bien le remercier. » Nous eĂ»mes discrĂšte attention de femme, comme le goĂ»ter que nous sert entre deux sĂ©ances de pose la compagne d'un peintre, supplĂ©ment Ă titre gracieux de celles "que nous faisait son mari, la visite de Mme Cottard. Elle venait nous offrir sa camĂ©riste », si nous aimions le service d'un homme, allait se mettre en campagne et mieux, devant nos refus, nous dit qu'elle espĂ©rait du moins que ce n'Ă©tait pas lĂ de notre part une dĂ©faite », mot qui dans son monde signifie un faux prĂ©texte pour ne pas accepter une invitation. Elle nous assura que le professeur, qui ne parlait jamais chez lui de ses malades, Ă©tait aussi triste que s'il s'Ă©tait agi d'elle-mĂȘme. On verra plus tard que mĂȘme si cela eĂ»t Ă©tĂ© vrai, cela eĂ»t Ă©tĂ© Ă la fois bien peu et beaucoup, de la part du plus infidĂšle et plus reconnaissant des maris. Des offres aussi utiles, et infiniment plus touchantes par la maniĂšre qui Ă©tait un mĂ©lange de la plus haute intelligence, du plus grand cĆur, et d'un rare bonheur d'expression, me furent adressĂ©es par le grand-duc hĂ©ritier de Luxembourg. Je l'avais connu Ă Balbec oĂč il Ă©tait venu voir une de ses tantes, la princesse de Luxembourg, alors qu'il n'Ă©tait encore que comte de Nassau. Il avait Ă©pousĂ© quelques mois aprĂšs la ravissante fille d'une autre princesse de Luxembourg, excessivement riche parce qu'elle Ă©tait la fille unique d'un prince Ă qui appartenait une immense affaire de de farines. Sur quoi le grand-duc de Luxembourg, qui n'avait pas d'enfants et qui adorait son neveu Nassau, avait fait approuver par la Chambre qu'il fĂ»t dĂ©clarĂ© grand-duc hĂ©ritier. Comme dans tous les mariages de ce genre, l'origine de la fortune est l'obstacle, comme elle est aussi la cause efficiente. Je me rappelais ce comte de Nassau comme un des plus remarquables jeunes gens que j'aie rencontrĂ©s, dĂ©jĂ dĂ©vorĂ© alors d'un sombre et Ă©clatant amour pour sa fiancĂ©e. Je fus trĂšs touchĂ© des lettres qu'il ne cessa de m'Ă©crire pendant la maladie de ma grand'mĂšre, et maman elle-mĂȘme, Ă©mue, reprenait tristement un mot de sa mĂšre SĂ©vignĂ© n'aurait pas mieux dit. Le sixiĂšme jour, maman, pour obĂ©ir aux priĂšres de grand'mĂšre, dut la quitter un moment et faire semblant d'aller se reposer. J'aurais voulu, pour que ma grand'mĂšre s'endormĂźt, que Françoise restĂąt sans bouger. MalgrĂ© mes supplications, elle sortit de la chambre; elle aimait ma grand'mĂšre; avec sa clairvoyance et son pessimisme elle la jugeait perdue. Elle aurait donc voulu lui donner tous les soins possibles. Mais on venait de dire qu'il y avait un ouvrier Ă©lectricien, trĂšs ancien dans sa maison, beau-frĂšre de son patron, estimĂ© dans notre immeuble oĂč il venait travailler depuis de longues annĂ©es, et surtout de Jupien. On avait commandĂ© cet ouvrier avant que ma grand'mĂšre tombĂąt malade. Il me semblait qu'on eĂ»t pu le faire repartir ou le laisser attendre. Mais le protocole de Françoise ne le permettait pas, elle aurait manquĂ© de dĂ©licatesse envers ce brave homme, l'Ă©tat de ma grand'mĂšre ne comptait plus. Quand au bout d'un quart d'heure, exaspĂ©rĂ©, j'allai la chercher Ă la cuisine, je la trouvai causant avec lui sur le carrĂ© » de l'escalier de service, dont la porte Ă©tait ouverte, procĂ©dĂ© qui avait l'avantage de permettre, si l'un de nous arrivait, de faire semblant qu'on allait se quitter, mais l'inconvĂ©nient d'envoyer d'affreux courants d'air. Françoise quitta donc l'ouvrier, non sans lui avoir encore criĂ© quelques compliments, qu'elle avait oubliĂ©s, pour sa femme et son beau-frĂšre. Souci caractĂ©ristique de Combray, de ne pas manquer Ă la dĂ©licatesse, que Françoise portait jusque dans la politique extĂ©rieure. Les niais s'imaginent que les grosses dimensions des phĂ©nomĂšnes sociaux sont une excellente occasion de pĂ©nĂ©trer plus avant dans l'Ăąme humaine; ils devraient au contraire comprendre que c'est en descendant en profondeur dans une individualitĂ© qu'ils auraient chance de comprendre ces phĂ©nomĂšnes. Françoise avait mille fois rĂ©pĂ©tĂ© au jardinier de Combray que la guerre est le plus insensĂ© des crimes et que rien ne vaut sinon vivre. Or, quand Ă©clata la guerre russo-japonaise, elle Ă©tait gĂȘnĂ©e, vis-Ă -vis du czar, que nous ne nous fussions pas mis en guerre pour aider les pauvres Russes » puisqu'on est alliancĂ© », disait-elle. Elle ne trouvait pas cela dĂ©licat envers Nicblas II qui avait toujours eu de si bonnes paroles pour nous »; c'Ă©tait un effet du mĂȘme code qui l'eĂ»t empĂȘchĂ©e de refuser Ă Jupien un petit verre, dont elle savait qu'il allait contrarier sa digestion », et qui faisait que, si prĂšs de la mort de ma grand'mĂšre, la mĂȘme malhonnĂȘtetĂ© dont elle jugeait coupable la France, restĂ©e neutre Ă l'Ă©gard du Japon, elle eĂ»t cru la commettre, en n'allant pas s'excuser elle-mĂȘme auprĂšs de ce bon ouvrier Ă©lectricien qui avait pris tant de dĂ©rangement.. 0 Nous fĂ»mes heureusement trĂšs vite dĂ©barrassĂ©s de la fille de Françoise qui eut Ă s'absenter plusieurs semaines. Aux conseils habituels qu'on donnait, Ă Combray, Ă la famille d'un malade Vous n'avez pas essayĂ© d'un petit voyage, le changement d'air, retrouver l'appĂ©tit, etc. » elle avait ajoutĂ© l'idĂ©e presque unique qu'elle s'Ă©tait spĂ©cialement forgĂ©e et qu'ainsi elle rĂ©pĂ©tait chaque fois qu'on la voyait, sans se lasser, et comme pour l'enfoncer dans la tĂȘte des autres Elle aurait dĂ» se soigner radicalement dĂšs le dĂ©but. » Elle ne prĂ©conisait pas un genre de cure plutĂŽt qu'un autre, pourvu que cette cure fĂ»t radicale. Quant Ă Françoise, elle voyait qu'on donnait peu de mĂ©dicaments Ă ma grand'mĂšre. Comme, selon elle, ils ne servent qu'Ă vous abĂźmer l'estomac, elle en Ă©tait heureuse, mais plus encore humiliĂ©e. Elle avait dans le Midi des cousins riches relativement dont la fille, tombĂ©e malade en pleine adolescence, Ă©tait morte Ă vingt-trois ans; pendant quelques annĂ©es le pĂšre et la mĂšre s'Ă©taient ruinĂ©s en remĂšdes, en docteurs diffĂ©rents, en pĂ©rĂ©grinations d'une station » thermale Ă une autre, jusqu'au dĂ©cĂšs. Or cela paraissait Ă Françoise, pour ces parents-lĂ , une espĂšce de luxe, comme s'ils avaient eu des chevaux de courses, un chĂąteau. Eux-mĂȘmes, si affligĂ©s qu'ils fussent, tiraient une certaine vanitĂ© de tant de dĂ©penses. Ils n'avaient plus rien, ni surtout le bien le plus prĂ©cieux, leur enfant, mais ils aimaient Ă rĂ©pĂ©ter qu'ils avaient fait pour elle autant et. plus que les gens les plus riches. Les rayons ultra-violets, Ă l'action desquels on avait, plusieurs fois par jour, pendant des mois, soumis la malheureuse, les flattaient particuliĂšrement. Le pĂšre, enorgueilli dans sa douleur par une espĂšce de gloire, en arrivait quelquefois Ă parler de sa fille comme d'une Ă©toile de l'OpĂ©ra pour laquelle il se fĂ»t ruinĂ©. Françoise n'Ă©tait pas insensible Ă tant de mise en scĂšne; celle qui entourait la maladie de ma grand'mĂšre lui semblait un peu pauvre, bonne pour une maladie sur un petit théùtre de province. Il y eut un moment oĂč les troubles de l'urĂ©mie se portĂšrent sur les yeux de ma grand'mĂšre. Pendant quelques jours, elle ne vit plus du tout. Ses yeux n'Ă©taient nullement ceux d'une aveugle et restaient les mĂȘmes. Et je compris seulement qu'elle ne voyait pas, Ă l'Ă©trangetĂ© d'un certain sourire d'accueil qu'elle avait dĂšs qu'on ouvrait la porte, jusqu'Ă ce qu'on lui eĂ»t pris la main pour lui dire bonjour, sourire qui commençait trop tĂŽt et restait stĂ©rĂ©otypĂ© sur ses lĂšvres, fixe, mais toujours de face et tĂąchant Ă ĂȘtre vu de partout, parce qu'il n'y avait plus l'aide du regard pour le rĂ©gler, lui indiquer le moment, la direction, le mettre au point, le faire varier au fur et Ă mesure du changement de place ou d'expression de la personne qui venait d'entrer; parce qu'il restait seul, sans sourire des yeux qui eĂ»t dĂ©tournĂ© un peu de lui l'attention du visiteur, et prenait par lĂ , dans sa gaucherie, une importance excessive, donnant l'impression d'une amabilitĂ© exagĂ©rĂ©e. Puis la vue revint complĂštement, des yeux le mal nomade passa aux oreilles. Pendant quelques jours, ma grand'mĂšre fut sourde. Et comme elle avait peur d'ĂȘtre surprise par l'entrĂ©e soudaine de quelqu'un qu'elle n'aurait pas entendu venir, Ă tout moment bien que couchĂ©e du cĂŽtĂ© du mur elle dĂ©tournait brusquement la tĂȘte vers la porte. Mais le mouvement de son cou Ă©tait maladroit, car on ne se fait pas en quelques jours Ă cette transposition, sinon de regarder les bruits, du moins d'Ă©couter avec les yeux. Enfin les douleurs diminuĂšrent, mais l'embarras de la parole augmenta. On Ă©tait obligĂ© de faire rĂ©pĂ©ter Ă ma grand'mĂšre Ă peu prĂšs tout ce qu'elle disait. Maintenant ma grand'mĂšre, sentant qu'on ne la comprenait plus, renonçait Ă prononcer un seul mot et restait immobile. Quand elle m'apercevait, elle avait une sorte de sursaut comme ceux qui. tout d'un coup manquent d'air, elle voulait me parler, mais n'articulait que des sons inintelligibles. Alors, domptĂ©e par son impuissance mĂȘme, elle laissait retomber sa tĂȘte, s'allongeait. Ă plat sur le lit, le visage grave, de marbre, les mains immobiles sur le drap, ou s'occupant d'une action toute matĂ©rielle comme de s'essuyer les doigts avec son mouchoir. Elle ne voulait pas penser. Puis elle commença Ă avoir une agitation constante. Elle dĂ©sirait sans cesse se lever. Mais on l'empĂȘchait, autant qu'on pouvait, de le faire, de peur qu'elle ne se rendĂźt compte de sa paralysie. Un jour qu'on l'avait laissĂ©e un instant seule, je la trouvai, debout, en chemise de nuit, qui essayait d'ouvrir la fenĂȘtre. A Balbec, un jour oĂč on avait sauvĂ© malgrĂ© elle une veuve qui s'Ă©tait jetĂ©e Ă l'eau, elle m'avait dit mue peut-ĂȘtre par un de ces pressentiments que nous lisons parfois dans le mystĂšre si obscur pourtant de notre vie organique, mais oĂč il semble que se reflĂšte l'avenir qu'elle ne connaissait pas cruautĂ© pareille Ă celle d'arracher une dĂ©sespĂ©rĂ©e Ă la mort qu'elle a voulue et de la rendre Ă son martyre. Nous n'eĂ»mes que le temps de saisir ma grand' mĂšre, elle soutint contre ma mĂšre une lutte presque brutale, puis vaincue, rassise de force dans un fauteuil, elle cessa de vouloir, de regretter, son visage redevint impassible et elle se mit Ă enlever soigneusement les poils de fourrure qu'avait laissĂ©s sur sa chemise de nuit un manteau qu'on avait jetĂ© sur elle. Son regard changea tout Ă fait, souvent inquiet, plaintif, hagard, ce n'Ă©tait plus son regard d'autrefois, c'Ă©tait le regard maussade d'une vieille femme qui radote. A force de lui demander si elle ne dĂ©sirait pas ĂȘtre coiffĂ©e, Françoise finit par se persuader que la demande venait de ma grand'mĂšre. Elle apporta des brosses, des peignes, de l'eau de Cologne, un peignoir. Elle disait Cela ne peut pas fatiguer Madame AmĂ©dĂ©e, que je la peigne; si faible qu'on soit on peut toujours ĂȘtre peignĂ©e. » C'est-Ă -dire, on n'est jamais trop faible pour qu'une autre personne ne puisse, en ce qui la concerne, vous peigner. Mais quand j'entrai dans la chambre, je vis entre les mains cruelles de Françoise, ravie comme si elle Ă©tait en train de rendre la santĂ© Ă ma grand'mĂšre, sous l'Ă©plorement d'une vieille chevelure qui n'avait pas la force de supporter le contact du peigne, une tĂȘte qui, incapable de garder la pose qu'on lui donnait, s'Ă©croulait dans un tourbillon incessant oĂč l'Ă©puisement des forces alternait avec la douleur. Je sentis que le moment oĂč Françoise allait avoir terminĂ© s'approchait et je n'osai pas la hĂąter en lui disant C'est assez », de peur qu'elle ne me'dĂ©sobéßt. Mais en revanche je me prĂ©cipitai quand, pour que ma grand'mĂšre vĂźt si elle se trouvait bien coiffĂ©e, Françoise, innocemment fĂ©roce, approcha une glace. Je fus d'abord heureux d'avoir pu l'arracher Ă temps de ses mains, avant que ma grand'mĂšre, de qui on avait soigneusement Ă©loignĂ© tout miroir, eĂ»t aperçu par mĂ©garde une image d'elle-mĂȘme qu'elle ne pouvait se figurer. Mais, hĂ©las quand, un instant aprĂšs, je me penchai vers elle pour baiser ce beau front qu'on avait tant fatiguĂ©, elle me regarda d'un air Ă©tonnĂ©, mĂ©fiant, scandalisĂ© elle ne m'avait pas reconnu. Selon notre mĂ©decin c'Ă©tait un symptĂŽme que la congestion du cerveau augmentait. Il fallait le dĂ©gager. Cottard hĂ©sitait. Françoise espĂ©ra un instant qu'on mettrait des ventouses clarifiĂ©es ». Elle en chercha les effets dans mon dictionnaire mais ne put les trouver. EĂ»t-elle bien dit scarifiĂ©es au lieu de clarifiĂ©es qu'elle n'eĂ»t pas trouvĂ© davantage cet adjectif, car elle ne le- cherchait pas plus Ă la lettre s qu'Ă la lettre c; elle disait en effet clarifiĂ©es mais Ă©crivait et par consĂ©quent croyait que c'Ă©tait Ă©crit esclarifiĂ©es ». Cottard, ce qui la déçut, donna, sans beaucoup d'espoir, la prĂ©fĂ©rence aux sangsues. Quand, quelques heures aprĂšs, j'entrai chez ma grand'mĂšre, attachĂ©s Ă sa nuque, Ă ses tempes, Ă ses oreilles, les petits serpents noirs se tordaient dans sa chevelure ensanglantĂ©e, comme dans celle de MĂ©duse. Mais dans son visage pĂąle et pacifiĂ©, entiĂšrement immobile, je vis grands ouverts, lumineux et calmes, ses beaux yeux d'autrefois peut-ĂȘtre encore plus surchargĂ©s d'intelligence qu'ils n'Ă©taient avant sa maladie, parce que, comme 13 Vol. II. elle ne pouvait pas parler, ne devait pas bouger, c'est Ă ses yeux seuls qu'elle confiait sa pensĂ©e, la pensĂ©e qui tantĂŽt tient en nous une place immense, nous offrant des trĂ©sors insoupçonnĂ©s, tantĂŽt semble rĂ©duite Ă rien, puis peut renaĂźtre comme par gĂ©nĂ©ration spontanĂ©e par quelques gouttes de sang qu'on tire, ses yeux, doux et liquides comme de l'huile, sur lesquels le feu rallumĂ© qui brĂ»lait Ă©clairait devant la malade l'univers reconquis. Son calme n'Ă©tait plus la sagesse du dĂ©sespoir mais de l'espĂ©rance. Elle comprenait qu'elle allait mieux, voulait ĂȘtre prudente, ne pas remuer, et me fit seulement le don d'un beau sourire pour que je susse qu'elle se sentait mieux, et me pressa lĂ©gĂšrement la main. Je savais quel dĂ©goĂ»t ma grand'mĂšre avait de voir certaines bĂȘtes, Ă plus forte raison d'ĂȘtre touchĂ©e par elles. Je savais que c'Ă©tait en considĂ©ration d'une utilitĂ© supĂ©rieure qu'elle supportait les sangsues. Aussi Françoise m'exaspĂ©rait-elle en lui rĂ©pĂ©tant avec ces petits rires qu'on a avec un enfant qu'on veut faire jouer Oh les petites bĂ©bĂȘtes qui courent sur Madame. » C'Ă©tait, de plus, traiter notre malade sans respect, comme si elle Ă©tait tombĂ©e en enfance. Mais ma grand'mĂšre, dont la figure avait pris la calme bravoure d'un stoĂŻcien, n'avait mĂȘme pas l'air d'entendre. HĂ©las aussitĂŽt les sangsues retirĂ©es, la congestion reprit de plus en plus grave. Je fus surpris qu'Ă ce moment oĂč "ma grand'mĂšre Ă©tait si mal, Françoise disparĂ»t Ă tout moment. C'est qu'elle s'Ă©tait commandĂ© une toilette de deuil et ne voulait pas faire attendre la couturiĂšre. Dans la vie de la plupart des femmes, tout, mĂȘme le plus grand chagrin, aboutit Ă une question d'essayage. Quelques jours plus tard, comme je dormais, ma mĂšre vint m'appeler au milieu de la nuit. Avec les douces attentions que, dans les grandes circonstances, les gens qu'une profonde douleur accable tĂ©moignent fĂ»t-ce aux petits ennuis des autres Pardonne-moi de venir troubler ton sommeil, me dit-elle. Je ne dormais pas, rĂ©pondis-je en m'Ă©veillant. Je le disais de bonne foi. La grande modification qu'amĂšne en nous le rĂ©veil est moins de nous introduire dans la vie claire de la conscience que de nous faire perdre le souvenir de la lumiĂšre un peu plus tamisĂ©e oĂč reposait notre intelligence, comme au fond opalin des eaux. Les pensĂ©es Ă demi voilĂ©es sur lesquelles nous voguions il y a un instant encore entraĂźnaient en nous un mouvement parfaitement suffisant pour que nous ayons pu les dĂ©signer sous le nom de veille. Mais les rĂ©veils trouvent alors une interfĂ©rence de mĂ©moire. Peu aprĂšs, nous les qualifions sommeil parce que nous ne nous les rappelons plus. Et quand luit cette brillante Ă©toile, qui, Ă l'instant du rĂ©veil, Ă©claire derriĂšre le dormeur son sommeil tout entier, elle lui fait croire pendant quelques secondes que c'Ă©tait non du sommeil, mais de la veille; Ă©toile filante Ă vrai dire, qui emporte avec sa lumiĂšre l'existence mensongĂšre, mais les aspects aussi du songe et permet seulement Ă celui qui s'Ă©veille de se dire J'ai dormi. » D'une voix si douce qu'elle semblait craindre de me faire mal, ma mĂšre me demanda si cela ne me fatiguerait pas trop de me lever, et me caressant les mains Mon pauvre petit, ce n'est plus maintenant que sur ton papa et sur ta maman que tu pourras compter. Nous entrĂąmes dans la chambre. CourbĂ©e en demicercle sur le lit, un autre ĂȘtre que ma grand'mĂšre, une espĂšce de bĂȘte qui se serait affublĂ©e de ses cheveux et couchĂ©e dans ses draps, haletait, geignait, de ses convulsions secouait les couvertures. Les paupiĂšres Ă©taient closes et c'est parce qu'elles fermaient mal plutĂŽt que parce qu'elles s'ouvraient qu'elle laissaient voir un coin de prunelle, voilĂ©, chassieux, reflĂ©tant l'obscuritĂ© d'une vision organique et d'une souffrance interne. Toute cette agitation ne s'adressait pas Ă nous qu'elle ne voyait pas, ni ne connaissait. Mais si ce n'Ă©tait plus qu'une bĂȘte qui remuait lĂ , ma grand' mĂšre oĂč Ă©tait-elle ? On reconnaissait pourtant la forme de son nez, sans proportion maintenant avec le reste de la figure, mais au coin duquel un grain de beautĂ© restait attachĂ©, sa main qui Ă©cartait les couvertures d'un geste qui eĂ»t autrefois signifiĂ© que ces couvertures la gĂȘnaient et qui maintenant ne signifiait rien. Maman me demanda d'aller chercher un peu d'eau et de vinaigre pour imbiber le front de grand'mĂšre. C'Ă©tait la seule chose qui la rafraĂźchissait, croyait maman qui la voyait essayer d'Ă©carter ses cheveux. Mais on me fit signe par la porte de venir. La nouvelle que ma grand'mĂšre Ă©tait Ă toute extrĂ©mitĂ© s'Ă©tait immĂ©diatement rĂ©pandue dans la maison. Un de ces extras » qu'on fait venir dans les pĂ©riodes exceptionnelles pour soulager la fatigue des domestiques, ce qui fait que les agonies ont quelque chose des fĂȘtes, venait d'ouvrir au duc de Guermantes, lequel, restĂ© dans l'antichambre, me demandait; je ne pus lui Ă©chapper. Je viens, mon cher monsieur, d'apprendre ces nouvelles macabres. Je voudrais en signe de sympathie serrer la main Ă monsieur votre pĂšre. Je m'excusai sur la difficultĂ© de le dĂ©ranger en ce moment. M. de Guermantes tombait comme au moment oĂč on part en voyage. Mais il sentait tellement l'importance de la politesse qu'il nous faisait, que cela lui cachait le reste et qu'il voulait absolument entrer au salon. En gĂ©nĂ©ral, il avait l'habitude de tenir Ă l'accomplissement entier des formalitĂ©s dont il avait dĂ©cidĂ© d'honorer quelqu'un et il s'occupait peu que les malles fussent faites ou le cercueil prĂȘt. Avez-vous fait venir Dieulafoy ? Ah c'est une grave erreur. Et si vous me l'aviez demandĂ©, il serait venu pour moi, il ne me refuse rien, bien qu'il ait refusĂ© Ă la duchesse de Chartres. Vous voyez, je me mets carrĂ©ment au-dessus d'une princesse du sang. D'ailleurs devant la mort nous sommes tous Ă©gaux, ajouta-t-il, non pour me persuader que ma 'grand' mĂšre devenait son Ă©gale, mais ayant peut-ĂȘtre senti qu'une conversation prolongĂ©e relativement Ă son pouvoir sur Dieulafoy et Ă sa prééminence sur la duchesse de Chartres ne serait pas de trĂšs bon goĂ»t. Son conseil du reste ne m'Ă©tonnait pas. Je savais que, chez les Guermantes, on citait toujours le nom de Dieulafoy avec un peu plus de respect seulement comme celui d'un fournisseur » sans rival. Et la vieille duchesse de Mortemart, nĂ©e Guermantes il est impossible de comprendre pourquoi dĂšs qu'il s'agit d'une duchesse on dit presque toujours la vieille duchesse de » ou tout au contraire, d'un air fin et Watteau, si elle est jeune, la petite duchesse de », prĂ©conisait presque mĂ©caniquement, en clignant de l'Ćil, dans les cas graves Dieulafoy, Dieulafoy », comme si on avait besoin d'un glacier PoirĂ© Blanche » ou pour des petits fours Rebattet, Rebattet ». Mais j'ignorais que mon pĂšre venait prĂ©cisĂ©ment de faire demander Dieulafoy. A ce moment ma mĂšre, qui attendait avec impatience des ballons d'oxygĂšne qui devaient rendre plus aisĂ©e la respiration de ma grand'mĂšre, entra elle-mĂȘme dans l'antichambre oĂč elle ne savait guĂšre trouver M. de Guermantes. J'aurais voulu le cacher n'importe oĂč. Mais persuadĂ© que rien n'Ă©tait plus essentiel, ne pouvait d'ailleurs la flatter davantage et n'Ă©tait plus indispensable Ă maintenir sa rĂ©putation de parfait gentilhomme, il me prit violemment par le bras et malgrĂ© que je me dĂ©fendisse comme contre un viol par des Monsieur, monsieur, monsieur » rĂ©pĂ©tĂ©s, il m'entraĂźna vers maman en me disant Voulez-vous me faire le grand honneur de me prĂ©senter Ă madame votre mĂšre ? » en dĂ©raillant un peu sur le mot mĂšre. Et il trouvait tellement que l'honneur Ă©tait pour elle qu'il ne pouvait s'empĂȘcher de sourire tout en faisant une figure de circonstance. Je ne pus faire autrement que de le nommer, ce qui dĂ©clancha aussitĂŽt de sa part des courbettes, des entrechats, et il allait commencer toute la cĂ©rĂ©monie complĂšte du salut. Il pensait mĂȘme entrer en conversation, mais ma mĂšre, noyĂ©e dans sa douleur, me dit de venir vite, et ne rĂ©pondit mĂȘme pas aux phrases de M. de Guermantes qui, s'attendant Ă ĂȘtre reçu en visite et se trouvant au contraire laissĂ© seul dans l'antichambre, eĂ»t fini par sortir si, au mĂȘme moment, il n'avait vu entrer SaintLoup arrivĂ© le matin mĂȘme et accouru aux nouvelles. Ah elle est bien bonne » s'Ă©cria joyeusement le duc en attrapant son neveu par sa manche qu'il faillit arracher, sans se soucier de la prĂ©sence de ma mĂšre qui retraversait l'antichambre. Saint-Loup n'Ă©tait pas fĂąchĂ©, je crois, malgrĂ© son sincĂšre chagrin, d'Ă©viter de me voir, Ă©tant donnĂ© ses dispositions pour moi. Il partit, entraĂźnĂ© par son oncle qui, ayant quelque chose de trĂšs important Ă lui dire et ayant failli pour cela partir Ă DonciĂšres, ne pouvait pas en croire sa joie d'avoir pu Ă©conomiser un tel dĂ©rangement. Ah si on m'avait dit que je n'avais qu'Ă traverser la cour et que je te trouverais ici, j'aurais cru Ă une vaste blague; comme dirait ton camarade M. Bloch, c'est assez farce. » Et tout en s'Ă©loignant avec Robert, qu'il tenait par l'Ă©paule C'est Ă©gal, rĂ©pĂ©tait-il, on voit bien que je viens de toucher de la corde de pendu ou tout comme; j'ai une sacrĂ©e veine. » Ce n'est pas que le duc de Guermantes fĂ»t mal Ă©levĂ©, au contraire. Mais il Ă©tait de ces hommes incapables de se mettre Ă la place des autres, de ces hommes ressemblant en cela Ă la plupart des mĂ©decins et aux croquemorts, et qui, aprĂšs avoir pris une figure de circonstance et dit ce sont des instants trĂšs pĂ©nibles », vous avoir au besoin embrassĂ© et conseillĂ© le repos, ne considĂšrent plus une agonie ou un enterrement que comme une rĂ©union mondaine plus ou moins restreinte oĂč, avec une jovialitĂ© comprimĂ©e un moment, ils cherchent des yeux la personne Ă qui ils peuvent parler de leurs petites affaires, demander de les prĂ©senter Ă une autre ou offrir une place » dans leur voiture pour les ramener ». Le duc de Guermantes, tout en se fĂ©licitant du bon vent » qui-1'avait poussĂ© vers son neveu, resta si Ă©tonnĂ© de l'accueil pourtant si naturel de ma mĂšre, qu'il dĂ©clara plus tard qu'elle Ă©tait aussi dĂ©sagrĂ©able que mon pĂšre Ă©tait poli, qu'elle avait des absences » pendant lesquelle elle semblait mĂȘme ne pas entendre les choses qu'on lui disait et qu'Ă son avis elle n'Ă©tait pas dans son assiette et peut-ĂȘtre mĂȘme n'avait pas toute sa tĂȘte Ă elle. Il voulut bien cependant, Ă ce qu'on me dit, mettre cela en partie sur le compte des circonstances et dĂ©clarer que ma mĂšre lui avait paru trĂšs affectĂ©e » par cet Ă©vĂ©nement. Mais il avait encore dans les jambes tout le reste des saluts et rĂ©vĂ©rences Ă reculons qu'on l'avait empĂȘchĂ© de mener Ă leur fin et se rendait d'ailleurs si peu compte de ce que c'Ă©tait que le chagrin de maman, qu'il demanda, la veille de l'enterrement, si je n'essayais pas de la distraire. Un beau-frĂšre de ma grand'mĂšre, qui Ă©tait religieux, et que je ne connaissais pas, tĂ©lĂ©graphia en Autriche oĂč Ă©tait le chef de son ordre, et ayant par faveur exceptionnelle obtenu l'autorisation, vint ce jour-lĂ . AccablĂ© de tristesse, il lisait Ă cĂŽtĂ© du lit des textes de priĂšres et de mĂ©ditations sans cependant dĂ©tacher ses yeux en vrille de la malade. A un moment oĂč ma grand'mĂšre Ă©tait sans connaissance, la vue de la tristesse de ce prĂȘtre me fit mal, et je le regardai. Il parut surpris de ma pitiĂ© et il se produisit alors quelque chose de singulier. Il joignit ses mains sur sa figure comme un homme absorbĂ© dans une mĂ©ditation douloureuse, mais, comprenant que j'allais dĂ©tourner de lui les yeux, je vis qu'il avait laissĂ© un petit Ă©cart entre ses doigts. Et, au moment oĂč mes regards le quittaient, j'aperçus son Ćil aigu qui avait profitĂ© de cet abri de ses mains pour observer si ma douleur Ă©tait sincĂšre. Il Ă©tait embusquĂ© lĂ comme dans l'ombre d'un confessionnal. Il s'aperçut que je le voyais et aussitĂŽt clĂŽtura hermĂ©tiquement le grillage qu'il avait laissĂ© entr'ouvert. Je l'ai revu plus tard, et jamais entre nous il ne fut question de cette minute. Il fut tacitement convenu que je n'avais pas remarquĂ© qu'il m'Ă©piait. Chez le prĂȘtre comme chez l'aliĂ©niste, il y a toujours quelque chose du juge d'instruction. D'ailleurs quel est l'ami, si cher soit-il, dans le passĂ©, commun avec le nĂŽtre, de qui il n'y ait pas de ces minutes dont nous ne trouvions plus commode de nous persuader qu'il a dĂ» les oublier ? Le mĂ©decin fit une piqĂ»re de morphine et pour rendre la respiration moins pĂ©nible demanda des ballons d'oxygĂšne. Ma mĂšre, le docteur, la sĆur les tenaient dans leurs mains; dĂšs que l'un Ă©tait fini, on leur en passait un autre. J'Ă©tais sorti un moment de la chambre. Quand je rentrai je me trouvai comme devant un miracle. AccompagnĂ©e en sourdine par un murmure incessant, ma grand'mĂšre semblait nous adresser un long chant heureux qui remplissait la chambre, rapide et musical. Je compris bientĂŽt qu'il n'Ă©tait guĂšre moins inconscient, qu'il Ă©tait aussi purement mĂ©canique, que le rĂąle de tout Ă l'heure. Peut-ĂȘtre reflĂ©tait-il dans une faible mesure quelque bien-ĂȘtre apportĂ© par la morphine. Il rĂ©sultait surtout, l'air ne passant plus tout Ă fait de la mĂȘme façon dans les bronches, d'un changement de registre de la respiration. DĂ©gagĂ© par la double action de l'oxygĂšne et de la morphine, le souffle de ma grand'mĂšre ne peinait plus, ne geignait plus, mais vif, lĂ©ger, glissait, patineur, vers le fluide dĂ©licieux. Peut-ĂȘtre Ă l'haleine, insensible comme celle du vent dans la flĂ»te d'un roseau, se mĂȘlait-il, dans ce chant, quelques-uns de ces soupirs plus humains qui, libĂ©rĂ©s Ă l'approche de la mort, font croire Ă des impressions de souffrance ou de bonheur chez ceux qui dĂ©jĂ ne sentent plus, et venaient ajouter un accent plus mĂ©lodieux, mais sans changer son rythme, Ă cette longue phrase qui s'Ă©levait, montait encore, puis retombait pour s'Ă©lancer de nouveau de la poitrine allĂ©gĂ©e, Ă la poursuite de l'oxygĂšne. Puis, parvenu si haut, prolongĂ© avec tant de force, le chant, mĂȘlĂ© d'un murmure de supplication dans la voluptĂ©, semblait Ă certains moments s'arrĂȘter tout Ă fait comme une source s'Ă©puise. Françoise, quand elle avait un grand chagrin, Ă©prouvait le besoin si inutile, mais ne possĂ©dait pas l'art si simple, de l'exprimer. Jugeant ma grand'mĂšre tout Ă fait perdue, c'Ă©tait ses impressions Ă elle, Françoise, qu'elle tenait Ă nous faire connaĂźtre. Et elle ne savait que rĂ©pĂ©ter Cela me fait quelque chose », du mĂȘme ton dont elle disait, quand elle avait pris trop de soupe aux choux J'ai comme un poids sur l'estomac », ce qui dans les deux cas Ă©tait plus naturel qu'elle ne semblait le croire. Si faiblement traduit, son chagrin n'en Ă©tait pas moins trĂšs grand, aggravĂ© d'ailleurs par l'ennui que sa fille, retenue Ă Combray que la jeune Parisienne appelait maintenant la cambrousse » et oĂč elle se sentait devenir pĂ©trousse », ne pĂ»t vraisemblablement revenir pour la cĂ©rĂ©monie mortuaire que Françoise sentait devoir ĂȘtre quelque chose de superbe. Sachant que nous nous Ă©panchions peu, elle avait Ă tout hasard convoquĂ© d'avance Jupien pour tous les soirs de la semaine. Elle savait qu'il ne serait pas libre Ă l'heure de l'enterrement. Elle voulait du moins, au retour, le lui !< raconter ». Depuis plusieurs nuits mon pĂšre, mon grand-pĂšre, un de nos cousins veillaient et ne sortaient plus de la maison. Leur dĂ©vouement continu finissait par pren- dre un masque d'indiffĂ©rence, et l'interminable oisivetĂ© autour de cette agonie leur faisait tenir ces mĂȘmes propos qui sont insĂ©parables d'un sĂ©jour prolongĂ© dans un wagon de chemin de fer. D'ailleurs ce cousin le neveu de ma grand'tante excitait chez moi autant d'antipathie qu'il mĂ©ritait et obtenait gĂ©nĂ©ralement d'estime. On le trouvait » toujours dans les circonstances graves, et il Ă©tait si assidu auprĂšs des mourants que les familles, prĂ©tendant qu'il Ă©tait dĂ©licat de santĂ©, malgrĂ© son apparence robuste, sa voix de basse-taille et sa barbe de sapeur, le conjuraient toujours avec les pĂ©riphrases d'usage de ne pas venir Ă l'enterrement. Je savais d'avance que maman, qui pensait aux autres au milieu de la plus immense douleur, lui dirait sous une tout autre forme ce qu'il avait l'habitude de s'entendre toujours dire Promettez-moi que vous ne viendrez pas demain ». Faites-le pour elle ». Au moins n'allez pas lĂ -bas ». Elle vous avait demandĂ© de ne pas venir. Rien n'y faisait; il Ă©tait toujours le premier Ă la maison », Ă cause de quoi on lui avait donnĂ©, dans un autre milieu, le surnom, que nous ignorions, de ni fleurs ni couronnes ». Et avant d'aller Ă tout », il avait toujours pensĂ© Ă tout », ce qui lui valait ces mots Vous, on ne vous dit pas merci. » Quoi ? demanda d'une voix forte mon grand-pĂšre qui Ă©tait devenu un peu sourd et qui n'avait pas entendu quelque chose que mon cousin venait de dire Ă mon pĂšre. Rien, rĂ©pondit le cousin. Je disais seulement que j'avais reçu ce matin une lettre de Combray oĂč il fait un temps Ă©pouvantable et ici un soleil trop chaud. Et pourtant le baromĂštre est trĂšs bas, dit mon pĂšre. OĂč ça dites-vous qu'il fait mauvais temps ? demanda mon grand-pĂšre. A Combray. Ah cela ne m'Ă©tonne pas, chaque fois qu'il fait mauvais ici il fait beau Ă Combray, et vice versa. Mon Dieu vous parlez de Combray a-t-on pensĂ© Ă prĂ©venir Legrandin ? Oui, ne vous tourmentez pas, c'est fait, dit mon cousin dont les joues bronzĂ©es par une barbe trop forte sourirent imperceptiblement de la satisfaction d'y avoir pensĂ©. A ce moment, mon pĂšre se prĂ©cipita, je crus qu'il y avait du mieux ou du pire. C'Ă©tait seulement le docteur Dieulafoy qui venait d'arriver. Mon pĂšre alla le recevoir dans le salon voisin, comme l'acteur qui doit venir jouer. On l'avait fait demander non pour soigner, mais pour constater, en espĂšce de notaire. Le docteur Dieulafoy a pu en effet ĂȘtre un grand mĂ©decin, un professeur merveilleux; Ă ces rĂŽles divers oĂč il excella, il en joignait un autre dans lequel il fut pendant quarante ans sans rival, un rĂŽle aussi original que le raisonneur, le scaramouche ou le pĂšre noble, et qui Ă©tait de venir constater l'agonie ou la mort. Son nom dĂ©jĂ prĂ©sageait la dignitĂ© avec laquelle il tiendrait l'emploi, et quand la servante disait M. Dieulafoy, on se croyait chez MoliĂšre. A la dignitĂ© de l'attitude concourait sans se laisser voir la souplesse d'une taille charmante. Un visage en soi-mĂȘme trop beau Ă©tait amorti par la convenance Ă des circonstances douloureuses. Dans sa noble redingote noire, le professeur entrait, triste sans affectation, ne donnait pas une seule condolĂ©ance qu'on eĂ»t pu croire feinte et ne commettait pas non plus la plus lĂ©gĂšre infraction au tact. Aux pieds d'un lit de mort, c'Ă©tait lui et non le duc de Guermantes qui Ă©tait le grand seigneur. AprĂšs avoir regardĂ© ma grand'mĂšre sans la fatiguer, et avec un excĂšs de rĂ©serve qui Ă©tait une politesse au mĂ©decin traitant, il dit Ă voix basse quelques mots Ă mon pĂšre, s'inclina respectueusement devant ma mĂšre, Ă qui je sentis que mon pĂšre se retenait pour ne pas dire Le professeur Dieulafoy ». Mais dĂ©jĂ celui-ci avait dĂ©tournĂ© la tĂȘte, ne voulant pas importuner, et sortit de la plus belle façon du monde, en prenant simplement le cachet qu'on lui remit. Il n'avait pas eu l'air de le voir, et nous-mĂȘmes nous demandĂąmes un moment si nous le lui avions remis tant il avait mis de la souplesse d'un prestidigitateur Ă le faire disparaĂźtre, sans pour cela perdre rien de sa gravitĂ© plutĂŽt accrue de grand consultant Ă la longue redingote Ă revers de soie, Ă la belle tĂȘte pleine d'une noble commisĂ©ration. Sa lenteur et sa vivacitĂ© montraient que, si cent visites l'attendaient encore, il ne voulait pas avoir l'air pressĂ©. Car il Ă©tait le tact, l'intelligence et la bontĂ© mĂȘmes. Cet homme Ă©minent n'est plus. D'autres mĂ©decins, d'autres professeurs ont pu l'Ă©galer, le dĂ©passer peut-ĂȘtre. Mais l' emploi » oĂč son savoir, ses dons physiques, sa haute Ă©ducation le faisaient triompher, n'existe plus, faute de successeurs qui aient su le tenir. Maman n'avait mĂȘme pas aperçu M. Dieulafoy, tout ce qui n'Ă©tait pas ma grand'mĂšre n'existant pas. Je me souviens et j'anticipe ici qu'au cimetiĂšre, oĂč on la vit, comme une apparition surnaturelle, s'approcher timidement de la tombe et semblant regarder un ĂȘtre envolĂ© qui Ă©tait dĂ©jĂ loin d'elle, mon pĂšre lui ayant dit Le pĂšre Norpois est venu -Ă la maison, Ă l'Ă©glise, au cimetiĂšre, il a manquĂ© une commission trĂšs importante pour lui, tu devrais lui dire un mot, cela le toucherait beaucoup », ma mĂšre, quand l'ambassadeur s'inclina vers elle, ne put que pencher avec douceur son visage qui n'avait pas pleurĂ©. Deux jours plus tĂŽt et pour anticiper encore avant de revenir Ă l'instant mĂȘme auprĂšs du lit oĂč la malade agonisait pendant qu'on veillait ma grand'mĂšre morte, Françoise, qui, ne niant pas absolument les revenants, s'effrayait au moindre bruit, disait Il me semble que c'est elle. » Mais au lieu d'effroi, c'Ă©tait une douceur infinie que ces mots Ă©veillĂšrent chez ma mĂšre qui aurait tant voulu que les morts revinssent, pour avoir quelquefois sa mĂšre auprĂšs d'elle. Pour revenir maintenant Ă ces heures de l'agonie Vous savez ce que ses sĆurs nous ont tĂ©lĂ©graphiĂ© ? demanda mon grand-pĂšre Ă mon cousin. Oui, Beethoven, on m'a dit; c'est Ă encadrer, cela* ne m'Ă©tonne pas. Ma pauvre femme qui les aimait tant, dit mon grand-pĂšre en essuyant une larme. Il ne faut pas leur en vouloir. Elles sont folles Ă lier, je l'ai toujours dit. Qu'est-ce qu'il y a, on ne donne plus d'oxygĂšne ? Ma mĂšre dit Mais, alors, maman va recommencer Ă mal respirer. Le mĂ©decin rĂ©pondit Oh non, l'effet de l'oxygĂšne durera encore un bon moment, nous recommencerons tout Ă l'heure. Il me semblait qu'on n'aurait pas dit cela pour une mourante; que, si ce bon effet devait durer, c'est qu'on pouvait quelque chose sur sa vie. Le sifflement de l'oxygĂšne cessa pendant quelques instants. Mais la plainte heureuse de la respiration jaillissait toujours, lĂ©gĂšre, tourmentĂ©e, inachevĂ©e, sans cesse recommençante. Par moments, il semblait que tout fĂ»t fini, le souffle s'arrĂȘtait, soit par ces mĂȘmes changements d'octaves qu'il y a dans la respiration d'un dormeur, soit par une intermittence naturelle, un effet de l'anesthĂ©sie, le progrĂšs de l'asphyxie, quelque dĂ©faillance du cĆur. Le mĂ©decin reprit le pouls de ma grand'mĂšre, mais dĂ©jĂ , comme si un affluent venait apporter son tribut au courant assĂ©chĂ©, un nouveau chant s'embranchait Ă la phrase interrompue. Et celle-ci reprenait Ă un autre diapason, avec le mĂȘme Ă©lan inĂ©puisable. Qui sait si, sans mĂȘme que ma grand'mĂšre en eĂ»t conscience, tant d'Ă©tats heureux et tendres comprimĂ©s par la souffrance ne s'Ă©chappaient pas d'elle maintenant comme ces gaz plus lĂ©gers qu'on refoula longtemps ? On aurait dit que tout ce qu'elle avait Ă nous dire s'Ă©panchait, que c'Ă©tait Ă nous qu'elle s'adressait avec cette prolixitĂ©, cet empressement, cette effusion. Au pied du lit, convulsĂ©e par tous les souffles de cette agonie, ne pleurant pas mais par moments trempĂ©e de larmes, ma mĂšre avait la dĂ©solation sans pensĂ©e d'un feuillage que cingle la pluie et retourne le vent. On me fit m'essuyer les yeux avant que j'allasse embrasser ma grand'mĂšre. Mais je croyais qu'elle ne voyait plus, dit mon pĂšre. On ne peut jamais savoir, rĂ©pondit le docteur. Quand mes lĂšvres la touchĂšrent, les mains de ma grand'mĂšre s'agitĂšrent, elle fut parcourue tout entiĂšre d'un long frisson, soit rĂ©flexe, certaines tendresses aient leur hyperesthĂ©sie qui reconnaĂźt Ă travers le voile de l'inconscience ce qu'elles n'ont presque pas besoin des sens pour chĂ©rir. Tout d'un coup ma grand' mĂšre se dressa Ă demi, fit un effort violent, comme quelqu'un qui dĂ©fend sa vie. Françoise ne put rĂ©sister Ă cette vue et Ă©clata en sanglots. Me rappelant ce que le mĂ©decin avait dit, je voulus la faire sortir de la chambre. A ce moment, ma grand'mĂšre ouvrit les yeux. Je me prĂ©cipitai sur Françoise pour cacher ses pleurs, pendant que mes parents parleraient Ă la malade. Le bruit de l'oxygĂšne s'Ă©tait tu, le mĂ©decin s'Ă©loigna du lit. Ma grand'mĂšre Ă©tait morte. Quelques heures plus tard, Françoise put une derniĂšre fois et sans les faire souffrir peigner ces beaux cheveux qui grisonnaient seulement et jusqu'ici avaient semblĂ© ĂȘtre moins ĂągĂ©s qu'elle. Mais maintenant, au contraire, ils Ă©taient seuls Ă imposer la couronne de la vieillesse sur le visage redevenu jeune d'oĂč avaient disparu les rides, les contractions, les empĂątements, les tensions, les flĂ©chissements que, depuis tant d'annĂ©es, lui avait ajoutĂ©s la souffrance. Comme au temps lointain oĂč ses parents lui avaient choisi un Ă©poux, elle avait les traits dĂ©licatement tracĂ©s par la puretĂ© et la soumission, les joues brillantes d'une chaste espĂ©rance, d'un rĂȘve de bonheur, mĂȘme d'une innocente gaietĂ©, que les annĂ©es avaient peu Ă peu dĂ©truits. La vie en se retirant venait d'emporter les dĂ©sillusions de la vie. Un sourire semblait posĂ© sur les lĂšvres de ma grand'mĂšre. Sur ce lit funĂšbre, la mort, comme le sculpteur du moyen Ăąge, l'avait couchĂ©e sous l'apparence d'une jeune fille. CHAPITRE DEUXIĂME VISITE D'ALBERTINE. PERSPECTIVE D'UN RICHE MARIAGE POUR QUELQUES AMIS DE SAINT-LOUP. L'ESPRIT DES GUERMANTES DEVANT LA PRINCESSE DE PARME. ĂTRANGE VISITE A M. DE CHARLUS. JE COMPRENDS DE MOINS EN MOINS SON CARACTĂRE. LES SOULIERS ROUGES DE LA DUCHESSE. Bien que ce fĂ»t simplement un dimanche d'automne, je venais de renaĂźtre, l'existence Ă©tait intacte devant moi, car dans la matinĂ©e, aprĂšs une sĂ©rie de jours doux, il avait fait un brouillard froid qui ne s'Ă©tait levĂ© que vers midi. Or, un changement de temps suffit Ă recrĂ©er le monde et nous-mĂȘme. Jadis, quand le vent soufflait dans ma cheminĂ©e, j'Ă©coutais les coups qu'il frappait contre la trappe avec autant d'Ă©motion que si, pareils aux fameux coups d'archet par lesquels dĂ©bute la Symphonie en ut mineur, ils avaient Ă©tĂ© les appels irrĂ©sistibles d'un mystĂ©rieux destin. Tout changement Ă vue de la nature nous offre une transformation semblable, en adaptant au mode nouveau 14 Vol. II. des choses nos dĂ©sirs harmonisĂ©s. La brume, dĂšs le rĂ©veil, avait fait de moi, au lieu de l'ĂȘtre centrifuge qu'on est par les beaux jours, un homme repliĂ©, dĂ©sireux du coin du feu et du lit partagĂ©, Adam frileux en quĂȘte d'une Ăve sĂ©dentaire, dans ce monde diffĂ©rent. Entre la couleur grise et douce d'une campagne matinale et le goĂ»t d'une tasse de chocolat, je faisais tenir toute l'originalitĂ© de la vie physique, intellectuelle et morale que j'avais apportĂ©e une annĂ©e environ auparavant Ă DonciĂšres, et qui, blasonnĂ©e de la forme oblongue d'une colline pelĂ©e toujours prĂ©sente mĂȘme quand elle Ă©tait invisible formait en moi une sĂ©rie de plaisirs entiĂšrement distincts de tous autres, indicibles Ă des amis en ce sens que les impressions richement tissĂ©es les unes dans les autres qui les orchestraient les caractĂ©risaient bien plus pour moi et Ă mon insu que les faits que j'aurais pu 'raconter. A ce point de vue le monde nouveau dans lequel le brouillard de ce matin m'avait plongĂ© Ă©tait un monde dĂ©jĂ connu de moi ce qui ne lui donnait que plus de vĂ©ritĂ©, et oubliĂ© depuis quelque temps ce qui lui rendait toute sa fraĂźcheur. Et je pus regarder quelques-uns des tableaux de brume que ma mĂ©moire avait acquis, notamment des Matin Ă DonciĂšres », soit le premier jour au quartier, soit, une autre fois, dans un chĂąteau voisin oĂč Saint-Loup m'avait emmenĂ© passer vingt-quatre heures, de la fenĂȘtre dont j'avais soulevĂ© les rideaux Ă l'aube, avant de me recoucher, dans le premier un cavalier, dans le second Ă la mince lisiĂšre d'un Ă©tang et d'un bois dont tout le reste Ă©tait englouti dans la douceur uniforme et liquide de la brume un cocher en train d'astiquer une courroie, m'Ă©taient apparus comme ces rares personnages, Ă peine distincts pour l'Ćil obligĂ© de s'adapter au vague mystĂ©rieux des pĂ©nombres, qui Ă©mergent d'une fresque effacĂ©e. C'est de mon lit que je regardais aujourd'hui ces souvenirs, car je m'Ă©tais recouchĂ© pour attendre le moment oĂč, profitant de l'absence de mes parents, partis pour quelques jours Ă Combray, je comptais ce soir mĂȘme aller entendre une petite piĂšce qu'on jouait chez Mme de Villeparisis. Eux revenus, je n'aurais peut-ĂȘtre osĂ© le faire; ma mĂšre, dans les scrupules de son respect pour le souvenir de ma grand'mĂšre, voulait que les marques de regret qui lui Ă©taient donnĂ©es le fussent librement, sincĂšrement; elle ne m'aurait pas dĂ©fendu cette sortie, elle l'eĂ»t dĂ©sapprouvĂ©e. De Combray au contraire, consultĂ©e, elle ne m'eĂ»t pas rĂ©pondu par un triste Fais ce que tu veux, tu es assez grand pour savoir ce que tu dois faire », mais se reprochant de m'avoir laissĂ© seul Ă Paris, et jugeant mon chagrin d'aprĂšs le sien, elle eĂ»t souhaitĂ© pour lui des distractions qu'elle se fĂ»t refusĂ©es Ă ellemĂȘme et qu'elle se persuadait que ma grand'mĂšre, soucieuse avant tout de ma santĂ© et de mon Ă©quilibre nerveux, m'eĂ»t conseillĂ©es. Depuis le matin on avait allumĂ© le nouveau calorifĂšre Ă eau. Son bruit dĂ©sagrĂ©able, qui poussait de temps Ă autre une sorte de hoquet, n'avait aucun rapport avec mes souvenirs de DonciĂšres. Mais sa rencontre prolongĂ©e avec eux en moi, cet aprĂšs-midi, allait lui faire contracter avec eux une affinitĂ© telle que, chaque fois que un peu dĂ©shabituĂ© de lui j'entendrais de nouveau le chauffage central, il me les rappellerait. Il n'y avait Ă la maison que Françoise. Le jour gris, tombant comme une pluie fine, tissait sans arrĂȘt de transparents filets dans lesquels les promeneurs dominicaux semblaient s'argenter. J'avais rejetĂ© Ă mes pieds le Figaro que tous les jours je faisais acheter consciencieusement depuis que j'y avais envoyĂ© un article qui n'y avait pas paru; malgrĂ© l'absence de soleil, l'intensitĂ© du jour m'indiquait que nous n'Ă©tions encore qu'au milieu de l'aprĂšs-midi. Les rideaux de tulle de la fenĂȘtre, vaporeux et friables comme ils n'auraient pas Ă©tĂ© par un beau temps, avaient ce mĂȘme mĂ©lange de douceur et de cassant qu'ont les ailes de libellules et les verres de Venise. Il me pesait d'autant plus d'ĂȘtre seul ce dimanche-lĂ que j'avais fait porter le matin une lettre Ă Mlle de Stermaria. Robert de Saint-Loup, que sa mĂšre avait rĂ©ussi Ă faire rompre, aprĂšs de douloureuses tentatives avorâą tĂ©es, avec sa maĂźtresse, et qui depuis ce moment avait Ă©tĂ© envoyĂ© au Maroc pour oublier celle qu'il n'aimait dĂ©jĂ plus depuis quelque temps, m'avait Ă©crit un mot, 'reçu la veille, oĂč il m'annonçait sa prochaine arrivĂ©e en France pour un congĂ© trĂšs court. Comme il ne ferait que toucher barre Ă Paris oĂč sa famille craignait sans doute de le voir renouer avec Rachel, il m'avertissait, pour me montrer qu'il avait pensĂ© Ă moi, qu'il avait rencontrĂ© Ă ' Tanger Mlle ou plutĂŽt Mme de Stermaria, car elle avait divorcĂ© aprĂšs trois mois de mariage. Et Robert se souvenant de ce que je lui avais dit Ă Balbec avait demandĂ© de ma part un rendez-vous Ă la jeune femme. Elle dĂźnerait trĂšs volontiers avec moi, lui avait-elle rĂ©pondu, un des jours que, avant de regagner la Bretagne, elle passerait Ă Paris. Il me disait de me hĂąter d'Ă©crire Ă Mme de Stermaria, car elle Ă©tait certainement arrivĂ©e. La lettre de Saint-Loup ne m'avait pas Ă©tonnĂ©, bien que je n'eusse pas reçu de nouvelles de lui depuis qu'au moment de la maladie de ma grand'mĂšre il m'eĂ»t accusĂ© de- perfidie et de trahison. J'avais trĂšs bien compris alors ce qui s'Ă©tait passĂ©. Rachel, qui aimait Ă exciter sa jalousie elle avait des raisons accessoires aussi de m'en vouloir avait persuadĂ© Ă son amant que j'avais fait des tentatives sournoises pour avoir, pendant l'absence de Robert, des relations avec elle. Il est probable qu'il continuait Ă croire que c'Ă©tait vrai, mais il avait cessĂ© d'ĂȘtre Ă©pris d'elle, de sorte que, vrai ou non, ce lui Ă©tait devenu parfaitement Ă©gal et que notre amitiĂ© seule subsistait. Quand, une fois que je l'eus revu, je voulus essayer de lui parler de ses reproches, il eut seulement un bon et tendre sourire par lequel il. avait l'air de s'excuser, puis il changea de conversation. Ce n'est pas qu'il ne dĂ»t un peu plus tard, Ă Paris, revoir quelquefois Rachel. Les crĂ©atures qui ont jouĂ© un grand rĂŽle dans notre vie, il est rare qu'elles en sortent tout d'un coup d'une façon dĂ©finitive. Elles reviennent s'y poser par moments au point que certains croient Ă un recommencement d'amour avant de la quitter Ă jamais. La rupture de Saint-Loup avec Rachel lui Ă©tait trĂšs vite devenue moins douloureuse, grĂące. au plaisir apaisant que lui apportaient les incessantes demandes d'argent de son amie. La jalousie, qui prolonge l'amour, ne peut pas contenir beaucoup plus de choses que les autres formes de l'imagination. Si l'on emporte, quand on part en voyage, trois ou quatre images qui du reste se perdront en route les lys et les anĂ©mones du Ponte Vecchio, l'Ă©glise persane dans les brumes, etc., la malle est dĂ©jĂ bien pleine. Quand on quitte une maĂźtresse, on voudrait bien, jusqu'Ă ce qu'on l'ait un peu oubliĂ©e, qu'elle ne devĂźnt pas la possession de trois ou quatre entreteneurs possibles et qu'on se figure, c'estĂ -dire dont on est jaloux tous ceux qu'on ne se figure pas ne sont rien. Or, les demandes d'argent frĂ©quentes d'une maĂźtresse quittĂ©e ne vous donnent pas plus une idĂ©e complĂšte de sa vie que des feuilles de tempĂ©rature Ă©levĂ©e ne donneraient de sa maladie. Mais les secondes seraient tout de mĂȘme un signe qu'elle est malade et les premiĂšres fournissent une prĂ©somption, assez vague il est vrai, que la dĂ©laissĂ©e ou dĂ©laisseuse n'a pas dĂ» trouver grand'chose comme riche protecteur. Aussi chaque demande est-elle accueillie avec la joie que produit une accalmie dans la souffrance du jaloux, et suivie immĂ©diatement d'envois d'argent, car on veut qu'elle ne manque de rien, sauf d'amants d'un des trois amants qu'on se figure, le temps de se rĂ©tablir un peu soi-mĂȘme et de pouvoir apprendre sans faiblesse le nom du successeur. Quelquefois Rachel revint assez tard dans la soirĂ©e pour demander Ă son ancien amant la permission de dormir Ă cĂŽtĂ© de lui jusqu'au matin. C'Ă©tait une grande douceur pour Robert, car il se rendait compte combien ils avaient tout de mĂȘme vĂ©cu intimement ensemble, rien qu'Ă voir que, mĂȘme s'il prenait Ă lui seul une grande moitiĂ© du lit, il ne la dĂ©rangeait en rien pour dormir. Il comprenait qu'elle Ă©tait prĂšs de son corps, plus commodĂ©ment qu'elle n'eĂ»t Ă©tĂ© ailleurs, qu'elle se retrouvait Ă son cĂŽtĂ© fĂ»t-ce Ă l'hĂŽtel comme dans une chambre anciennement connue oĂč l'on a ses habitudes, oĂč on dort mieux. Il sentait que ses Ă©paules, ses jambes, tout lui, Ă©taient pour elle, mĂȘme quand il remuait trop par insomnie ou travail Ă faire, de ces choses si parfaitement usuelles qu'elles ne peuvent gĂȘner et que leur perception ajoute encore Ă la sensation du repos. Pour revenir en arriĂšre, j'avais Ă©tĂ© d'autant plus troublĂ© par la lettre de Robert que je lisais entre les lignes ce qu'il n'avait pas osĂ© Ă©crire plus explicitement. Tu peux trĂšs bien l'inviter en cabinet particulier, me disait-il. C'est une jeune personne charmante, d'un dĂ©licieux caractĂšre, vous vous entendrez parfaitement et je suis certain d'avance que tu passeras une trĂšs bonne soirĂ©e. » Comme mes parents rentraient Ă la fin de la semaine, samedi ou dimanche, et qu'aprĂšs je serais forcĂ© de dĂźner tous les soirs Ă la maison, j'avais aussitĂŽt Ă©crit Ă Mme de Stermaria pour lui proposer le jour qu'elle voudrait, jusqu'Ă vendredi. On avait rĂ©pondu que j'aurais une lettre, vers huit heures, ce soir mĂȘme. Je l'aurais atteint assez vite si j'avais eu pendant l'aprĂšs-midi qui me sĂ©parait de lui le secours d'une visite. Quand les heures s'enveloppent de cau- series, on ne peut plus les mesurer, mĂȘme les voir, elles s'Ă©vanouissent, et tout d'un coup c'est bien loin du point oĂč il vous avait Ă©chappĂ© que reparaĂźt devant votre attention le temps agile et escamotĂ©. Mais si nous sommes seuls, la prĂ©occupation, en ramenant devant nous le moment encore Ă©loignĂ© et sans cesse attendu, avec la frĂ©quence et l'uniformitĂ© d'un tic tac, divise ou plutĂŽt multiplie les heures par toutes les minutes qu'entre amis nous n'aurions pas comptĂ©es. Et confrontĂ©e, par le retour incessant de mon dĂ©sir, Ă l'ardent plaisir que je goĂ»terais dans quelques jours seulement, hĂ©las avec Mme de Stermaria, cette aprĂšsmidi, que j'allais achever seul, me paraissait bien vide et bien mĂ©lancolique. Par moments, j'entendais le bruit de l'ascenseur qui montait, mais il Ă©tait suivi d'un second bruit, non celui que j'espĂ©rais l'arrĂȘt Ă mon Ă©tage, mais d'un autre fort diffĂ©rent que l'ascenseur faisait pour continuer sa route Ă©lancĂ©e vers les Ă©tages supĂ©rieurs et qui, parce qu'il signifia si souvent la dĂ©sertion du mien quand j'attendais une visite, est restĂ© pour moi plus tard, mĂȘme quand je n'en dĂ©sirais plus aucune, un bruit par lui-mĂȘme douloureux, oĂč rĂ©sonnait comme une sentence d'abandon. Lasse, rĂ©signĂ©e, occupĂ©e pour plusieurs heures encore Ă sa tĂąche immĂ©moriale, la grise journĂ©e filait sa passementerie de nacre et je m'attristais de penser que j'allais rester seul en tĂȘte Ă tĂȘte avec elle qui ne me connaissait pas plus qu'une. ouvriĂšre qui, installĂ©e prĂšs de la fenĂȘtre pour voir plus clair en faisant sa besogne, ne s'occupe nullement de la personne prĂ©sente dans la chambre. Tout d'un coup, sans que j'eusse entendu sonner, Françoise vint ouvrir la porte, introduisant Albertine qui entra souriante, silencieuse, replĂšte, contenant dans la plĂ©nitude de son corps, prĂ©parĂ©s pour que je continuasse Ă les vivre, venus vers moi, les jours passĂ©s dans ce Balbec oĂč je n'Ă©tais jamais retournĂ©. Sans doute, chaque fois que nous revoyons une personne avec qui nos rapports si insignifiants soient-ils se trouvent changĂ©s, c'est comme une confrontation de deux Ă©poques. Il n'y a pas besoin pour cela qu'une ancienne maĂźtresse vienne nous voir en amie, il suffit de la visite Ă Paris de quelqu'un que nous avons connu dans l'au-jour-le-jour d'un certain genre de vie, et que cette vie ait cessĂ©, fĂ»t-ce depuis une semaine seulement. Sur chaque trait rieur, interrogatif et gĂȘnĂ© du visage d'Albertine, je pouvais Ă©peler ces questions Et Madame de Villeparisis ? Et le maĂźtre de danse ? Et le pĂątissier ? » Quand elle s'assit, son dos eut l'air de dire Dame, il n'y a pas de falaise ici, vous permettez que je m'asseye tout de mĂȘme prĂšs de vous, comme j'aurais fait Ă Balbec ? » Elle semblait une magicienne me prĂ©sentant un miroir du Temps. En cela elle Ă©tait pareille Ă tous ceux que nous revoyons rarement, mais qui jadis vĂ©curent plus intimement avec nous. Mais avec Albertine il n'y avait que cela. Certes, mĂȘme Ă Balbec, dans nos rencontres quotidiennes j'Ă©tais toujours surpris en l'apercevant tant elle Ă©tait journaliĂšre. Mais maintenant on avait peine Ă la reconnaĂźtre. DĂ©gagĂ©s de la vapeur rose qui les baignait, ses traits avaient sailli comme une statue. Elle avait un autre visage, ou plutĂŽt elle avait enfin un visage; son corps avait grandi. Il ne restait presque plus rien de la gaine oĂč elle avait Ă©tĂ© enveloppĂ©e et .sur la surface de laquelle Ă Balbec sa forme future se dessinait Ă peine. Albertine, cette fois, rentrait Ă Paris plus tĂŽt que de coutume. D'ordinaire elle n'y arrivait qu'au printemps, de sorte que, dĂ©jĂ troublĂ© depuis quelques semaines par les orages sur les premiĂšres fleurs, je ne sĂ©parais pas, dans le plaisir que j'avais, le retour d'Albertine et celui de la belle saison. Il suffisait qu'on me dise qu'elle Ă©tait Ă Paris et qu'elle Ă©tait passĂ©e chez moi pour que je la revisse comme une rose au bord de la mer. Je ne sais trop si c'Ă©tait le dĂ©sir de Balbec ou d'elle qui s'emparait de moi alors, peut-ĂȘtre le dĂ©sir d'elle Ă©tant lui-mĂȘme une forme paresseuse, lĂąche et incomplĂšte de possĂ©der Balbec, comme si possĂ©der matĂ©riellement une chose, faire sa rĂ©sidence d'une ville, Ă©quivalait Ă la possĂ©der spirituellement. Et d'ailleurs, mĂȘme matĂ©riellement, quand elle Ă©tait non plus balancĂ©e par mon imagination devant l'horizon marin, mais immobile auprĂšs de moi, elle me semblait souvent une bien pauvre rosĂ© devant laquelle j'aurais bien voulu fermer les yeux pour ne pas voir tel dĂ©faut des pĂ©tales et pour croire que je respirais sur la plage. Je peux le dire ici, bien que je ne susse pas alors ce qui ne devait arriver que dans la suite. Certes, il est plus raisonnable de sacrifier sa vie aux femmes qu'aux timbres-poste, aux vieilles tabatiĂšres, mĂȘme aux tableaux et aux statues. Seulement l'exemple des autres collections devrait nous avertir de changer, de n'avoir pas une seule femme, mais beaucoup. Ces mĂ©langes charmants qu'une jeune fille fait avec une plage, avec la chevelure tressĂ©e d'une statue d'Ă©glise, avec une estampe, avec tout ce Ă cause de quoi on aime en l'une d'elles, chaque fois qu'elle entre, un tableau charmant; ces mĂ©langes ne sont pas trĂšs stables. Vivez tout Ă fait avec la femme et vous ne verrez plus rien de ce qui vous l'a fait aimer; certes les deux Ă©lĂ©ments dĂ©sunis, la jalousie peut Ă nouveau les rejoindre. Si aprĂšs un long temps de vie commune je devais finir par ne plus voir en Albertine qu'une femme ordinaire, quelque intrigue d'elle avec un ĂȘtre qu'elle eĂ»t aimĂ© Ă Balbec eĂ»t peut-ĂȘtre suffi pour rĂ©incorporer en elle et amalgamer la plage et le dĂ©ferlement du flot. Seulement ces mĂ©langes secondaires ne ravissant plus nos yeux, c'est Ă notre cĆur qu'ils sont sensibles et funestes. On ne peut sous une forme si dangereuse trouver souhaitable le renouvellement du miracle. Mais j'anticipe les annĂ©es. Et je dois seulement ici regretter de n'ĂȘtre pas restĂ© assez sage pour avoir eu simplement ma collection de femmes comme on a des lorgnettes anciennes, jamais assez nombreuses derriĂšre une vitrine oĂč toujours une place vide attend une lorgnette nouvelle et plus rare. Contrairement 'Ă l'ordre habituel de ses villĂ©giatures, cette annĂ©e elle venait directement de Balbec et encore y Ă©tait-elle restĂ©e bien moins tard que d'habitude. Il y avait longtemps que je ne l'avais vue. Et comme je ne connaissais pas, mĂȘme de nom, les personnes qu'elle frĂ©quentait Ă Paris, je ne savais rien d'elle pendant les pĂ©riodes oĂč elle restait sans venir me voir. Celles-ci Ă©taient souvent assez longues. Puis, un beau jour, surgissait brusquement Albertine dont les roses apparitions et les silencieuses visites me renseignaient assez peu sur ce qu'elle avait pu faire dans leur intervalle, qui restait plongĂ© dans cette obscuritĂ© de sa vie que mes yeux ne se souciaient guĂšre de percer. Cette fois-ci pourtant, certains signes semblaient indiquer que des choses nouvelles avaient dĂ» se passer dans cette vie. Mais il fallait peut-ĂȘtre tout simplement induire d'eux qu'on change trĂšs vite Ă l'Ăąge qu'avait Albertine. Par exemple, son intelligence se montrait mieux, et quand je lui reparlai du jour oĂč elle avait mis tant d'ardeur Ă imposer son idĂ©e de faire Ă©crire par Sophocle Mon cher Racine », elle fut la premiĂšre Ă rire de bon cĆur. C'est AndrĂ©e qui avait *t raison, j'Ă©tais stupide, dit-elle, il fallait que Sophocle Ă©crive Monsieur ». Je lui rĂ©pondis que le monsieur » et le cher monsieur » d'AndrĂ©e n'Ă©taient pas moins comiques que son mon cher Racine » Ă elle et le mon cher ami » de GisĂšle, mais qu'il n'y avait, au fond, de stupides que des professeurs faisant encore adresser par Sophocle une lettre Ă Racine. LĂ , Albertine ne me suivit plus. Elle ne voyait pas ce que cela avait de bĂȘte; son intelligence s'entr'ouvrait, mais n'Ă©tait pas dĂ©veloppĂ©e. Il y avait des nouveautĂ©s plus attirantes en elle; je sentais, dans la mĂȘme jolie fille qui venait de s'asseoir prĂšs de mon lit, quelque chose de diffĂ©rent; et dans ces lignes qui dans le regard et les traits du visage expriment la volontĂ© habituelle, un changement de front, une demiconversion comme si avaient Ă©tĂ© dĂ©truites ces rĂ©sistances contre lesquelles je m'Ă©tais brisĂ© Ă Balbec, un soir dĂ©jĂ lointain oĂč nous formions un couple symĂ©trique mais inverse de celui de l'aprĂšs-midi actuel, puisque alors c'Ă©tait elle qui Ă©tait couchĂ©e et moi Ă cĂŽtĂ© de son lit. Voulant et n'osant m'assurer si maintenant elle se laisserait embrasser, chaque fois qu'elle se levait pour partir, je lui demandais de rester encore. Ce n'Ă©tait pas trĂšs facile Ă obtenir, car bien qu'elle n'eĂ»t rien Ă faire sans cela, elle eĂ»t bondi au dehors, elle Ă©tait une personne exacte et d'ailleurs peu aimable avec moi, ne semblant guĂšre se plaire dans ma compagnie. Pourtant chaque fois, aprĂšs avoir regardĂ© sa montre, elle se rasseyait Ă ma priĂšre, de sorte qu'elle avait passĂ© plusieurs heures avec moi et sans que je lui eusse rien demandĂ©; les phrases que je lui disais se rattachaient Ă celles que je lui avais dites pendant les heures prĂ©cĂ©dentes, et ne rejoignaient en rien ce Ă quoi je pensais, ce que je dĂ©sirais, lui restaient indĂ©finiment parallĂšles. Il n'y a rien comme le dĂ©sir pour empĂȘcher les choses qu'on dit d'avoir aucune ressemblance avec ce qu'on a dans la pensĂ©e. Le temps presse et pourtant il semble qu'on veuille gagner du temps en parlant de sujets absolument Ă©trangers Ă celui qui nous prĂ©occupe. On cause, alors que la phrase qu'on voudrait prononcer serait dĂ©jĂ accompagnĂ©e d'un geste, Ă supposer mĂȘme que, pour se donner le plaisir de l'immĂ©diat et assouvir la curiositĂ© qu'on Ă©prouve Ă l'Ă©gard des rĂ©actions qu'il amĂšnera sans mot dire, sans demander aucune permission, on n'ait pas fait ce geste. Certes je n'aimais nullement Albertine fille de la brume du dehors, elle pouvait seulement contenter le dĂ©sir imaginatif que le temps nouveau avait Ă©veillĂ© en moi et qui Ă©tait intermĂ©diaire entre les dĂ©sirs que peuvent satisfaire d'une part les arts de la cuisine et ceux de la sculpture monumentale, car il me faisait rĂȘver Ă la fois de mĂȘler Ă ma chair une matiĂšre diffĂ©rente et chaude, et d'attacher par quelque point Ă mon corps Ă©tendu un corps divergent comme le corps d'Eve tenait Ă peine par les pieds Ă la hanche d'Adam, au corps duquel elle est presque perpendiculaire, dans ces bas-reliefs romans de la cathĂ©drale de Balbec qui figurent d'une façon si noble et si paisible, presque encore comme une frise antique, la crĂ©ation de la femme; Dieu y est partout suivi, comme par deux ministres, de deux petits anges dans lesquels on reconnaĂźt telles ces crĂ©atures ailĂ©es et tourbillonnantes de l'Ă©tĂ© que l'hiver a surprises et Ă©pargnĂ©es des Amours d'Herculanum encore en vie en plein xme siĂšcle, et traĂźnant leur dernier vol, las mais ne manquant pas Ă la grĂące qu'on peut attendre d'eux, sur toute la façade du porche. Or, ce plaisir, qui en accomplissant mon dĂ©sir m'eĂ»t dĂ©livrĂ© de cette rĂȘverie, et que j'eusse tout aussi volontiers cherchĂ© en n'importe quelle autre jolie femme, si l'on m'avait demandĂ© sur quoi au cours de ce bavardage interminable oĂč je taisais Ă Albertine la seule chose Ă laquelle je pensasse se basait mon hypothĂšse optimiste au sujet des complaisances possibles, j'aurais peut-ĂȘtre rĂ©pondu que cette hypothĂšse Ă©tait due tandis que les traits oubliĂ©s de la voix d'Albertine redessinaient pour moi le contour de sa personnalitĂ© Ă l'apparition de certains mots qui ne faisaient pas partie de son vocabulaire, au moins dans l'acception qu'elle leur donnait maintenant. Comme elle me disait qu'Elstir Ă©tait bĂȘte et que je me rĂ©criais Vous ne me comprenez pas, rĂ©pliqua-t-elle en souriant, je veux dire qu'il a Ă©tĂ© bĂȘte en cette circonstance, mais je sais parfaitement' que c'est quelqu'un de tout Ă fait distinguĂ©. De mĂȘme pour dire du golf de Fontainebleau qu'il Ă©tait Ă©lĂ©gant, elle dĂ©clara C'est tout Ă fait une sĂ©lection. A propos d'un duel que j'avais eu, elle me dit de mes tĂ©moins Ce sont des tĂ©moins de choix », et regardant ma figure avoua qu'elle aimerait me voir porter la moustache ». Elle alla mĂȘme, et mes chances me parurent alors trĂšs grandes, jusqu'Ă prononcer, terme que, je l'eusse jurĂ©, elle ignorait l'annĂ©e prĂ©cĂ©dente, que depuis qu'elle avait vu GisĂšle il s'Ă©tait passĂ© un certain laps de temps ». Ce n'est pas qu'Albertine ne possĂ©dĂąt dĂ©jĂ quand j'Ă©tais Ă Balbec un lot trĂšs sortable de ces expressions qui dĂ©cĂšlent immĂ©diatement qu'on est issu d'une famille aisĂ©e, et que d'annĂ©e en annĂ©e une mĂšre abandonne Ă sa fille comme elle lui donne au fur et Ă mesure qu'elle grandit, dans les circonstances importantes, ses propres bijoux. On avait senti qu'Albertine avait cessĂ© d'ĂȘtre une petite enfant quand un jour, pour remercier d'un cadeau qu'une Ă©trangĂšre lui avait fait, elle avait rĂ©pondu Je suis confuse. Mme Bontemps n'avait pu s'empĂȘcher de regarder son mari, qui avait rĂ©pondu Dame, elle va sur ses quatorze ans. La nubilitĂ© plus accentuĂ©e s'Ă©tait marquĂ©e quand Albertine, parlant d'une jeune fille qui avait mauvaise façon, avait dit On ne peut mĂȘme pas distinguer si elle est jolie, elle a un Pied de rouge sur la figure. » Enfin, quoique jeune fille encore, elle prenait dĂ©jĂ des façons de femme de son milieu et de son rang en disant, si quelqu'un faisait des grimaces Je ne peux pas le voir parce que j'ai envie d'en faire aussi », ou si on s'amusait Ă des Le plus drĂŽle, quand vous la contrefaites, c'est que vous lui ressemblez. » Tout cela est tirĂ© du trĂ©sor social. Mais justement le milieu d'Albertine ne me paraissait pas pouvoir lui fournir distinguĂ© » dans le sens oĂč mon pĂšre disait de tel de ses collĂšgues qu'il ne connaissait pas encore et dont on lui vantait la grande intelligence Il paraĂźt que c'est quelqu'un de tout Ă fait distinguĂ©. » SĂ©lection », mĂȘme pour le golf, me parut aussi incompatible avec la famille Simonet qu'il le serait, accompagnĂ© de l'adjectif naturel », avec un texte antĂ©rieur de plusieurs siĂšcles aux travaux de Darwin. Laps de temps » me sembla de meilleur augure encore. Enfin m'apparut l'Ă©vidence de bouleversements que je ne connaissais pas mais propres Ă autoriser pour moi toutes les espĂ©rances, quand Albertine me dit, avec la satisfaction d'une personne dont l'opinion n'est pas indiffĂ©rente C'est, Ă mon sens, ce qui pouvait arriver de mieux. J'estime que .c'est la meilleure solution, la solution Ă©lĂ©gante. C'Ă©tait si nouveau, si visiblement une alluvion laissant soupçonner de si capricieux dĂ©tours Ă travers des terrains jadis inconnus d'elle que, dĂšs les mots Ă mon sens », j'attirai Albertine, et Ă j'estime je l'assis sur mon lit. Sans doute il arrive que des femmes peu cultivĂ©es, Ă©pousant un homme fort lettrĂ©, reçoivent dans leur apport dotal de telles expressions. Et peu aprĂšs la mĂ©tamorphose qui suit la nuit de noces, quand elles font leurs visites et sont rĂ©servĂ©es avec leurs anciennes amies, on remarque .avec Ă©tonnement qu'elles sont devenues femmes si, en dĂ©crĂ©tant qu'une personne est intelligente, elles mettent deux au mot intelligente; mais cela est justement le signe d'un changement, et il me semblait qu'il y avait un monde entre les expressions actuelles et le vocabulaire de l'Albertine que j'avais connue Ă Balbec celui oĂč les plus grandes hardiesses Ă©taient de dire d'une personne bizarre C'est un type », ou, si on proposait Ă Albertine de jouer Je n'ai pas d'argent Ă perdre», ou encore, si telle de ses amies lui faisait un reproche qu'elle ne trouvait pas justifiĂ© Ah vraiment, je te trouve magnifique », phrases dictĂ©es dans ces cas-lĂ par une sorte de tradition bourgeoise presque aussi ancienne que le Magni ficat lui-mĂȘme, et qu'une jeune fille un peu en colĂšre et sĂ»re de son droit emploie ce qu'on appelle tout naturellement », c'est-Ă -dire parce qu'elle les a apprises de sa mĂšre comme Ă faire sa priĂšre ou Ă saluer. Toutes celles-lĂ , Mme Bontemps les lui avait apprises en mĂȘme temps que la haine des Juifs et que l'estime pour le noir oĂč on est toujours convenable et comme il faut, mĂȘme sans que Mme Bontemps le lui eĂ»t formellement enseignĂ©, mais comme se modĂšle au gazouillement des parents chardonnerets celui des petits chardonnerets rĂ©cemment nĂ©s, de sorte qu'ils deviennent de vrais chardonnerets eux-mĂȘmes. MalgrĂ© tout, sĂ©lection» me parut allogĂšne et j'estime » encourageant. Albertine n'Ă©tait plus la mĂȘme, donc elle n'agirait peut-ĂȘtre pas, ne rĂ©agirait pas de mĂȘme. Non seulement je n'avais plus d'amour pour elle, mais je n'avais mĂȘme. plus Ă craindre, comme j'aurais pu Ă Balbec, de briser en elle une amitiĂ© pour moi qui n'existait plus. Il n'y avait aucun doute que je lui fusse depuis longtemps devenu fort indiffĂ©rent. Je me rendais compte que pour elle je ne faisais plus du tout partie de la petite bande » Ă laquelle j'avais autrefois tant cherchĂ©, et j'avais ensuite Ă©tĂ© si heureux de rĂ©ussir Ă ĂȘtre agrĂ©gĂ©. Puis comme elle n'avait mĂȘme plus, comme Ă Balbec, un air de franchise et de bontĂ©, je n'Ă©prouvais pas de grands scrupules; pourtant je crois que ce qui me dĂ©cida fut une derniĂšre dĂ©couverte philologique. Comme, continuant Ă ajouter un nouvel anneau Ă la chaĂźne extĂ©rieure de propos sous laquelle je cachais mon dĂ©sir intime, je parlais, tout en ayant maintenant Albertine au coin de mon lit, d'une des filles de la petite bande, plus menue que les autres, mais que je trouvais tout de mĂȘme assez jolie Oui, me rĂ©pondit Albertine, elle a l'air d'une petite mousmĂ©. » De toute Ă©vidence, quand j'avais connu Albertine, le mot de mousmĂ© lui Ă©tait inconnu. Il est vraisemblable que, si les choses eussent suivi leur cours normal, elle ne l'eĂ»t jamais appris, et je n'y aurais vu pour ma part aucun inconvĂ©nient car nul n'est plus horripilant. A l'entendre on se sent le mĂȘme mal de dents que si on a mis un trop gros morceau de glace dans sa bouche. Mais chez Albertine, jolie comme elle Ă©tait, mĂȘme mousmĂ© » ne pouvait m'ĂȘtre dĂ©plaisant. En revanche, il me parut rĂ©vĂ©lateur sinon d'une initiation extĂ©rieure, au moins d'une Ă©volution interne. Malheureusement il Ă©tait l'heure oĂč il eĂ»t fallu que je lui dise au revoir si je voulais qu'elle rentrĂąt Ă temps pour son dĂźner et aussi que je me levasse assez tĂŽt pour le mien. C'Ă©tait Françoise qui le prĂ©parait, elle n'aimait pas qu'il attendĂźt et devait dĂ©jĂ trouver contraire Ă un des articles de son code qu'Albertine, en l'absence de mes parents, m'eĂ»t fait une visite aussi prolongĂ©e et qui allait tout mettre en retard. Mais, devant mousmĂ© », ces raisons tombĂšrent et je me hĂątai de dire Imaginez-vous que je ne suis pas chatouilleux du tout, vous pourriez me chatouiller pendant une heure que je ne le sentirais mĂȘme pas. Vraiment 1 Je vous assure. Elle comprit sans doute que c'Ă©tait l'expression maladroite d'un dĂ©sir, car comme quelqu'un qui vous offre une recommandation que vous n'osiez pas solliciter, mais dont vos paroles lui ont prouvĂ© qu'elle pouvait vous ĂȘtre utile Voulez-vous que j'essaye ? dit-elle avec l'humilitĂ© de la femme. Si vous voulez, mais alors ce serait plus commode que vous vous Ă©tendiez tout Ă fait sur mon lit. Comme cela ? Non, enfoncez-vous. Mais je ne suis pas trop lourde ? Comme elle finissait cette phrase la porte s'ouvrit, et Françoise portant une lampe entra. Albertine n'eut que le temps de se rasseoir sur la chaise. Peut-ĂȘtre Françoise avait-elle choisi cet instant pour nous confondre, Ă©tant Ă Ă©couter Ă la porte, ou mĂȘme Ă regarder par le trou de la serrure. Mais je n'avais pas besoin de faire une telle supposition, elle avait pu dĂ©daigner de s'assurer par les yeux de ce que son instinct avait dĂ» suffisamment flairer, car Ă force de vivre avec moi et mes parents, la crainte, la prudence, l'attention et la ruse avaient fini par lui donner de nous cette sorte de connaissance instinctive et presque divinatoire qu'a de la mer le matelot, du chasseur le gibier, et de la maladie, sinon le mĂ©decin, du moins souvent le malade. Tout ce qu'elle arrivait Ă savoir aurait pu stupĂ©fier Ă aussi bon droit que l'Ă©tat avancĂ© de certaines connaissances chez les anciens, vu les moyens presque nuls d'information qu'ils possĂ©daient les siens n'Ă©taient pas plus nombreux c'Ă©tait quelques propos, formant Ă peine le vingtiĂšme de notre conversation Ă dĂźner, recueillis Ă la volĂ©e par le maĂźtre d'hĂŽtel' et inexactement transmis Ă l'office. Encore ses erreurs tenaient-elles plutĂŽt, comme les leurs; comme les fables auxquelles Platon croyait, Ă une fausse conception du monde et Ă des idĂ©es prĂ©conçues qu'Ă l'insuffisance des ressources matĂ©rielles. C'est ainsi que, de nos jours encore, les plus grandes dĂ©couvertes dans les mĆurs des insectes ont pu ĂȘtre faites par un savant qui ne disposait .d'aucun laboratoire, de nul appareil. Mais si les gĂȘnes qui rĂ©sultaient de sa position de, domestique ne l'avaient pas empĂȘchĂ©e d'acquĂ©rir une science indispensable Ă l'art qui en Ă©tait le terme et qui consistait Ă nous confondre en nous en communiquant les rĂ©sultats la contrainte avait 15 Vol. II. fait plus; lĂ l'entrave ne s'Ă©tait pas contentĂ©e de ne pas paralyser l'essor, elle y avait puissamment aidĂ©. Sans doute Françoise ne nĂ©gligeait aucun adjuvant, celui de la diction et de l'attitude par exemple. Comme si elle ne croyait jamais ce que nous lui disions et que nous souhaitions qu'elle crĂ»t elle admettait sans l'ombre d'un doute ce que toute personne de sa condition lui racontait de plus absurde et qui pouvait en mĂȘme temps choquer nos idĂ©es, autant sa maniĂšre d'Ă©couter nos assertions tĂ©moignait de son incrĂ©dulitĂ©, autant l'accent avec lequel elle rapportait car le discours indirect lui permettait de nous adresser les pires injures avec impunitĂ© le rĂ©cit d'une cuisiniĂšre qui lui avait racontĂ© qu'elle avait menacĂ© ses maĂźtres et en avait obtenu, en les traitant devant tout le monde de fumier », mille faveurs, montrait que c'Ă©tait pour elle parole d'Ă©vangilĂš. Françoise ajoutait mĂȘme Moi, si j'avais Ă©tĂ© patronne je me serais trouvĂ©e vexĂ©e. » Nous avions beau, malgrĂ© notre peu de sympathie originelle pour la dame du quatriĂšme, hausser les Ă©paules, comme Ă une fable invraisemblable, Ă ce rĂ©cit d'un si mauvais exemple, en le faisant, la narratrice savait prendre le cassant, le tranchant de la plus indiscutable et plus exaspĂ©rante affirmation. Mais surtout, comme les Ă©crivains arrivent souvent Ă une puissance de concentration dont les eĂ»t dispensĂ©s le rĂ©gime de la libertĂ© politique ou de l'anarchie littĂ©raire, quand ils sont ligotĂ©s par la tyrannie d'un monarque ou d'une poĂ©tique, par les sĂ©vĂ©ritĂ©s des rĂšgles prosodiques ou d'une religion d'Ătat, ainsi Françoise, ne pouvant nous rĂ©pondre d'une façon explicite, parlait comme TirĂ©sias et eĂ»t Ă©crit comme Tacite. Elle savait faire tenir tout ce qu'elle ne pouvait exprimer directement, dans une phrase que nous ne pouvions incriminer sans nous accuser, dans moins qu'une phrase mĂȘme, dans un silence, dans la maniĂšre dont elle plaçait un objet. Ainsi, quand il m'arrivait de laisser, par mĂ©garde, sur ma table, au milieu d'autres lettres, une certaine qu'il n'eĂ»t pas fallu qu'elle vĂźt, par exemple parce qu'il y Ă©tait parlĂ© d'elle avec une malveillance qui en supposait une aussi grande Ă son Ă©gard chez le destinataire que chez l'expĂ©diteur, le soir, si je rentrais inquiet et allais droit Ă ma chambre, sur mes lettres rangĂ©es bien en ordre en une pile parfaite, le document compromettant frappait tout d'abord mesyeux comme il n'avait pas pu ne pas frapper ceux de Françoise, placĂ© par elle tout en dessus, presque Ă part, en une 'Ă©vidence qui Ă©tait un langage, avait son Ă©loquence, et dĂšs la porte me faisait tressaillir comme un cri. Elle excellait Ă rĂ©gler ces mises en scĂšne destinĂ©es Ă instruire si bien le spectateur, Françoise absente, qu'il savait dĂ©jĂ qu'elle savait tout quand ensuite elle faisait son entrĂ©e. Elle avait, pour faire parler ainsi un objet inanimĂ©, l'art Ă la fois gĂ©nial et patient d'Irving et de FrĂ©dĂ©ric LemaĂźtre. En ce moment, tenant au-dessus d'Albertine et de moi la lampe allumĂ©e qui ne laissait dans l'ombre aucune des dĂ©pressions encore visibles que le corps de la jeune fille avait creusĂ©es dans le couvre-pieds, Françoise avait l'air de la Justice Ă©clairant le Crime ». La figure d'Albertine ne perdait pas Ă cet Ă©clairage. Il dĂ©couvrait sur les joues le mĂȘme vernis ensoleillĂ© qui m'avait charmĂ© Ă Balbec. Ce visage d'Albertine, dont l'ensemble avait quelquefois, dehors, une espĂšce de pĂąleur blĂȘme, montrait, au contraire, au fur et Ă mesure que la lampe les Ă©clairait, des surfaces si brillamment, si uniformĂ©ment colorĂ©es, si rĂ©sistantes et si lisses, qu'on aurait pu les comparer aux carnations soutenues de certaines fleurs. Surpris pourtant par l'entrĂ©e inattendue de Françoise, je m'Ă©criai Comment, dĂ©jĂ la lampe ? Mon Dieu que cette lumiĂšre est vive Mon but Ă©tait sans doute par la seconde de ces phrases de dissimuler mon trouble, par la premiĂšre d'excuser mon retard. Françoise rĂ©pondit avec une ambiguĂŻtĂ© cruelle Faut-il que j'Ă©teinde ? Teigne ? glissa Ă mon oreille Albertine, me laissant charmĂ© par la vivacitĂ© familiĂšre avec laquelle, me prenant Ă la fois pour maĂźtre et pour complice, elle insinua cette affirmation psychologique dans le ton interrogatif d'une question grammaticale. Quand Françoise fut sortie de la chambre et Albertine rassise sur mon lit Savez-vous ce dont j'ai peur, lui dis-je, c'est que si nous continuons comme cela, je ne puisse pas m'empĂȘcher de vous embrasser. Ce serait un beau malheur. Je n'obĂ©is pas tout de suite Ă cette invitation, un autre l'eĂ»t mĂȘme pu trouver superflue, car Albertine avait une prononciation si charnelle et si douce que, rien qu'en vous parlant, elle semblait vous embrasser. Une parole d'elle Ă©tait une faveur, et sa conversation vous couvrait de baisers. Et pourtant elle m'Ă©tait bien agrĂ©able, cette invitation. Elle me l'eĂ»t Ă©tĂ© mĂȘme d'une autre jolie fille du mĂȘme Ăąge; mais qu'Albertine me fĂ»t maintenant si facile, cela me causait plus que du plaisir, une confrontation d'images empreintes de beautĂ©. Je me rappelais Albertine d'abord devant la plage, presque peinte sur le fond de la mer, n'ayant pas pour moi une existence plus rĂ©elle que ces visions de théùtre, oĂč on ne sait pas si on a affaire Ă l'actrice qui est censĂ©e apparaĂźtre, Ă une figurante qui la double Ă ce moment-lĂ , ou Ă une simple projection. Puis la femme vraie s'Ă©tait dĂ©tachĂ©e du faisceau lumineux, elle Ă©tait venue Ă moi, mais simplement pour que je pusse m'apercevoir qu'elle n'avait nullement, dans le monde rĂ©el, cette facilitĂ© amoureuse qu'on lui supposait empreinte dans le tableau magique. J'avais appris qu'il n'Ă©tait pas possible de la toucher, de l'embrasser, qu'on pouvait seulement causer avec elle, que pour moi elle n'Ă©tait pas plus une femme que des raisins de jade, dĂ©coration incomestible des tables d'autrefois, ne sont des raisins. Et voici que dans un troisiĂšme plan elle m'apparaissait, rĂ©elle comme dans la seconde connaissance que j'avais eue d'elle, mais facile comme dans la premiĂšre; facile, et d'autant plus dĂ©licieusement que j'avais cru si longtemps qu'elle ne l'Ă©tait pas. Mon surplus de science sur la vie sur la vie moins unie, moins simple que je ne l'avais cru d'abord aboutissait provisoirement Ă l'agnosticisme. Que peut-on affirmer, puisque ce qu'on avait cru probable d'abord s'est montrĂ© faux ensuite, et se trouve en troisiĂšme lieu ĂȘtre vrai ? Et hĂ©las, je n'Ă©tais pas au bout de mes dĂ©couvertes avec Albertine. En tout cas, mĂȘme s'il n'y avait pas eu l'attrait romanesque de cet enseignement d'une plus grande richesse de plans dĂ©couverts l'un aprĂšs l'autre par la vie cet attrait inverse de celui que Saint-Loup goĂ»tait, pendant les dĂźners de Rivebelle, Ă retrouver, parmi les masques que l'existence avait superposĂ©s dans une calme figure, des traits qu'il avait jadis tenus sous ses lĂšvres, savoir qu'embrasser les joues d'Albertine Ă©tait une chose possible, c'Ă©tait un plaisir peut-ĂȘtre plus grand encore que celui de les embrasser. Quelle diffĂ©rence entre possĂ©der une femme sur laquelle notre corps seul s'applique parce qu'elle n'est qu'un morceau de chair, ou possĂ©der la. jeune fille qu'on apercevait sur la plage avec ses amies, certains jours, sans. mĂȘme savoir pourquoi ces jours-lĂ plutĂŽt que tels autres, ce qui faisait qu'on tremblait de ne pas la revoir. La vie vous avait complaisamment rĂ©vĂ©lĂ© tout au long le roman de cette petite fille, vous avait prĂȘtĂ© pour la voir un instrument d'optique, puis un autre, et ajoutĂ© au dĂ©sir charnel un accompagnement, qui le centuple et le diversifie, de ces dĂ©sirs plus spirituels et moins assouvissables qui ne sortent pas de leur torpeur et le laissent aller seul quand il ne prĂ©tend qu'Ă , la saisie d'un morceau de chair, mais qui, pour la possession de toute une rĂ©gion de souvenirs d'oĂč ils se sentaient nostalgiquement exilĂ©s, s'Ă©lĂšvent en tempĂȘte Ă cĂŽtĂ© de lui, le grossissent, ne peuvent le suivre jusqu'Ă l'accomplissement, jusqu'Ă l'assimilation, impossible sous la forme oĂč elle est souhaitĂ©e, d'une rĂ©alitĂ© immatĂ©rielle, mais attendent ce dĂ©sir Ă mi-chemin, et au moment du souvenir, du retour, lui font Ă nouveau escorte; baiser, au lieu des joues de la premiĂšre venue, si fraĂźches soient-elles, mais anonymes, sans secret, sans prestige, celles auxquelles j'avais si longtemps rĂȘvĂ©, serait connaĂźtre le goĂ»t, la saveur, d'une couleur bien souvent regardĂ©e. On a vu une femme, simple image dans le dĂ©cor de la vie, comme Albertine, profilĂ©e sur la mer, et puis cette image on peut la dĂ©tacher, la mettre prĂšs de soi, et voir peu Ă peu son volume, ses couleurs, comme si on l'avait fait passer derriĂšre les verres d'un stĂ©rĂ©oscope. C'est pour cela que les femmes un peu difficiles, qu'on ne possĂšde pas tout de suite, dont on ne sait mĂȘme pas tout de suite qu'on pourra jamais les possĂ©der, sont les seules intĂ©ressantes. Car les connaĂźtre, les approcher, les conquĂ©rir, c'est faire varier de forme, de grandeur, de relief l'image humaine, c'est une leçon de relativisme dans l'apprĂ©ciation, belle Ă rĂ©apercevoir quand elle a repris sa minceur de silhouette dans le dĂ©cor de la vie. Les femmes qu'on connaĂźt d'abord chez l'entremetteuse n'intĂ©ressent pas parce qu'elles restent invariables. D'autre part Albertine tenait, liĂ©es autour d'elle, toutes les impressions d'une sĂ©rie maritime qui m'Ă©tait particuliĂšrement chĂšre. Il me semblait que j'aurais pu, sur les deux joues de la jeune fille, embrasser toute la plage de Balbec. Si vraiment vous permettez que je vous embrasse, j'aimerais mieux remettre cela Ă plus tard et bien choisir mon moment. Seulement il ne faudrait pas que vous oubliiez alors que vous m'avez permis. Il me faut un bon pour un baiser». Faut-il que je le signe ? Mais si je le prenais tout de suite, en aurais-je un tout de mĂȘme plus tard ? Vous m'amusez avec vos bons, je vous en referai 'de temps en temps. Dites-moi, encore un mot vous savez, Ă Balbec, quand je ne vous connaissais pas encore, vous aviez souvent un regard dur, rusĂ©; vous ne pouvez pas me dire'Ă quoi vous'pensiez Ă ces moments-lĂ ? Ah je n'ai aucun souvenir. Tenez, pour vous aider, un jour votre amie GisĂšle a sautĂ© Ă pieds joints par-dessus la chaise oĂč Ă©tait assis un vieux monsieur. TĂąchez de vous rappeler ce que vous avez pensĂ© Ă ce moment-lĂ . GisĂšle Ă©tait celle que nous frĂ©quentions le moins, elle Ă©tait de la bande si vous voulez, mais pas tout Ă fait. J'ai dĂ» penser qu'elle Ă©tait bien mal Ă©levĂ©e et commune. Ah c'est tout ? J'aurais bien voulu, avant de l'embrasser, pouvoir la remplir Ă nouveau du mystĂšre qu'elle avait pour moi sur la plage, avant que je la connusse, retrouver en elle le pays oĂč elle avait vĂ©cu auparavant; Ă sa place du moins, si je ne le connaissais pas, je pouvais insinuer tous les souvenirs de notre vie Ă Balbec, le bruit du flot dĂ©ferlant sous ma fenĂȘtre, les cris des enfants. Mais en laissant mon regard glisser sur le beau globe rose de ses joues, dont les surfaces doucement incurvĂ©es venaient mourir aux pieds des premiers plissements de ses beaux cheveux noirs qui couraient en chaĂźnes mouvementĂ©es, soulevaient leurs contreforts escarpĂ©s et modelaient les ondulations de leurs vallĂ©es, je Ăźflus me dire Enfin, n'y ayant pas rĂ©ussi Ă Balbec, je vais savoir le goĂ»t de la rose inconnue que sont les joues d'Albertine. Et puisque les cercles que nous pouvons faire traverser aux choses et aux ĂȘtres, pendant le cours de notre existence, ne sont pas bien nombreux, peut-ĂȘtre pourrai-je considĂ©rer la mienne comme en quelque maniĂšre accomplie, quand, ayant fait sortir de son cadre lointain le visage fleuri que j'avais choisi entre tous, je l'aurai amenĂ© dans ce plan nouveau, oĂč j'aurai enfin de lui la connaissance par les lĂšvres. » Je me disais cela parce que je croyais qu'il est une connaissance par les lĂšvres; je me disais que j'allais connaĂźtre le goĂ»t de cette rose charnelle, parce que je n'avais pas songĂ© que l'homme, crĂ©ature Ă©videmment moins rudimentaire que l'oursin ou mĂȘme la baleine, manque cependant encore d'un certain nombre d'organes essentiels, et notamment n'en possĂšde aucun qui serve au baiser. A cet organe absent il supplĂ©e par les lĂšvres, et par lĂ arrive-t-il peut-ĂȘtre Ă un rĂ©sultat un peu plus satisfaisant que s'il Ă©tait rĂ©duit Ă caresser la bien-aimĂ©e avec une dĂ©fense de corne. Mais les lĂšvres, faites pour amener au palais la saveur de ce qui les tente, doivent se contenter, sans comprendre leur erreur et sans avouer leur dĂ©ception, de vaguer Ă la surface et de se heurter Ă la clĂŽture de la joue impĂ©nĂ©trable et dĂ©sirĂ©e. D'ailleurs Ă ce moment-lĂ , au contact mĂȘme de la chair, les lĂšvres, mĂȘme dans l'hypothĂšse oĂč elles deviendraient plus expertes et mieux douĂ©es, ne pourraient sans doute pas goĂ»ter davantage la saveur que la nature les empĂȘche actuellement de saisir, car, dans cette zone dĂ©solĂ©e oĂč elles ne peuvent trouver leur nourriture, elles sont seules, le regard, puis l'odorat les ont abandonnĂ©es depuis longtemps. D'abord au fur et Ă mesure que ma bouche commença Ă s'approcher des joues que mes regards lui avaient proposĂ© d'embrasser, ceux-ci se dĂ©plaçant virent des joues nouvelles; le cou, aperçu de plus prĂšs et comme Ă la loupe, montra, dans ses gros grains, une robustesse qui modifia le caractĂšre de la figure. Les derniĂšres applications de la photographie qui couchent aux pieds d'une cathĂ©drale toutes les maisons qui nous parurent si souvent, de prĂšs, presque aussi hautes que les tours, font successivement manoeuvrer comme un rĂ©giment, par files, en ordre dispersĂ©, en masses serrĂ©es, les mĂȘmes monuments, rapprochent l'une contre l'autre les deux colonnes de la Piazzetta tout Ă l'heure si distantes, Ă©loignent la proche Salute et dans un fond pĂąle et dĂ©gradĂ© rĂ©ussissent Ă faire tenir un horizon immense sous l'arche d'un pont, dans l'embrasure d'une fenĂȘtre, entre les feuilles d'un arbre situĂ© au premier plan et d'un ton plus vigoureux, donnent successivement pour cadre Ă une mĂȘme Ă©glise les arcades de toutes les autres je ne vois que cela qui puisse, autant que le baiser, faire surgir de ce que nous croyons une chose Ă aspect dĂ©fini, les cent autres choses qu'elle est tout aussi bien, puisque chacune est relative Ă une perspective non moins lĂ©gitime. Bref, de mĂȘme qu'Ă Balbec, Albertine m'avait souvent paru diffĂ©rente, maintenant comme si, en accĂ©lĂ©rant prodigieusement la rapiditĂ© des changements de perspective et des changements de coloration que nous offre une personne dans nos diverses rencontres avec elle, j'avais voulu les faire tenir toutes en quelques secondes pour recrĂ©er expĂ©rimentalement le phĂ©nomĂšne qui diversifie l'individualitĂ© d'un ĂȘtre et tirer les unes des autres, comme d'un Ă©tui, toutes les possibilitĂ©s qu'il enferme dans ce court trajet de mes lĂšvres vers sa joue, c'est dix Albertines que je vis; cette seule jeune fille Ă©tant comme une dĂ©esse Ă plusieurs tĂȘtes, celle que j'avais vue en dernier, si je tentais de m'approcher d'elle, faisait place une autre. Du moins tant que je ne l'avais pas touchĂ©e, cette tĂȘte, je la voyais, un lĂ©ger parfum venait d'elle jusqu'Ă moi. Mais hĂ©las car pour le baiser, nos narines et nos yeux sont aussi mal placĂ©s que nos lĂšvres mal faites tout d'un coup, mes yeux cessĂšrent de voir, Ă son tour mon nez s'Ă©crasant ne perçut plus aucune odeur, et sans connaĂźtre pour cela davantage le goĂ»t du rose dĂ©sirĂ©, j'appris Ă ces dĂ©testables signes, qu'enfin j'Ă©tais en train d'embrasser la joue d'Albertine. Ătait-ce parce que nous jouions figurĂ©e par la rĂ©volution d'un solide la scĂšne inverse de. celle de Balbec, que j'Ă©tais, moi, couchĂ©, et elle levĂ©e, capable d'esquiver une attaque brutale et de diriger le plaisir Ă sa guise, qu'elle me laissa prendre avec tant de facilitĂ© maintenant ce qu'elle avait refusĂ© jadis avec une mine si sĂ©vĂšre ? Sans doute, de cette mine d'autrefois, l'expression voluptueuse que prenait aujourd'hui son visage Ă l'approche de mes lĂšvres ne diffĂ©rait que par une dĂ©viation de lignes infinitĂ©simales, mais dans lesquelles peut tenir toute la distance 'qu'il y a entre le geste d'un homme qui achĂšve un blessĂ© et d'un qui le secourt, entre un portrait sublime ou affreux. Sans savoir si j'avais Ă faire honneur et savoir grĂ© de son changement d'attitude Ă quelque bienfaiteur involontaire qui, un de ces mois derniers, Ă Paris ou Ă Balbec, avait travaillĂ© pour moi, je pensai que la façon dont nous Ă©tions placĂ©s Ă©tait la principale cause de ce changement. C'en fut pourtant une autre que me fournit Albertine; exactement celle-ci Ah c'est qu'Ă ce moment-lĂ , Ă Balbec, je ne vous connaissais pas, je pouvais croire que vous aviez de mauvaises intentions. » Cette raison me laissa perplexe. Albertine me la donna sans doute sincĂšrement. Une femme a tant de peine Ă reconnaĂźtre dans les mouvements de ses membres, dans les sensations Ă©prouvĂ©es par son corps, au cours d'un tĂȘte-Ă -tĂȘte avec un camarade, la faute inconnue oĂč elle tremblait qu'un Ă©tranger prĂ©mĂ©ditĂąt de la faire tomber. En tout cas, quelles que fussent les modifications survenues depuis quelque temps dans sa vie, et qui eussent peut-ĂȘtre expliquĂ© qu'elle eĂ»t accordĂ© aisĂ©ment Ă mon dĂ©sir momentanĂ© et purement physique ce qu'Ă Balbec elle avait avec horreur refusĂ© Ă mon amour, une bien plus Ă©tonnante se produisit en Albertine, ce soir-lĂ mĂȘme, aussitĂŽt que ses caresses eurent amenĂ© chez moi la satisfaction dont elle dut bien s'apercevoir et dont j'avais mĂȘme craint qu'elle ne lui causĂąt le petit mouvement de rĂ©pulsion et de pudeur offensĂ©e que Gilberte avait eu Ă un moment semblable, derriĂšre le massif de lauriers, aux Champs-ĂlysĂ©es. Ce fut tout le contraire. DĂ©jĂ , au moment oĂč je l'avais couchĂ©e sur mon lit et oĂč j'avais commencĂ© Ă la caresser, Albertine avait pris un air que je ne lui connaissais pas, de bonne volontĂ© docile, de simplicitĂ© presque puĂ©rile. Effaçant d'elle toutes prĂ©occupations, toutes prĂ©tentions habituelles, le moment qui prĂ©cĂšde le plaisir, pareil en cela Ă celui qui suit la mort, avait rendu Ă ses traits rajeunis comme l'innocence du premier Ăąge. Et sans doute tout ĂȘtre dont le talent est soudain mis en jeu devient modeste, appliquĂ© et charmant; surtout si, par ce talent, il sait nous donner un grand plaisir, il en est lui-mĂȘme heureux, veut nous le donner bien complet. Mais dans cette expression nouvelle du visage d'Albertine il y avait plus que du dĂ©sintĂ©ressement et de la conscience, de la gĂ©nĂ©rositĂ© professionnels, une sorte de dĂ©vouement conventionnel et subit; et c'est plus loin qu'Ă sa propre enfance, mais Ă la jeunesse de sa race qu'elle Ă©tait revenue. Bien diffĂ©rente de moi qui n'avais rien souhaitĂ© de plus qu'un apaisement physique, enfin obtenu, Albertine semblait trouver qu'il y eĂ»t eu de sa part quelque grossiĂšretĂ© Ă croire que ce plaisir matĂ©riel allĂąt sans un sentiment moral et terminĂąt quelque chose. Elle, si pressĂ©e tout Ă l'heure, maintenant sans doute et parce qu'elle trouvait que les baisers impliquent l'amour et que l'amour l'emporte sur tout autre devoir, disait, quand je lui rappelais son dĂźner Mais ça ne fait rien du tout, voyons, j'ai tout mon temps. Elle semblait gĂȘnĂ©e de se lever tout de suite aprĂšs ce qu'elle venait de faire, gĂȘnĂ©e par biensĂ©ance, comme Françoise, quand elle avait cru, sans avoir soif, devoir accepter avec une gaietĂ© dĂ©cente le verre de vin que Jupien lui offrait, n'aurait pas osĂ© partir aussitĂŽt la derniĂšre gorgĂ©e bue, quelque devoir impĂ©rieux qui l'eĂ»t appelĂ©e. Albertine et c'Ă©tait peut-ĂȘtre, avec une autre que l'on verra plus tard, une des raisons qui m'avaient Ă mon insu fait la dĂ©sirer Ă©tait une des incarnations de la petite paysanne française dont le modĂšle est en pierre Ă Saint-AndrĂ©-des-Champs. De Françoise, qui devait pourtant bientĂŽt devenir sa mortelle ennemie, je reconnus en elle la courtoisie envers l'hĂŽte et l'Ă©tranger, la dĂ©cence, le respect de la couche. Françoise, qui, aprĂšs la mort de ma tante, ne croyait pouvoir parler que sur un ton apitoyĂ©, dans les mois qui prĂ©cĂ©dĂšrent le mariage de sa fille, eĂ»t trouvĂ© choquant, quand celle-ci se promenait avec son fiancĂ©, qu'elle ne le tĂźnt pas par le bras. Albertine, immobilisĂ©e auprĂšs de moi, me disait Vous avez de jolis cheveux, vous avez de beaux yeux, vous ĂȘtes gentil. Comme, lui ayant fait remarquer qu'il Ă©tait tard, j'ajoutais Vous ne me croyez pas ? », elle me rĂ©pondit, ce qui Ă©tait peut-ĂȘtre vrai, mais seulement depuis deux minutes et pour quelques heures Je vous crois toujours. Elle me parla de moi, de ma famille, de mon milieu social. Elle me dit Oh je sais que vos parents connaissent des gens trĂšs bien. Vous ĂȘtes ami de Robert Forestier et de Suzanne Delage. » A la premiĂšre minute, ces noms ne me dirent absolument rien. Mais tout d'un coup je me rappelai que j'avais en effet jouĂ© aux Champs-ElysĂ©es avec Robert Forestier que je n'avais jamais revu. Quant Ă Suzanne Delage, c'Ă©tait la petite niĂšce de Mme Blandais, et j'avais dĂ» une fois aller Ă une leçon de danse, et mĂȘme tenir un petit rĂŽle dans une comĂ©die de salon, chez ses parents. Mais la peur d'avoir le fou rire, et des saignements de nez m'en avaient empĂȘchĂ©, de sorte que je ne l'avais jamais vue. J'avais tout au plus cru comprendre autrefois que l'institutrice Ă plumet des Swann avait Ă©tĂ© chez ses parents, mais peut-ĂȘtre n'Ă©tait-ce qu'une sĆur de cette institutrice ou une amie. Je protestai Ă Albertine que Robert Forestier et Suzanne Delage tenaient peu de place dans ma vie. C'est possible, vos mĂšres sont liĂ©es, cela permet de vous situer. Je croise souvent Suzanne Delage avenue de Messine, elle a du chic. » Nos mĂšres ne se connaissaient que dans l'imagination de Mme Bontemps qui, ayant su que j'avais jouĂ© jadis avec Robert Forestier auquel, paraĂźt-il, je rĂ©citais des vers, en avait conclu que nous Ă©tions liĂ©s par des relations de famille. Elle ne laissait jamais, m'a-t-on dit, passer le nom de maman sans dire Ah oui, c'est le milieu des Delage, des Forestier, etc. », donnant Ă mes parents un bon point qu'ils ne mĂ©ritaient pas. Du reste les notions sociales d'Albertine Ă©taient d'une sottise extrĂȘme. Elle croyait les Simonnet avec deux n infĂ©rieurs non seulement aux Simonet avec un seul n, mais Ă toutes les autres personnes possibles. Que quelqu'un ait le mĂȘme nom que vous, sans ĂȘtre de votre famille, est une grande raison de le dĂ©daigner. Certes il y a des exceptions. Il peut arriver que deux Simonnet prĂ©sentĂ©s l'un Ă l'autre dans une de ces rĂ©unions oĂč l'on Ă©prouve le besoin de parler de n'importe quoi et oĂč on se sent d'ailleurs plein de dispositions optimistes, par exemple dans le cortĂšge d'un enterrement qui se rend au cimetiĂšre, voyant qu'ils s'appellent de mĂȘme, cherchent avec une bienveillance rĂ©ciproque, et sans rĂ©sultat, s'ils n'ont aucun lien de parentĂ©. Mais ce n'est qu'une exception. Beaucoup d'hommes sont peu honorables, mais nous l'ignorons ou n'en avons cure. Mais si l'homonymie fait qu'on nous remet des lettres Ă eux destinĂ©es, ou vice versa nous commençons par une mĂ©fiance, souvent justifiĂ©e, quant Ă ce qu'ils valent. Nous craignons des confusions, nous les prĂ©venons par une moue de dĂ©goĂ»t si l'on nous parle d'eux. En lisant notre nom portĂ© par eux, dans le journal, ils nous semblent l'avoir usurpĂ©. Les pĂ©chĂ©s des autres membres du corps social nous sont indiffĂ©rents. Nous en chargeons plus lourdement nos homonymes. La haine que nous portons aux autres Simonnet est d'autant plus forte qu'elle n'est pas individuelle, mais se transmet hĂ©rĂ©ditairement. Au bout de deux gĂ©nĂ©rations on se souvient seulement de la moue insultante que les grands-parents avaient Ă l'Ă©gard des autres Simonnet; on ignore la cause; on ne serait pas Ă©tonnĂ© d'apprendre que cela a commencĂ© par un assassinat. Jusqu'au jour frĂ©quent oĂč, entre une Simonnet et un Simonnet qui ne sont pas parents du tout, cela finit par un mariage. Non seulement Albertine me parla de Robert Forestier et de Suzanne Delage, mais spontanĂ©ment, par un devoir de confidence que le rapprochement des corps crĂ©e, au dĂ©but du moins, avant qu'il ait engendrĂ© une duplicitĂ© spĂ©ciale et le secret envers le mĂȘme ĂȘtre, Albertine me raconta sur sa famille et un oncle d'AndrĂ©e une histoire dont elle avait, Ă Balbec, refusĂ© de me dire un seul mot, mais elle ne pensait pas qu'elle dĂ»t paraĂźtre avoir encore des secrets Ă mon Ă©gard. Maintenant sa meilleure amie lui eĂ»t racontĂ© quelque chose contre moi qu'elle se fĂ»t fait un devoir de me le rapporter. J'insistai pour qu'elle rentrĂąt, elle finit par partir, mais si confuse pour moi de ma grossiĂšretĂ©, qu'elle riait presque pour m'excuser, comme une maĂźtresse de maison chez qui on va en veston, qui vous accepte ainsi mais Ă qui cela n'est pas indiffĂ©rent. Vous riez ? lui dis-je. Je ne ris pas, je vous souris, me rĂ©pondit-elle tendrement. Quand est-ce que je vous revois ? ajoutat-elle comme n'admettant pas que ce que nous venions de faire, puisque c'en est d'habitude le couronnement, ne fĂ»t pas au moins le prĂ©lude d'une amitiĂ© grande, d'une amitiĂ© prĂ©existante et que nous nous devions de dĂ©couvrir, de confesser et qui seule pouvait expliquer ce Ă quoi nous nous Ă©tions livrĂ©s. Puisque vous m'y autorisez, quand je pourrai je vous ferai chercher. Je n'osai lui dire que je voulais tout subordonner Ă la possibilitĂ© de voir Mme de Stermaria. HĂ©las ce sera Ă l'improviste, je ne sais jamais d'avance, lui dis-je. Serait-ce possible que je vous fisse chercher le soir quand je serai libre ? Ce sera trĂšs possible bientĂŽt car j'aurai une entrĂ©e indĂ©pendante de celle de ma tante. Mais en ce moment c'est impraticable. En tout cas je viendrai Ă tout hasard demain ou aprĂšs-demain dans l'aprĂšsmidi. Vous ne me recevrez que si vous le pouvez. ArrivĂ©e Ă la porte, Ă©tonnĂ©e que je ne l'eusse pas devancĂ©e, elle me tendit sa joue, trouvant qu'il n'y avait nul besoin d'un grossier dĂ©sir physique pour que maintenant nous nous embrassions. Comme les courtes relations que nous avions eues tout Ă l'heure ensemble Ă©taient de celles auxquelles conduisent parfois une intimitĂ© absolue et un choix du cĆur, Albertine avait cru devoir improviser et ajouter momentanĂ©ment aux baisers que nous avions' Ă©changĂ©s sur mon lit, le sentiment dont ils eussent Ă©tĂ© le signe pour un chevalier et sa dame tels que pouvait les concevoir un jongleur gothique. Quand m'eut quittĂ© la jeune Picarde, qu'aurait pu sculpter Ă son porche l'imagier de Saint-AndrĂ©-desChamps, Françoise m'apporta une lettre qui me remplit de joie, car elle Ă©tait de Mme de Stermaria, laquelle acceptait Ă dĂźner. De Mme de Stermaria, c'est-Ă -dire, pour moi, plus que de la Mme de Stermaria rĂ©elle, de celle Ă qui j'avais pensĂ© toute la journĂ©e avant l'arrivĂ©e d'Albertine. C'est la terrible tromperie de l'amour qu'il commence par nous faire jouer avec une femme non du monde extĂ©rieur, mais avec une poupĂ©e intĂ©rieure Ă notre cerveau, la seule d'ailleurs que nous ayons toujours Ă notre disposition, la seule que nous possĂ©derons, que l'arbitraire du souvenir, presque aussi absolu que celui de l'imagination, peut avoir fait aussi diffĂ©rente de la femme rĂ©elle que du Balbec rĂ©el avait Ă©tĂ© pour moi le Balbec rĂȘvĂ©; crĂ©ation factice Ă laquelle peu Ă peu, pour notre souffrance, nous forcerons la femme rĂ©elle Ă ressembler. Albertine m'avait tant retardĂ© que la comĂ©die venait de finir quand j'arrivai chez Mme de Villeparisis; et peu dĂ©sireux de prendre Ă revers le flot des invitĂ©s qui s'Ă©coulait en commentant la grande nouvelle la sĂ©paration qu'on disait dĂ©jĂ accomplie entre le duc et la duchesse de Guermantes, je m'Ă©tais, en attendant de pouvoir saluer la maĂźtresse de maison, assis sur une bergĂšre vide dans le deuxiĂšme salon, quand du premier, oĂč sans doute elle avait Ă©tĂ© assise tout Ă fait au premier rang de chaises, je vis dĂ©boucher, majestueuse, ample et haute dans une longue robe de satin jaune Ă laquelle Ă©taient attachĂ©s en relief d'Ă©normes pavots noirs, la duchesse. Sa vue ne me causait plus aucun trouble. Un certain jour, m'imposant les mains sur le front comme c'Ă©tait son habitude quand elle avait peur de me faire de la peine, en me disant Ne continue pas tes sorties pour rencontrer Mme de Guermantes, tu es la fable de la maison. D'ailleurs, vois comme ta grand' mĂšre est souffrante. tu as vraiment des choses plus sĂ©rieuses Ă faire que de te poster sur le chemin d'une femme qui se moque de toi », d'un seul coup, comme un hypnotiseur qui vous fait revenir du lointain pays oĂč vous vous imaginiez ĂȘtre, et vous rouvre les yeux, ou comme le mĂ©decin qui, vous rappelant au sentiment du devoir et de la rĂ©alitĂ©, vous guĂ©rit d'un mal imaginaire dans lequel vous vous complaisiez, ma mĂšre m'avait rĂ©veillĂ© d'un trop long songe. La journĂ©e qui avait suivi avait Ă©tĂ© consacrĂ©e Ă dire un dernier adieu Ă ce mal auquel je renonçais; j'avais chantĂ© des heures de suite en pleurant l' Adieu » de Schubert Adieu, des voix Ă©tranges T'appellent loin de moi, cĂ©leste sĆur des Anges. Et puis ç'avait Ă©tĂ© fini. J'avais cessĂ© mes sorties du matin, et si facilement que je tirai alors le pronostic, qu'on verra se trouver faux, plus tard, que je m'habituerais aisĂ©ment, dans le cours de ma vie, Ă ne plus voir une femme Et quand ensuite Françoise m'eut racontĂ© que Jupien, dĂ©sireux de s'agrandir, cherchait une boutique dans le quartier, dĂ©sireux de lui en trouver une tout heureux aussi, en flĂąnant dans la rue que dĂ©jĂ de mon lit j'entendais crier lumineusement comme une plage, de voir, sous le rideau de fer levĂ© des crĂ©meries, les petites laitiĂšres Ă manches blanches, j'avais pu recommencer ces sorties. Fort librement du reste; car j'avais conscience de rie plus les faire dans le but de voir Mme de Guermantes; telle une femme qui prend des prĂ©cautions infinies tant qu'elle a un amant, .du jour qu'elle a rompu avec lui laisse traĂźner ses lettres, au risque de dĂ©couvrir Ă son mari le secret d'une faute dont elle a fini de s'effrayer en mĂȘme temps que de la commettre. Ce qui me faisait de la peine c'Ă©tait d'apprendre que presque toutes les maisons Ă©taient habitĂ©es par des gens malheureux. Ici la femme pleurait sans cesse parce que son mari la trompait. LĂ c'Ă©tait l'inverse. Ailleurs une mĂšre travailleuse, rouĂ©e de coups par un fils ivrogne, tĂąchait de cacher sa souffrance aux yeux des voisins. Toute une moitiĂ© de l'humanitĂ© pleurait. Et quand je la connus, je vis qu'elle Ă©tait si exaspĂ©- 16 Vol. II. rante que je me demandai si ce n'Ă©tait pas le mari ou la femme adultĂšres, qui l'Ă©taient seulement parce que le bonheur lĂ©gitime leur avait Ă©tĂ© refusĂ©, et se montraient charmants et loyaux envers tout autre que leur femme ou leur mari, qui avaient raison. BientĂŽt je n'avais mĂȘme plus eu la raison d'ĂȘtre utile Ă Jupien pour continuer mes pĂ©rĂ©grinations matinales. Car on apprit que l'Ă©bĂ©niste de notre cour, dont les ateliers n'Ă©taient sĂ©parĂ©s de la boutique de Jupien que par une cloison fort mince, allait recevoir congĂ© du gĂ©rant parce qu'il frappait des coups trop bruyants. Jupien ne pouvait espĂ©rer mieux, les ateliers avaient un soussol oĂč mettre les boiseries, et qui communiquait avec nos caves. Jupien y mettrait son charbon, ferait abattre la cloison et aurait une seule et vaste boutique. Mais mĂȘme sans l'amusement de chercher pour lui, j'avais continuĂ© Ă sortir avant dĂ©jeuner. MĂȘme comme Jupien, trouvant le prix que M. de Guermantes faisait trĂšs Ă©levĂ©, laissait visiter pour que, dĂ©couragĂ© de ne pas trouver de locataire, le duc se rĂ©signĂąt Ă lui faire une diminution, Françoise, ayant remarquĂ© que, mĂȘme aprĂšs l'heure oĂč on ne visitait pas, le concierge laissait contre » la porte de la boutique Ă louer, flaira un piĂšge dressĂ© par le concierge pour attirer la fiancĂ©e du valet de pied des Guermantes ils y trouveraient une retraite d'amour, et ensuite les surprendre. Quoi qu'il en fĂ»t, bien que n'ayant plus Ă chercher une boutique pour Jupien, je continuai Ă sortir avant le dĂ©jeuner. Souvent, dans ces sorties, je rencontrais M. de Norpois. Il arrivait que, causant avec un collĂšgue, il jetait sur moi des regards qui, aprĂšs m'avoir entiĂšrement examinĂ©, se dĂ©tournaient vers son interlocuteur sans m'avoir plus souri ni saluĂ© que s'il ne m'avait pas connu du tout. Car chez ces importants diplomates, regarder d'une certaine maniĂšre n'a pas pour but de vous faire savoir qu'ils vous ont vu, mais qu'ils ne vous ont pas vu et qu'ils ont Ă parler avec leur collĂšgue de quelque question sĂ©rieuse. Une grande femme que je croisais souvent prĂšs de la maison Ă©tait moins discrĂšte avec moi. Car bien que je ne la connusse pas, elle se retournait vers moi, m'attendait inutilement devant les vitrines des marchands, me souriait, comme si elle allait m'embrasser, faisait le geste de s'abandonner. Elle reprenait un air glacial Ă mon Ă©gard si elle rencontrait quelqu'un qu'elle connĂ»t. Depuis longtemps dĂ©jĂ dans ces courses du matin, selon ce que j'avais Ă faire, fĂ»t-ce acheter le plus insignifiant journal, je choisissais le chemin le plus direct, sans regret s'il Ă©tait en dehors du parcours habituel que suivaient les promenades de la duchesse et, s'il en faisait au contraire partie, sans scrupules et sans dissimulation parce qu'il ne me paraissait plus .le chemin dĂ©fendu oĂč j'arrachais Ă une ingrate la faveur de la voir malgrĂ© elle. Mais je n'avais pas songĂ© que ma guĂ©rison, en me donnant Ă l'Ă©gard de Mme de Guermantes une attitude normale, accomplirait parallĂšlement la mĂȘme oeuvre en ce qui la concernait et rendrait possible une amabilitĂ©, une amitiĂ© qui ne m'importaient plus. Jusque-lĂ les efforts du monde entier liguĂ©s pour me rapprocher d'elle eussent expirĂ© devant le mauvais sort que jette un amour malheureux. Des fĂ©es plus puissantes que les hommes ont dĂ©crĂ©tĂ© que, dans ces cas-lĂ , rien ne pourra servir jusqu'au jour oĂč nous aurons dit sincĂšrement dans notre cĆur la parole Je n'aime plus. » J'en avais voulu Ă Saint-Loup de ne m'avoir pas menĂ© chez sa tante. Mais pas plus que n'importe qui, il n'Ă©tait capable de briser un enchantement. Tandis que j'aimais Mme de Guermantes, les marques de gentillesse que je recevais des autres, les compliments, me faisaient de la peine, non seulement parce que cela ne venait pas d'elle, mais parce qu'elle ne les apprenait pas. Or, les eĂ»t-elle sus que cela n'eĂ»t Ă©tĂ© d'aucune utilitĂ©. MĂȘme dans les dĂ©tails d'une affection, une absence, le refus d'un dĂźner, une rigueur involontaire, inconsciente, servent plus que tous les cosmĂ©tiques et les plus beaux habits. Il y aurait des parvenus, si on enseignait dans ce sĂšns l'art de parvenir. Au moment oĂč elle traversait le salon oĂč j'Ă©tais assis, la pensĂ©e pleine du souvenir des amis que je ne connaissais pas et qu'elle allait peut-ĂȘtre retrouver tout Ă l'heure dans une autre soirĂ©e, Mme de Guermantes m'aperçut sur ma bergĂšre, vĂ©ritable indiffĂ©rent qui ne cherchais qu'Ă ĂȘtre aimable, alors que, tandis que j'aimais, j'avais tant essayĂ© de prendre, sans y rĂ©ussir, l'air d'indiffĂ©rence; elle obliqua, vint Ă moi et retrouvant le sourire du soir de l'OpĂ©ra-Comique et que le sentiment pĂ©nible d'ĂȘtre aimĂ©e par quelqu'un qu'elle n'aimait pas n'effaçait plus Non, ne vous dĂ©rangez pas, vous permettez que je m'asseye un instant Ă cĂŽtĂ© de vous ? me dit-elle en relevant gracieusement son immense jupe qui sans cela eĂ»t occupĂ© la bergĂšre dans son entier. Plus grande que moi et accrue encore de tout le volume de sa robe, j'Ă©tais presque effleurĂ© par son admirable bras nu autour duquel un duvet imperceptible et innombrable faisait fumer perpĂ©tuellement comme une vapeur dorĂ©e, et par la torsade blonde de ses cheveux qui m'envoyaient leur odeur. N'ayant guĂšre de place, elle ne pouvait se tourner facilement vers moi et, obligĂ©e de regarder plutĂŽt devant elle que de mon cĂŽtĂ©, prenait une expression rĂȘveuse et douce, comme dans un portrait. Avez-vous des nouvelles de Robert? me dit-elle. Mme de Villeparisis passa Ă ce moment-lĂ . Eh bien vous arrivez Ă une jolie heure, monsieur, pour une fois qu'on vous voit. Et remarquant que je parlais avec sa niĂšce, supposant peut-ĂȘtre que nous Ă©tions plus liĂ©s qu'elle ne savait Mais je ne veux pas dĂ©ranger votre conversation avec Oriane, ajouta-t-elle car les bons offices de l'en- tremetteuse font partie des devoirs d'une maĂźtresse de maison. Vous ne voulez pas venir dĂźner mercredi avec elle ? C'Ă©tait Je jour oĂč je devais dĂźner avec Mme de Stermaria, je refusai. Et samedi ? Ma mĂšre revenant le samedi ou le dimanche, c'eĂ»t Ă©tĂ© peu gentil de ne pas rester tous les soirs Ă dĂźner avec elle; je refusai donc encore. Ah vous n'ĂȘtes pas un homme facile Ă avoir chez soi. Pourquoi ne venez-vous jamais me voir ? me dit Mme de Guermantes quand Mme de Villeparisis se fut Ă©loignĂ©e pour fĂ©liciter les artistes et remettre Ă la diva un bouquet de roses dont la main qui l'offrait faisait seule tout le prix, car il n'avait coĂ»tĂ© que vingt francs. C'Ă©tait du reste son prix maximum quand on n'avait chantĂ© qu'une fois. Celles qui prĂȘtaient leur concours Ă toutes les matinĂ©es et soirĂ©es recevaient des roses peintes par la marquise. C'est ennuyeux de ne jamais se voir que chez les autres. Puisque vous ne voulez pas dĂźner avec moi chez ma tante, pourquoi ne viendriez-vous pas dĂźner chez moi ? Certaines personnes, Ă©tant restĂ©es le plus longtemps possible, sous des prĂ©textes quelconques, mais qui sortaient enfin, voyant la duchesse assise pour causer avec un jeune homme, sur un meuble si Ă©troit qu'on n'y pouvait tenir que deux, pensĂšrent qu'on les avait mal renseignĂ©es, que c'Ă©tait la duchesse, non le duc, qui demandait la sĂ©paration, Ă cause de moi. Puis elles se hĂątĂšrent de rĂ©pandre cette nouvelle. J'Ă©tais plus Ă mĂȘme que personne d'en connaĂźtre la faussetĂ©. Mais j'Ă©tais surpris que, dans ces pĂ©riodes difficiles oĂč s'effectue une sĂ©paration non encore consommĂ©e, la duchesse, au lieu de s'isoler, invitĂąt justement quelqu'un qu'elle connaissait aussi peu. J'eus le soupçon Ìque le duc avait Ă©tĂ© seul Ă ne pas vouloir qu'elle me reçût et que, maintenant qu'il la quittait, elle ne voyait plus d'obstacles Ă s'entourer des gens qui lui plaisaient. Deux minutes auparavant j'eusse Ă©tĂ© stupĂ©fait si on m'avait dit que Mme de Guermantes allait me demander d'aller la voir, encore plus de venir dĂźner. J'avais beau savoir que le salon Guermantes ne pouvait pas prĂ©senter les particularitĂ©s que j'avais extraites de ce nom, le fait qu'il m'avait Ă©tĂ© interdit d'y pĂ©nĂ©trer, en m'obligeant Ă lui donner le mĂȘme genre d'existence qu'aux salons dont nous avons lu la description dans un roman, ou vu l'image dans un rĂȘve, me le faisait, mĂȘme quand j'Ă©tais certain qu'il Ă©tait pareil Ă tous les autres, imaginer tout diffĂ©rent; entre moi et lui il y avait la barriĂšre oĂč finit le rĂ©el. DĂźner chez les Guermantes, c'Ă©tait comme entreprendre un voyage longtemps dĂ©sirĂ©, faire passer un dĂ©sir de ma tĂȘte devant mes yeux et lier connaissance avec un songe. Du moins eussĂ©-je pu croire qu'il s'agissait d'un de ces dĂźners auxquels les maĂźtres de maison invitent quelqu'un en disant Venez, il n'y aura absolument que nous », feignant d'attribuer au paria la crainte qu'ils Ă©prouvent de le voir mĂȘlĂ© Ă leurs autres amis, et cherchant mĂȘme Ă transformer en un enviable privilĂšge rĂ©servĂ© aux seuls intimes la quarantaine de l'exclu, malgrĂ© lui sauvage et favorisĂ©. Je sentis, au contraire, que Mme de Guermantes avait le dĂ©sir de me faire goĂ»ter Ă ce qu'elle avait de plus agrĂ©able quand elle me dit, mettant d'ailleurs devant mes yeux comme la beautĂ© violĂątre d'une arrivĂ©e chez la tante de Fabrice et le miracle d'une prĂ©sentation au comte Mosca Vendredi vous ne seriez pas libre, en petit comitĂ© ? Ce serait gentil. Il y aura la princesse de Parme qui est charmante; d'abord je ne vous inviterais pas si ce n'Ă©tait pas pour rencontrer des gens agrĂ©ables. DĂ©sertĂ©e dans les milieux mondains intermĂ©diaires qui sont livrĂ©s Ă un mouvement perpĂ©tuel d'ascension, la famille joue au contraire un rĂŽle important dans les milieux immobiles comme la petite bourgeoisie et comme l'aristocratie princiĂšre, qui ne peut chercher Ă s'Ă©lever puisque, au-dessus d'elle, Ă son point de vue spĂ©cial, il n'y a rien. L'amitiĂ© que me tĂ©moignaient la tante Villeparisis » et Robert avait peut-ĂȘtre fait de moi pour Mme de Guermantes et ses amis, vivant toujours sur eux-mĂȘmes et dans une mĂȘme coterie, l'objet d'une attention curieuse que je ne soupçonnais pas. Elle ces parents-lĂ une connaissance familiale, quotidienne, vulgaire, fort diffĂ©rente de ce que nous imaginons, et dans laquelle, si nous nous y trouvons compris, loin que nos actions en soient expulsĂ©es comme le grain de poussiĂšre de l'oeil ou la goutte d'eau de la trachĂ©e-artĂšre, elles peuvent rester gravĂ©es, ĂȘtre commentĂ©es, racontĂ©es encore des annĂ©es aprĂšs que nous les avons oubliĂ©es nous-mĂȘmes, dans le palais oĂč nous sommes Ă©tonnĂ©s 'de les retrouver comme une lettre de nous dans une prĂ©cieuse collection d'autographes. De simples gens Ă©lĂ©gants peuvent dĂ©fendre leur porte trop envahie. Mais celle des Guermantes ne l'Ă©tait pas. Un Ă©tranger n'avait presque jamais l'occasion de passer devant elle. Pour une fois que la duchesse s'en voyait dĂ©signer un, elle ne songeait pas Ă se prĂ©occuper de la valeur mondaine qu'il apporterait, puisque c'Ă©tait chose qu'elle confĂ©rait et ne pouvait recevoir. Elle ne pensait qu'Ă ses qualitĂ©s rĂ©elles, Mme de Villeparisis et Saint-Loup lui avaient dit que j'en possĂ©dais. Et sans doute ne les eĂ»t-elle pas crus, si elle n'avait remarquĂ© qu'ils ne pouvaient jamais arriver Ă me faire venir quand ils le voulaient, donc que je ne tenais pas au monde, ce qui semblait Ă la duchesse le signe qu'un Ă©tranger faisait partie des gens agrĂ©ables ». Il fallait voir, parlant de femmes qu'elle n'aimait guĂšre, comme elle changeait de visage aussitĂŽt si on nommait, Ă propos de l'une, par exemple sa belle-soeur. Oh elle est charmante », disait-elle d'un air de finesse et de certitude. La seule raison qu'elle en donnĂąt Ă©tait que cette dame avait refusĂ© d'ĂȘtre prĂ©sentĂ©e Ă la marquise de Chaussegros et Ă la princesse de Silistrie. Elle n'ajoutait pas que cette dame avait refusĂ© de lui ĂȘtre prĂ©sentĂ©e Ă elle-mĂȘme, duchesse de Guermantes. Cela avait eu lieu pourtant, et depuis ce jour, l'esprit de la duchesse travaillait sur ce qui pouvait bien se passer chez la dame si difficile connaĂźtre. Elle mourait d'envie d'ĂȘtre reçue chez elle. Les gens du monde ont tellement l'habitude qu'on les recherche que qui les fuit leur semble un phĂ©nix et accapare leur attention. Le motif vĂ©ritable de m'inviter Ă©tait-il, dans l'esprit de Mme de Guermantes depuis que je ne l'aimais plus, que je ne recherchais pas ses parents quoique Ă©tant recherchĂ© d'eux ? Je ne sais. En tout cas, s'Ă©tant dĂ©cidĂ©e Ă m'inviter, elle voulait me faire les honneurs de ce qu'elle avait de meilleur chez elle, <Ă t Ă©loigner ceux de ses amis qui auraient pu m'empĂȘcher de revenir, ceux qu'elle savait ennuyeux. Je n'avais pas su Ă quoi attribuer le changement de route de la duchesse quand je l'avais vue dĂ©vier de sa marche stellaire, venir s'asseoir Ă cĂŽtĂ© de moi et m'inviter Ă dĂźner, effet de causes ignorĂ©es, faute de sens spĂ©cial qui nous renseigne Ă cet Ă©gard. Nous nous figurons les gens que nous connaissons Ă peine comme moi la duchesse comme ne pensant Ă nous que dans les rares moments oĂč ils nous voient. Or, cet oubli idĂ©al oĂč nous nous figurons qu'ils nous tiennent est absolument arbitraire. De sorte que, pendant que dans le silence de la solitude pareil Ă celui d'une belle nuit nous nous imaginons les diffĂ©rentes reines de la sociĂ©tĂ© poursuivant leur route dans le ciel Ă une distance infinie, nous ne pouvons nous dĂ©fendre d'un sursaut de malaise ou de plaisir s'il nous tombe de lĂ -haut, comme un aĂ©rolithe portant gravĂ© notre nom, que nous croyions inconnu dans VĂ©nus ou CassiopĂ©e, une invitation Ă dĂźner ou un mĂ©chant potin. Peut-ĂȘtre parfois, quand, Ă l'imitation des princes persans qui, au dire du Livre d'Esther, se faisaient lire les registres oĂč Ă©taient inscrits les noms de ceux de leurs sujets qui leur avaient tĂ©moignĂ© du zĂšle, Mme de Guermantes consultait la liste des gens bien intentionnĂ©s, elle s'Ă©tait dit de moi Un Ă qui nous demanderons de venir dĂźner. » Mais d'autres pensĂ©es l'avaient distraite De soins tumultueux un prince environnĂ© Vers de nouveaux objets est sans cesse entraĂźnĂ© jusqu'au moment oĂč elle m'avait aperçu seul comme MardochĂ©e Ă la porte du palais; et ma vue ayant rafraĂźchi sa mĂ©moire elle voulait, tel AssuĂ©rus, me combler de ses dons. Cependant je dois dire qu'une surprise d'un genre opposĂ© allait suivre celle que j'avais eue au moment oĂč Mme de Guermantes m'avait invitĂ©. Cette premiĂšre surprise, comme j'avais trouvĂ© plus modeste de ma part et plus reconnaissant de ne pas la dissimuler et d'exprimer au contraire avec exagĂ©ration ce qu'elle avait de joyeux, Mme de Guermantes, qui se disposait Ă partir pour une derniĂšre soirĂ©e, venait de me dire, presque comme une justification, et par peur que je ne susse pas bien qui elle Ă©tait, pour avoir l'air si Ă©tonnĂ© d'ĂȘtre invitĂ© chez elle Vous savez que je suis la tante de. Robert de Saint-Loup qui vous aime beaucoup, et du reste nous nous sommes dĂ©jĂ vus ici. » En rĂ©pondant que je le savais, j'ajoutai que je connaissais aussi M. de Charlus, lequel avait Ă©tĂ© trĂšs bon pour moi Ă Balbec et Ă Paris ». Mme de Guermantes parut Ă©tonnĂ©e et ses regards semblĂšrent se reporter, comme pour une vĂ©rification, Ă une page dĂ©jĂ plus ancienne du livre intĂ©rieur. Comment vous connaissez PalamĂšde ? Ce prĂ©nom prenait dans la bouche de Mme de Guermantes une grande douceur Ă cause de la simplicitĂ© involontaire avec laquelle elle parlait d'un homme si brillant, mais qui n'Ă©tait pour elle que son beau-frĂšre et, le cousin avec lequel elle avait Ă©tĂ© Ă©levĂ©e. Et dans le gris confus qu'Ă©tait pour moi la vie de la duchesse de Guermantes, ce nom de PalamĂšde mettait comme la clartĂ© des longues journĂ©es d'Ă©tĂ© oĂč elle avait jouĂ© avec lui, jeune fille, Ă Guermantes, au jardin. De plus, dans cette partie depuis longtemps Ă©coulĂ©e de leur vie, Oriane de Guermantes et son cousin PalamĂšde avaient Ă©tĂ© fort diffĂ©rents de ce qu'ils Ă©taient devenus depuis; M. de Charlus notamment, tout entier livrĂ© Ă des goĂ»ts d'art qu'il avait si bien refrĂ©nĂ©s par la suite que je fus stupĂ©fait d'apprendre, que c'Ă©tait par lui qu'avait Ă©tĂ© peint l'immense Ă©ventail d'iris jaunes et noirs que dĂ©ployait en ce moment la duchesse. Elle eĂ»t pu aussi me montrer une petite sonatine qu'il avait autrefois composĂ©e pour elle. J'ignorais absolument que le baron eĂ»t tous ces talents dont il ne parlait jamais. Disons en passant que M. de Charlus n'Ă©tait pas enchantĂ© que dans sa famille on l'appelĂąt PalamĂšde. Pour MĂ©mĂ©, on eĂ»t pu comprendre encore que' cela ne lui plĂ»t pas. Ces stupides abrĂ©viations sont un signe de l'incomprĂ©hension que l'aristocratie a de sa propre poĂ©sie le judaĂŻsme a d'ailleurs la mĂȘme puisqu'un neveu de Lady Rufus IsraĂ«l, qui s'appelait MoĂŻse, Ă©tait couramment appelĂ© dans le monde Momo » en mĂȘme temps que de sa prĂ©occupation de ne pas avoir l'air d'attacher d'importance Ă ce qui est aristocratique. Or, M. de Charlus avait sur ce point plus d'imagination poĂ©tique et plus d'orgueil exhibĂ©. Mais la raison qui lui faisait peu goĂ»ter MĂ©mĂ© n'Ă©tait pas celle-lĂ puisqu'elle s'Ă©tendait ausssi au beau prĂ©- nom de PalamĂšde. La vĂ©ritĂ© est que se jugeant, se sachant d'une famille princiĂšre, il aurait voulu que son frĂšre et sa belle-sĆur disent de lui Charlus », comme la reine Marie-AmĂ©lie ou le duc d'OrlĂ©ans pouvaient dire de leurs fils, petits-fils, neveux et frĂšres Joinville, Nemours, Chartres, Paris ». Quel cachottier que ce MĂ©mĂ©, s'Ă©cria-t-elle. Nous lui avons parlĂ© longuement de vous, il nous a dit qu'il serait trĂšs heureux de faire votre connaissance, absolument comme s'il ne vous avait jamais vu. Avouez qu'il est drĂŽle et, ce qui n'est pas trĂšs gentil de ma part Ă dire d'un beau-frĂšre que j'adore et dont j'admire la rare valeur, par moments un peu fou. Je fus trĂšs frappĂ© de ce mot appliquĂ© Ă M. de Charlus et je me dis que cette demi-folie expliquait peut-ĂȘtre certaines choses, par exemple qu'il eĂ»t paru si enchantĂ© du projet de demander Ă Bloch de battre sa propre mĂšre. Je m'avisai que non seulement par les choses qu'il disait, mais par la maniĂšre dont il les disait, M. de Charlus Ă©tait un peu fou. La premiĂšre fois qu'on entend un avocat ou un acteur, on est surpris de leur ton tellement diffĂ©rent de la conversation. Mais comme on se rend compte que tout le monde trouve cela tout naturel, on ne dit rien aux autres, on ne se dit rien Ă soi-mĂȘme, on se contente d'apprĂ©cier le degrĂ© de talent. Tout au plus pense-t-on d'un acteur du ThéùtreFrançais Pourquoi au lieu de laisser retomber son bras levĂ© l'a-t-il fait descendre par petites saccades coupĂ©es de repos, pendant au moins dix minutes ? » ou d'un Labori Pourquoi, dĂšs qu'il a ouvert la bouche, a-t-il Ă©mis ces sons tragiques, inattendus, pour dire la chose la plus simple ? » Mais comme tout le monde admet cela a priori, on n'est pas choquĂ©. De mĂȘme, en y rĂ©flĂ©chissant, on se disait que M. de Charlus parlait de soi avec emphase, sur un ton qui n'Ă©tait nullement celui du dĂ©bit ordinaire. Il semblait qu'on eĂ»t dĂ» Ă toute minute lui dire Mais pourquoi criez-vous si fort ? pourquoi ĂȘtes-vous si insolent ? » Seulement tout le monde semblait bien avoir admis tacitement que c'Ă©tait bien ainsi. Et on entrait dans la ronde qui lui faisait fĂȘte pendant qu'il pĂ©rorait. Mais certainement Ă de certains moments un Ă©tranger eĂ»t cru entendre crier un dĂ©ment. Mais vous ĂȘtes sĂ»r que vous ne confondez pas, que vous parlez bien de mon beau-frĂšre Pa^mĂšde ? ajouta la duchesse avec une lĂ©gĂšre impertinence qui se greffait chez elle sur lĂ simplicitĂ©. Je rĂ©pondis que j'Ă©tais absolument sĂ»r et qu'il fallait que M. de Charlus eĂ»t mal entendu mon nom. Eh bien je vous quitte, me dit comme Ă regret Mme de Guermantes. Il faut que j'aille une seconde chez la princesse de Ligne. Vous n'y allez pas ? Non, vous n'aimez pas le monde ? Vous avez bien raison, c'est assommant. Si je n'Ă©tait pas obligĂ©e Mais c'est ma cousine, ce ne serait pas gentil. Je regrette Ă©goĂŻstement, pour moi, parce que j'aurais pu vous conduire, mĂȘme vous ramener. Alors je vous dis au revoir et je .me rĂ©jouis pour mercredi. Que M. de Charlus eĂ»t rougi de moi devant M. d'Argencourt, passe encore. Mais qu'Ă sa propre belle-sĆur, et qui avait une si haute idĂ©e de lui, il niĂąt me connaĂźtre, fait si naturel puisque je connaissais Ă la fois sa tante et son neveu, c'est ce que je ne pouvais comprendre. Je terminerai ceci en disant qu'Ă un certain point de vue il y avait chez Mme de Guermantes une vĂ©ritable grandeur qui consistait Ă effacer entiĂšrement tout ce que d'autres n'eussent qu'incomplĂštement oubliĂ©. Elle ne m'eĂ»t jamais rencontrĂ© la harcelant, la suivant, la pistant, dans ses promenades matinales, elle n'eĂ»t jamais rĂ©pondu Ă mon salut quotidien avec une impatience excĂ©dĂ©e, elle n'eĂ»t jamais envoyĂ© promener Saint-Loup quand il l'avait suppliĂ©e de m'inviter, qu'elle n'aurait pas pu avoir avec moi des façons plus noblement et naturellement aimables. Non seulement elle ne s'attardait pas Ă des explications rĂ©trospectives, Ă des demi-mots, Ă des sourires ambigus, Ă des sousentendus, non seulement elle avait dans son affabilitĂ© actuelle, sans retours en arriĂšre, sans rĂ©ticences, quelque chose d'aussi fiĂšrement rectiligne que sa majestueuse stature, mais les griefs qu'elle avait pu ressentir contre quelqu'un dans le passĂ© Ă©taient si entiĂšrement rĂ©duits en cendres, ces cendres Ă©taient elles-mĂȘmes rejetĂ©es si loin de sa mĂ©moire ou tout au moins de sa maniĂšre d'ĂȘtre, qu'Ă regarder son visage chaque fois qu'elle avait Ă traiter par la plus belle des simplifications ce qui chez tant d'autres eĂ»t Ă©tĂ© prĂ©texte Ă des restes de froideur, Ă des rĂ©criminations, on avait l'impression d'une sorte de purification. Mais si j'Ă©tais surpris de la modification qui s'Ă©tait opĂ©rĂ©e en elle Ă mon Ă©gard, combien je l'Ă©tais plus d'en trouver en moi une tellement plus grande au sien. N'y avait-il pas eu un moment oĂč je ne reprenais vie et force que si j'avais, Ă©chafaudant toujours de nouveaux projets, cherchĂ© quelqu'un qui me ferait recevoir par elle et, aprĂšs ce premier bonheur, en procurerait bien d'autres Ă mon cĆur de plus en plus exigeant ? C'Ă©tait l'impossibilitĂ© de rien trouver qui m'avait fait partir Ă DonciĂšres voir Robert de Saint-Loup. Et maintenant, c'Ă©tait bien par les consĂ©quences dĂ©rivant d'une lettre de lui que j'Ă©tais agitĂ©, mais Ă cause de Mme de Stermaria et non de Mme de Guermantes. Ajoutons, pour en finir avec cette soirĂ©e, qu'il s'y passa un fait, dĂ©menti quelques jours aprĂšs, qui ne laissa pas de m'Ă©tonner, me brouilla pour quelque temps avec Bloch, et qui constitue en soi une de ces curieuses contradictions dont on va trouver l'explication Ă la fin de ce volume 1 Sodome I. Donc, chez 1 Dans l'Ă©dition originale Sodome et Gomorrhe I se trouvait compris dans le mĂȘme volume que cette 2° partie du CĂŽtĂ© de Guermantes, ce qui explique la phrase et la parenthĂšse. Mais, dans cette Ă©dition in-octavo, le titre de Sodome est reportĂ© au volume suivant. Mme de Villeparisis, Bloch ne cessa de me vanter l'air d'amabilitĂ© de M. de Charlus, lequel Charlus, quand il le rencontrait dans la rue, le regardait dans les yeux comme s'il le connaissait, avait envie de le connaĂźtre, savait trĂšs bien qui il Ă©tait. J'en souris d'abord, Bloch s'Ă©tant exprimĂ© avec tant de violence Ă Balbec sur le compte du mĂȘme M. de Charlus. Et je pensai simplement que Bloch, Ă l'instar de son pĂšre pour Bergotte, connaissait le baron sans le connaĂźtre ». Et que ce qu'il prenait pour un regard aimable Ă©tait un regard distrait. Mais enfin Bloch vint Ă tant de prĂ©cisions, et sembla si certain qu'Ă deux ou trois reprises M. de Charlus avait voulu l'aborder, que, me rappelant que j'avais parlĂ© de mon camarade au baron, lequel m'avait justement, en revenant d'une visite chez Mme de Villeparisis, posĂ© sur lui diverses questions, je fis la supposition que Bloch ne mentait pas, que M. de Charlus avait appris son nom, qu'il Ă©tait mon ami, etc. Aussi quelque temps aprĂšs, au théùtre, je demandai Ă M. de Charlus de lui prĂ©senter Bloch, et sur son acquiescement allai le chercher. Mais dĂšs que M. de Charlus l'aperçut, un Ă©tonnement aussitĂŽt rĂ©primĂ© se peignit sur sa figure oĂč il fut remplacĂ© par une Ă©tincelante fureur. Non seulement il ne tendit pas la main Ă Bloch, mais chaque fois que celui-ci lui adressa la parole il lui rĂ©pondit de l'air le plus insolent, d'une voix irritĂ©e et blessante. De sorte que Bloch, qui, Ă ce qu'il disait, n'avait eu jusque-lĂ du baron que des sourires, crut que je l'avais non pas recommandĂ© mais desservi, pendant le court entretien oĂč, sachant le goĂ»t de M. de Charlus pour les protocoles, je lui avais parlĂ© de mon camarade avant de l'amener Ă lui. Bloch nous quitta, Ă©reintĂ© comme qui a voulu monter un cheval tout le temps prĂȘt Ă prendre le mors aux dents, ou nager contre des vagues qui vous rejettent sans cesse sur le galet, et ne me reparla pas de six mois. ACHEVĂ D'IMPRIMER LE 15 AOĂT 1946 SUR LES PRESSES D'ALBERT KUNDIG A GENĂVE Commentsortir de la friendzone : rapprochez-vous dâautres personnes. Une autre technique pour dĂ©clencher des sentiments amoureux chez cette personne qui vous plait, revient Ă vous rapprocher dâautres personnes en sa prĂ©sence. Peut-ĂȘtre quâil ou elle ne se rend pas compte des sentiments quâil ressent pour vous. Les sentiments nous rendent vulnĂ©rables, câest-Ă -dire quâĂ travers les attentes que nous avons de la rĂ©alitĂ©, nous pouvons aussi gĂ©nĂ©rer une grande douleur pour nous-mĂȘmes. Par consĂ©quent, il vaut mieux avoir les pieds sur terre et ne pas donner plus dâimportance Ă certains actes quâils nâen ont rĂ©ellement. Cependant, personne ne peut ĂȘtre protĂ©gĂ© Ă cent pour cent de la douleur de lâamour ou de lâamitiĂ© lorsquâil Ă©prouve de la dĂ©ception, de la trahison ou le sentiment que quelquâun a jouĂ© avec ses sentiments. Continuez Ă lire cet article de Psychology-Online si vous voulez savoir quoi faire quand ils jouent avec vos sentiments pour que vous ne souffriez pas plus que vous nâen avez besoin. Comment les empĂȘcher de jouer avec vous Bien que nous puissions apprendre Ă identifier les personnes qui jouent avec les sentiments des autres, la premiĂšre Ă©tape est de se sentir bien dans sa peau. Il est important de garder Ă lâesprit que ce nâest pas vous qui avez créé de fausses attentes pour une autre personne. Quand ils dĂ©cident de jouer avec nos sentiments, il est possible quâau fond, ils ne veuillent pas nous blesser. Parfois, derriĂšre ces comportements se cache une attirance rĂ©elle entre deux personnes, une seule dâentre elles nâest pas prĂȘte Ă aller plus loin, peut-ĂȘtre, parce que derriĂšre lâattirance il nây a rien de plus profond. Lâanalyse de la situation sera primordiale dans ce type de cas, peut-ĂȘtre que nous pensons quâun homme ou une femme joue avec nous, cependant, la rĂ©alitĂ© peut ĂȘtre beaucoup plus complexe. Il y a des gens qui ont un partenaire et qui sont attirĂ©s par quelquâun de diffĂ©rent, cela peut crĂ©er beaucoup de confusion interne et nous pouvons interprĂ©ter leur comportement comme aimant vraiment jouer avec les sentiments. En bref, si vous voulez les empĂȘcher de jouer avec vous, vous pouvez suivre ces Ă©tapes Se sentir bien dans sa peau Analyse objectivement la situation DĂ©velopper vos forces personnelles Parlez Ă la personne que vous pensez jouer avec vous. Comment agir quand quelquâun joue avec vos sentiments ? AprĂšs avoir constatĂ© quâeffectivement, une personne joue avec nous, nous devrons sortir de cette situation pour Ă©viter quâelle nâaffecte notre estime de soi et notre bien-ĂȘtre psychologique. Pour ce faire, nous devrons savoir quoi faire quand ils joueront avec vos sentiments 1. RĂ©duit la relation Quand quelquâun joue avec vos sentiments et vous blesse, coupez la relation avec cette personne dâune maniĂšre radicale. En dâautres termes, cessez de lâappeler, de lui Ă©crire ou de lui trouver des excuses pour le voir ; et sâil vous appelle ou vous cherche, ne rĂ©pondez pas et soyez indiffĂ©rents. Poursuivez votre vie et concentrez-vous uniquement sur vous-mĂȘme. Si quelquâun est vraiment intĂ©ressĂ©, tĂŽt ou tard, il donnera des signes de vie. Au contraire, sâil ne le fait jamais, il se dĂ©finira lui-mĂȘme. Les sentiments sont un sujet trĂšs sĂ©rieux, alors protĂ©gez-vous de la douleur et ne les laissez pas jouer avec vos sentiments les plus rĂ©els et sincĂšres. 2. Agir avec indiffĂ©rence Un autre conseil que vous devriez mettre en pratique pour les personnes qui jouent avec vos sentiments est dâagir avec une totale indiffĂ©rence envers cette personne dĂšs que vous prenez conscience du mal quâelle vous a fait. Votre temps est trĂšs prĂ©cieux et vous devez le partager avec ceux qui vous apprĂ©cient, vous montrent leur affection et veulent vraiment que vous fassiez partie de leur vie. Si, par exemple, en amour, vous vous concentrez sur une seule personne, qui ne vous dit pas seulement ce quâelle ressent pour vous ou ce quâelle veut avoir avec vous, vous passerez Ă cĂŽtĂ© de nombreuses personnes qui sont peut-ĂȘtre beaucoup plus utiles pour avoir votre attention juste au mauvais endroit. Lorsque vous avez vu par vous-mĂȘme que quelquâun a jouĂ© avec vos sentiments, agissez en adoptant une attitude indiffĂ©rente pour retrouver votre bien-ĂȘtre personnel et commencer Ă profiter dâune vie plus heureuse avec ces gens qui vous aiment et vous apprĂ©cient vraiment comme vous ĂȘtes. Bien que cela vous coĂ»te cher au dĂ©but, pensez que quelquâun qui joue avec vous va vous perdre, en tant que couple ou en tant quâami, parce quâil ne vous mĂ©rite pas, alors câest vous qui allez profiter de cette situation. 3. Prenez soin de vous Si vous avez remarquĂ© que quelquâun a jouĂ© avec vos sentiments et vous a blessĂ© profondĂ©ment, ce que vous devriez faire Ă partir de ce moment est de faire attention Ă vous-mĂȘme parce que cette personne ne va pas le faire. Prenez le contrĂŽle de votre vie Ă ce moment-lĂ et dĂ©cidez de ce que vous devez faire en Ă©coutant votre moi intĂ©rieur. Faites toujours ce qui vous fait vous sentir bien, donc si vous sentez que vous devez couper dĂ©finitivement la relation avec cette personne, faites-le, ou si, au contraire, vous sentez que vous devez dâabord parler Ă cette personne, faites le pas et nâayez pas peur dâexprimer ce que vous ressentez. AprĂšs cela, vous serez en mesure de dĂ©cider si vous voulez enfin mettre fin Ă cette relation et mettre de la distance entre les deux. Pourquoi les gens jouent avec leurs sentiments Tous ces problĂšmes peuvent engendrer une grande confusion et des doutes sur le comportement humain et la nature y a-t-il des gens qui aiment la souffrance des autres, pourquoi y a-t-il des gens qui jouent avec les sentiments des autres ? Comme nous lâavons dĂ©jĂ dit, tout nâest pas blanc ou noir, une personne peut sembler froide et calculatrice, cependant, peut ĂȘtre trĂšs confuse Ă lâintĂ©rieur. Il est important de savoir que vous pouvez mal agir Ă un moment donnĂ©, cependant, un acte isolĂ© ne vous dĂ©finit pas en tant que personne. Cependant, si vous jouez avec les sentiments de quelquâun, il est essentiel dâavoir la grandeur du cĆur et de demander pardon. Cependant, trĂšs peu de gens sont en mesure de sâexcuser dâavoir fait du mal. DerriĂšre ce type de comportement se cache un caractĂšre enfantin, un ego, une vanitĂ© et un complexe dâinfĂ©rioritĂ©. Cet article est purement informatif, dans Psychology-Online nous nâavons pas le pouvoir de faire un diagnostic ou de recommander un traitement. Nous vous invitons Ă consulter un psychologue pour traiter votre cas particulier. Nos conseils pour femmes
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Les cracheurs et autres artistes du feu, eux, se laissent aller Ă leur fascination. Ils sâapprochent du feu, le dominent, lâapprivoisent. Quâest-ce que ça veut dire avoir le melon ? Avoir le melon, ĂȘtre prĂ©tentieux, imbu de soi-mĂȘme ; avoir la grosse tĂȘte. Qui joue avec le feu finit par se brĂ»ler ? Lorsquâon joue trop avec le feu , on finit par se faire brĂ»ler la main. Pourquoi jouer avec les sentiments ? Si un garçon ou une fille joue avec vos sentiments, cela signifie que vous ĂȘtes attirĂ©e par cette personne, mais que cela nâest pas forcĂ©ment rĂ©ciproque. ⊠Ce type de personne opportuniste, manipulatrice et narcissique ont remarquĂ© que vous aviez des sentiments et ils jouent avec ça pour servir leurs propres intĂ©rĂȘts. Comment cacher son jeu ? Au cours dâun jeu de cartes, les joueurs dissimulent leur jeu afin que les autres joueurs ne devinent pas leur prochain coup. Cette expression est reprise de maniĂšre imagĂ©e pour parler dâune personne qui ne veut pas que lâon dĂ©couvre son vĂ©ritable objectif. Pourquoi on dit coup de foudre ? Au XVIIe siĂšcle, âle coup de foudreâ Ă©tait un Ă©vĂ©nement inattendu et en gĂ©nĂ©ral dĂ©sagrĂ©able, qui gĂ©nĂ©rait beaucoup de stupĂ©faction. A la fin du siĂšcle, le âcoupâ avait dĂ©jĂ le sens d'âĂ©vĂ©nement brutal et impressionnantâ. On lâassocia alors au domaine sentimental et aux Ă©motions. Comment prendre le melon ? Pincer les plants de melon dĂšs quâils ont 3 ou 4 feuilles, en les raccourcissant au-dessus de la 2e feuille. Les nouvelles tiges sont pincĂ©es sur la 3e feuille. Garder 3 Ă 5 fruits. Melons sucrins et variĂ©tĂ©s modernes Figaroâ, Panchaâ, Panchitoâ, etc. Qui appelle T-ON les melons ? Ainsi le melon 1962 est une forme de simplification par le fait de considĂ©rer lâautre comme un ĂȘtre non humain. On trouve la mĂȘme idĂ©e dans le tronc-de-figuier 1913, par ellipse le tronc 1926, ou le pied-de-figuier 1952. Ces plantes ne bougent pas, ne travaillent pas. Qui sâamuse avec le feu ? La pyromanie est une impulsion caractĂ©risĂ©e par une fascination extrĂȘme pour le feu. Dans les cas les plus graves, cela se traduit par des pulsions qui poussent lâindividu Ă provoquer lui-mĂȘme des incendies comme exutoire Ă un excĂšs de tension qui provoque soulagement et gratification. Quand tu joue avec le feu on se brĂ»le citation ? A force de jouer avec le feu, on finit par se brĂ»ler.â Pourquoi il ne faut pas jouer avec les sentiments ? Jouer avec les sentiments ne mĂšne Ă rien de bon, vous finissez par blesser la personne qui vous aime. Donner des illusions Ă quelquâun et faire quâil sâaccroche simplement parce quâon a besoin dâattention et quâon aime le fait que quelquâun nous aime est un acte dâĂ©goĂŻsme et aussi de cruautĂ©. Comment Peut-on jouer avec les sentiments des autres ? 4 Conseils de SipWithNasli Si quelquâun ne vous intĂ©resse pas dites-le-lui mĂȘme si cela va blesser la personne. Ăvitez les excuses bidon, soyez sincĂšres avec vous-mĂȘme et lâ autre . Le karma, faites attention, tĂŽt ou tard cela va se retourner contre vous. Vous nâĂȘtes pas des enfants, jouer Ă des jeux câest pour les gamins. Comment savoir si un homme se moque de vous ? â Il ne veut pas donner un nom Ă votre relation. ⊠â Il dit quil vous invitera Ă sortir, mais il ne le fait jamais. ⊠â Il dit quil est en train de souffrir aprĂšs une rupture. ⊠Comment ne pas afficher le jeu auquel on joue sur Steam ? Comment masquer lâactivitĂ© rĂ©cente du jeu Steam Ouvrez Steam. Cliquez sur votre nom dâutilisateur pour accĂ©der Ă votre profil. AccĂ©dez Ă âParamĂštres de confidentialitĂ©â SĂ©lectionnez âPrivĂ©â dans le menu dĂ©roulant âDĂ©tails du jeuâ Comment cacher un jeu de son profil Steam ? Ouvrez Steam. Cliquez sur votre nom dâutilisateur pour accĂ©der Ă votre profil. AccĂ©dez Ă ParamĂštres de confidentialitĂ© » SĂ©lectionnez PrivĂ© » dans le menu dĂ©roulant DĂ©tails du jeu » Comment cacher son activitĂ© sur Steam ? Masquer lâactivitĂ© de jeu dans le chat Steam Pour ce faire, cliquez sur lâoption Amis et chat » dans Steam, cliquez sur votre nom dâutilisateur et sĂ©lectionnez Hors ligne » ou Invisible ». Comment se manifeste le coup de foudre ? Comment reconnaitre un coup de foudre . ⊠Vous vous rapprochez lâun de lâautre. ⊠Un flirt Ă©vident. ⊠Votre regard dĂ©vie. ⊠Votre cĆur bat plus vite. ⊠La tempĂ©rature augmente. ⊠Vous prenez davantage soin de vous . ⊠Des gestes qui trahissent. Comment savoir si on a eu le coup de foudre ? Vous sentez que le sol se dĂ©robe sous vos pieds, que vous allez dĂ©faillir et tomber, vos joues rougissent et votre ventre brĂ»le, votre corps sâenflamme⊠Votre corps est dâailleurs sans aucun doute le premier Ă savoir que vous venez de vivre un coup de foudre. Comment dĂ©finir un coup de foudre ? Le coup de foudre est un phĂ©nomĂšne quâun individu peut expĂ©rimenter lors dâune rencontre subite avec une personne inconnue durant laquelle lâattirance est amplifiĂ©e par la sensation de surprise liĂ©e Ă la rencontre. Comment entretenir un plant de melon ? Le melon demande trĂšs peu dâentretien, ce qui en fait un lĂ©gume trĂšs facile Ă cultiver dans le potager. Lâentretien des melons Cucumis melo exige un arrosage rĂ©gulier des melons et la suppression des mauvaises herbes. Pensez Ă pailler pour garder une certaine fraicheur au niveau des pieds. Comment faire pour avoir de beaux melons ? Pour avoir de beaux fruits, en quantitĂ© raisonnable, il faudra pincer la tige principale dĂšs que la tige portera 3 Ă 5 feuilles et au-dessus des deux premiĂšres feuilles. Ensuite, laissez 2 Ă 3 tiges se dĂ©velopper, puis pincez-les aprĂšs la 4e ou 5e feuille. Ces diffĂ©rents pincements permettent aux tiges de se ramifier. Quand Faut-il arroser les melons ? Une moyenne de deux arrosages copieux par semaine est un minimum pour le melon. En zone trĂšs chaude et en pĂ©riode de sĂ©cheresse, il peut ĂȘtre nĂ©cessaire dâarroser tous les deux jours. Dans le cas dâun arrosage automatique, prĂ©fĂ©rer une mise en route journaliĂšre et nocturne pendant au moins deux heures. Quelle est la saison du melon ? MalgrĂ© son parfum sucrĂ©, le melon nâest pas un fruit. En effet, il appartient Ă la famille des cucurbitacĂ©es, comme la courgette ou le potiron. Sa pleine saison sâĂ©tend de juillet Ă septembre. Mieux vaut Ă©viter de le congeler il perdrait de sa qualitĂ© gustative. Comment sâoccuper dâun pied de melon ? Gardez 1m de distance entre chaque plant. Fertilisez Ă lâaide de compost mĂ»r ou de fertilisant riche en potasse. Pour une bonne croissance, ne conservez pas plus de quatre melons par pied afin quâils puissent se dĂ©velopper correctement jusquâĂ maturitĂ©. AprĂšs 4 semaines, taillez au-dessus de la 3e feuille. Quel est le meilleur melon au monde ? Le melon charentais multiplie les atouts. Riche en vitamines C, vitamines A et potassium, il est, en plus, mondialement reconnu pour avoir les meilleures valeurs gustatives ! Charentais, Galia, Canari, Piel del Sapo ou BrodĂ© amĂ©ricain, les types de melon ne manquent pas.
Retenezau moins une chose: Ă force de jouer avec les hommes, de les tromper sur vos sentiments et donc de les dĂ©cevoir, vous les blessez et certains nâarrivent plus Ă faire leLesregistres tragique et pathĂ©tique utilisent des moyens complĂ©mentaires pour exprimer l'ensemble des sentiments Ă©prouvĂ©s par les personnages : le registre lyrique permet de souligner la dimension tragique et pathĂ©tique qui lui est associĂ©e ; l' utilisation du « je » permet de mettre en lumiĂšre l'ampleur de la douleur et de la peur
Affiner par gĂ©ographieConcert du pianiste Emmanuel FERRER-LALOĂ Musique, Musique classique, Chorale - ChantïCastillonnĂšs 47330ïLe 04/09/2022Emmanuel Ferrer-LaloĂ« s'est produit pendant prĂšs de cinquante ans sur tous les continents, seul en rĂ©cital, en soliste avec orchestre et en musique de chambre avec de merveilleux partenaires, et a formĂ© quelques concertistes de niveau et bon nombre d'enseignants qui appliquent sa pĂ©dagogie avec succĂšs. Au programme de la soirĂ©e - Jean-Philippe RAMEAU 1683-1764 "Le Rappel des oiseaux" - Louis-Claude DAQUIN 1694-1772 "Le coucou" - Robert SCHUMANN 1810-1856 "Arabesque Op. 18" - Camille SAINT-SAENS 1835-1921 "Allegro appassionato Op. 70" - Claude DEBUSSY 1862-1918 "Clair de lune" Suite bergamasque - Franz LISZT 1811-1886, deux extraits des Harmonies poĂ©tiques et religieuses "FunĂ©railles" et "BĂ©nĂ©diction de Dieu dans la solitude"FESTIVAL NOTES D'ĂCUME 2022 - ORCHESTRE DE CHAMBRE DU LANGUEDOC MusiqueïLeucate 11370ïLe 16/09/2022Chaque weekend du 2 au 24 septembre, Leucate et le Festival Notes dâĂcume invite des artistes parmi les plus reconnus de la scĂšne musicale française pour des moments de partage musical. Lâensemble forme une passionnante mosaĂŻque dâĆuvres, de couleurs, de compositeurs, de sentiments, dâĂ©poques⊠Concerts Ă l'Ă©glise de Leucate-village et Ă l'Espace Henry de Montfreid. Au programme - Quatuor Ellipsos les 2 et 3 septembre - Laura Roy le 9 septembre - AurĂ©lien Lehmann & Eric Artz le 10 septembre - L'Orchestre de Chambre du Languedoc le 16 septembre - Natural Woman Band - Aretha Franklin le 17 septembre - François Moschetta le 23 septembre - Le Madrigal de la CitĂ© le 24 septembre Pour sa premiĂšre sur la scĂšne du festival Notes dâEcume, lâOrchestre de Chambre du Languedoc créé en 2015 Ă Montpellier propose un florilĂšge des Ćuvres parmi les plus cĂ©lĂšbres de lâhistoire de la musique. Des musiques Ă©ternelles, utilisĂ©es souvent au cinĂ©ma, la danse... et dont lâĂ©coute renouvelĂ©e procure toujours la mĂȘme Ă©motion. Ce sont neuf musiciens sur scĂšne qui nous Feront dĂ©couvrir ou redĂ©couvrir ces chefs- dâĆuvre, sous la direction, depuis le violon, dâAlexandre Benderski.[...]Concert lyriqueïMassingy-lĂšs-Vitteaux 21350ïLe 03/09/2022Sortie du stage de chant du studio de Dominique MetzlĂ© . Les chanteurs amateurs parisiens passeront une semaine en immersion conviviale au cĆur de la Bourgogne auxoise, en explorant le rĂ©pertoire classique occidental, oĂč la Musique » serait considĂ©rĂ©e comme la PanacĂ©e universelle », ou du moins comme remĂšde Ă tous nos maux. Extraits dâopĂ©ras, mĂ©lodies raffinĂ©es ou simples chansons, autant de prĂ©textes pour les compositeurs de nous prouver lâincontestable vertu de ce remĂšde naturel et thĂ©rapeutique, qui nous conduira sans tarder Ă la guĂ©rison. Un travail de fond individuel et collectif, vocal et stylistique, oĂč chaque stagiaire assurera divers soli, musiques de chambre et parties chorales, permettra dâĂ©tablir un vĂ©ritable rĂ©gime de santĂ© harmonique et Ă©loignera la maladie et les mĂ©dicastres » pour longtemps !FESTIVAL NOTES D'ĂCUME 2022 - QUATUOR ELLIPSOS Musique, Culte et religion, Festival gĂ©nĂ©ralisteïLeucate 11370ïLe 03/09/2022Chaque weekend du 2 au 24 septembre, Leucate et le Festival Notes dâĂcume invite des artistes parmi les plus reconnus de la scĂšne musicale française pour des moments de partage musical. Lâensemble forme une passionnante mosaĂŻque dâĆuvres, de couleurs, de compositeurs, de sentiments, dâĂ©poques⊠Concerts Ă l'Ă©glise de Leucate-village et Ă l'Espace Henry de Montfreid. Au programme - Quatuor Ellipsos les 2 et 3 septembre - Laura Roy le 9 septembre - AurĂ©lien Lehmann & Eric Artz le 10 septembre - L'Orchestre de Chambre du Languedoc le 16 septembre - Natural Woman Band - Aretha Franklin le 17 septembre - François Moschetta le 23 septembre - Le Madrigal de la CitĂ© le 24 septembre QUATUOR ELLIPSOS saxophones Paul-Fathi Lacombe Julien BrĂ©chet Sylvain Jarry Nicolas HerrouĂ« Câest Ă un grand voyage que nous convie lâinimitable Quatuor Ellipsos ! Nous embarquons pour New York, puis Cuba, puis le BrĂ©sil dâErnesto Nazareth, et lâArgentine du lĂ©gendaire Astor Piazzolla. Sans oublier quelques clins dâĆil Ă notre chĂšre Europe, au cĆur dâune soirĂ©e comme seuls les Ellipsos savent les concocter, et Ă lâimage du festival musique, Ă©vasion, plaisir, convivialitĂ©...[...]Septembre Musical de l'Orne - Les CarmĂ©lites de CompiĂšgne Concert, Musique classiqueïMORTAGNE-AU-PERCHE 61400ïLe 03/09/2022 Ou bien ce sera mon chef-dâoeuvre, ou bien je veux mourir. Pour lâinstant je penche pour la premiĂšre option » . Câest en ces mots que sâexprime Poulenc pour dĂ©crire Le Dialogue des CarmĂ©lites. AchevĂ©e en 1956, cet opĂ©ra nous raconte lâhistoire des CarmĂ©lites de CompiĂšgne qui, sous la rĂ©volution française, furent guillotinĂ©es pour avoir refusĂ© de renoncer Ă leur vocation. Cette adaptation par Yoan HĂ©reau tire sa force dans une mise Ă nu du puissant texte de Georges Bernanos. En prĂ©sentant les voix dans une configuration chĂšre au compositeur, celle du chant accompagnĂ© par le piano, elle les libĂšre des contraintes liĂ©es Ă lâorchestre. Les voix choisies correspondent aux Ăąges des personnages et retrouvent une complĂšte souplesse rythmique et dynamique, au service des mots de Bernanos. Yoan HĂREAU, adaptation, direction et piano Mirabelle ORDINAIRE, mise en scĂšne Raquel CAMARINHA, soprano Laurence POUDEROUX, soprano Blandine FOLIO PERES, mezzo-soprano Marie-Laure GARNIER, soprano Axelle FANYO, soprano Matthieu de LAUBIER, baryton Adaptation du Dialogue des CarmĂ©lites de Francis POULENC, texte de Georges BERNANOS, version de chambre avec Market / Boredoms & the Heartstrings Ensemble + Chapelier Fou Ensemb7eïMĂącon 71000ïDu /00/1e16 au //099Si vous aimez > Rone / Thylacine / Andrew Bird EROTIC MARKET/ BOREDOMS & THE HEARTSTRINGS ENSEMBLE Lyon [cordes sensibles] AprĂšs deux opus sur le pouvoir "Queendoms" et sur lâennui "Boredoms", Erotic Market entre en rĂ©sonance avec ses propres crĂ©ations pour une rĂ©appropriation inĂ©dite et combinĂ©e. Avec le quatuor "The Heartstrings Ensemble", la pop R'n'b dâErotic Market revĂȘt de nouvelles textures et des titres emblĂ©matiques sâĂ©panouissent dans ces relectures lumineuses. De la pop dilatĂ©e au classique ou du classique shootĂ© au poppers⊠câest au choix ! On y retrouve en tout cas la force des textes suggestifs sublimĂ©s par la voix de Marine Pellegrini, mais aussi la science du crunch de Romain Dugelay. Line up > Marine Pellegrini [chant] Yovan Girard [violon] Quentin AndrĂ©oulis [violon] Estelle Gourinchas [alto] AĂ«la Gourvennec [violoncelle] CHAPELIER FOU ENSEMB7E Metz [pop de chambre] On pourrait dire que Chapelier Fou nâest jamais lĂ oĂč on lâattend, mais il serait plus juste de dire quâil se plaĂźt Ă ĂȘtre partout. AprĂšs de nombreux albums et de multiples tournĂ©es en clubs, salles et festivals de musiques actuelles, dans diffĂ©rentes formules scĂ©niques, Chapelier[...]Septembre Musical de l'Orne - Les CarmĂ©lites de CompiĂšgne Musique, Spectacle, Festival gĂ©nĂ©raliste, OpĂ©ra - OpĂ©retteïMortagne-au-Perche 61400ïLe 03/09/2022 Ou bien ce sera mon chef-dâoeuvre, ou bien je veux mourir. Pour lâinstant je penche pour la premiĂšre option » . Câest en ces mots que sâexprime Poulenc pour dĂ©crire Le Dialogue des CarmĂ©lites. AchevĂ©e en 1956, cet opĂ©ra nous raconte lâhistoire des CarmĂ©lites de CompiĂšgne qui, sous la rĂ©volution française, furent guillotinĂ©es pour avoir refusĂ© de renoncer Ă leur vocation. Cette adaptation par Yoan HĂ©reau tire sa force dans une mise Ă nu du puissant texte de Georges Bernanos. En prĂ©sentant les voix dans une configuration chĂšre au compositeur, celle du chant accompagnĂ© par le piano, elle les libĂšre des contraintes liĂ©es Ă lâorchestre. Les voix choisies correspondent aux Ăąges des personnages et retrouvent une complĂšte souplesse rythmique et dynamique, au service des mots de Bernanos. Yoan HĂREAU, adaptation, direction et piano Mirabelle ORDINAIRE, mise en scĂšne Raquel CAMARINHA, soprano Laurence POUDEROUX, soprano Blandine FOLIO PERES, mezzo-soprano Marie-Laure GARNIER, soprano Axelle FANYO, soprano Matthieu de LAUBIER, baryton Adaptation du Dialogue des CarmĂ©lites de Francis POULENC, texte de Georges BERNANOS, version de chambre avec Philharmonique Cologne en concert Musique, ConcertïAix-en-Provence 13090ïLe 17/09/2022Apres une absence de 2 annĂ©es la Chambre Philharmonique Cologne Allemagne est de retour Ă Aix-en-Provence avec un rĂ©pertoire oĂč la virtuositĂ© occupe une place importante. Performance musicale de haut niveau, la Chambre Philharmonique Cologne rĂ©unit des musiciens de plusieurs pays pour donner des concerts dans le monde entier. Cet orchestre Ă cordes a remportĂ© un vif succĂšs grĂące Ă l'exceptionnelle virtuositĂ© de ses musiciens et solistes ainsi que l'extraordinaire complicitĂ© qui habite les membres de l'orchestre. Pour leur tournĂ©e 2022, les artistes vous proposent un voyage au cĆur de la musique classique italienne en compagnie d'Antonio Vivaldi et N. Paganini. Ensuite ils vous amĂšnent Ă leur Tour dâEurope des compositeurs avec des Ćuvres de Mozart et C. Saint-SaĂ«ns . // Programme // Antonio Vivaldi 1678-1741 â Les Quatre saisons â Quatre concerts pour violon, cordes et basse continue Niccolo Paganini 1782-1840 â Variations Moses pour violoncelle et orchestre jouĂ© sur une corde â Mozart 1756-1791 Divertimento Fa-majeur pour orchestre de cordes KV 138 â Symphonie de Salzbourgâ â Camille Saint-SaĂ«ns 1782â1840 Introduction et Rondo[...]Théùtre Juliette, Victor Hugo, mon fol amour» au chĂąteau de Rochambeau de ThorĂ©-la-Rochette Patrimoine - Culture, ThéùtreïThorĂ©-la-Rochette 41100ïLe 03/09/2022Théùtre Juliette, Victor Hugo, mon fol amour» au chĂąteau de Rochambeau de ThorĂ©-la-Rochette. La piĂšce nu seul en scĂšne en musique dâune durĂ©e dâune heure dix. Un dĂ©cor simple et Ă©vocateur une chambre dâhĂŽtel Ă Bruxelles en septembre 1873, banale et froide un lit, un chromo au mur, un crucifix, une fenĂȘtre, une table surmontĂ©e dâun miroir, un fauteuil de type bergĂšre. Un accompagnement musical Ă©pousant les diffĂ©rentes facette de la vie de lâhĂ©roĂŻne, avec des extraits dâĆuvres de Franz Schubert, Hildegarde de Bingen, Antonio Vivaldi, Eric Satie, Giuseppe Tartini, CĂ©sar Franck, FrĂ©dĂ©ric Chopin... et la voix â chantĂ©e - de Marie Lussignol. Des voix off. Une lumiĂšre Reicha - Musique de chambre Musique, Musique classiqueïOrbec 14290ïLe 16/09/2022Mozart et Reicha par lâOrchestre RĂ©gional de Normandie Avec son Quatuor K. 370 pour hautbois, violon, alto et violoncelle, Mozart surprend⊠Comme Ă son habitude ! La piĂšce se dĂ©marque des autres quatuors par sa forme en trois mouvements au lieu des quatre attendus le premier mouvement est un allegro qui Ă©pouse la forme de la sonate ; le deuxiĂšme - un adagio - met en valeur les sonoritĂ©s Ă©lĂ©giaques du hautbois qui tient ici la partie soliste ; le troisiĂšme mouvement est un joyeux rondo particuliĂšrement virtuose. Anton Reicha, contemporain de Haydn et Beethoven, compose son Octuor opus 96 durant sa pĂ©riode viennoise. Moins connu aujourdâhui que dâautres grands noms de son temps, il rencontre nĂ©anmoins un beau succĂšs de son vivant grĂące notamment Ă sa musique de chambre. Ă ce titre, son Octuor pour hautbois, clarinette, basson, cor, deux violons, alto et violoncelle est significatif de lâĆuvre de Reicha son jeu sur les timbres et les effets, qui a fait sa renommĂ©e, ainsi que lâagencement soignĂ© des diffĂ©rentes lignes mĂ©lodiques caractĂ©risent cette page Ă©lĂ©gante et de chambre nouvelle Aquitaine Manifestation culturelle, ConcertïBayonne 64100ïLe 04/09/2022direction Jean-François Heisser Piano Jean-FrĂ©dĂ©ric Neuburger & la participation exceptionnelle du spationaute Jean-Loup ChrĂ©tien CommandĂ© Ă lâoccasion du bicentenaire de la fondation des Ătats-Unis, le cycle Des Canyons aux Ă©toiles pour piano et orchestre a Ă©tĂ© Ă©crit par Olivier Messiaen Ă la suite dâun voyage en Utah. Si les canyons sont le point de dĂ©part de cette monumentale fresque descriptive, la musique sâĂ©lĂšve progressivement jusquâaux Ă©toiles et rencontre plusieurs chants dâoiseaux chers au de chambre nouvelle Aquitaine Bien-ĂȘtreïBayonne 64100ïLe 04/09/2022direction Jean-François Heisser Piano Jean-FrĂ©dĂ©ric Neuburger & la participation exceptionnelle du spationaute Jean-Loup ChrĂ©tien CommandĂ© Ă lâoccasion du bicentenaire de la fondation des Ătats-Unis, le cycle Des Canyons aux Ă©toiles pour piano et orchestre a Ă©tĂ© Ă©crit par Olivier Messiaen Ă la suite dâun voyage en Utah. Si les canyons sont le point de dĂ©part de cette monumentale fresque descriptive, la musique sâĂ©lĂšve progressivement jusquâaux Ă©toiles et rencontre plusieurs chants dâoiseaux chers au au chĂąteau d'Etelan Chopin, Tchaikovsky, Prokofiev par Jakub Kitovsky Concert, Manifestation culturelleïSAINT-MAURICE-D'ETELAN 76330ïLe 04/09/2022Jakub Kitovsky nĂ© le 7 juin 1991 en Pologne, a commencĂ© Ă jouer du piano Ă lâĂąge de 8 ans. En 2017, il est diplĂŽmĂ© de la classe du professeur Edward Wolanin et RadosĆaw Sobczak, ainsi que de la classe de musique de chambre du professeur Maja Nosowska Ă lâUniversitĂ© FrĂ©dĂ©ric Chopin de Varsovie. Il jouera Ă©galement des Ćuvres de Khachaturian, et international de musique de Wissembourg Musique, Musique classique, Festival gĂ©nĂ©ralisteïWissembourg 67160ïDu 20/08/2022 au 04/09/2022Le festival international de musique de Wissembourg propose une programmation classique essentiellement consacrĂ©e Ă la musique de chambre et au piano. Lors de cette 18Ăšme Ă©dition, 16 concerts avec des artistes internationaux se Musical de l'Orne - Sophie Lemonnier-Wallez et Paolo Rigutto Concert, Festival gĂ©nĂ©raliste, Musique classiqueïGOUFFERN EN AUGE 61160ïLe 17/09/2022Ă lâoccasion du centenaire de la mort de Marcel Proust, ce programme de sonates pour violon et piano vous propose deux chefs-dâoeuvre du rĂ©pertoire de la musique de chambre avec les sonates de CĂ©sar Franck et Guillaume Lekeu. Deux oeuvres oĂč les phrases aĂ©riennes et odorantes » quâaimait Swann trouvent toute la plĂ©nitude de leur poĂ©sie et de leur envol poĂ©tique. Si la sonate de CĂ©sar Franck est lâune des plus connues du rĂ©pertoire pour violon et piano, celle de son jeune compatriote Guillaume Lekeu est plus rarement donnĂ©e en concert. Elle nâen demeure pas moins un des sommets de la musique de chambre Ă©crite par un compositeur de 22 ans. Sophie LEMONNIER-WALLEZ, violon Paolo RIGUTTO, piano Guillaume LEKEU Sonate pour violon et piano en sol majeur Claude DEBUSSY Clair de lune Gabriel FAURĂ AprĂšs un rĂȘve CĂ©sar FRANCK Sonate pour violon et piano en la majeurConcert du Sextet CordonĂ©on Musique, Musique classique, Jazz - BluesïNay 64800ïLe 09/09/2022Depuis longtemps, Daniel Brel, compositeur et bandonĂ©oniste renommĂ©, rĂȘvait dâune rencontre avec cinq cordes⊠Ce rĂȘve est devenu rĂ©alitĂ©, donnant naissance au Sextet CordonĂ©on. Avec cet ensemble de musique de chambre, constituĂ© de musiciens talentueux, dont la majoritĂ© sont membres de lâOPPB, Daniel Brel propose un voyage hors des sentiers battus, entre improvisation Ă©crite et musique savante, autour de piĂšces originales de sa crĂ©ation, dans un singulier mĂ©lange dâaccents tango, jazz, nĂ©o-classiques, figuralistes et poĂ©tiques. Les musiciens sont Denis Lehman 1er violon, Evelyne Berlancourt 2Ăšme violon, Damien Bec alto, Mathilda LonguĂ© violoncelle, Jean-Michel Hequet contrebasse et Daniel Brel bandonĂ©on. RĂ©servation Musical de l'Orne - Quatuor Adorno Musique, Musique classiqueïĂcouchĂ©-les-VallĂ©es 61150ïLe 09/09/2022Ce quatuor italien tient son nom du grand philosophe Theodor Wiesengrund Adorno qui, Ă une Ă©poque de dĂ©clin musical et social, voyait la musique de chambre comme le seul chemin du salut. Le quatuor a remportĂ© en 2017, le TroisiĂšme Prix, le Prix SpĂ©cial pour la meilleure interprĂ©tation dâune oeuvre contemporaine et le Prix du Public au Concours International de quatuor Ă cordes XI Premio Paolo Borciani ». En 2018, il est laurĂ©at du Concours International de quatuor Ă cordes V. E. Rimbotti » et devient Ă©galement artiste associĂ© en rĂ©sidence Ă la Chapelle Musicale Reine Elisabeth Ă Bruxelles. QUATUOR ADORNO Edoardo ZOSI, violon LiĂč PELLICIARI, violon Benedetta BUCCI, alto Stefano CERRATO, violoncelle Claude DEBUSSY Quatuor Ă cordes, MichaĂ«l LEVINAS Quatuor Ă cordes n°1 Ludwig van BEETHOVEN Quatuor Ă cordes, n°1 Razumovsky »Festival international de musique de Wissembourg Manifestation culturelleïWissembourg 67160ïDu 20/08/2022 au 04/09/2022Le festival international de musique de Wissembourg propose une programmation classique essentiellement consacrĂ©e Ă la musique de chambre et au piano. Lors de cette 18Ăšme Ă©dition, 16 concerts avec des artistes internationaux se du Sextet CordonĂ©on Musique, ConcertïNay 64800ïLe 09/09/2022Depuis longtemps, Daniel Brel, compositeur et bandonĂ©oniste renommĂ©, rĂȘvait dâune rencontre avec cinq cordes⊠Ce rĂȘve est devenu rĂ©alitĂ©, donnant naissance au Sextet CordonĂ©on. Avec cet ensemble de musique de chambre, constituĂ© de musiciens talentueux, dont la majoritĂ© sont membres de lâOPPB, Daniel Brel propose un voyage hors des sentiers battus, entre improvisation Ă©crite et musique savante, autour de piĂšces originales de sa crĂ©ation, dans un singulier mĂ©lange dâaccents tango, jazz, nĂ©o-classiques, figuralistes et poĂ©tiques. Les musiciens sont Denis Lehman 1er violon, Evelyne Berlancourt 2Ăšme violon, Damien Bec alto, Mathilda LonguĂ© violoncelle, Jean-Michel Hequet contrebasse et Daniel Brel bandonĂ©on. RĂ©servation DE CHAMBRE LES ĂLĂMENTS - CENTRE D'ART VOCAL OCCITANIE Chorale - Chant, MusiqueïBĂ©ziers 34500ïLe 18/09/2022Créé par JoĂ«l Suhubiette en 1997 Ă Toulouse, le chĆur de chambre les Ă©lĂ©ments est lâun des acteurs principaux de la vie chorale professionnelle française. RĂ©compensĂ© en 2005 par lâAcadĂ©mie des Beaux-Arts avec le prix de la Fondation Liliane Bettencourt pour le chant choral et en 2006 par une Victoire de la musique classique, son rĂ©pertoire sâĂ©tend de la Renaissance Ă la crĂ©ation contemporaine, sous des formes aussi diverses que le rĂ©pertoire a capella, le concerto vocal » en ensemble de solistes et instruments, lâoratorio, lâopĂ©ra. Il commande rĂ©guliĂšrement des Ćuvres aux compositeurs dâaujourdâhui. Il se produit Ă Paris, sur les scĂšnes françaises, dans les festivals, Ă lâĂ©tranger ainsi quâĂ Toulouse et dans la rĂ©gion Occitanie. Lâensemble collabore avec de nombreux chefs E. Krivine, L. LangrĂ©e, J. Leroy... Il est en rĂ©sidence Ă Odyssud-Blagnac depuis 2001 et Ă lâAbbaye-Ă©cole de SorĂšze depuis 2006. En 2019, le MinistĂšre de la Culture, dans le cadre de son programme national pour le rayonnement de lâart vocal, a dĂ©signĂ© les Ă©lĂ©ments Centre dâArt Vocal pour la rĂ©gion Occitanie. Les Ă©lĂ©ments â Centre dâArt Vocal Occitanie sont conventionnĂ©s par le MinistĂšre de la Culture[...]Septembre Musical de l'Orne - Quatuor Adorno Concert, Festival gĂ©nĂ©raliste, Musique classiqueïECOUCHE-LES-VALLEES 61150ïLe 09/09/2022Ce quatuor italien tient son nom du grand philosophe Theodor Wiesengrund Adorno qui, Ă une Ă©poque de dĂ©clin musical et social, voyait la musique de chambre comme le seul chemin du salut. Le quatuor a remportĂ© en 2017, le TroisiĂšme Prix, le Prix SpĂ©cial pour la meilleure interprĂ©tation dâune oeuvre contemporaine et le Prix du Public au Concours International de quatuor Ă cordes XI Premio Paolo Borciani ». En 2018, il est laurĂ©at du Concours International de quatuor Ă cordes V. E. Rimbotti » et devient Ă©galement artiste associĂ© en rĂ©sidence Ă la Chapelle Musicale Reine Elisabeth Ă Bruxelles. QUATUOR ADORNO Edoardo ZOSI, violon LiĂč PELLICIARI, violon Benedetta BUCCI, alto Stefano CERRATO, violoncelle Claude DEBUSSY Quatuor Ă cordes, MichaĂ«l LEVINAS Quatuor Ă cordes n°1 Ludwig van BEETHOVEN Quatuor Ă cordes, n°1 Razumovsky »FESTIVAL NOTES D'ĂCUME 2022 - LAURA ROUY Musique, Chorale - Chant, Culte et religionïLeucate 11370ïLe 09/09/2022Chaque weekend du 2 au 24 septembre, Leucate et le Festival Notes dâĂcume invite des artistes parmi les plus reconnus de la scĂšne musicale française pour des moments de partage musical. Lâensemble forme une passionnante mosaĂŻque dâĆuvres, de couleurs, de compositeurs, de sentiments, dâĂ©poques⊠Concerts Ă l'Ă©glise de Leucate-village et Ă l'Espace Henry de Montfreid. Au programme - Quatuor Ellipsos les 2 et 3 septembre - Laura Roy le 9 septembre - AurĂ©lien Lehmann & Eric Artz le 10 septembre - L'Orchestre de Chambre du Languedoc le 16 septembre - Natural Woman Band - Aretha Franklin le 17 septembre - François Moschetta le 23 septembre - Le Madrigal de la CitĂ© le 24 septembre Dans la grand famille de la musique, la guitare classique exerce une magie Ă part un rĂ©pertoire immense, une couleur immĂ©diatement reconnaissable, la capacitĂ© Ă suspendre le temps... Deux ans aprĂšs le rĂ©cital de Thibaut Garcia sur la scĂšne du festival, câest la jeune Laura Rouy, tout juste laurĂ©ate du prestigieux Concours International Roland Dyens, qui entretient la flamme. Au fil dâun rĂ©cital tout en couleurs et en dĂ©licatesse, nous parcourons des siĂšcles dâĂ©motion, dans le cadre[...]Concert avec Le Quatuor Emergence Musique, Musique classique, ConcertïBoyer 71700ïLe 10/09/2022Le Quatuor Emergence nait Ă Lyon dĂ©but 2021. Ses membres, tous clarinettistes Ă lâOrchestre de la Garde rĂ©publicaine Ă Paris, ont souhaitĂ© que leur complicitĂ© musicale donne naissance Ă une formation de musique de chambre au rĂ©pertoire unique. Aux cĂŽtĂ©s des Ćuvres originales Ă©crites pour quatuor de clarinettes sont venues sâajouter une Ă une de nombreuses piĂšces baroques, classiques, ou plus rĂ©centes, transcrites par les musiciens du Quatuor Emergence Concerto en la mineur de Bach, 4 Saisons de Vivaldi, Adagio de Barber, tangos de Piazzolla⊠pour nâen citer que quelques-unes. LâEmergence de ce rĂ©pertoire inĂ©dit permet Ă ce quatuor dâavoir son identitĂ© propre et son style unique, vĂ©ritable signature musicale qui a valu aux musiciens de nombreuses propositions de concerts depuis la crĂ©ation du quatuor. La crĂ©ation des Saisons de Vivaldi pour quatuor de clarinettes lors du concert humanitaire du 23 mars 2022 Salle MoliĂšre Ă Lyon a constituĂ© le point dâorgue de cette premiĂšre annĂ©e dâexistenceFantastic Picnic Ă Bibracte RandonnĂ©e et balade, Musique, SpectacleïSaint-LĂ©ger-sous-Beuvray 71990ïLe 11/09/2022Cette annĂ©e, le Fantastic Picnic de Bibracte fĂȘte le Grand Site de France. Laissez-vous guider Ă la dĂ©couverte des paysages particuliers du Grand Site avec les producteurs locaux, laissez-vous emporter par la musique, laissez-vous Ă©merveiller tout simplement⊠A partir de 8h30 â dĂ©part des randonnĂ©es sur rĂ©servation avant le 1er septembre A partir de 12h30 â arrivĂ©e des randonneurs au SOMMET du Mont Beuvray - Animation musicale, en partenariat avec Fleurs de Jazz en Morvan. Avec CapharnaĂŒm Quartet une musique sortant des sentiers battus. DĂ©terminĂ©s Ă ne pas sâenfermer dans un style », ces musiciens se plaisent Ă passer sans aucun complexe dâune musique Ă une autre tango, chanson française, musique tzigane, standard de jazz, musique lĂ©gĂšreâŠ. Le rĂ©pertoire nâexistant pas pour cette formation, ce sont les musiciens eux mĂȘmes qui composent et arrangent les morceaux. Avec Etienne Tinguely trombone, tuba, HĂ©lĂšne Leriche Partouche clarinette, Claude Minot accordĂ©on et le local de lâĂ©tape originaire de Coulanges les Nevers Antoine Di Costanzo saxophones et percussions, mĂ©daille dâor de saxophonie et de musique de chambre de lâEcole Nationale de Musique de Nevers. [...]Fantastic Picnic Ă BibracteïSaint-LĂ©ger-sous-Beuvray 71990ïLe 11/09/2022Cette annĂ©e, le Fantastic Picnic de Bibracte fĂȘte le Grand Site de France. Laissez-vous guider Ă la dĂ©couverte des paysages particuliers du Grand Site avec les producteurs locaux, laissez-vous emporter par la musique, laissez-vous Ă©merveiller tout simplement⊠A partir de 8h30 â dĂ©part des randonnĂ©es sur rĂ©servation avant le 1er septembre A partir de 12h30 â arrivĂ©e des randonneurs au SOMMET du Mont Beuvray - Animation musicale, en partenariat avec Fleurs de Jazz en Morvan. Avec CapharnaĂŒm Quartet une musique sortant des sentiers battus. DĂ©terminĂ©s Ă ne pas sâenfermer dans un style », ces musiciens se plaisent Ă passer sans aucun complexe dâune musique Ă une autre tango, chanson française, musique tzigane, standard de jazz, musique lĂ©gĂšreâŠ. Le rĂ©pertoire nâexistant pas pour cette formation, ce sont les musiciens eux mĂȘmes qui composent et arrangent les morceaux. Avec Etienne Tinguely trombone, tuba, HĂ©lĂšne Leriche Partouche clarinette, Claude Minot accordĂ©on et le local de lâĂ©tape originaire de Coulanges les Nevers Antoine Di Costanzo saxophones et percussions, mĂ©daille dâor de saxophonie et de musique de chambre de lâEcole Nationale de Musique de Nevers. [...]JOURNĂE DU PATRIMOINE DES ENFANTS Musique, Musique classiqueïSainte-Suzanne-et-Chammes 53270ïLe 11/09/2022Dans le cadre de la clĂŽture des Rencontres Musicales en CoĂ«vrons 2022, le chĂąteau de Sainte-Suzanne a le plaisir dâaccueillir dans la cour de la forteresse un concert-goĂ»ter. AnimĂ© par le souci de faire connaitre la musique de chambre au plus grand nombre, lâensemble Caravage propose au public ce rendez-vous convivial et familial. Au programme Cras, Canteloube, Milhaud et Piazzolla. RafraĂźchissements, gĂąteaux et salades de fruits sont proposĂ©s Ă la vente. EntrĂ©e libre. OrganisĂ© par l'Ensemble DE MILAN Musique classiqueïGRIMAUD 83310ïLe 09/09/2022 Ă 2100Vendredi 9 septembre Ă 21 heures Chapelle Notre-Dame de la Queste Vivaldi, Prince de Venise la SĂ©rĂ©nissime » Orchestre de chambre Nuova Cameristica di Milano » Direction Maurizio DONES Avec Leslie VISCO soprano, Gabriele OLIVETI violon principal et Philippe DEPETRIS flĂ»te L'Ensemble Italien Instrumental  Nuova Cameristica di Milano » , créé en 1985 au sein du Conservatoire Giuseppe Verdi de Milan a trĂšs vite atteint un niveau europĂ©en. Il a donnĂ© plus de 600 concerts en Italie et Ă l'Ă©tranger, en collaboration avec des solistes de renommĂ©e tels Arturo Benedetti Michelangeli, Michele Campanella ou Giuliano Carmignola. L'orchestre est dirigĂ© par Maurizio Dones , assistant de Gianluigi Gelmetti. SpĂ©cialiste du rĂ©pertoire symphonique et lyrique, invitĂ© dans les plus grands festivals et théùtres internationaux, il a dirigĂ© en direct de la salle Nervi au Vatican et en diffusion mondiale, la messe de BĂ©atification du Padre Pio avec en soliste JosĂ© Carreras. La soprano italienne Leslie Visco , originaire de Naples, est laurĂ©ate de nombreux concours internationaux dont le prestigieux concours international de musique sacrĂ©e de Rome. Elle mĂšne une brillante carriĂšre[...]FESTIVAL NOTES D'ĂCUME 2022 - LEHMANN ET ARTZ Musique, Culte et religionïLeucate 11370ïLe 10/09/2022Chaque weekend du 2 au 24 septembre, Leucate et le Festival Notes dâĂcume invite des artistes parmi les plus reconnus de la scĂšne musicale française pour des moments de partage musical. Lâensemble forme une passionnante mosaĂŻque dâĆuvres, de couleurs, de compositeurs, de sentiments, dâĂ©poques⊠Concerts Ă l'Ă©glise de Leucate-village et Ă l'Espace Henry de Montfreid. Au programme - Quatuor Ellipsos les 2 et 3 septembre - Laura Roy le 9 septembre - AurĂ©lien Lehmann & Eric Artz le 10 septembre - L'Orchestre de Chambre du Languedoc le 16 septembre - Natural Woman Band - Aretha Franklin le 17 septembre - François Moschetta le 23 septembre - Le Madrigal de la CitĂ© le 24 septembre AurĂ©lien Lehmann, claquettiste virtuose, et Eric Artz, pianiste de renommĂ©e internationale, traversent trois siĂšcles de musique classique, de Bach Ă Gershwin, dans une performance visuelle et musicale inĂ©dite et spectaculaire créée au Théùtre du ChĂątelet Ă Paris, oĂč le piano et les claquettes rivalisent de maestria. Enfant, AurĂ©lien Lehmann dĂ©couvre les films de Fred Astaire... Devenu danseur de claquettes professionnel, il crĂ©e Ă partir de 2017 des spectacles originaux autour[...]Concert Chambre Philharmonique de Cologne Musique, ConcertïHyĂšres 83400ïLe 21/09/2022La Chambre Philharmonique de Cologne est formĂ©e de jeunes solistes du monde entier, tous issus du Conservatoire de Cologne et ayant remportĂ©s des prix lors de divers concours musicaux. Ils reviennent Ă HyĂšres le 21 septembre 2022 en l'Ă©glise St Festival Musical de l'abbaye de La Lucerne Musique, Musique classiqueïLa Lucerne-d'Outremer 50320ïDu 16/07/2022 au 17/09/2022La rencontre de quelques personnes animĂ©es par la volontĂ© de donner Ă lâabbaye de La Lucerne un Ă©vĂšnement culturel digne dâelle est Ă lâorigine de ce festival. Depuis la 1Ăšre Ă©dition en 2008, nous offrons un ensemble de concerts qui ont fait la renommĂ©e du Festival musical de La Lucerne, dans le cadre dâune programmation originale avec des musiciens de niveau national voire international, tout en gardant des tarifs accessibles Ă tous. Cette annĂ©e 2022, la 14Ăšme Ă©dition, vous propose un programme de 6 concerts de haut niveau de la mi juillet au 3Ăšme samedi de septembre pour les journĂ©es du patrimoine. 16 juillet LumiĂšres » - musique chorale JS Bach, Brahms, Mendelssohn, Whitacre par lâensemble vocal MĂ©lismes. 25 juillet musique de chambre - Octuor de Franz Schubert par lâOrchestre RĂ©gional de Normandie. 3 aoĂ»t Par Monts et par vaux » - musiques sacrĂ©e et traditionnelle armĂ©niennes par Akn, ensemble armĂ©nien. 8 aoĂ»t Jean de La Fontaine, une vie dâimpertinence » - Concert-biographie Du Mont, Bacilly, Couperin, Monsieur de Sainte-Colombe, Marin Marais⊠par lâensemble Comet Musicke. 13 aoĂ»t Musique de chambre Bach, Biber, Bartok, Kodaly par Elsa[...]ACADĂMIE DE MUSIQUE DE CHAMBRE DE BARDOU - LES MUSICALES DE SAINT-CHINIAN Musique, Musique classique, Chorale - ChantïSaint-Chinian 34360ïLe 27/09/2022MUSIQUE CLASSIQUE Thomas Posth nous a dĂ©jĂ offert trois magnifiques concerts avec des formations diffĂ©rentes l'AcadĂ©mie de Bardou, le ChĆur de l'UniversitĂ© de Hambourg et l'ensemble Im Treppenhaus. Il revient cette annĂ©e accompagnĂ© de Maria Pache et de l'AcadĂ©mie de Bardou pour nous prĂ©senter un programme de musique de chambre et d'ensembles vocaux avec des Ćuvres de Mozart, Mendelssohn, Dvorak et d'autres compositeurs. En partenariat avec le Festival de Musical de l'Orne - Sophie Lemonnier-Wallez et Paolo Rigutto Musique, Musique classiqueïGouffern en Auge 61310ïDu 13/07/2022 au 17/09/2022Ă lâoccasion du centenaire de la mort de Marcel Proust, ce programme de sonates pour violon et piano vous propose deux chefs-dâoeuvre du rĂ©pertoire de la musique de chambre avec les sonates de CĂ©sar Franck et Guillaume Lekeu. Deux oeuvres oĂč les phrases aĂ©riennes et odorantes » quâaimait Swann trouvent toute la plĂ©nitude de leur poĂ©sie et de leur envol poĂ©tique. Si la sonate de CĂ©sar Franck est lâune des plus connues du rĂ©pertoire pour violon et piano, celle de son jeune compatriote Guillaume Lekeu est plus rarement donnĂ©e en concert. Elle nâen demeure pas moins un des sommets de la musique de chambre Ă©crite par un compositeur de 22 ans. Sophie LEMONNIER-WALLEZ, violon Paolo RIGUTTO, piano Guillaume LEKEU Sonate pour violon et piano en sol majeur Claude DEBUSSY Clair de lune Gabriel FAURĂ AprĂšs un rĂȘve CĂ©sar FRANCK Sonate pour violon et piano en la majeurEnsemble Musicatreize MusiqueïArles 13200ïLe 12/09/2022Ensemble MUSICATREIZE Roland HAYRABEDIAN, direction Iannis Xenakis LâOresteĂŻa Musicatreize a Ă©tĂ© créé en 1987 par Roland Hayrabedian. Lâensemble depuis ce jour dĂ©fend le rĂ©pertoire du XXe siĂšcle, augmente et diversifie ce rĂ©pertoire par de nouvelles Ćuvres, confronte les Ă©poques et les esthĂ©tiques et a Ă©tabli dans le sud de la France un outil privilĂ©giĂ© de crĂ©ation musicale. Se refusant Ă toute chapelle esthĂ©tique, Musicatreize sert la crĂ©ation musicale dans ce quâelle a de plus intrinsĂšquement sensible et original avec le dĂ©sir de mettre en avant un esprit mĂ©diterranĂ©en. Ils nous font lâhonneur dâouvrir la saison 2022-2023 avec un concert en plein air Ă lâespace CroisiĂšre autour de lâĆuvre de Iannis Xenakis dont on fĂȘte le centenaire, Oresteia. Cette musique de scĂšne pour chĆur mixte et orchestre de chambre a Ă©tĂ© Ă©crite dâaprĂšs la tragĂ©die dâEschyle, LâOrestie, en trois parties, Agamemnon, ChoĂ©phores et Eumenides. Partition vieille de 45 ans quelques retouches ont Ă©tĂ© faites dans les annĂ©es 80 pour sa crĂ©ation intĂ©grale, Oresteia a gardĂ© une grande force Ă©motionnelle. Sans prĂ©tendre Ă la reconstitution ethnomusicologique, lâĆuvre emprunte aux modes anciens[...]14e Festival Musical de l'abbaye de La Lucerne Concert, Festival gĂ©nĂ©raliste, Musique classiqueïLA LUCERNE-D'OUTREMER 50320ïDu 16/07/2022 au 17/09/2022La rencontre de quelques personnes animĂ©es par la volontĂ© de donner Ă lâabbaye de La Lucerne un Ă©vĂšnement culturel digne dâelle est Ă lâorigine de ce festival. Depuis la 1Ăšre Ă©dition en 2008, nous offrons un ensemble de concerts qui ont fait la renommĂ©e du Festival musical de La Lucerne, dans le cadre dâune programmation originale avec des musiciens de niveau national voire international, tout en gardant des tarifs accessibles Ă tous. Cette annĂ©e 2022, la 14Ăšme Ă©dition, vous propose un programme de 6 concerts de haut niveau de la mi juillet au 3Ăšme samedi de septembre pour les journĂ©es du patrimoine. 16 juillet LumiĂšres » - musique chorale JS Bach, Brahms, Mendelssohn, Whitacre par lâensemble vocal MĂ©lismes. 25 juillet musique de chambre - Octuor de Franz Schubert par lâOrchestre RĂ©gional de Normandie. 3 aoĂ»t Par Monts et par vaux » - musiques sacrĂ©e et traditionnelle armĂ©niennes par Akn, ensemble armĂ©nien. 8 aoĂ»t Jean de La Fontaine, une vie dâimpertinence » - Concert-biographie Du Mont, Bacilly, Couperin, Monsieur de Sainte-Colombe, Marin Marais⊠par lâensemble Comet Musicke. 13 aoĂ»t Musique de chambre Bach, Biber, Bartok, Kodaly par Elsa[...]Festival international de musique Besançon Franche-ComtĂ© Musique, Festival gĂ©nĂ©ralisteïBesançon 25000ïDu 09/09/2022 au 18/09/202275e Festival en septembre 2022 ! Créé en 1948, le Festival international de musique de Besançon Franche-ComtĂ© compte parmi les plus anciens et les plus prestigieux festivals de musique en France. Ă lâinitiative de Gaston Poulet, violoniste et chef dâorchestre français, câest le troisiĂšme festival de musique crĂ©e en France, aprĂšs Strasbourg et Aix-en-Provence. Ouvert aux rĂ©citals et Ă la musique de chambre, câest toutefois le rĂ©pertoire symphonique qui a le plus marquĂ© son histoire, avec les plus grands noms de la direction AndrĂ© Cluytens, Carl Schuricht, Igor Markevitch, Rafael Kubelik, Lorin Maazel, Charles Dutoit⊠Lâimage du Festival sâest renforcĂ©e en 1951 avec la crĂ©ation du Concours international de jeunes chefs dâorchestre, qui sâest rapidement imposĂ©e comme la plus prestigieuse manifestation de sa catĂ©gorie. Leurs prix Ă Besançon ont ainsi permis Ă Gerd Albrecht, Seiji Ozawa, Michel Plasson, Zdenek Macal, Sylvain Cambreling ou Yutako Sado de faire leurs premiĂšres armes sur la scĂšne internationale. Le Festival est Ă©galement, depuis ses origines, un acteur essentiel de la crĂ©ation et de la diffusion de la musique contemporaine et dĂ©veloppe depuis 2004 un ambitieux[...]NATHALIA MILSTEIN 43ĂME PIANO JACOBINS Musique, Musique classique, Chorale - ChantïToulouse 31000ïLe 15/09/20221er Prix du Concours de Dublin en 2015, Nathalia Milstein montre depuis le dĂ©but de son parcours une personnalitĂ© musicale trĂšs complĂšte, Ă son aise en soliste comme en musique de chambre. De Schubert Ă Debussy, elle signe un programme entre feu et rĂȘve. Au programme Debussy Suite Bergamasque / Franck PrĂ©lude, Choral et Fugue / TchaĂŻkovsky 6 piĂšces, / Schubert Fantaisie "Wanderer", avec Le Quatuor EmergenceïBoyer 71700ïLe 10/09/2022Le Quatuor Emergence nait Ă Lyon dĂ©but 2021. Ses membres, tous clarinettistes Ă lâOrchestre de la Garde rĂ©publicaine Ă Paris, ont souhaitĂ© que leur complicitĂ© musicale donne naissance Ă une formation de musique de chambre au rĂ©pertoire unique. Aux cĂŽtĂ©s des Ćuvres originales Ă©crites pour quatuor de clarinettes sont venues sâajouter une Ă une de nombreuses piĂšces baroques, classiques, ou plus rĂ©centes, transcrites par les musiciens du Quatuor Emergence Concerto en la mineur de Bach, 4 Saisons de Vivaldi, Adagio de Barber, tangos de Piazzolla⊠pour nâen citer que quelques-unes. LâEmergence de ce rĂ©pertoire inĂ©dit permet Ă ce quatuor dâavoir son identitĂ© propre et son style unique, vĂ©ritable signature musicale qui a valu aux musiciens de nombreuses propositions de concerts depuis la crĂ©ation du quatuor. La crĂ©ation des Saisons de Vivaldi pour quatuor de clarinettes lors du concert humanitaire du 23 mars 2022 Salle MoliĂšre Ă Lyon a constituĂ© le point dâorgue de cette premiĂšre annĂ©e dâexistenceBalade contĂ©e et dĂźner Ă la Maupassant Lecture - Conte - PoĂ©sie, Balades, Musique classiqueïTĂŽtes 76890ïLe 16/09/2022Dans le cadre du programme de visites expĂ©rientielles, l'Office de Tourisme vous propose de sortir vos plus beaux costumes et de participer Ă une balade contĂ©e Ă la Maupassant. Poursuivez votre soirĂ©e autour d'un dĂźner Ă l'Auberge du Cygne en musique, et visite la chambre oĂč Maupassant Ă sĂ©journĂ© et Ă©crit "Boules de Suif" ! Rendez-vous Ă 18h Ă l'Auberge du Cygne Ă TĂŽtes ! RĂ©servation obligatoire et nombre de participants limitĂ©. Respect des gestes barriĂšres et du protocole sanitaire en de lâEnsemble Colla Voce Musique, Pop - Rock - FolkïBarr 67140ïDu 04/06/2022 au 19/09/2022Lâensemble vocal Colla Voce vous propose une soirĂ©e musicale "Souffles" Musique de chambre vocale Ă 1, 2 et 3 voix Ćuvres de Mozart, Mendelssohn, Brahms, Berlioz Piano Vincent de Murcia Colla Voce, DirigĂ© par Christine Oehlkern, artiste lyrique et professeur de chant, cet ensemble vocal, rĂ©cemment domiciliĂ© Ă Barr, allie accessibilitĂ© et exigence. ComposĂ© de chanteurs amateurs passionnĂ©s qui se prĂ©sentent en petit chĆur ou en qualitĂ© de solistes, il propose un rĂ©pertoire de musique de chambre vocale, accompagnĂ© au piano par Vincent de "Les rideaux rouges" Musique classique, MusiqueïAgey 21410ïLe 17/09/2022Ăblouissant, Ă©tourdissant de talent, il nây a pas de mot assez fort pour qualifier "Les Rideaux Rouges", ensemble de musique de chambre qui se produit cette saison dans les Ă©glises de notre territoire... Il dĂ©poussiĂšre avec un humour dĂ©calĂ©, joyeux la musique dite "classique" ou "conventionnelle" et vous invite Ă dĂ©couvrir son univers ![CONCERT] Autour de Bach et Telemann, Sonate et musique de chambre Musique, Concert, Musique classiqueïHoulgate 14510ïLe 17/09/2022RĂ©galez vos oreilles de musique classique lors de ce concert proposĂ© par lâOrchestre RĂ©gional de Normandie. Billetterie en ligne ou sur NOTES D'ĂCUME 2022 - NATURAL WOMAN BAND Musique, Culte et religion, GospelïLeucate 11370ïLe 17/09/2022Chaque weekend du 2 au 24 septembre, Leucate et le Festival Notes dâĂcume invite des artistes parmi les plus reconnus de la scĂšne musicale française pour des moments de partage musical. Lâensemble forme une passionnante mosaĂŻque dâĆuvres, de couleurs, de compositeurs, de sentiments, dâĂ©poques⊠Concerts Ă l'Ă©glise de Leucate-village et Ă l'Espace Henry de Montfreid. Au programme - Quatuor Ellipsos les 2 et 3 septembre - Laura Roy le 9 septembre - AurĂ©lien Lehmann & Eric Artz le 10 septembre - L'Orchestre de Chambre du Languedoc le 16 septembre - Natural Woman Band - Aretha Franklin le 17 septembre - François Moschetta le 23 septembre - Le Madrigal de la CitĂ© le 24 septembre Hommage Ă Aretha Franklin La formation Natural Woman Band naĂźt en 2018, sous l'impulsion de la chanteuse de gospel Tatiana Gronti, bercĂ©e dĂšs son plus jeune Ăąge Ă la musique d'Aretha Franklin. ComposĂ© de choristes de gospel et de musiciens passionnĂ©s par les musiques blues et soul des annĂ©es 60 et 70, le groupe rend hommage Ă l'artiste Ă travers un rĂ©pertoire composĂ© de ses grands succĂšs Natural Woman, Think, Respect... mais Ă©galement des morceaux plus intimistes. Depuis 2021,[...]Notre vie dans les forĂȘts - SoirĂ©e immersive en forĂȘt - Compagnie Premier Baiser Spectacle comique, Nature - Environnement, MusiqueïTannerre-en-Puisaye 89350ïDu 23/08/2022 au 10/09/2022Dans un futur Ă notre porte, une femme rĂ©fugiĂ©e avec dâautres disparus » dans la forĂȘt Ă©crit son journal et tente de reconstituer le puzzle de ce qui lâa menĂ©e lĂ . Avec humour et jubilation de dire, elle sâadresse Ă nous qui lirons le journal. Il est question de maladies, dâattentats, de ciel rouge, de chambre sans fenĂȘtre, de clones endormis⊠avec humour et jubilation de dire. La musique, la voix dâune femme dans la nuit, la prĂ©sence de la nature tout autour⊠une expĂ©rience Ă du patrimoine Concert Manifestation culturelle, Musique, Patrimoine - Culture, ConcertïArthez-de-BĂ©arn 64370ïLe 17/09/2022A mi-chemin entre spectacle et recueillement, le chĆur de chambre Il Momento Vocale vous propose un temps partagĂ© tissĂ© de chants, de musique, et dâĂ©vocations poĂ©tiques et spirituelles. Venez nombreux vous ressourcer, enfants, adultes, parents et amis afin de renouer des liens forts dâ "Les rideaux rouges" Musique classique, MusiqueïPrĂąlon 21410ïDu 24/09/2022 au 16/09/2022Ăblouissant, Ă©tourdissant de talent, il nây a pas de mot assez fort pour qualifier "Les Rideaux Rouges", ensemble de musique de chambre qui se produit cette saison dans les Ă©glises de notre territoire... Il dĂ©poussiĂšre avec un humour dĂ©calĂ©, joyeux la musique dite "classique" ou "conventionnelle" et vous invite Ă dĂ©couvrir son univers !Concert "Les rideaux rouges" Musique classique, MusiqueïSavigny-sous-MĂąlain 21540ïLe 18/09/2022Ăblouissant, Ă©tourdissant de talent, il nây a pas de mot assez fort pour qualifier "Les Rideaux Rouges", ensemble de musique de chambre qui se produit cette saison dans les Ă©glises de notre territoire... Il dĂ©poussiĂšre avec un humour dĂ©calĂ©, joyeux la musique dite "classique" ou "conventionnelle" et vous invite Ă dĂ©couvrir son univers !Concert Symphonique OPPB Marie-Ange Nguci Manifestation culturelle, Musique, Musique classique, Concert, Manifestation culturelleïPau 64000ïLe 06/10/2022Rencontre avant concert Ă 19h Marie-Ange Nguci, Piano Fayçal Karoui, Direction RAVEL Alborada del gracioso RAVEL Concerto en Sol DEBUSSY La Mer RAVEL BolĂ©ro A propos de Marie-Ange Nguci ... VĂ©ritable Ă©toile montante du piano, Marie-Ange Nguci est invitĂ©e en 2020/2021 Ă se produire avec lâOrchestre de Paris Ă la Philharmonie de Paris, lâOrchestre National de Lyon sous la direction de Nikolaj Znaider, lâOrchestre National dâĂle-de-France et Case Scaglione, lâOrchestre de Chambre de Paris au Théùtre des Champs-ElysĂ©es, lâorchestre de chambre de BĂąle sous la direction de Pierre Bleuse, lâOrchestre National de Bordeaux-Aquitaine et Paul Danielou encore lâOrchestre National de Lille sous la direction de David Reiland. ...Concert Symphonique OPPB Marie-Ange Nguci Manifestation culturelle, Musique, Musique classique, Concert, Manifestation culturelleïPau 64000ïLe 07/10/2022Rencontre avant concert Ă 19h Marie-Ange Nguci, Piano Fayçal Karoui, Direction RAVEL Alborada del gracioso RAVEL Concerto en Sol DEBUSSY La Mer RAVEL BolĂ©ro A propos de Marie-Ange Nguci ... VĂ©ritable Ă©toile montante du piano, Marie-Ange Nguci est invitĂ©e en 2020/2021 Ă se produire avec lâOrchestre de Paris Ă la Philharmonie de Paris, lâOrchestre National de Lyon sous la direction de Nikolaj Znaider, lâOrchestre National dâĂle-de-France et Case Scaglione, lâOrchestre de Chambre de Paris au Théùtre des Champs-ElysĂ©es, lâorchestre de chambre de BĂąle sous la direction de Pierre Bleuse, lâOrchestre National de Bordeaux-Aquitaine et Paul Danielou encore lâOrchestre National de Lille sous la direction de David Reiland. ...Concert Symphonique OPPB Marie-Ange Nguci Manifestation culturelle, Musique, Musique classique, Concert, Manifestation culturelleïPau 64000ïLe 08/10/2022Rencontre avant concert Ă 10h et 17h. Marie-Ange Nguci, Piano Fayçal Karoui, Direction RAVEL Alborada del gracioso RAVEL Concerto en Sol DEBUSSY La Mer RAVEL BolĂ©ro A propos de Marie-Ange Nguci ... VĂ©ritable Ă©toile montante du piano, Marie-Ange Nguci est invitĂ©e en 2020/2021 Ă se produire avec lâOrchestre de Paris Ă la Philharmonie de Paris, lâOrchestre National de Lyon sous la direction de Nikolaj Znaider, lâOrchestre National dâĂle-de-France et Case Scaglione, lâOrchestre de Chambre de Paris au Théùtre des Champs-ElysĂ©es, lâorchestre de chambre de BĂąle sous la direction de Pierre Bleuse, lâOrchestre National de Bordeaux-Aquitaine et Paul Danielou encore lâOrchestre National de Lille sous la direction de David Reiland. ...CHAPELLE DES PĂNITENTS - CONCERT - JOURNEES EUROPEENNES DU PATRIMOINE Concert, MusiqueïBĂ©ziers 34500ïLe 17/09/2022La chapelle des PĂ©nitents vous propose un concert du choeur de chambre "In Baeterra".Ressources supplĂ©mentairesïBaladesïBien-ĂȘtreïChorale - ChantïConcertïCulte et religionïFestival gĂ©nĂ©ralisteïGospelïJazz - BluesïLecture - Conte - PoĂ©sieïManifestation culturelleïMusiqueïMusique classiqueïNature - EnvironnementïOpĂ©ra - OpĂ©retteïPatrimoine - CultureïPop - Rock - FolkïRandonnĂ©e et baladeïSpectacleïSpectacle comiqueïThéùtreïAudeïBas-RhinïBouches-du-RhĂŽneïCalvadosïCĂŽte-dÂŽOrïDoubsïHaute-GaronneïHĂ©raultïLoir-et-CherïLot-et-GaronneïMancheïMayenneïOrneïPyrĂ©nĂ©es-AtlantiquesïSaĂŽne-et-LoireïSeine-MaritimeïVarïYonne Surordre de la Reine Lafresia, elle devait s'infiltrer parmi les humains, mais elle ne supportait plus de mentir et de jouer ce sinistre rĂŽle. Visiblement, elle apprĂ©cie notre espĂšce (malgrĂ© ses dĂ©fauts). Par ce geste elle prouve qu'elle n'est pas dĂ©pourvue de sentiments. Mais elle n'a pas le temps d'en dire plus. Lorsqu'elle est dur le point de donner des informations Ă Forum de poĂšmes. Postez vos poĂšmes, vos commentaires... Bienvenue Ă tous les poĂštes !Forum de poĂšmes oĂč tout le monde peut poster ses poĂšmes, mettre son avis sur les poĂšmes des autres et participer aux discussions ! Jouer avec les sentiments Forum de poĂšmes. Postez vos poĂšmes, vos commentaires... Bienvenue Ă tous les poĂštes ! Forum Index -> Discussions, et Distractions. -> Phrases spĂ©ciales Previous topic Next topic Author Message KĂ©zam LeitchiMerveilleux 16 Mar 2015Posts 1,152Localisation Vous ĂȘtes ici -&amp;amp;amp;amp;gt; dans le doute voir le plan Posted Mon 7 Jan - 1725 2019 Post subject Jouer avec les sentiments "Il ne faut pas jouer avec les sentiments!"Sinon je fais la mĂȘme chose, et si c'est en amour... il n'y a pas de pardon si on sacrifie mon amour envers quelqu'un d'autre pour le besoin de son amour propre!!!! >>-> >-> >-> Discussions, et Distractions. -> Phrases spĂ©ciales All times are GMT + 1 Hour Page 1 of 1 Jump to Index Administration Panel Create a free forum Free support forum Free forums directory Report a violation Cookies Charte Conditions gĂ©nĂ©rales d'utilisation Flowers of Evil © theme by larme d'ange 2006 Powered by phpBB © 2001, 2005 phpBB Group